Je suis professeur de médecine – ma spécialité étant la virologie médicale – au centre hospitalo-universitaire de Marseille. Je ne crois pas avoir de conflit d'intérêts à déclarer, n'ayant perçu, au cours des quinze dernières années, aucune rémunération directe ou indirecte de l'industrie. Pour être le plus complet possible, je précise que j'ai reçu des per diem au titre de missions effectuées dans le cadre de diverses commissions de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ; je suis membre de plusieurs conseils scientifiques : celui de la Fondation Mérieux – qui a une nature familiale et est d'intérêt public –, du laboratoire P4 Inserm-Jean-Mérieux à Lyon, et de l'institut thématique multi-organismes « immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie » (ITMO I3M) de l'Alliance pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan). Aucune de ces représentations ne donne droit à des émoluments ou à des per diem.
Je dirige une unité localisée à Marseille. J'ai consacré l'ensemble de ma carrière à la recherche sur les maladies causées par les virus émergents et, en particulier, les arbovirus. J'ai ainsi travaillé sur la fièvre jaune, la dengue, le chikungunya, le Zika, le West Nile, l'encéphalite japonaise, l'encéphalite à tiques ou encore – la liste n'étant pas exhaustive – la fièvre de la vallée du Rift. Notre unité a quelques caractéristiques marquantes. En premier lieu, nous avons créé en son sein, il y a une dizaine d'années, une collection européenne de virus ( European Virus Archive ), qui est devenue un acteur incontournable, car elle fournit à la communauté internationale, tant scientifique que médicale, des produits de référence pour la recherche et le diagnostic lors des crises sanitaires dues à des virus. Cela a été particulièrement le cas lors de l'épidémie due au virus Zika. Par ailleurs, mon unité a participé à une quinzaine de consortiums de recherche financés par l'Union européenne, laquelle abonde de manière significative les programmes de recherche en virologie et, en particulier, concernant les virus émergents. Je signale enfin que j'ai créé, il y a un peu moins d'un an, le réseau Arbo France.
Mon unité est rattachée à plusieurs tutelles. En premier lieu, nous assurons pour l'université d'Aix-Marseille une recherche de nature principalement fondamentale. En deuxième lieu, l'Institut de recherche pour le développement (IRD), qui est notre tutelle historique, nous fait bénéficier de son expertise concernant les pays du Sud et les territoires ultramarins, qui est fondamentale pour l'arbovirologie. En effet, l'impact des émergences arbovirales concerne d'abord, à l'heure actuelle, les zones tropicales et intertropicales. Pour ce qui est de la France, les arboviroses frappent d'abord less 2,8 millions de citoyens français qui vivent dans les zones tropicales ultramarines du Pacifique, de l'océan Indien et des départements français des Amériques. Il existe bien sûr des arboviroses en France métropolitaine, mais elles ne sont pas encore comparables d'un point de vue quantitatif. À l'exception notable de l'île de La Réunion, où le moustique Aedes albopictus domine, l'ensemble des territoires que j'ai cités sont soumis au risque de transmission vectorielle par le moustique Aedes aegypti, qui reste, aujourd'hui encore, notre principal ennemi. L'IRD apporte une capacité, qui lui est propre, de traitement de terrain, dans le cadre des missions qu'il effectue, et a une approche interdisciplinaire – qui est également une tradition de l'institut –, fondamentale pour l'arbovirologie. En troisième lieu, la tutelle de l'Inserm est aussi essentielle, car elle fait le lien avec une approche plus médicale. Elle revêt une utilité de premier plan pour créer, par exemple, des protocoles d'études cliniques vaccinaux ou thérapeutiques.
L'unité a également deux cotutelles. La première est l'Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), qui a une longue tradition de recherche en arbovirologie. Celle-ci était autrefois assurée par l'Institut de médecine tropicale des armées du Pharo, à Marseille, qui a fermé ses portes. Cette tradition perdure, notamment, au sein de notre unité, dans le cadre du Centre national de référence des arbovirus, géré, pour l'IRBA, par le docteur Isabelle Leparc-Goffart. Le diagnostic de référence est un pilier fondamental de notre activité.
