Je vous remercie pour votre invitation. Je passerai rapidement sur les maladies à transmission vectorielle, sujet qui a dû être abordé précédemment, pour me concentrer davantage sur les travaux de notre laboratoire.
Je suis directrice d'équipe à l'IBMC de Strasbourg dans un département qui a été créé par le prix Nobel de médecine Jules Hoffmann et dont les travaux portent sur les réponses immunitaires chez les insectes. Nous avons commencé par étudier la drosophile, mais je suis désormais responsable de l'unité Inserm 1257, spécialisée sur le moustique.
Les moustiques sont les animaux les plus dangereux au monde : 17 % des maladies infectieuses sont dues à des vecteurs, parmi lesquels ils sont les plus meurtriers. Seuls certains genres de moustiques transmettent des maladies, non pas par leur piqûre mais par les pathogènes dont ils sont le vecteur – le paludisme, la dengue, le Zika et le chikungunya. Les trois genres principaux de moustiques transmetteurs de maladies sont Anopheles, Aedes et Culex.
Au sein de notre laboratoire, nous étudions les interactions entre les moustiques et les pathogènes et, à partir des connaissances ainsi acquises, nous essayons de mettre en place des stratégies de lutte contre la transmission.
Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, dont l'acronyme ECDC renvoie à l'anglais European Center for Disease Prevention and Control, est une source infinie d'informations sur les maladies vectorielles d'où j'ai tiré un schéma résumant les principales espèces vectrices connues en Europe et dans les territoires et départements d'outre-mer : Aedes aegypti et Aedes albopictus sont des espèces invasives, tandis que Culex et Anopheles sont installées en Europe depuis plus longtemps.
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Aedes est vecteur de maladies virales, de même que son proche cousin Culex, notamment transmetteur de la fièvre du Nil occidental. Anopheles est quant à lui vecteur du paludisme.
Cette dernière maladie a été éradiquée en Europe dans les années soixante et soixante-dix, après la Seconde Guerre mondiale, mais des cas de paludisme continuent de se déclarer dans certains territoires et départements d'outre-mer, en particulier en Guyane ou à Mayotte. L'éradication du paludisme en Europe s'est appuyée sur l'utilisation de moyens de contrôle des populations de vecteurs, sur les soins apportés aux malades et sur une transmission non pérenne.
Un autre document issu de l'ECDC et datant de 2016 montre que si de nombreux cas sont importés – des personnes qui se rendent à l'étranger reviennent infectées – certains sont autochtones, c'est-à-dire qu'une personne est revenue infectée par un virus que des moustiques locaux sont capables de transmettre. En 2017, vingt et un cas autochtones de paludisme ont été recensés, dont deux en France métropolitaine, dans l'Allier. Une petite fille est également décédée de la maladie en Italie en 2016 : parce que l'enfant n'avait pas voyagé dans un pays impaludé, elle n'avait pas pu être diagnostiquée. En 2019, des cas de fièvre du Nil occidental ont été détectés en Europe et, en France métropolitaine, quatre premiers cas de Zika.
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Outre les virus que nous connaissons, il y a également des virus émergents, tels que la fièvre jaune ou l'encéphalite japonaise (JEV), et de nouveaux virus moins connus, situés principalement dans les Amériques, comme Oropouche ou Mayaro, et qui pourraient devenir les prochains virus émergents s'ils infectent des populations locales, ou même arriver en Europe par les transports.
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Pour illustrer les différentes stratégies de lutte contre la transmission de ces pathogènes, j'ai souhaité vous montrer un cycle simplifié de la circulation de ces derniers entre l'humain et le moustique, puisqu'ils passent de l'un à l'autre en continu.
