Intervention de Didier Fontenille

Réunion du lundi 24 février 2020 à 14h00
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Didier Fontenille, directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement :

Je vous remercie très sincèrement de m'avoir invité à m'exprimer devant votre commission d'enquête. Je suis très heureux que la représentation nationale s'intéresse de nouveau à ce dossier qui, quoique sous-estimé, est très important pour nos concitoyens. J'ai noté que les objectifs de votre commission d'enquête sont nombreux mais qu'elle a surtout un objectif d'évaluation, puisque vous dites vouloir évaluer les recherches, les politiques de prévention et les politiques publiques. J'espère pouvoir vous éclairer sur ces questions fondamentales.

Je suis directeur de recherche à l'IRD et je travaille depuis trente-cinq ans sur les vecteurs d'agents pathogènes. J'étudie à la fois la biologie, l'écologie et la génétique de ces vecteurs et les moyens de lutter contre eux sur tous les continents, y compris en Europe. J'ai dirigé une unité de recherche associant des laboratoires de l'IRD, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l'Université de Montpellier qui travaillait notamment sur les vecteurs et, comme vous l'avez rappelé, j'ai contribué à créer le CNEV, que j'ai dirigé jusqu'en 2014. Je viens de passer cinq ans au Cambodge, où j'ai dirigé l'Institut Pasteur. J'ai publié de nombreux rapports et articles et dirigé l'ouvrage collectif La lutte antivectorielle en France – une bible ! J'ai contribué, enfin, à former des cadres, des chercheurs et des techniciens dans ce domaine.

Je n'ai aucun conflit d'intérêts identifié. J'ai été membre de plusieurs commissions du ministère de la santé, de l'ANSES et de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) par le passé. Je préside actuellement le conseil scientifique et technique de l'Agence nationale pour la démoustication et la gestion des espaces démoustiqués (ADEGE). Cette association regroupe des opérateurs publics français de lutte contre les moustiques qui interviennent en Martinique, en Guyane française, sur le pourtour méditerranéen, dans l'ancienne région Rhône-Alpes, l'Alsace, le grand Ouest, la Corse, et même la Catalogne. Je ne touche aucune gratification pour ces actions et ces missions.

Si vous le permettez, je commencerai par un inventaire à la Prévert : dengue, chikungunya, Zika, fièvre jaune, paludisme, virus du Nil occidental (West Nile Virus), virus Usutu, filariose lymphatique, fièvre de la vallée du Rift, virus Toscana, leishmaniose, maladie de Chagas, maladie de Lyme, encéphalite à tiques, rickettsioses, borrélioses… Je m'arrête là mais je pourrais continuer : toutes ces maladies sont transmises par des vecteurs en France – principalement dans la France tropicale, mais pas seulement. Et je n'ai pas cité les maladies animales, qui posent elles aussi de gros problèmes, en particulier certaines maladies à tiques, ni même les maladies dites vectorielles importées. Chaque année, ce sont des milliers, et même, lors d'épidémies majeures, des centaines de milliers de personnes qui sont touchées en France.

Je me réjouis que votre commission d'enquête s'intéresse à cette question, qui est encore sous-estimée, sinon ignorée, par la majorité des gens, alors qu'elle est très importante et qu'elle va l'être de plus en plus en raison de plusieurs facteurs : la diffusion du fameux moustique tigre, ou Aedes albopictus ; la résistance croissante des moustiques, notamment d' Aedes aegypti, le vecteur de la dengue, aux insecticides ; la multiplication des échanges internationaux ; enfin, les changements climatiques et environnementaux. On doit s'attendre à une augmentation du nombre de cas et de foyers, voire à une endémisation, ce qui signifie qu'on aura tous les ans des cas, au moins de dengue, dans les territoires ultramarins. Mayotte et l'île de La Réunion ont été confrontées à la dengue l'année dernière, elles le sont cette année et elles le seront de nouveau l'année prochaine. Jusqu'ici, des pics épidémiques survenaient de temps à autre. Désormais, ils reviennent chaque année. La France métropolitaine ne sera pas épargnée par ces évolutions.

Si vous voulez que je formule une proposition, la voici : il faut un plan vecteurs en France, sur le modèle de ceux que nous avons connus par le passé contre le cancer ou la maladie d'Alzheimer ou de celui que la précédente ministre des solidarités et de la santé a lancé sur l'antibiorésistance. Il faut un plan vecteurs associant toutes les forces vives, depuis la recherche fondamentale jusqu'aux décideurs et aux agences opérationnelles, qu'elles soient publiques ou privées – puisqu'un décret récent autorise l'intervention du secteur privé. Un tel plan nous permettrait de faire un grand bond en avant.

Dans le questionnaire que vous m'avez transmis, vous m'interrogiez sur la disparition du CNEV et me demandiez s'il fallait le recréer. Il ne faut pas recréer le CNEV : il faut créer mieux que le CNEV ! Si j'ai demandé, à l'époque, que le CNEV soit évalué, ce n'était pas pour qu'il disparaisse, mais pour le rendre plus utile et plus efficace.

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