Même si cela peut surprendre, notre deuxième cotutelle est assurée par l'Établissement français du sang (EFS) depuis la création de notre unité. C'est un acteur essentiel dans le domaine de l'arbovirologie, pour plusieurs raisons. Il a développé une expertise propre pour garantir la sécurité transfusionnelle dans les zones où il collecte, par exemple à La Réunion, en Martinique et en Guadeloupe. En métropole, il a également développé cette compétence pour le virus West Nile, auquel il est exposé directement. À cette expertise épidémiologique, technologique, diagnostique s'ajoute une capacité unique de collecte d'échantillons sanguins auprès des donneurs qui acceptent explicitement l'utilisation non thérapeutique de leur don, en vue de la recherche. C'est crucial, car cela permet la collecte des échantillons contaminés en période de crise – et, partant, l'identification, le séquençage et le typage des souches – ainsi que la réalisation d'études de séroprévalence, qui ont pour objet de rechercher dans le sang des donneurs des anticorps contre les agents pathogènes qui nous intéressent. Nous pouvons ainsi connaître la fraction de la population qui a rencontré le virus, qui a été immunisée contre celui-ci et qui, le plus souvent, en est protégée. L'évaluation épidémiologique est fondamentale. Les études de séroprévalence sont beaucoup plus précises que les estimations ou les relevés fondés sur le décompte des cas cliniques. L'EFS occupe donc une place centrale dans l'étude épidémiologique des émergences virales dans les lieux où il collecte. Il est à mes yeux essentiel que son rôle soit reconnu, préservé et valorisé – ce qui implique, notamment, que celui-ci apparaisse dans les missions de santé publique de l'établissement.
L'organisation de la recherche dans notre unité et, de manière générale, en arbovirologie est multidisciplinaire, puisqu'elle se traduit par du travail de terrain, de la recherche fondamentale, de l'épidémiologie ou encore du diagnostic. Il faut ajouter trois aspects : les sciences humaines et sociales, qui donnent lieu à des études conduites, au sein de notre unité, par le docteur Jocelyn Raude, en collaboration avec l'École des hautes études en santé publique ; l'entomologie, domaine dans lequel nous entretenons un lien particulier avec l'unité d'Anna-Bella Failloux, à l'Institut Pasteur ; la modélisation des données épidémiologiques, spécialité plus récente mais qui devient essentielle, assurée en collaboration avec l'unité de Simon Cauchemez, également à l'Institut Pasteur.
Le virus Zika a été découvert en 1947 dans la forêt du même nom, en Ouganda, sur un singe sentinelle – autrement dit, un singe rhésus mis en cage sur lequel on réalisait des analyses régulières. Les premiers cas humains ont été identifiés au début des années 1950 au Nigeria. On sait que la transmission de ce virus se fait en milieu sylvatique, autrement dit, dans la forêt ou à son entour, par des moustiques sylvatiques, qui en sont les vecteurs. Ce ne sont pas, j'y insiste, des vecteurs péridomestiques – que vous pouvez trouver autour de votre maison –, même si vous habitez en Afrique. Les hôtes naturels sont des singes, des primates non humains, qui vivent dans la forêt. On n'a jamais rapporté d'épidémie significative en Afrique : l'épidémie est restée périsylvatique, ce qui signifie que ce virus a probablement du mal à s'adapter aux moustiques péridomestiques. Il est mieux transmis par les moustiques de la forêt. Il n'y a jamais eu d'épidémie urbaine sur ce continent, du moins avec les souches africaines.