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Chez l'être humain, il est possible de lutter contre la transmission par des traitements ou des thérapies, par des vaccins ou des prophylaxies – très compliqués à mettre en œuvre pour la plupart des maladies, ou trop longs à mettre au point s'agissant des maladies émergentes – ou par l'utilisation de moustiquaires. D'autres stratégies ciblent le moustique : l'utilisation de vaccins ou de traitements bloquant la transmission et dits « généreux » parce qu'ils ne soignent pas nécessairement la personne mais empêchent celle-ci de transmettre la maladie aux moustiques, donc aux autres humains ; les stratégies de contrôle des populations de moustiques, qui ont été les plus efficaces à travers l'histoire.
Les méthodes les plus connues de ces stratégies de contrôle relèvent de l'assainissement et de l'engagement communautaire, car il est important que les populations soient informées et fassent leur part du travail pour éviter que les moustiques ne soient élevés dans les villes, en particulier. Les insecticides ont été utilisés très largement, trop peut-être à une certaine époque ; des pièges sont aujourd'hui déployés qui sont assez efficaces dans certaines conditions.
Il existe aussi des méthodes plus récentes. La technique de l'insecte stérile (TIS) classique utilise des mâles irradiés qui ne peuvent pas se reproduire. Les femelles moustiques ne s'accouplent qu'une seule fois ; si elles rencontrent un mâle irradié, elles n'auront pas de progéniture.
La méthode RIDL – pour Release of Insects carrying Dominant Lethals – consiste à lâcher dans la nature des moustiques mâles transgéniques stérilisants, infertiles ou dont la progéniture a besoin pour se reproduire d'un composant qui n'existe pas dans la nature, comme la tétracycline. Cette dernière technique pose de nombreuses questions compte tenu de la manipulation génétique qu'elle induit.
La technique de l'insecte incompatible porteur de Wolbachia a été déployée en plusieurs points du globe : elle permet de faire chuter les populations de moustiques et diminue la multiplication des virus à l'intérieur du moustique, mais on ne comprend pas les mécanismes moléculaires de ce blocage.
Enfin, le forçage génétique, dont on parle beaucoup mais qui n'est pas encore utilisé sur le terrain, s'appuie sur l'héritabilité super-mendélienne : à partir d'un moustique hétérozygote, c'est-à-dire qui a un chromosome avec une marque particulière et l'autre sauvage, seule la moitié de la progéniture portera la marque particulière. Le forçage génétique consiste à permettre au moustique de transmettre le caractère à l'ensemble de la progéniture. On crée donc un super-moustique capable de transmettre un caractère d'intérêt à toute une population, ce qui pose évidemment des problèmes éthiques et écologiques.
J'ai comparé les avantages et inconvénients de trois des stratégies que je viens de présenter : le forçage génétique, RIDL et les insecticides. Ces derniers ont une disponibilité immédiate, sont autorisés et bien acceptés, mais ne fonctionnent pas toujours, et sont nocifs pour l'écosystème et la santé humaine. Les résistances tendent à réduire leur efficacité. Parce qu'ils agissent par des interactions ponctuelles, il faut les appliquer régulièrement pour qu'ils soient efficaces. La technique RIDL doit elle aussi faire l'objet d'un emploi régulier, et suppose des infrastructures pour la production de moustiques. L'utilisation d'organismes génétiquement modifiés (OGM) nécessite d'obtenir des autorisations et demeure mal perçue du public. En revanche, alors que les insecticides sont souvent à spectre large, les moustiques GM permettent de cibler précisément une espèce. A priori, ils n'ont pas d'effet sur la santé. Quant au forçage génétique, son effet est similaire à celui du RIDL mais il y aura en plus un effet durable ; peut-être trop durable en cas d'erreur. Avec une petite quantité de super-moustiques transgéniques, il est possible de répandre le caractère d'intérêt dans une population, mais en cas d'erreur, il est difficile de revenir en arrière. Puisque l'intervention est unique, le coût est faible, et l'échelle spatiale peut être beaucoup plus vaste que pour les autres techniques.
