COMMISSION D'ENQUÊTE CHARGÉE D'ÉVALUER LES RECHERCHES, LA PRÉVENTION ET LES POLITIQUES PUBLIQUES À MENER CONTRE LA PROPAGATION DES MOUSTIQUES AEDES ET DES MALADIES VECTORIELLES
Lundi 17 février 2020
La séance est ouverte à dix heures cinquante-cinq.
(Présidence de M. Philippe Michel-Kleisbauer, député)
La commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles procède à l'audition du Pr Xavier de Lamballerie, directeur de l'unité mixte de recherche des virus émergents (UVE) à l'Inserm, coordinateur du consortium de recherche pluridisciplinaire et multinational Zikalliance.
Mes chers collègues, nous continuons les auditions de la commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles. Nous allons entendre M. Xavier de Lamballerie, directeur de l'unité mixte de recherche des virus émergents (UVE) à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et coordinateur du consortium de recherche pluridisciplinaire et multinationale ZIKAlliance.
Monsieur le professeur, nous vous rappelons que les auditions de la commission d'enquête sont publiques, ouvertes à la presse et visibles en direct ou en différé sur le site de l'Assemblée nationale.
Avant de vous donner la parole pour une intervention liminaire, qui sera suivie d'un échange sous forme de questions et de réponses, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment et, à ce titre, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Nous vous invitons donc à lever la main droite et à dire « je le jure ».
M. Xavier de Lamballerie prête serment.
Je vous demande également de bien vouloir déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Je suis professeur de médecine – ma spécialité étant la virologie médicale – au centre hospitalo-universitaire de Marseille. Je ne crois pas avoir de conflit d'intérêts à déclarer, n'ayant perçu, au cours des quinze dernières années, aucune rémunération directe ou indirecte de l'industrie. Pour être le plus complet possible, je précise que j'ai reçu des per diem au titre de missions effectuées dans le cadre de diverses commissions de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ; je suis membre de plusieurs conseils scientifiques : celui de la Fondation Mérieux – qui a une nature familiale et est d'intérêt public –, du laboratoire P4 Inserm-Jean-Mérieux à Lyon, et de l'institut thématique multi-organismes « immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie » (ITMO I3M) de l'Alliance pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan). Aucune de ces représentations ne donne droit à des émoluments ou à des per diem.
Je dirige une unité localisée à Marseille. J'ai consacré l'ensemble de ma carrière à la recherche sur les maladies causées par les virus émergents et, en particulier, les arbovirus. J'ai ainsi travaillé sur la fièvre jaune, la dengue, le chikungunya, le Zika, le West Nile, l'encéphalite japonaise, l'encéphalite à tiques ou encore – la liste n'étant pas exhaustive – la fièvre de la vallée du Rift. Notre unité a quelques caractéristiques marquantes. En premier lieu, nous avons créé en son sein, il y a une dizaine d'années, une collection européenne de virus ( European Virus Archive ), qui est devenue un acteur incontournable, car elle fournit à la communauté internationale, tant scientifique que médicale, des produits de référence pour la recherche et le diagnostic lors des crises sanitaires dues à des virus. Cela a été particulièrement le cas lors de l'épidémie due au virus Zika. Par ailleurs, mon unité a participé à une quinzaine de consortiums de recherche financés par l'Union européenne, laquelle abonde de manière significative les programmes de recherche en virologie et, en particulier, concernant les virus émergents. Je signale enfin que j'ai créé, il y a un peu moins d'un an, le réseau Arbo France.
Mon unité est rattachée à plusieurs tutelles. En premier lieu, nous assurons pour l'université d'Aix-Marseille une recherche de nature principalement fondamentale. En deuxième lieu, l'Institut de recherche pour le développement (IRD), qui est notre tutelle historique, nous fait bénéficier de son expertise concernant les pays du Sud et les territoires ultramarins, qui est fondamentale pour l'arbovirologie. En effet, l'impact des émergences arbovirales concerne d'abord, à l'heure actuelle, les zones tropicales et intertropicales. Pour ce qui est de la France, les arboviroses frappent d'abord less 2,8 millions de citoyens français qui vivent dans les zones tropicales ultramarines du Pacifique, de l'océan Indien et des départements français des Amériques. Il existe bien sûr des arboviroses en France métropolitaine, mais elles ne sont pas encore comparables d'un point de vue quantitatif. À l'exception notable de l'île de La Réunion, où le moustique Aedes albopictus domine, l'ensemble des territoires que j'ai cités sont soumis au risque de transmission vectorielle par le moustique Aedes aegypti, qui reste, aujourd'hui encore, notre principal ennemi. L'IRD apporte une capacité, qui lui est propre, de traitement de terrain, dans le cadre des missions qu'il effectue, et a une approche interdisciplinaire – qui est également une tradition de l'institut –, fondamentale pour l'arbovirologie. En troisième lieu, la tutelle de l'Inserm est aussi essentielle, car elle fait le lien avec une approche plus médicale. Elle revêt une utilité de premier plan pour créer, par exemple, des protocoles d'études cliniques vaccinaux ou thérapeutiques.