Zika est un flavivirus, groupe étendu comprenant les virus de la fièvre jaune, de la dengue, le West Nile et beaucoup d'autres. Il s'agit d'un petit virus enveloppé comprenant un génome ARN transmis par les moustiques du genre Aedes. La philogénétique, autrement dit l'étude des génomes, nous a apporté plusieurs enseignements grâce au séquençage du virus Zika. Ce dernier est originaire d'Afrique : il y aurait un ou deux génotypes typiquement africains. Entre la fin du XIXe siècle et les années 1960, le virus a été exporté en Asie. Il s'est adapté, a évolué, a accumulé des mutations jusqu'à devenir un virus un peu différent et donner naissance à un nouveau génotype : le génotype asiatique. L'épidémiologie en Asie est très mal connue – on ne sait pas vraiment comment le virus a subsisté et s'est propagé dans cette zone – mais on n'y a pas relevé de grandes épidémies. Les choses ont complètement changé au début des années 2000. La première alerte est apparue sur l'île de Yap, en Micronésie, en 2007, où l'épidémie a touché une grande part de la population. La deuxième salve est survenue à partir de 2013, avec de violentes épidémies dans les îles du Pacifique, y compris en Polynésie française. À partir de ces îles, probablement dès la fin de l'année 2013, le virus a été introduit dans les Amériques et dans la Caraïbe, où il a déclenché des épidémies d'une violence extrême. Elles sont terminées depuis 2015 dans le Pacifique. S'agissant des Amériques, le déclin épidémique s'est amorcé en 2017, mais il demeure des foyers résiduels, en particulier au Pérou.
La transmission épidémique des îles du Pacifique au Nouveau Monde s'est faite de l'Homme vers le moustique, puis de celui-ci vers l'Homme, sans passer par un réservoir sauvage : aucun primate non humain ni moustique sylvatique n'y était impliqué. Cette transmission s'apparente donc fortement à celle de la dengue ou du chikungunya : l'Homme sert de réservoir, et des moustiques péridomestiques – en l'occurrence, Aedes aegypti – transmettent le virus à l'Homme. Ce mode de transmission épidémique est extrêmement efficace et a donné lieu à des épidémies d'une rare violence. Il est en outre urbain, puisque les moustiques se trouvent essentiellement dans les villes. L'épidémiologie a donc complètement changé.
La maladie en elle-même est une arbovirose que je qualifierais de « banale ». La maladie se traduit par de la fièvre et une éruption cutanée. Il existe de très nombreuses formes asymptomatiques ou paucisymptomatiques, qui présentent un très faible caractère de gravité et ne donnent pas lieu à un signalement médical. Toutefois, le virus et la maladie Zika ont quelques aspects remarquables. Le premier à avoir été découvert est la fréquence du syndrome de Guillain-Barré, grâce à un travail effectué en grande partie par l'équipe du professeur Arnaud Fontanet, à l'Institut Pasteur. Il s'agit d'une maladie grave qui se manifeste par une paralysie ascendante susceptible de gagner les muscles respiratoires, qui nécessite des capacités de réanimation spécifiques. Cela peut poser un problème sérieux d'aménagement des capacités thérapeutiques. Toutefois, le risque est assez faible : il a été estimé à 0,24 ‰ pendant l'épidémie en Polynésie française et à 0,14 ‰ concernant les cas d'infection aux Antilles. Son pronostic est favorable dans le cas de l'apparition du syndrome de Guillain-Barré survenant après une infection due au virus Zika.
La deuxième grande caractéristique du virus Zika tient au fait qu'il peut engendrer des anomalies développementales du fœtus – dont une microcéphalie – quand la mère est infectée pendant la grossesse. En France – plus précisément, en Guadeloupe –, une partie de ce travail a été réalisée par l'équipe du professeur Bruno Hoen, qui a produit des chiffres pour essayer de mieux appréhender le risque. D'un point de vue global – en prenant en considération les microcéphalies et les formes développementales moins graves –, 7 % des femmes infectées pendant leur grossesse ont un enfant présentant des anomalies du développement. Ce risque est maximal si l'infection survient au cours du premier trimestre de la grossesse, où il s'élève à près de 12,5 %. Ces chiffres, on le sait aujourd'hui, sont probablement un peu surestimés, mais ils donnent un ordre de grandeur probablement correct.