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Dans la mise en œuvre de ces différentes stratégies, les chercheurs sont confrontés à plusieurs problèmes. Malgré les efforts fournis, il n'y a pas ou peu de vaccins disponibles ; après des dizaines d'années de recherche, il n'existe en particulier toujours aucun vaccin contre le paludisme. On constate en outre une résistance aux traitements thérapeutiques – une résistance à l'artémisinine s'est développée en Asie du Sud-Est, pour reprendre l'exemple du paludisme – et aux insecticides, en particulier en Afrique, où ils ont été utilisés en très grosse quantité. Quatre classes d'insecticides sont autorisées ; une cinquième, les néonicotinoïdes, interdits en Europe, continue d'être utilisée pour la lutte antivectorielle en Afrique. Le nombre de moustiques dans le monde augmente et leur distribution s'élargit. Enfin, il existe un risque accru d'émergence de nouveaux parasites ou de nouveaux virus qui, jusqu'alors confinés à l'intérieur des forêts ou de la faune sauvage, en sortent à mesure que ces territoires sont exploités et se propagent très vite dans les populations.
Au laboratoire de Strasbourg, nous étudions à la fois les réponses antiparasitaires des moustiques anophèles, vecteurs des parasites du paludisme, et les réponses antivirales chez Aedes, vecteur principal des virus. Nos recherches s'appuient sur la production de moustiques transgéniques, qui permet d'étudier des gènes particuliers, et portent également sur le forçage génétique et ses applications potentielles. Nous travaillons également en collaboration avec des chimistes sur de nouveaux médicaments contre le paludisme et sur de nouveaux insecticides.
Il s'agit essentiellement de recherche fondamentale, même si nous réfléchissons aux applications potentielles. Il nous importe avant tout de bien comprendre les mécanismes, de trouver les points faibles des interactions impliquant des moustiques.
À l'instar des hommes, les moustiques souffrent des infections qu'ils contractent, et se défendent contre celles-ci. Quand un moustique prend un repas sanguin infecté, les parasites ou les virus doivent franchir la barrière intestinale et traverser l'épithélium intestinal. Seuls certains d'entre eux parviennent, après s'être répandus dans la cavité du moustique, à envahir les glandes salivaires. Ainsi, quand le moustique pique de nouveau, il recrache donc, avec la salive, des parasites ou des virus.
Le graphique de l'évolution du nombre de parasites dans le temps après un repas sanguin infecté montre que dans les premiers jours après l'infection, ce nombre chute de façon dramatique. Ceci s'explique à la fois par le fait que tous les parasites n'arrivent pas à traverser l'intestin et par la façon dont le moustique se défend contre les parasites. Cette défense est parfois si efficace que certains moustiques sont résistants, c'est-à-dire capables de tuer tous les parasites qu'ils ingèrent, ce qui implique qu'ils ne transmettent pas la maladie.
Ce qui nous intéresse en tant que chercheurs, c'est d'identifier les gènes et variations des gènes du moustique essentiels au développement des pathogènes ou à la réponse immunitaire contre les pathogènes. Pour envahir les glandes salivaires, le pathogène peut avoir besoin d'un récepteur afin de reconnaître la glande pour s'y accrocher ; si on casse ce récepteur, il ne pourra alors pas traverser. L'autre piste de travail consiste à identifier les gènes que le moustique utilise pour se défendre, à déterminer si certaines variations sont plus efficaces que les autres, ce qui est avéré tant chez Anopheles que chez Aedes.
Après des millions d'années d'évolution, les pathogènes ont eux aussi appris à se défendre ou à éviter la réponse immunitaire des moustiques ; il faut aussi comprendre ces mécanismes pour avoir une vision globale des interactions.