L'unité a également deux cotutelles. La première est l'Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), qui a une longue tradition de recherche en arbovirologie. Celle-ci était autrefois assurée par l'Institut de médecine tropicale des armées du Pharo, à Marseille, qui a fermé ses portes. Cette tradition perdure, notamment, au sein de notre unité, dans le cadre du Centre national de référence des arbovirus, géré, pour l'IRBA, par le docteur Isabelle Leparc-Goffart. Le diagnostic de référence est un pilier fondamental de notre activité.
Même si cela peut surprendre, notre deuxième cotutelle est assurée par l'Établissement français du sang (EFS) depuis la création de notre unité. C'est un acteur essentiel dans le domaine de l'arbovirologie, pour plusieurs raisons. Il a développé une expertise propre pour garantir la sécurité transfusionnelle dans les zones où il collecte, par exemple à La Réunion, en Martinique et en Guadeloupe. En métropole, il a également développé cette compétence pour le virus West Nile, auquel il est exposé directement. À cette expertise épidémiologique, technologique, diagnostique s'ajoute une capacité unique de collecte d'échantillons sanguins auprès des donneurs qui acceptent explicitement l'utilisation non thérapeutique de leur don, en vue de la recherche. C'est crucial, car cela permet la collecte des échantillons contaminés en période de crise – et, partant, l'identification, le séquençage et le typage des souches – ainsi que la réalisation d'études de séroprévalence, qui ont pour objet de rechercher dans le sang des donneurs des anticorps contre les agents pathogènes qui nous intéressent. Nous pouvons ainsi connaître la fraction de la population qui a rencontré le virus, qui a été immunisée contre celui-ci et qui, le plus souvent, en est protégée. L'évaluation épidémiologique est fondamentale. Les études de séroprévalence sont beaucoup plus précises que les estimations ou les relevés fondés sur le décompte des cas cliniques. L'EFS occupe donc une place centrale dans l'étude épidémiologique des émergences virales dans les lieux où il collecte. Il est à mes yeux essentiel que son rôle soit reconnu, préservé et valorisé – ce qui implique, notamment, que celui-ci apparaisse dans les missions de santé publique de l'établissement.
L'organisation de la recherche dans notre unité et, de manière générale, en arbovirologie est multidisciplinaire, puisqu'elle se traduit par du travail de terrain, de la recherche fondamentale, de l'épidémiologie ou encore du diagnostic. Il faut ajouter trois aspects : les sciences humaines et sociales, qui donnent lieu à des études conduites, au sein de notre unité, par le docteur Jocelyn Raude, en collaboration avec l'École des hautes études en santé publique ; l'entomologie, domaine dans lequel nous entretenons un lien particulier avec l'unité d'Anna-Bella Failloux, à l'Institut Pasteur ; la modélisation des données épidémiologiques, spécialité plus récente mais qui devient essentielle, assurée en collaboration avec l'unité de Simon Cauchemez, également à l'Institut Pasteur.
Le virus Zika a été découvert en 1947 dans la forêt du même nom, en Ouganda, sur un singe sentinelle – autrement dit, un singe rhésus mis en cage sur lequel on réalisait des analyses régulières. Les premiers cas humains ont été identifiés au début des années 1950 au Nigeria. On sait que la transmission de ce virus se fait en milieu sylvatique, autrement dit, dans la forêt ou à son entour, par des moustiques sylvatiques, qui en sont les vecteurs. Ce ne sont pas, j'y insiste, des vecteurs péridomestiques – que vous pouvez trouver autour de votre maison –, même si vous habitez en Afrique. Les hôtes naturels sont des singes, des primates non humains, qui vivent dans la forêt. On n'a jamais rapporté d'épidémie significative en Afrique : l'épidémie est restée périsylvatique, ce qui signifie que ce virus a probablement du mal à s'adapter aux moustiques péridomestiques. Il est mieux transmis par les moustiques de la forêt. Il n'y a jamais eu d'épidémie urbaine sur ce continent, du moins avec les souches africaines.
Zika est un flavivirus, groupe étendu comprenant les virus de la fièvre jaune, de la dengue, le West Nile et beaucoup d'autres. Il s'agit d'un petit virus enveloppé comprenant un génome ARN transmis par les moustiques du genre Aedes. La philogénétique, autrement dit l'étude des génomes, nous a apporté plusieurs enseignements grâce au séquençage du virus Zika. Ce dernier est originaire d'Afrique : il y aurait un ou deux génotypes typiquement africains. Entre la fin du XIXe siècle et les années 1960, le virus a été exporté en Asie. Il s'est adapté, a évolué, a accumulé des mutations jusqu'à devenir un virus un peu différent et donner naissance à un nouveau génotype : le génotype asiatique. L'épidémiologie en Asie est très mal connue – on ne sait pas vraiment comment le virus a subsisté et s'est propagé dans cette zone – mais on n'y a pas relevé de grandes épidémies. Les choses ont complètement changé au début des années 2000. La première alerte est apparue sur l'île de Yap, en Micronésie, en 2007, où l'épidémie a touché une grande part de la population. La deuxième salve est survenue à partir de 2013, avec de violentes épidémies dans les îles du Pacifique, y compris en Polynésie française. À partir de ces îles, probablement dès la fin de l'année 2013, le virus a été introduit dans les Amériques et dans la Caraïbe, où il a déclenché des épidémies d'une violence extrême. Elles sont terminées depuis 2015 dans le Pacifique. S'agissant des Amériques, le déclin épidémique s'est amorcé en 2017, mais il demeure des foyers résiduels, en particulier au Pérou.