Le système français de surveillance des grossesses a fait preuve d'une remarquable efficacité. En alliant la détection clinique et biologique de l'infection, la détection échographique des anomalies développementales et la possibilité d'une interruption thérapeutique de grossesse, il a permis de limiter à un nombre extrêmement réduit les cas non diagnostiqués donnant lieu à des naissances d'enfants anormaux. Le problème sanitaire est d'une ampleur radicalement différente en Amérique latine, pour des raisons qui ne sont pas complètement connues. Des cofacteurs d'aggravation expliquent très probablement le pourcentage plus élevé d'anomalies fœtales, mais il ne faut pas occulter la faiblesse des systèmes de santé, des capacités de détection clinique et biologique, de détection échographique et de suivi des grossesses, ni l'impossibilité légale de procéder à des interruptions thérapeutiques de grossesse. Le fait d'avoir un système de santé bien réglé, qui fonctionne correctement, joue un rôle majeur, même pour une maladie qu'on ne connaît pas.
La troisième caractéristique surprenante a été la découverte d'affections neurologiques aiguës – mais rares –, du type des encéphalites ou des myélites.
La quatrième caractéristique, qui est également très originale, tient à la transmission sexuelle et à la persistance du virus dans des sanctuaires immunologiques. La maladie Zika est d'abord une arbovirose : dans l'immense majorité des cas, elle se transmet par les moustiques. Toutefois, il a été prouvé que la transmission pouvait se faire par la voie sexuelle, essentiellement de l'homme vers la femme ; l'inverse semble exister, mais de manière moins fréquente. Ce mode de transmission avait déjà été rapporté pour le virus de la dengue, mais de manière tout à fait exceptionnelle. S'agissant du Zika, le nombre de cas suggère que ce n'est pas exceptionnel. La transmission par voie sexuelle est associée à des charges virales considérables dans le sperme et à une persistance du virus dans le système génital, qui se compte, dans le meilleur des cas, en semaines, et parfois en mois. Cela a des conséquences sur la diffusion épidémiologique : ces patients étant guéris et asymptomatiques, ils ne se considèrent absolument pas comme malades et peuvent contribuer à la diffusion du virus par voie sexuelle.
Comment expliquer l'émergence du virus ? L'épidémie terminée, la question demeure. L'Afrique connaissait un virus périsylvatique calme. En Asie, même s'il demeure mal connu, le virus ne donnait pas lieu à des épidémies violentes. D'un seul coup, un incendie insensé a traversé le Pacifique, gagné les Amériques et envahi la Caraïbe, en produisant des épidémies d'une violence extrême. Il faut être très modeste : on ne connaît pas tous les déterminants du phénomène. Aujourd'hui, deux théories s'affrontent, sans être totalement irréconciliables. La première évoque une lente accumulation de mutations lors du passage du virus en Asie, jusqu'à produire des virus très efficacement transmis par les vecteurs péridomestiques, de type Aedes aegypti, qui ont provoqué une épidémie. Toutefois, cette théorie n'explique pas pourquoi l'épidémie n'est pas survenue en Asie, et pourquoi il a fallu attendre le transport dans le Pacifique et en Amérique pour qu'elle se déclenche.
La seconde théorie affirme que le virus Zika est recombinant – autrement dit, que son génome est hybride, une part provenant d'un virus ancestral ressemblant au virus de la dengue, et une autre part étant issue d'un ou de plusieurs virus ancestraux proches du virus West Nile. Par conséquent, les populations qui sont immunisées de manière habituelle contre les virus ressemblant au virus West Nil e seraient protégées contre les grandes épidémies. C'est le cas en Afrique, où ce virus circule, et en Asie, où l'encéphalite japonaise – virus relativement proche du West Nile – offre une immunité très large dans la population. En revanche, dans les îles du Pacifique, du fait de l'absence de ces virus, les populations sont complètement naïves, ce qui a pu justifier l'émergence. Ces virus sont également très peu actifs, en termes épidémiologiques, en Amérique du Sud et dans la Caraïbe. Il faudra pousser un peu plus loin ces deux hypothèses, qui ne sont pas tout à fait contradictoires, pour en tirer des enseignements plus précis et des modèles expérimentaux.
