Intervention de Fabrice Chandre

Réunion du lundi 17 février 2020 à 9h30
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Fabrice Chandre, directeur de recherche à l'IRD :

Les résistances auxquelles nous sommes actuellement confrontés sont celles que développent certains moustiques face aux pyréthrinoïdes. En Grèce, je crois que c'est une estérase, c'est-à-dire une enzyme, qui casse la molécule d'insecticide au niveau de la liaison ester, rendant cette molécule inactive. En Italie, on a mis en évidence une mutation du canal sodium ayant pour conséquence que les molécules d'insecticide se fixent moins bien sur ce canal sodium constituant leur cible et, de ce fait, ne jouent pas correctement leur rôle consistant à bloquer l'influx nerveux qui se transmet le long des neurones.

Les différentes mutations sont sélectionnées par la pression de sélection qui résulte de l'utilisation au long terme d'une molécule insecticide. Cette pression de sélection a pour origine les mesures mises en œuvre dans le cadre des politiques de santé publique, mais aussi l'utilisation d'insecticides d'origine agricole ou employés par les particuliers sous la forme de plaquettes et de diffuseurs longue durée.

Pour éviter cela, il faut relâcher la pression de sélection en réduisant le nombre de traitements. Cette stratégie a montré une certaine efficacité en France métropolitaine sur le moustique Aedes albopictus ; il semble que ce soit moins le cas à La Réunion, où l'on aurait constaté une résistance, mais cela demande à être confirmé.

Jusqu'à présent, les traitements ciblant Aedes albopictus étaient effectués par des opérateurs publics, mais le code de la santé publique a été modifié à compter du 1er janvier 2020. Depuis cette date, les missions de surveillance et de lutte contre les insectes vecteurs relèvent de la compétence des agences régionales de santé (ARS), qui font des appels d'offres et peuvent confier la mise en œuvre de ces missions à des opérateurs privés ou publics, en fonction du cahier des charges qu'elles établissent.

Faire appel à des opérateurs privés comporte un risque, celui de voir la fréquence et l'intensité des traitements augmenter. Lorsque les traitements étaient effectués par l'Entente interdépartementale de démoustication (EID), chacun des 200 à 300 signalements par an de cas suspects ou confirmés en France métropolitaine donnait lieu à une enquête entomologique, et il n'était procédé à un traitement que lorsque celui-ci était justifié, c'est-à-dire dans 20 % à 25 % des cas seulement, ce qui représentait une cinquantaine de traitements. Les opérateurs privés qui sont désormais susceptibles d'intervenir vont évidemment avoir tendance à effectuer plus de traitements que nécessaire, ce qui va augmenter la pression de sélection sur les moustiques, donc la résistance. L'intérêt financier de ces opérateurs privés sera en effet de faire le plus de traitements possible : avec une cinquantaine de traitements par an, ils ne pourraient en aucun cas rentabiliser les investissements que représentent le matériel utilisé – de gros pulvérisateurs chargés sur des véhicules 4 x 4 – et la formation des agents chargés de le mettre en œuvre.

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