La transmission épidémique des îles du Pacifique au Nouveau Monde s'est faite de l'Homme vers le moustique, puis de celui-ci vers l'Homme, sans passer par un réservoir sauvage : aucun primate non humain ni moustique sylvatique n'y était impliqué. Cette transmission s'apparente donc fortement à celle de la dengue ou du chikungunya : l'Homme sert de réservoir, et des moustiques péridomestiques – en l'occurrence, Aedes aegypti – transmettent le virus à l'Homme. Ce mode de transmission épidémique est extrêmement efficace et a donné lieu à des épidémies d'une rare violence. Il est en outre urbain, puisque les moustiques se trouvent essentiellement dans les villes. L'épidémiologie a donc complètement changé.
La maladie en elle-même est une arbovirose que je qualifierais de « banale ». La maladie se traduit par de la fièvre et une éruption cutanée. Il existe de très nombreuses formes asymptomatiques ou paucisymptomatiques, qui présentent un très faible caractère de gravité et ne donnent pas lieu à un signalement médical. Toutefois, le virus et la maladie Zika ont quelques aspects remarquables. Le premier à avoir été découvert est la fréquence du syndrome de Guillain-Barré, grâce à un travail effectué en grande partie par l'équipe du professeur Arnaud Fontanet, à l'Institut Pasteur. Il s'agit d'une maladie grave qui se manifeste par une paralysie ascendante susceptible de gagner les muscles respiratoires, qui nécessite des capacités de réanimation spécifiques. Cela peut poser un problème sérieux d'aménagement des capacités thérapeutiques. Toutefois, le risque est assez faible : il a été estimé à 0,24 ‰ pendant l'épidémie en Polynésie française et à 0,14 ‰ concernant les cas d'infection aux Antilles. Son pronostic est favorable dans le cas de l'apparition du syndrome de Guillain-Barré survenant après une infection due au virus Zika.
La deuxième grande caractéristique du virus Zika tient au fait qu'il peut engendrer des anomalies développementales du fœtus – dont une microcéphalie – quand la mère est infectée pendant la grossesse. En France – plus précisément, en Guadeloupe –, une partie de ce travail a été réalisée par l'équipe du professeur Bruno Hoen, qui a produit des chiffres pour essayer de mieux appréhender le risque. D'un point de vue global – en prenant en considération les microcéphalies et les formes développementales moins graves –, 7 % des femmes infectées pendant leur grossesse ont un enfant présentant des anomalies du développement. Ce risque est maximal si l'infection survient au cours du premier trimestre de la grossesse, où il s'élève à près de 12,5 %. Ces chiffres, on le sait aujourd'hui, sont probablement un peu surestimés, mais ils donnent un ordre de grandeur probablement correct.
Le système français de surveillance des grossesses a fait preuve d'une remarquable efficacité. En alliant la détection clinique et biologique de l'infection, la détection échographique des anomalies développementales et la possibilité d'une interruption thérapeutique de grossesse, il a permis de limiter à un nombre extrêmement réduit les cas non diagnostiqués donnant lieu à des naissances d'enfants anormaux. Le problème sanitaire est d'une ampleur radicalement différente en Amérique latine, pour des raisons qui ne sont pas complètement connues. Des cofacteurs d'aggravation expliquent très probablement le pourcentage plus élevé d'anomalies fœtales, mais il ne faut pas occulter la faiblesse des systèmes de santé, des capacités de détection clinique et biologique, de détection échographique et de suivi des grossesses, ni l'impossibilité légale de procéder à des interruptions thérapeutiques de grossesse. Le fait d'avoir un système de santé bien réglé, qui fonctionne correctement, joue un rôle majeur, même pour une maladie qu'on ne connaît pas.
La troisième caractéristique surprenante a été la découverte d'affections neurologiques aiguës – mais rares –, du type des encéphalites ou des myélites.
La quatrième caractéristique, qui est également très originale, tient à la transmission sexuelle et à la persistance du virus dans des sanctuaires immunologiques. La maladie Zika est d'abord une arbovirose : dans l'immense majorité des cas, elle se transmet par les moustiques. Toutefois, il a été prouvé que la transmission pouvait se faire par la voie sexuelle, essentiellement de l'homme vers la femme ; l'inverse semble exister, mais de manière moins fréquente. Ce mode de transmission avait déjà été rapporté pour le virus de la dengue, mais de manière tout à fait exceptionnelle. S'agissant du Zika, le nombre de cas suggère que ce n'est pas exceptionnel. La transmission par voie sexuelle est associée à des charges virales considérables dans le sperme et à une persistance du virus dans le système génital, qui se compte, dans le meilleur des cas, en semaines, et parfois en mois. Cela a des conséquences sur la diffusion épidémiologique : ces patients étant guéris et asymptomatiques, ils ne se considèrent absolument pas comme malades et peuvent contribuer à la diffusion du virus par voie sexuelle.