J'en viens aux cas autochtones de virus Zika en France métropolitaine. Trois cas ont été relevés dans le Var, dans la ville de Hyères, au cours de l'été 2019. Ils ont été détectés un peu par hasard, car une des patientes contaminées était médecin et a établi rétrospectivement le diagnostic de son affection par le virus, ce qui a permis d'identifier ce petit cluster. Ce qui est intéressant, c'est que l' Aedes aegypti n'est pas présent dans le Var, où l'on ne trouve que l' Aedes albopictus. Cela signifie que la transmission s'est faite localement par ce dernier, ce qui était un peu inattendu. En effet, des études de transmission vectorielle, faites en particulier à l'Institut Pasteur, suggéraient que l' Aedes albopictus était un assez mauvais vecteur – ce qui a été confirmé par de nombreux travaux –, en particulier pour le virus asiatique : la probabilité d'une transmission semblait plus concerner le génotype africain. Or, c'est bel et bien le génotype asiatique qui a été transmis. Cela peut s'expliquer par la conjonction de plusieurs faits : une densité vectorielle très locale mais exceptionnellement élevée et des facteurs météorologiques. D'une part, le pic de température précoce de l'été 2019 a laissé beaucoup de temps aux moustiques pour donner naissance à une population étendue. D'autre part, la sécheresse a été très forte et a pu jouer un rôle dans la sélection de moustiques ayant un phénotype particulier en termes de compétences vectorielles. Au total, la faiblesse du nombre de cas – seuls trois patients ont été identifiés malgré les enquêtes extrêmement approfondies, le porte-à-porte et les prélèvements sur les personnes du quartier – montre que la transmission a été très inefficace. Si elle avait été vraiment efficace, toute la ville de Hyères aurait probablement été touchée.
J'en viens au projet ZIKAlliance, qui est un programme de recherche de la Commission européenne portant sur le virus Zika. C'est un très gros consortium, qui associe cinquante-quatre partenaires dans une vingtaine de pays, en particulier en Amérique du Sud et dans la Caraïbe, mais aussi en Afrique et en Asie du Sud-Est. Son budget s'élevait à 12 millions d'euros, et sa coordination était assurée par l'Inserm – j'en ai été l'investigateur principal. C'est un projet à forte dimension interdisciplinaire, qui a conduit à la publication de près de 150 articles scientifiques, de haut ou de très haut niveau. La recherche clinique a permis de constituer des cohortes constituées de près de 10 000 femmes enceintes en Amérique du Sud et dans la Caraïbe, et d'environ 1 500 enfants nés de celles-ci – certaines d'entre elles étant infectées. Ces études ont donné des résultats concernant l'évaluation de la fréquence des anomalies de développement et l'évolution de plusieurs marqueurs biologiques. Ces résultats standardisés – j'insiste sur ce point – seront partagés avec les autres grands consortiums de recherche sur Zika – deux autres consortiums européens et un très grand consortium américain – et feront l'objet d'une méta-analyse, qui sera réalisée sous les auspices de l'OMS. Nous avons besoin de nombreux cas pour établir des déductions, en particulier pour analyser les risques. Cela ne peut être fait à partir des résultats d'une seule cohorte. Nous avons besoin de 30 000, 40 000, 50 000 cas pour effectuer des études statistiques significatives. Ce travail est en cours.
Le deuxième aspect essentiel de ZIKAlliance est qu'elle a permis la réalisation d'une recherche véritablement fondamentale, dont le succès a été remarquable, puisque différentes équipes du consortium ont découvert le mécanisme d'entrée du virus dans la cellule infectée, le mécanisme moléculaire de la microcéphalie et ont largement décrit les mécanismes évolutifs du virus. Il ne faut jamais oublier l'importance de la recherche fondamentale, qui permet seule de bâtir à long terme.
