Intervention de Fabrice Chandre

Réunion du lundi 17 février 2020 à 9h30
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Fabrice Chandre, directeur de recherche à l'IRD :

Je suis directeur de recherche à l'IRD, et j'appartiens à l'unité mixte de recherche (UMR) « Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle » (Mivegec), qui travaille essentiellement sur les maladies infectieuses et les vecteurs. Mes travaux de recherche m'ont amené à m'intéresser surtout aux problèmes de lutte contre les insectes, notamment dans les zones tropicales, et plus particulièrement aux mécanismes de résistance des insectes aux insecticides – il s'agit de comprendre comment les insectes résistent aux molécules insecticides, quels sont les mécanismes impliqués et quels sont les facteurs qui favorisent la diffusion de ces résistances dans les populations d'insectes.

Par ailleurs, je travaille en collaboration avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS), et avec un certain nombre d'instituts à l'étranger. Nous essayons de mettre en place des stratégies de lutte permettant de gérer les phénomènes de résistance aux insecticides chez les moustiques.

Je suis responsable du centre collaborateur de l'OMS pour l'évaluation des insecticides en santé publique ; j'ai également dirigé de 2014 à 2017 un consortium – le Centre national d'expertise sur les vecteurs (CNEV) – qui regroupait à la fois des chercheurs et des opérateurs de la lutte vectorielle en France. Il était destiné à apporter des avis scientifiques et techniques aux décideurs politiques, notamment le ministère de la santé et celui de l'agriculture, sur les questions relatives aux vecteurs et aux moyens de lutte contre ces vecteurs, tant sur le plan opérationnel que sur des questions de sciences humaines et sociales liées à ce sujet.

À l'heure actuelle, les recherches que nous menons au sein de l'UMR Mivegec, en particulier pour lutter contre les moustiques Aedes, concernent la technique de l'insecte stérile (TIS). C'est un programme pilote mené sur l'île de La Réunion, financé par la région Réunion et par la direction générale de la santé (DGS), et qui bénéficie également d'aides du Fonds européen de développement régional (FEDER). Ce programme vise à lutter contre le moustique Aedes par la mise en œuvre de la technique suivante : il s'agit d'élever en masse des moustiques tigres (Aedes albopictus), de séparer les mâles des femelles au stade nymphal, juste avant leur transformation en adultes, puis de stériliser par rayons X les nymphes mâles, donnant lieu à des individus adultes stériles ; les femelles ne se reproduisant en général qu'une seule fois dans la nature, la reproduction avec un mâle stérile donne une descendance stérile. Un programme a été mis en place depuis plusieurs années pour évaluer la faisabilité de cette technique sur l'île de La Réunion.

Au cours de la phase 1, nous avons étudié le comportement de reproduction des moustiques tigres, pour vérifier si les femelles s'accouplaient bien avec un seul mâle et non plusieurs, mais aussi quelle était la compétitivité sexuelle des mâles irradiés – que l'exposition à des rayons X pouvait contribuer à abaisser – et, sur le terrain, quelle était la densité approximative des mâles à l'hectare, afin d'estimer la quantité de mâles qu'il faudrait relâcher dans les zones concernées. Tout cela a pris un certain temps. Il a fallu demander des autorisations pour pouvoir relâcher des mâles stériles dans la nature ; celles-ci ont été accordées après avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et de l'Agence française pour la biodiversité (AFB) à propos des risques que ces méthodes pouvaient représenter pour la biodiversité.

Nous sommes actuellement dans la phase 2 : nous envisageons de relâcher prochainement des mâles stériles sur une petite zone de l'île de La Réunion. Vous aurez probablement l'occasion d'auditionner prochainement les collègues qui mènent ce projet.

Je travaille aussi sur un projet en collaboration avec des collègues du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). Ils s'intéressent plutôt aux insectes d'importance vétérinaire, mais nous développons un projet commun soutenu par le Conseil européen de la recherche ( European research council, ERC), sur un concept développé par un collègue qui étudie les mouches tsé-tsé – celles qui transmettent la maladie du sommeil –, contre lesquelles la technique de l'insecte stérile est également employée. Pour mettre en œuvre ce concept, le collègue a déposé un projet européen auquel nous participons, et qui vise trois modèles d'insectes : la mouche tsé-tsé, le moustique tigre – dont nous nous occupons – et la mouche à fruits. Il s'agit, avant de relâcher les mâles, de les asperger d'un produit biocide non létal pour eux – un analogue d'hormone, le pyriproxyfène –, mais qui peut perturber leur reproduction. En s'accouplant avec la femelle, le mâle lui transfère une partie de ces produits biocides ; la femelle, au moment de pondre dans le gîte larvaire, transmet l'analogue d'hormone, ce qui arrête le développement des larves éventuellement présentes dans le gîte. C'est ce qu'on appelle la « TIS boostée », qui permet d'augmenter l'efficacité de la TIS en relâchant beaucoup moins de mâles pour un résultat équivalent. Cette technique a également été intégrée au projet évoqué précédemment. Celui-ci devait se dérouler à La Réunion, mais on ne pourra finalement y faire que des essais en milieu semi-naturel, dans des zones confinées – des cages –, car nous ne disposons pour le moment même pas des autorisations nécessaires pour procéder aux lâchers de mâles stériles simples ; obtenir celles permettant d'effectuer les lâchers de mâles enduits de pyriproxyfène prendrait donc trop de temps. Ce sera donc fait plutôt en Espagne, où l'utilisation des mâles stériles dans le cadre de la lutte contre un certain nombre de ravageurs est plus avancée.

Plus récemment, je me suis intéressé à des virus pathogènes spécifiques des moustiques Aedes albopictus ou Aedes aegypti – en l'occurrence des densovirus –, que l'on pourrait utiliser comme outil de lutte biologique. Pour développer ce projet, nous avons bénéficié d'un financement de la région Occitanie, et nous travaillons avec des collègues chimistes qui encapsulent ces virus afin d'en faire des formulations disponibles à l'utilisation dans les gîtes larvaires où se développent les Aedes. Nous avons aussi déposé un projet auprès du programme de maturation du Centre national de recherche scientifique (CNRS), pour développer un autre type de formulation qui pourrait être utilisé dans le cadre de la dispersion de ces virus par les mâles stériles, après accouplement avec les femelles. À ce stade, le CNRS est intéressé et nous a posé des questions au sujet de la TIS ; nous allons probablement repasser devant le comité d'experts dans le courant de l'année 2020.

Dans le cadre de la lutte contre les moustiques Aedes, d'autres collègues de mon unité travaillent sur les répulsifs. Ce sont des outils importants de protection personnelle et – lorsqu'ils sont utilisés à grande échelle – de santé publique. Il s'agit d'essayer de comprendre par quels mécanismes les moustiques sont affectés par les répulsifs, sur quels récepteurs – gustatifs ou olfactifs – ceux-ci agissent, et quel est leur mode d'action – ils peuvent être irritants, le moustique cherchant alors à fuir la zone d'épandage, ou inhibiteurs, lorsque le répulsif perturbe les récepteurs dont disposent les moustiques pour repérer leurs proies, hommes ou animaux, provoquant une inhibition de l'attraction. Ce sont des mécanismes différents, qui n'agissent pas sur les mêmes récepteurs. Il est important de comprendre comment ils agissent pour identifier ensuite les molécules les plus efficaces, que ce soit pour permettre l'utilisation de substances naturelles ou pour mieux appréhender le mode d'action des répulsifs chimiques actuellement utilisés – leur fonctionnement est encore très mal connu, alors même que ce sont des produits dont on se sert quotidiennement en été.

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