En arbovirologie, l'organisation de la recherche doit être interdisciplinaire. L'Aviesan regroupe plusieurs instituts thématiques, dont l'Institut thématique multi-organismes « Immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie » (ITMO I3M), dédié aux maladies infectieuses. Un consortium a été créé au sein de cet institut : REACTing ( Research and Action Targeting Emerging Infectious Diseases ), dédié à l'étude des pathologies infectieuses émergentes.
Disons-le, c'est un très grand succès. Se définissant par sa réactivité, REACTing permet de recueillir rapidement quelques dizaines ou centaines de milliers d'euros en cas d'émergence ou de suspicion d'émergence, chose quasi-impossible il y a quelques années.
REACTing réunissait jusqu'à récemment plusieurs groupes de travail, des groupes méthodologiques et un groupe très actif sur les fièvres hémorragiques, mais ne comportait pas de groupe sur les arboviroses – ce qui était anormal, les arboviroses ayant représenté trois quarts des émergences en France et dans le monde ces dix dernières années. J'ai donc proposé de créer Arbo-France.
La communauté qui travaille sur les arboviroses est petite et très fragmentée. Par ailleurs, elle n'a pas établi de continuité ni de véritable lien entre la France métropolitaine et les territoires ultramarins – c'est sans doute là son plus grand échec. L'ambition d'Arbo France est de réunir cette communauté sous une seule bannière afin que les acteurs se parlent, aient accès aux informations, conçoivent ensemble des projets de recherche et en demandent le financement.
Arbo-France est avant tout un réseau relationnel, sans moyens financiers propres, qui regroupe les membres de l'INSERM, du CNRS, du CEA, de l'IRD, de l'Institut Pasteur, de l'ANSES et de Santé publique France, pour partager l'ensemble des données disponibles sur les arboviroses humaines et animales.
L'objectif est de faciliter la préparation et la réponse aux épidémies d'arbovirus, qu'ils soient humains ou animaux, aussi bien en métropole que dans les territoires ultramarins. Nous servons d'organe de surveillance et d'alerte pour REACTing et l'Aviesan. Nous nous efforçons de normaliser les pratiques, de faire en sorte que les personnes travaillant en Polynésie française utilisent les mêmes critères et les mêmes standards que leurs homologues en Guadeloupe, en Martinique ou à La Réunion.
Nous mettons en place des projets de recherche, notamment sur le programme de vaccinations contre la dengue aux Antilles, des études de séro-épidémiologie, sur les maladies transmises par les tiques, un domaine sous-étudié en France, sur les virus transmis par les phlébotomes – à l'image du virus Toscana, à l'origine de l'arbovirose la plus fréquente en France.
Le financement de l'arbovirologie est très complexe. Nous passons sous les radars de l'Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance des recherches fondamentales, sous ceux du ministère de la santé, qui ne retient que les projets purement médicaux. Notre domaine est interdisciplinaire et requiert une alliance des recherches fondamentale, environnementale, médicale, interventionnelle. Je le dis simplement et sans rancœur, il est très difficile aujourd'hui de trouver de l'argent national : ces quinze dernières années, nous sommes allés chercher la plupart de nos financements sous forme de consortium européen. Cela devrait être corrigé.
Il n'existe pas de structure dédiée pour le financement de l'arbovirologie. Si vous travaillez sur le sida ou sur les hépatites, l'ANR garantira un financement constant de vos recherches ; si vous travaillez sur le cancer, l'Institut national du cancer (INCa) soutiendra votre projet de façon permanente.
Par ailleurs, la fin de chaque programme signe la fin de la recherche sur le sujet. Cela n'a aucun sens : périodiquement, nous voyons ré-émerger des pathogènes pour lesquels nous avions déjà lancé des programmes de recherche, mais qui avaient dû s'interrompre faute de financement. Le financement est primesautier : il donne la priorité à la dernière émergence, et il s'arrête aussitôt l'alerte sanitaire terminée. Il faut changer cet état de choses : cela a été souvent dit, mais il faut continuer de le répéter jusqu'à ce que nous obtenions une forme de financement qui permette de faire des progrès.
Prenons l'exemple du virus chikungunya : une première épidémie, immense, dans l'océan Indien, a été suivie d'une deuxième, aussi importante, dans les départements français des Amériques. Entre ces deux épidémies, rien, quasiment, n'a été fait. Même chose pour le virus Ebola : des dizaines d'émergences en Afrique ont précédé la grande épidémie d'Afrique de l'Ouest, pour laquelle on ne disposait ni de diagnostic normalisé ni de proposition thérapeutique. Dernier exemple, le SRAS : il a provoqué une émotion considérable en 2003, mais les programmes de recherche se sont arrêtés à la fin de l'épidémie. Il revient aujourd'hui sous la forme un peu modifiée du coronavirus, sans que nous ayons fait dans l'intermède de véritables progrès en matière de vaccination ou d'antiviraux.
Procéder ainsi, c'est ignorer un fait scientifique très simple : l'immense majorité des faits d'émergence sont des faits de réémergence. Si cette idée simple pouvait passer auprès des tutelles, peut-être pourrions-nous trouver une base pour justifier des financements qui soutiennent de façon continue la recherche ?