La recherche a également été menée en matière environnementale. La recherche entomologique, conduite par Anna-Bella Failloux, a porté sur les vecteurs et la compétence vectorielle. Si je devais retenir un résultat de son travail, ce serait l'élimination, au terme d'une polémique assez vigoureuse, des moustiques du type Culex comme vecteurs du virus Zika. C'est un élément essentiel, car la mise en cause de ces moustiques aurait entraîné le système de santé publique dans une direction complètement fausse, qui aurait gaspillé les rares ressources dont nous disposons. La recherche environnementale a également montré que les cycles sylvatiques – de conservation des virus dans la forêt – – n'existaient pas, en tout cas pour l'instant, en Amérique du Sud.
Un autre effort important du consortium concernait les études en matière de sciences humaines et sociales, qui ont été réalisées en Guyane française et, pour beaucoup, au Brésil. Elles ont montré, en Guyane française, la volatilité des croyances et des craintes associées aux arboviroses. Il semble que, dans la population, l'arbovirose qui circule soit toujours celle dont on a peur : on oublie rapidement celle qui a circulé quelques mois ou quelques années auparavant. On se protège un peu mieux pendant l'épidémie, du fait des craintes qu'on éprouve, puis on arrête lorsqu'elle se termine. Au Brésil, les études de sciences humaines et sociales ont davantage porté sur l'importance de la prise en charge communautaire et le déficit d'accès aux soins, noté dans de nombreuses régions, qui s'explique en grande partie par la pauvreté et par le fait que le système de santé a été, à plusieurs égards, débordé.
Ce projet n'abordait pas la question du vaccin, car un projet spécifique – Zikavax – y était consacré.
Quels sont les enseignements que nous pouvons en tirer ? Je suis un converti aux projets européens, car je pense que les consortiums internationaux sont toujours plus puissants que les consortiums nationaux et les projets interdisciplinaires toujours meilleurs que les projets mono-disciplinaires. De fait, le consortium et le projet de recherche ont porté leurs fruits.
Mais si je devais être cruel, je dirais que ce projet a pâti de trop faibles apports financiers. Même si la somme de 12 millions peut paraître élevée, elle est insuffisante. Pour donner un ordre de grandeur, et sans entrer dans les détails, l'ensemble des financements européens sur le virus Zika représentent entre un huitième et un dixième des sommes dont les scientifiques américains ont disposé pour faire le même travail ! Je ne crois pas qu'il y ait ce rapport en termes de ressources économiques entre l'Union européenne et les États-Unis.
En outre, cet argent est arrivé trop tard : les méandres administratifs ont fait que nous l'avons reçu alors que l'épidémie touchait à sa fin. Si nous n'avions pas adopté rapidement des mesures de sauvegarde liées aux capacités nationales et à celles, individuelles, des chercheurs, nous n'aurions obtenu aucun résultat. Certes, l'argent a permis de financer par la suite des travaux – brillantissimes – en recherche fondamentale, mais six ou neuf mois auparavant, il aurait permis une intervention efficace en cours d'épidémie.
Enfin, aussi passionnant et efficace que soit ce type de programme, il ne se prolonge pas d'un suivi à moyen et long termes – tout s'arrête avec le projet. Ainsi, une cohorte « Zika DFA BB » a été mise en place en Guadeloupe et en Martinique, qui regroupe les bébés nés de mères infectées pendant la grossesse. Une conférence scientifique, tenue l'an dernier à Marseille, a conclu qu'il existait un consensus scientifique et médical sur la durée de suivi nécessaire de ces enfants : il doit être d'au moins six ans. Or, aucun financement n'est prévu. Ces enfants ne seront pas suivis si rien ne change. Ou peut-être seront-ils suivis grâce à la bonne volonté des autorités sanitaires locales et des chercheurs, qui feront leur maximum, mais en dehors d'un cadre financé, clair et permettant une exploitation scientifique de grande qualité des données.
Dans ce domaine, une pathologie émergente chasse l'autre ; à la fin d'une épidémie, il n'y a plus de financements pour continuer de travailler. Cette situation d'éternel recommencement interdit tout progrès. Chaque fois qu'un pathogène réémerge, nous n'avons pas fait le moindre progrès depuis l'épidémie précédente.