Comment expliquer l'émergence du virus ? L'épidémie terminée, la question demeure. L'Afrique connaissait un virus périsylvatique calme. En Asie, même s'il demeure mal connu, le virus ne donnait pas lieu à des épidémies violentes. D'un seul coup, un incendie insensé a traversé le Pacifique, gagné les Amériques et envahi la Caraïbe, en produisant des épidémies d'une violence extrême. Il faut être très modeste : on ne connaît pas tous les déterminants du phénomène. Aujourd'hui, deux théories s'affrontent, sans être totalement irréconciliables. La première évoque une lente accumulation de mutations lors du passage du virus en Asie, jusqu'à produire des virus très efficacement transmis par les vecteurs péridomestiques, de type Aedes aegypti, qui ont provoqué une épidémie. Toutefois, cette théorie n'explique pas pourquoi l'épidémie n'est pas survenue en Asie, et pourquoi il a fallu attendre le transport dans le Pacifique et en Amérique pour qu'elle se déclenche.
La seconde théorie affirme que le virus Zika est recombinant – autrement dit, que son génome est hybride, une part provenant d'un virus ancestral ressemblant au virus de la dengue, et une autre part étant issue d'un ou de plusieurs virus ancestraux proches du virus West Nile. Par conséquent, les populations qui sont immunisées de manière habituelle contre les virus ressemblant au virus West Nil e seraient protégées contre les grandes épidémies. C'est le cas en Afrique, où ce virus circule, et en Asie, où l'encéphalite japonaise – virus relativement proche du West Nile – offre une immunité très large dans la population. En revanche, dans les îles du Pacifique, du fait de l'absence de ces virus, les populations sont complètement naïves, ce qui a pu justifier l'émergence. Ces virus sont également très peu actifs, en termes épidémiologiques, en Amérique du Sud et dans la Caraïbe. Il faudra pousser un peu plus loin ces deux hypothèses, qui ne sont pas tout à fait contradictoires, pour en tirer des enseignements plus précis et des modèles expérimentaux.
J'en viens aux cas autochtones de virus Zika en France métropolitaine. Trois cas ont été relevés dans le Var, dans la ville de Hyères, au cours de l'été 2019. Ils ont été détectés un peu par hasard, car une des patientes contaminées était médecin et a établi rétrospectivement le diagnostic de son affection par le virus, ce qui a permis d'identifier ce petit cluster. Ce qui est intéressant, c'est que l' Aedes aegypti n'est pas présent dans le Var, où l'on ne trouve que l' Aedes albopictus. Cela signifie que la transmission s'est faite localement par ce dernier, ce qui était un peu inattendu. En effet, des études de transmission vectorielle, faites en particulier à l'Institut Pasteur, suggéraient que l' Aedes albopictus était un assez mauvais vecteur – ce qui a été confirmé par de nombreux travaux –, en particulier pour le virus asiatique : la probabilité d'une transmission semblait plus concerner le génotype africain. Or, c'est bel et bien le génotype asiatique qui a été transmis. Cela peut s'expliquer par la conjonction de plusieurs faits : une densité vectorielle très locale mais exceptionnellement élevée et des facteurs météorologiques. D'une part, le pic de température précoce de l'été 2019 a laissé beaucoup de temps aux moustiques pour donner naissance à une population étendue. D'autre part, la sécheresse a été très forte et a pu jouer un rôle dans la sélection de moustiques ayant un phénotype particulier en termes de compétences vectorielles. Au total, la faiblesse du nombre de cas – seuls trois patients ont été identifiés malgré les enquêtes extrêmement approfondies, le porte-à-porte et les prélèvements sur les personnes du quartier – montre que la transmission a été très inefficace. Si elle avait été vraiment efficace, toute la ville de Hyères aurait probablement été touchée.
J'en viens au projet ZIKAlliance, qui est un programme de recherche de la Commission européenne portant sur le virus Zika. C'est un très gros consortium, qui associe cinquante-quatre partenaires dans une vingtaine de pays, en particulier en Amérique du Sud et dans la Caraïbe, mais aussi en Afrique et en Asie du Sud-Est. Son budget s'élevait à 12 millions d'euros, et sa coordination était assurée par l'Inserm – j'en ai été l'investigateur principal. C'est un projet à forte dimension interdisciplinaire, qui a conduit à la publication de près de 150 articles scientifiques, de haut ou de très haut niveau. La recherche clinique a permis de constituer des cohortes constituées de près de 10 000 femmes enceintes en Amérique du Sud et dans la Caraïbe, et d'environ 1 500 enfants nés de celles-ci – certaines d'entre elles étant infectées. Ces études ont donné des résultats concernant l'évaluation de la fréquence des anomalies de développement et l'évolution de plusieurs marqueurs biologiques. Ces résultats standardisés – j'insiste sur ce point – seront partagés avec les autres grands consortiums de recherche sur Zika – deux autres consortiums européens et un très grand consortium américain – et feront l'objet d'une méta-analyse, qui sera réalisée sous les auspices de l'OMS. Nous avons besoin de nombreux cas pour établir des déductions, en particulier pour analyser les risques. Cela ne peut être fait à partir des résultats d'une seule cohorte. Nous avons besoin de 30 000, 40 000, 50 000 cas pour effectuer des études statistiques significatives. Ce travail est en cours.