Je vais m'arrêter quelques instants sur l'exemple très précis d'un gène identifié récemment par mon collègue brésilien João Marques, qui travaille à la fois dans son laboratoire au Brésil et avec nous au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur Aedes. Il s'agit donc d'un gène antiparasitaire de moustiques Aedes. Des virus sont présents dans l'intestin du moustique, qui vient de les manger, et se sont répandus dans la cavité ; certains sont parvenus aux glandes salivaires. Nous nous sommes appuyés sur notre connaissance de la drosophile, un autre modèle d'insecte, pour laquelle nous savons que l'interférence à acide ribonucléique (ARN) est importante pour lutter contre les virus. Parce que le moustique a des gènes similaires, nous avons pensé qu'il se défendait de la même façon contre les virus au moyen de ce mécanisme appelé interférence à ARN.
Nous avons pu vérifier cette hypothèse dans le cas de l'infection systémique, c'est-à-dire quand les virus ont réussi à envahir tout le corps du moustique. En revanche, elle est invalidée quand le virus est localisé dans l'intestin. Il fallait donc comprendre pourquoi cette réponse ne fonctionnait pas lorsque l'infection était localisée dans l'intestin.
Mon collègue a trouvé un gène – Loqs 2 – qui n'est pas du tout exprimé dans l'intestin. Lorsqu'on bloque son expression dans les autres tissus, on observe une augmentation du nombre de virus. Pour prouver l'effet antiviral de ce gène, nous avons produit des moustiques transgéniques exprimant ce gène dans l'intestin et comparé la réaction des moustiques transgéniques et des moustiques sauvages en cas d'infection. L'expérience montre que quatre jours puis huit jours après l'infection, le pourcentage de moustiques infectés est plus faible chez les moustiques transgéniques que chez les moustiques non transgéniques. Ce résultat tend à prouver qu'un moustique exprimant ce gène dans son intestin et en capacité de mieux se défendre contre le virus de la dengue, même si le blocage ainsi activé n'est pas complet.
Il nous reste à comprendre précisément le rôle de ce gène dans la réponse antivirale et à découvrir les raisons pour lesquelles il n'est pas produit dans l'intestin, alors qu'il l'est dans d'autres tissus – ce pourrait être le résultat d'un désavantage qui aurait conduit à une extinction au cours de l'évolution. Nous nous interrogeons également sur l'opportunité d'utiliser ce gène dans le cadre d'un forçage génétique, ne serait-ce qu'en qualité de preuve de concept, dans un premier temps.
J'en viens aux travaux d'un autre collègue de l'unité, Éric Marois, qui portent sur le forçage génétique. Le but de cette méthode est soit de diffuser dans une population un caractère de résistance – stratégie de modification –, soit de contrôler une population de vecteurs en la réduisant à néant – stratégie d'extinction. Nous travaillons pour notre part principalement sur des stratégies de modification des populations naturelles visant par exemple à faire s'exprimer des facteurs qui rendraient les moustiques plus résistants aux parasites ou aux virus ou des facteurs exogènes susceptibles de bloquer la transmission.
Ces travaux sont centrés sur la protéine Cas9, protéine 9 associée aux clustered, regularly interspaced, short palindromic repeats (CRISPR), c'est-à-dire aux courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées. Concrètement, il s'agit d'un ciseau moléculaire qui va couper l'ADN selon un programme précis ; la nature ayant horreur du vide, la cellule va mettre en œuvre un mécanisme de réparation à la suite de la coupure ciblée de l'ADN.
Le moustique est un diploïde : il dispose de deux copies de son génome. Le principe est d'insérer dans le gène cible Cas9 et l'ARN guide qui le coupe. Le moustique traité sera hétérozygote, c'est-à-dire qu'il aura un chromosome sauvage et un chromosome modifié. En présence de Cas9 et de l'ARN guide, la cible va se casser et la cellule va s'efforcer de la réparer. Elle va le faire en recopiant le chromosome transgénique à proximité, qui contient la cassette de forçage génétique. Le moustique qui, au départ, n'avait qu'une copie, en aura désormais deux, ce qui aura pour effet la transmission du caractère à toute sa descendance.
