Intervention de Fabrice Chandre

Réunion du lundi 17 février 2020 à 9h30
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Fabrice Chandre, directeur de recherche à l'IRD :

Dans le cadre de la lutte contre les Aedes, notamment les espèces albopictus – le moustique tigre – et aegypti, on considère avoir affaire à des moustiques en quelque sorte domestiqués par l'homme, en tout cas parfaitement adaptés à l'environnement humain et vivant dans des gîtes créés par l'Homme – même si le moustique tigre a également la capacité de vivre dans des gîtes plus naturels tels que des trous d'arbre ou des creux de rocher. Dans ces conditions, la meilleure méthode de lutte en période inter-épidémique consiste à détruire le maximum de gîtes dans lesquels se développent les moustiques. Aux abords des habitations, il s'agit ainsi de vider régulièrement tous les récipients dans lesquels l'eau peut s'accumuler, y compris les soucoupes se trouvant sous les pots de fleurs, où les larves de moustiques peuvent se développer dans quelques millimètres d'eau.

D'une manière générale, tous les endroits où l'eau stagne, même en faible quantité, doivent être asséchés à chaque fois qu'il est possible de le faire. Certains gîtes ne peuvent être supprimés, notamment quand il s'agit de réserves d'eau de pluie constituées intentionnellement : dans ce cas, il s'agit de faire en sorte que les moustiques ne puissent pas accéder à ces gîtes pour y pondre.

Malheureusement, il existe des gîtes qu'il est non seulement impossible de supprimer, mais également très difficile de protéger ou de traiter. Je pense notamment aux terrasses sur plots, dans lesquelles l'eau peut s'infiltrer pour constituer des flaques où les moustiques se reproduisent en grand nombre, et qu'il n'est pas évident de démonter – d'autant qu'il faudrait le faire à plusieurs reprises.

Enfin, certains gîtes ne sont pas traités tout simplement parce qu'ils sont trop difficiles à identifier et localiser. Pour toutes ces raisons, il est impossible de traiter la totalité des gîtes. Je précise que, pour ce qui est des gîtes identifiés mais difficiles d'accès, on peut utiliser des insecticides d'origine biologique tels que le Bacillus thuringiensis, une bactérie pathogène pour le moustique, mais ne présentant pas de toxicité pour le reste de la faune.

Pour ce qui est de la lutte en période épidémique, elle nécessite la mise en œuvre de méthodes visant à limiter la circulation des femelles infectées et infectantes, c'est-à-dire pouvant transmettre le virus. L'une des stratégies les plus couramment utilisées reste le recours aux insecticides adulticides, qui présentent l'inconvénient de pouvoir donner lieu à des phénomènes de résistance. Ce n'est pas encore le cas avec Aedes albopictus, mais on sait que ce n'est qu'une question de temps, puisque des gènes de résistance ont déjà été identifiés, notamment en Italie et en Grèce : ils devraient donc être prochainement observés en France si on y augmente la pression de sélection.

C'est surtout dans les départements français d'Amérique que le problème se pose, car le principal vecteur dans ces zones est Aedes aegypti, une espèce extrêmement résistante aux insecticides. Or, l'obligation d'appliquer la réglementation européenne partout en France, y compris dans les départements d'outre-mer, notamment en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane, nous empêche d'utiliser d'autres insecticides que les pyréthrinoïdes – précisément la classe de substances auxquels les moustiques ont développé une grande résistance, sans doute l'une des plus fortes au monde.

Je sais qu'il est possible de solliciter auprès des autorités européennes des dérogations visant à ce qu'il nous soit permis de recourir à d'autres insecticides, puisque c'est ce qui avait été fait en 2014 en Guyane au moment de l'épidémie de chikungunya. Nous nous étions associés aux toxicologues de l'ANSES pour demander, dans un rapport soumis au Haut conseil de la santé publique (HCSP), l'autorisation d'utiliser le malathion. Le problème, c'est que plusieurs mois sont nécessaires pour que les experts se réunissent, qu'ils rédigent leur rapport et que la demande de dérogation soit examinée, et que lorsqu'elle est accordée, l'épidémie est le plus souvent terminée. J'ajoute que, pour ce qui est du malathion, il y a eu un mauvais concours de circonstances, puisque le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a identifié cette molécule comme cancérogène probable quelques mois après que son usage a été autorisé, ce qui fait que la ministre de la santé de l'époque, Mme Marisol Touraine, en a suspendu l'utilisation en Guyane.

En résumé, il est compliqué de lutter contre les moustiques adultes avec un seul insecticide, mais c'est malheureusement la situation à laquelle nous sommes confrontés dans les départements français d'Amérique.

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