Le deuxième aspect essentiel de ZIKAlliance est qu'elle a permis la réalisation d'une recherche véritablement fondamentale, dont le succès a été remarquable, puisque différentes équipes du consortium ont découvert le mécanisme d'entrée du virus dans la cellule infectée, le mécanisme moléculaire de la microcéphalie et ont largement décrit les mécanismes évolutifs du virus. Il ne faut jamais oublier l'importance de la recherche fondamentale, qui permet seule de bâtir à long terme.
La recherche a également été menée en matière environnementale. La recherche entomologique, conduite par Anna-Bella Failloux, a porté sur les vecteurs et la compétence vectorielle. Si je devais retenir un résultat de son travail, ce serait l'élimination, au terme d'une polémique assez vigoureuse, des moustiques du type Culex comme vecteurs du virus Zika. C'est un élément essentiel, car la mise en cause de ces moustiques aurait entraîné le système de santé publique dans une direction complètement fausse, qui aurait gaspillé les rares ressources dont nous disposons. La recherche environnementale a également montré que les cycles sylvatiques – de conservation des virus dans la forêt – – n'existaient pas, en tout cas pour l'instant, en Amérique du Sud.
Un autre effort important du consortium concernait les études en matière de sciences humaines et sociales, qui ont été réalisées en Guyane française et, pour beaucoup, au Brésil. Elles ont montré, en Guyane française, la volatilité des croyances et des craintes associées aux arboviroses. Il semble que, dans la population, l'arbovirose qui circule soit toujours celle dont on a peur : on oublie rapidement celle qui a circulé quelques mois ou quelques années auparavant. On se protège un peu mieux pendant l'épidémie, du fait des craintes qu'on éprouve, puis on arrête lorsqu'elle se termine. Au Brésil, les études de sciences humaines et sociales ont davantage porté sur l'importance de la prise en charge communautaire et le déficit d'accès aux soins, noté dans de nombreuses régions, qui s'explique en grande partie par la pauvreté et par le fait que le système de santé a été, à plusieurs égards, débordé.
Ce projet n'abordait pas la question du vaccin, car un projet spécifique – Zikavax – y était consacré.
Quels sont les enseignements que nous pouvons en tirer ? Je suis un converti aux projets européens, car je pense que les consortiums internationaux sont toujours plus puissants que les consortiums nationaux et les projets interdisciplinaires toujours meilleurs que les projets mono-disciplinaires. De fait, le consortium et le projet de recherche ont porté leurs fruits.
Mais si je devais être cruel, je dirais que ce projet a pâti de trop faibles apports financiers. Même si la somme de 12 millions peut paraître élevée, elle est insuffisante. Pour donner un ordre de grandeur, et sans entrer dans les détails, l'ensemble des financements européens sur le virus Zika représentent entre un huitième et un dixième des sommes dont les scientifiques américains ont disposé pour faire le même travail ! Je ne crois pas qu'il y ait ce rapport en termes de ressources économiques entre l'Union européenne et les États-Unis.
En outre, cet argent est arrivé trop tard : les méandres administratifs ont fait que nous l'avons reçu alors que l'épidémie touchait à sa fin. Si nous n'avions pas adopté rapidement des mesures de sauvegarde liées aux capacités nationales et à celles, individuelles, des chercheurs, nous n'aurions obtenu aucun résultat. Certes, l'argent a permis de financer par la suite des travaux – brillantissimes – en recherche fondamentale, mais six ou neuf mois auparavant, il aurait permis une intervention efficace en cours d'épidémie.
Enfin, aussi passionnant et efficace que soit ce type de programme, il ne se prolonge pas d'un suivi à moyen et long termes – tout s'arrête avec le projet. Ainsi, une cohorte « Zika DFA BB » a été mise en place en Guadeloupe et en Martinique, qui regroupe les bébés nés de mères infectées pendant la grossesse. Une conférence scientifique, tenue l'an dernier à Marseille, a conclu qu'il existait un consensus scientifique et médical sur la durée de suivi nécessaire de ces enfants : il doit être d'au moins six ans. Or, aucun financement n'est prévu. Ces enfants ne seront pas suivis si rien ne change. Ou peut-être seront-ils suivis grâce à la bonne volonté des autorités sanitaires locales et des chercheurs, qui feront leur maximum, mais en dehors d'un cadre financé, clair et permettant une exploitation scientifique de grande qualité des données.
Dans ce domaine, une pathologie émergente chasse l'autre ; à la fin d'une épidémie, il n'y a plus de financements pour continuer de travailler. Cette situation d'éternel recommencement interdit tout progrès. Chaque fois qu'un pathogène réémerge, nous n'avons pas fait le moindre progrès depuis l'épidémie précédente.
Étant le Varois de l'étape, je reviendrai sur les modes de transmission du virus Zika sur les côtes méditerranéennes, où se situent des zones d'estuaires, bordées de ripisylves très denses. Ces zones peuvent-elles être des lieux de fixation des moustiques porteurs du Zika ?