Le Graal du forçage génétique est de parvenir à répandre le caractère d'intérêt dans l'ensemble d'une population sauvage en y introduisant quelques moustiques génétiquement modifiés.
Pour rendre effectif le forçage génétique, il faut élaborer des stratégies efficaces de diffusion de la résistance et, surtout, estimer les risques propres à cette technologie puissante.
Dans le cadre de nos recherches sur de nouvelles molécules antipaludiques, nous collaborons avec des chimistes, en particulier Élisabeth Davioud-Charvet, du CNRS. Dans le cycle de vie du parasite Plasmodium falciparum, responsable du paludisme, certaines étapes sont responsables des symptômes chez l'homme et nous rendent malades, d'autres correspondent à la transmission aux moustiques et ne nous rendent pas malades.
En testant les molécules mises au point par Élisabeth Davioud-Charvet, nous avons montré qu'elles étaient efficaces à la fois aux étapes symptomatiques et de transmission : ce sont donc d'excellents médicaments, qui soignent les gens tout en luttant contre la transmission à des fins d'éradication de la maladie.
Nous essayons aujourd'hui de comprendre le mécanisme par lequel ces molécules tuent les parasites à ces étapes de leur cycle et de déterminer s'il est possible de les utiliser en synergie avec d'autres médicaments. À l'instar du sida, contre lequel on prescrit des tri-thérapies, le paludisme requiert un mélange de médicaments pour limiter l'apparition de résistances. L'objectif est également d'améliorer l'efficacité et les propriétés de ces traitements.
Nous étudions enfin les moyens de rendre les moustiques sensibles aux stress oxydatifs. Ces termes ne vous parlent pas forcément, mais vous avez sans doute déjà vu ou utilisé des crèmes enrichies en antioxydants tels que la coenzyme Q10. L'oxydoréduction ou redox est à la base de toute vie : c'est une réaction chimique qui repose sur un transfert d'électrons. On parle d'effet antioxydant quand un agent limite l'effet d'oxydation sur les cellules, qui doivent rester réduites et pas trop oxydées.
Le constat de départ est que la résistance de certains moustiques aux insecticides est due à la présence d'enzymes redox surexprimées qui détoxifient ces produits. L'objectif de notre étude était de resensibiliser les moustiques aux stress oxydatifs de manière à diminuer leur résistance aux insecticides. Nous avons d'abord essayé de comprendre comment l'équilibre redox se maintenait dans les cellules des moustiques, puis cherché des molécules susceptibles de les rendre plus sensibles aux stress oxydatifs.
Le moustique peut subir un stress oxydatif naturel ou artificiel en prenant un repas sanguin, le fer présent dans le sang étant un élément très oxydatif, en contractant une infection ou en étant exposé à un insecticide. En temps normal, il survit ; nous essayons donc de trouver un inhibiteur pour qu'une exposition le conduise à la mort.
Nous avons démontré la faisabilité de cette méthode grâce à un composé qui, absorbé oralement par le moustique, a des propriétés insecticides. Nous essayons aujourd'hui d'aller plus loin en le combinant à des produits insecticides.
J'aimerais avant de conclure vous présenter le nouvel insectarium de l'IBMC où nous menons nos travaux. Construit en 2018, ce bâtiment comporte une zone d'élevage de 8 chambres climatiques sur une surface de 170 mètres carrés, ce qui nous permet de produire de nombreux moustiques chaque jour. Le confinement des lieux nous autorise à travailler avec des espèces invasives, à utiliser la méthode du forçage génétique ou plus généralement des moustiques transgéniques. Une partie du bâtiment qui représente environ 100 mètres carrés est classée P3 – niveau de sécurité biologique 3 –, ce qui nous permet de travailler avec des pathogènes humains comme le parasite humain du paludisme, Plasmodium falciparum, et les virus du chikungunya, de la dengue et de Zika.