Le cycle sylvatique de transmission implique des moustiques et un hôte régulier. En Afrique, les singes qui vivent dans la forêt sont piqués par les moustiques, lesquels transmettent le virus à d'autres singes, etc. Nous avons recherché si le virus avait réussi à établir le même cycle en Amérique du Sud, où existent de grandes forêts, beaucoup de moustiques et de singes. Ce n'est pas le cas pour l'instant, mais cela n'est pas exclu : le virus de la fièvre jaune y est parvenu en Amérique du Sud. En Europe, le chaînon manquant, c'est le singe. Un autre animal pourrait servir de réservoir, mais la probabilité demeure faible.
On peut donc exclure que les oiseaux qui nichent dans ces zones ou des mammifères comme le ragondin ou le sanglier puissent être les hôtes du virus.
On peut toujours être surpris ! Il existe deux grands groupes de flavivirus, ceux transmis par les Aedes et ceux transmis par les Culex. Le premier groupe, dont fait partie le virus Zika, infecte volontiers les primates non-humains et humains le second les oiseaux. On ne s'attend donc pas à ce que le virus Zika infecte facilement des oiseaux.
Nous avons recherché le virus et les anticorps chez les oiseaux en Amérique du Sud, sans en trouver. Même si nous devons être modestes et savoir que la donne peut changer, nous serions surpris, d'un point de vue écologique, qu'un virus transmis par les Aedes puisse prendre un oiseau comme réservoir.
L'environnement lacustre, autour de Hyères, accueille des oiseaux migrateurs, tels les flamants. Dans la région, on croise aussi, et je le déplore personnellement, des cirques et leurs ménageries. Peut-on imaginer que les trois personnes infectées dans le Var aient contracté le virus dans la même enceinte, celle d'un cirque ?
En France, le primate auquel le virus est le moins mal adapté, c'est l'homme – il se trouve en grande quantité dans ces régions ; le moustique auquel il est le moins mal adapté, c'est Aedes albopictus. Les choses se passent relativement bien aujourd'hui car le virus n'est pas bien adapté. Cela peut changer : le virus du chikungunya, qui était adapté à Aedes aegypti, s'est adapté en Afrique centrale, notamment au Gabon, à Aedes albopictus ; des patients infectés l'ont alors transporté en France, où il a été transmis efficacement par les Aedes albopictus français.
Vos explications sont si claires, professeur, qu'elles avivent mes craintes ! Vous expliquez que s'il existe des formes d'atteintes très graves, comme le syndrome de Guillain-Barré et la microcéphalie, elles sont la plupart du temps bénignes et la personne asymptomatique. Or vous expliquez que le virus peut se transmettre sexuellement, plusieurs semaines voire plusieurs mois après que le porteur a été infecté et qu'avec la fin de l'épidémie, les réflexes prophylactiques disparaissent.
J'aimerais savoir ce que vous pensez du vaccin et des difficultés qui peuvent entourer sa mise au point, même si j'ai cru comprendre que ZIKAlliance n'avait pas travaillé sur ce sujet.
Généralement, le virus Zika provoque une arbovirose assez bénigne. Certains cas sont sévères – atteinte du système nerveux central, atteinte du développement du fœtus, syndrome de Guillain-Barré –, mais leur pourcentage est relativement faible.
Il existe différents projets de développement d'un vaccin, mais ils n'ont pas été « priorisés » par les organismes internationaux. L'Institut Pasteur, des sociétés privées ont mis au point des candidats-vaccins qu'ils poussent actuellement dans le tuyau laborieux de l'habilitation. Il n'y a pas d'obstacle technologique majeur à la mise au point d'un vaccin, et il sera sans doute possible d'en obtenir un contre le virus Zika ; ce qui pose problème, c'est la compréhension de ce qu'il faut faire de ce vaccin et de ses effets éventuellement délétères.
En effet, dans la mesure où le virus Zika ressemble beaucoup à celui de la dengue – au point que les personnes infectées par l'un sont testées positives à l'autre –, on a beaucoup craint que là où la dengue avait circulé, des formes plus graves de Zika ne surviennent. Ces craintes reposaient sur le fait que, dans le cas de la dengue, qui est transmise par quatre virus différents, les formes sont plus sévères chez les personnes primo-infectées par un autre des virus. Sachant que l'immunité acquise, lorsqu'elle entre en interaction avec un autre virus, peut donner lieu à des complications, on redoutait un mécanisme équivalent et que des personnes immunisées contre la dengue fassent des formes de Zika plus graves.
Bonne surprise, il n'en a rien été ; des études ont même montré qu'une primo-infection pouvait conférer une certaine protection. Certes, cela n'a pas empêché l'épidémie de se propager – plus de 90 % des personnes infectées en Guadeloupe et en Martinique avaient été infectées auparavant par le virus de la dengue – mais les formes cliniques sont plutôt moins graves, et cela se vérifie chez le singe.
Pourtant, le doute subsiste s'agissant des infections par le virus de la dengue se produisant après une infection par le virus Zika. Chez le singe, il semble que les formes de dengue soient plus graves ; chez l'homme, les premiers résultats produits par Eva Harris, grande spécialiste de la dengue, suggèrent que, dans ses cohortes du Nicaragua, les formes de dengue sont plus symptomatiques, cliniquement plus sévères.
Il faut donc faire preuve de prudence et se poser la question d'une possible interaction du vaccin anti-Zika et de la dengue. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas développer le vaccin, mais que l'on doit avancer doucement et bien évaluer les avantages et les inconvénients.
Comme pour tous les vaccins contre les arboviroses, la question qui se pose est celle des destinataires : vacciner les populations potentiellement concernées avant que l'épidémie ne survienne suppose d'inclure des milliards de personnes, avec les coûts afférents ; vacciner uniquement en cas d'épidémie oblige à mettre au point des stratégies. La communauté internationale développe actuellement un virus contre le chikungunya – qui est à un stade très avancé ‑, mais le plus grand flou règne sur la manière dont il sera employé et qui en bénéficiera.
Ces questions, bien qu'importantes, ne doivent absolument pas nous dissuader d'avancer sur la recherche de vaccins efficaces. La communauté internationale s'accorde à dire que le vaccin nécessaire serait un vaccin combiné qui protégerait contre tous les pathogènes transmis par Aedes aegypti – dengue, chikungunya, Zika. Techniquement, nous en sommes très loin. Par ailleurs, vous connaissez les difficultés de la vaccination contre les quatre sérotypes de la dengue.
Vous avez dit que le virus pouvait se transmettre par voie sexuelle, particulièrement de l'homme vers la femme. Fait-il partie des virus recherchés au même titre que le VIH ou les IST lors d'un test sanguin ? Dans la mesure où les personnes ignorent si elles sont porteuses, doivent-elles en faire la demande expresse à leur médecin ?
Le médecin peut demander à faire pratiquer un test Zika, mais la question de la pertinence épidémiologique se posera. Plus on s'éloigne de l'épidémie, plus la probabilité que le sperme soit encore porteur devient faible – elle est quasi-nulle en France. Cette question a été majeure pendant et juste après l'épidémie. Nous avons eu connaissance de personnels infectés en Amérique du Sud ou dans la Caraïbe, qui avaient fait des formes très peu symptomatiques, et qui, de retour en France, ont contaminé leur partenaire par voie sexuelle – dans un ou deux cas des femmes enceintes. Le problème du dépistage n'avait pas été anticipé puisque cette transmission n'était pas connue. En cas de nouvelle épidémie, le dépistage sera très important, notamment pour prévenir la contamination des femmes enceintes.
En arbovirologie, l'organisation de la recherche doit être interdisciplinaire. L'Aviesan regroupe plusieurs instituts thématiques, dont l'Institut thématique multi-organismes « Immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie » (ITMO I3M), dédié aux maladies infectieuses. Un consortium a été créé au sein de cet institut : REACTing ( Research and Action Targeting Emerging Infectious Diseases ), dédié à l'étude des pathologies infectieuses émergentes.
Disons-le, c'est un très grand succès. Se définissant par sa réactivité, REACTing permet de recueillir rapidement quelques dizaines ou centaines de milliers d'euros en cas d'émergence ou de suspicion d'émergence, chose quasi-impossible il y a quelques années.
REACTing réunissait jusqu'à récemment plusieurs groupes de travail, des groupes méthodologiques et un groupe très actif sur les fièvres hémorragiques, mais ne comportait pas de groupe sur les arboviroses – ce qui était anormal, les arboviroses ayant représenté trois quarts des émergences en France et dans le monde ces dix dernières années. J'ai donc proposé de créer Arbo-France.
La communauté qui travaille sur les arboviroses est petite et très fragmentée. Par ailleurs, elle n'a pas établi de continuité ni de véritable lien entre la France métropolitaine et les territoires ultramarins – c'est sans doute là son plus grand échec. L'ambition d'Arbo France est de réunir cette communauté sous une seule bannière afin que les acteurs se parlent, aient accès aux informations, conçoivent ensemble des projets de recherche et en demandent le financement.
Arbo-France est avant tout un réseau relationnel, sans moyens financiers propres, qui regroupe les membres de l'INSERM, du CNRS, du CEA, de l'IRD, de l'Institut Pasteur, de l'ANSES et de Santé publique France, pour partager l'ensemble des données disponibles sur les arboviroses humaines et animales.
L'objectif est de faciliter la préparation et la réponse aux épidémies d'arbovirus, qu'ils soient humains ou animaux, aussi bien en métropole que dans les territoires ultramarins. Nous servons d'organe de surveillance et d'alerte pour REACTing et l'Aviesan. Nous nous efforçons de normaliser les pratiques, de faire en sorte que les personnes travaillant en Polynésie française utilisent les mêmes critères et les mêmes standards que leurs homologues en Guadeloupe, en Martinique ou à La Réunion.
Nous mettons en place des projets de recherche, notamment sur le programme de vaccinations contre la dengue aux Antilles, des études de séro-épidémiologie, sur les maladies transmises par les tiques, un domaine sous-étudié en France, sur les virus transmis par les phlébotomes – à l'image du virus Toscana, à l'origine de l'arbovirose la plus fréquente en France.
Le financement de l'arbovirologie est très complexe. Nous passons sous les radars de l'Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance des recherches fondamentales, sous ceux du ministère de la santé, qui ne retient que les projets purement médicaux. Notre domaine est interdisciplinaire et requiert une alliance des recherches fondamentale, environnementale, médicale, interventionnelle. Je le dis simplement et sans rancœur, il est très difficile aujourd'hui de trouver de l'argent national : ces quinze dernières années, nous sommes allés chercher la plupart de nos financements sous forme de consortium européen. Cela devrait être corrigé.