Ce nouvel insectarium a été financé par l'Université de Strasbourg, par le programme d'investissements d'avenir (PIA) – le bâtiment a été équipé grâce à une action d'équipement d'excellence ou Équipex – et une contribution du CNRS.
L'insectarium aura été un projet de longue haleine : quatorze années se sont écoulées entre l'idée et la réalisation, ce qui est très long. Je n'ai pas étudié en détail le texte de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche, mais j'espère que celle-ci permettra de diminuer ce délai. La construction a en revanche été très rapide : il n'a fallu que deux ans après la pose de la première pierre pour que nous puissions intégrer le bâtiment. Un peu plus de 8 millions d'euros ont été investis. Nous avons passé des milliers d'heures de réunion à essayer d'imaginer le design complet de ce laboratoire unique en son genre. En raison des activités qu'il abrite, nous sommes soumis à trois directives européennes.
Ce nouvel équipement ouvre néanmoins de magnifiques opportunités. Auparavant, nous travaillions avec un modèle de souris du paludisme, et non pas avec les virus humains. Si certains caractères sont conservés entre les modèles de parasites animaux et les modèles de parasites humains, il existe aussi des différences. Il est donc très important d'avoir accès aux pathogènes humains pour mener des études à des fins d'application.
Concernant son financement, l'IBMC s'appuie sur des sources dont l'échelle s'étend du local à l'international. L'Université de Strasbourg et la région Alsace financent des bourses de thèse. L'Agence nationale de la recherche (ANR) et le système des laboratoires internationaux associés (LIA) nous donnent accès à des financements nationaux. Au plan européen, le laboratoire a bénéficié depuis 2002 d'une bourse du Conseil européen de la recherche (CER, ou ERC en anglais) et participé à trois consortia et à un réseau d'infrastructure. À l'heure actuelle, nous faisons encore partie du consortium ZIKAlliance, dont vous avez entendu parler la semaine dernière, et nous recevons des post-doctorats financés l'un par une bourse des actions Marie Sklodowska-Curie (AMSC, ou MSCA pour l'acronyme anglais), l'autre par la Fondation allemande pour la recherche (DFG pour l'acronyme allemand). S'agissant des financements du Howard Hughes Medical Institute (HHMI), l'Institut médical Howard Hughes, nous n'y avons désormais plus accès. Nous avons également reçu des prix et déposé une demande de brevet et une demande de financement pour le développement de médicaments auprès de la Medicine for Malaria Venture (MMV), un partenariat soutenu notamment par la fondation Bill Gates et des fonds de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour développer de nouveaux médicaments antipaludiques.
Enfin, il nous paraît important de partager notre expertise scientifique afin qu'elle soit utile à la société. Mon collègue à l'IBMC de Strasbourg, Éric Marois, spécialiste des moustiques transgéniques et en particulier du forçage génétique, a contribué à un rapport publié en mai 2017 par le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) ; celui-ci est très bien construit et je vous en recommande la lecture. Dans ce cadre, M. Marois avait aussi été auditionné à l'Assemblée nationale, et il est par ailleurs intervenu devant le comité d'éthique de l'Inserm à propos de la technique du forçage génétique, qui soulève des enjeux éthiques importants.
Nous sommes par ailleurs très impliqués pour promouvoir la science à l'école : nous intervenons directement dans les établissements scolaires et nous formons des professeurs auxquels nous fournissons du matériel pour qu'ils puissent travailler avec leurs classes sur ces sujets.
Enfin, nous tâchons de diffuser notre pratique scientifique auprès de la société : nous intervenons dans les médias, et nous participons à des conférences et à des débats ouverts au public. Il est essentiel de promouvoir un engagement communautaire afin de contribuer à une prise de conscience du public sur ces questions sensibles. Rares sont les personnes informées qu'un bébé moustique est une petite larve qui vit dans l'eau, et que si vous enrayez son développement dans votre jardin, cela vous évite de vous faire piquer le soir. Si nous pouvons diffuser de telles informations, ce sera une bonne chose.