Il n'existe pas de structure dédiée pour le financement de l'arbovirologie. Si vous travaillez sur le sida ou sur les hépatites, l'ANR garantira un financement constant de vos recherches ; si vous travaillez sur le cancer, l'Institut national du cancer (INCa) soutiendra votre projet de façon permanente.
Par ailleurs, la fin de chaque programme signe la fin de la recherche sur le sujet. Cela n'a aucun sens : périodiquement, nous voyons ré-émerger des pathogènes pour lesquels nous avions déjà lancé des programmes de recherche, mais qui avaient dû s'interrompre faute de financement. Le financement est primesautier : il donne la priorité à la dernière émergence, et il s'arrête aussitôt l'alerte sanitaire terminée. Il faut changer cet état de choses : cela a été souvent dit, mais il faut continuer de le répéter jusqu'à ce que nous obtenions une forme de financement qui permette de faire des progrès.
Prenons l'exemple du virus chikungunya : une première épidémie, immense, dans l'océan Indien, a été suivie d'une deuxième, aussi importante, dans les départements français des Amériques. Entre ces deux épidémies, rien, quasiment, n'a été fait. Même chose pour le virus Ebola : des dizaines d'émergences en Afrique ont précédé la grande épidémie d'Afrique de l'Ouest, pour laquelle on ne disposait ni de diagnostic normalisé ni de proposition thérapeutique. Dernier exemple, le SRAS : il a provoqué une émotion considérable en 2003, mais les programmes de recherche se sont arrêtés à la fin de l'épidémie. Il revient aujourd'hui sous la forme un peu modifiée du coronavirus, sans que nous ayons fait dans l'intermède de véritables progrès en matière de vaccination ou d'antiviraux.
Procéder ainsi, c'est ignorer un fait scientifique très simple : l'immense majorité des faits d'émergence sont des faits de réémergence. Si cette idée simple pouvait passer auprès des tutelles, peut-être pourrions-nous trouver une base pour justifier des financements qui soutiennent de façon continue la recherche ?
Vous travaillez à Marseille, où sont installés l'hôpital Nord, qui a absorbé l'institut Houphouët-Boigny, et l'hôpital militaire de Laveran. Pouvez-vous nous parler de l'expérience de la place marseillaise dans la virologie et la recherche sur les maladies tropicales ?
Trois endroits se distinguent par leur tradition de recherche sur les virus tropicaux émergents : l'Institut Pasteur, bien sûr, Bordeaux et Marseille. À Marseille, l'Institut de médecine tropicale des armées du Pharo a été fermé au gré des réorganisations militaires, mais l'esprit demeure, d'autant que, contrairement à Paris et à Bordeaux, nous avons des arboviroses dans la région : le West Nile et le virus Toscana circulent sur la côte. Nous avons donc acquis une habitude clinique et biologique du diagnostic et de la prise en charge des patients.
Un institut hospitalo-universitaire (IHU) a été créé, qui traite en particulier des arboviroses émergentes et regroupe des services de clinique, de diagnostic et de recherche. C'est une avancée très significative. Les collaborations avec le secteur militaire sont nombreuses : l'hôpital Laveran abrite un service d'épidémiologie de très grande qualité, et l'Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) est représenté à l'IHU, au sein de mon unité, en virologie, et en parasitologie notamment. L'IHU héberge aussi le laboratoire associé au Centre national de référence du paludisme de l'IRBA. Ces sites sont importants, car ils offrent une plateforme significative aux personnes, peu nombreuses, qui travaillent dans ces domaines.
Nous devons surtout œuvrer à une coordination plus grande entre ces sites métropolitains et les plateformes ultramarines. L'étape majeure est de faire monter les sites ultramarins, qui regroupent des chercheurs de très grande qualité, en commençant par favoriser les échanges : lors de l'épidémie de dengue, les questionnaires et les dossiers cliniques utilisés à La Réunion venaient de Martinique et de Guadeloupe. Cette normalisation est souhaitable. Faire travailler les gens ensemble, c'est une des missions d'Arbo-France.
Pour conclure, je rappellerai que la France peut se targuer d'avoir l'un des plus grands potentiels de recherche en arbovirologie, ce qui ne manque pas de fasciner nos collègues étrangers ! Avec nos territoires situés dans le Pacifique, dans l'océan Indien, en Amérique du Sud et dans la Caraïbe, nous traitons d'une variété d'arbovirus colossale, sans compter ceux présents en métropole. Ce potentiel unique n'est pas correctement exploité, pour des raisons qui tiennent, encore une fois, au manque de financement et de coordination.
Nous vous remercions pour cet échange très riche sur le Zika, son environnement et les problèmes liés, nous l'avons bien noté, au manque de financements pérennes, notamment après les épidémies.
La réunion s'achève à douze heures cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles
Réunion du lundi 17 février 2020 à 11 heures
Présents. – Mme Ramlati Ali, M. Philippe Michel-Kleisbauer
Excusés. – Mme Ericka Bareigts, M. Alain David, Mme Jeanine Dubié, Mme Valérie Thomas, M. Jean-Louis Touraine