COMMISSION D'ENQUÊTE CHARGÉE D'ÉVALUER LES RECHERCHES, LA PRÉVENTION ET LES POLITIQUES PUBLIQUES À MENER CONTRE LA PROPAGATION DES MOUSTIQUES AEDES ET DES MALADIES VECTORIELLES
Lundi 24 février 2020
La séance est ouverte à quinze heures quinze.
(Présidence de Mme Valérie Thomas, secrétaire bu bureau de la commission d'enquête)
La commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles procède à l'audition de Mme Stéphanie Blandin, responsable du groupe Réponses immunitaires chez les moustiques vecteurs de maladies à l'Institut de biologie moléculaire et cellulaire de Strasbourg (INSERM/Université de Strasbourg/CNRS).
Mes chers collègues, nous reprenons les auditions de la commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles.
Nous recevons à présent Mme Stéphanie Blandin, responsable du groupe Réponses immunitaires chez les moustiques vecteurs de maladies à l'Institut de biologie moléculaire et cellulaire (IBMC) de Strasbourg.
Je rappelle que les auditions de la commission d'enquête sont publiques ; par conséquent, elles sont ouvertes à la presse et disponibles en direct et en différé sur le site internet de l'Assemblée nationale.
Madame Blandin, avant de vous donner la parole pour une intervention liminaire de dix minutes qui précédera nos échanges sous forme de questions et de réponses, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mme Stéphanie Blandin prête serment.
Je vous remercie également de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Je vous remercie pour votre invitation. Je passerai rapidement sur les maladies à transmission vectorielle, sujet qui a dû être abordé précédemment, pour me concentrer davantage sur les travaux de notre laboratoire.
Je suis directrice d'équipe à l'IBMC de Strasbourg dans un département qui a été créé par le prix Nobel de médecine Jules Hoffmann et dont les travaux portent sur les réponses immunitaires chez les insectes. Nous avons commencé par étudier la drosophile, mais je suis désormais responsable de l'unité Inserm 1257, spécialisée sur le moustique.
Les moustiques sont les animaux les plus dangereux au monde : 17 % des maladies infectieuses sont dues à des vecteurs, parmi lesquels ils sont les plus meurtriers. Seuls certains genres de moustiques transmettent des maladies, non pas par leur piqûre mais par les pathogènes dont ils sont le vecteur – le paludisme, la dengue, le Zika et le chikungunya. Les trois genres principaux de moustiques transmetteurs de maladies sont Anopheles, Aedes et Culex.
Au sein de notre laboratoire, nous étudions les interactions entre les moustiques et les pathogènes et, à partir des connaissances ainsi acquises, nous essayons de mettre en place des stratégies de lutte contre la transmission.
Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, dont l'acronyme ECDC renvoie à l'anglais European Center for Disease Prevention and Control, est une source infinie d'informations sur les maladies vectorielles d'où j'ai tiré un schéma résumant les principales espèces vectrices connues en Europe et dans les territoires et départements d'outre-mer : Aedes aegypti et Aedes albopictus sont des espèces invasives, tandis que Culex et Anopheles sont installées en Europe depuis plus longtemps.
(image non chargée)
Aedes est vecteur de maladies virales, de même que son proche cousin Culex, notamment transmetteur de la fièvre du Nil occidental. Anopheles est quant à lui vecteur du paludisme.
Cette dernière maladie a été éradiquée en Europe dans les années soixante et soixante-dix, après la Seconde Guerre mondiale, mais des cas de paludisme continuent de se déclarer dans certains territoires et départements d'outre-mer, en particulier en Guyane ou à Mayotte. L'éradication du paludisme en Europe s'est appuyée sur l'utilisation de moyens de contrôle des populations de vecteurs, sur les soins apportés aux malades et sur une transmission non pérenne.
Un autre document issu de l'ECDC et datant de 2016 montre que si de nombreux cas sont importés – des personnes qui se rendent à l'étranger reviennent infectées – certains sont autochtones, c'est-à-dire qu'une personne est revenue infectée par un virus que des moustiques locaux sont capables de transmettre. En 2017, vingt et un cas autochtones de paludisme ont été recensés, dont deux en France métropolitaine, dans l'Allier. Une petite fille est également décédée de la maladie en Italie en 2016 : parce que l'enfant n'avait pas voyagé dans un pays impaludé, elle n'avait pas pu être diagnostiquée. En 2019, des cas de fièvre du Nil occidental ont été détectés en Europe et, en France métropolitaine, quatre premiers cas de Zika.
(image non chargée)
Outre les virus que nous connaissons, il y a également des virus émergents, tels que la fièvre jaune ou l'encéphalite japonaise (JEV), et de nouveaux virus moins connus, situés principalement dans les Amériques, comme Oropouche ou Mayaro, et qui pourraient devenir les prochains virus émergents s'ils infectent des populations locales, ou même arriver en Europe par les transports.
(image non chargée)
Pour illustrer les différentes stratégies de lutte contre la transmission de ces pathogènes, j'ai souhaité vous montrer un cycle simplifié de la circulation de ces derniers entre l'humain et le moustique, puisqu'ils passent de l'un à l'autre en continu.
(image non chargée)
Chez l'être humain, il est possible de lutter contre la transmission par des traitements ou des thérapies, par des vaccins ou des prophylaxies – très compliqués à mettre en œuvre pour la plupart des maladies, ou trop longs à mettre au point s'agissant des maladies émergentes – ou par l'utilisation de moustiquaires. D'autres stratégies ciblent le moustique : l'utilisation de vaccins ou de traitements bloquant la transmission et dits « généreux » parce qu'ils ne soignent pas nécessairement la personne mais empêchent celle-ci de transmettre la maladie aux moustiques, donc aux autres humains ; les stratégies de contrôle des populations de moustiques, qui ont été les plus efficaces à travers l'histoire.
Les méthodes les plus connues de ces stratégies de contrôle relèvent de l'assainissement et de l'engagement communautaire, car il est important que les populations soient informées et fassent leur part du travail pour éviter que les moustiques ne soient élevés dans les villes, en particulier. Les insecticides ont été utilisés très largement, trop peut-être à une certaine époque ; des pièges sont aujourd'hui déployés qui sont assez efficaces dans certaines conditions.
Il existe aussi des méthodes plus récentes. La technique de l'insecte stérile (TIS) classique utilise des mâles irradiés qui ne peuvent pas se reproduire. Les femelles moustiques ne s'accouplent qu'une seule fois ; si elles rencontrent un mâle irradié, elles n'auront pas de progéniture.
La méthode RIDL – pour Release of Insects carrying Dominant Lethals – consiste à lâcher dans la nature des moustiques mâles transgéniques stérilisants, infertiles ou dont la progéniture a besoin pour se reproduire d'un composant qui n'existe pas dans la nature, comme la tétracycline. Cette dernière technique pose de nombreuses questions compte tenu de la manipulation génétique qu'elle induit.
La technique de l'insecte incompatible porteur de Wolbachia a été déployée en plusieurs points du globe : elle permet de faire chuter les populations de moustiques et diminue la multiplication des virus à l'intérieur du moustique, mais on ne comprend pas les mécanismes moléculaires de ce blocage.
Enfin, le forçage génétique, dont on parle beaucoup mais qui n'est pas encore utilisé sur le terrain, s'appuie sur l'héritabilité super-mendélienne : à partir d'un moustique hétérozygote, c'est-à-dire qui a un chromosome avec une marque particulière et l'autre sauvage, seule la moitié de la progéniture portera la marque particulière. Le forçage génétique consiste à permettre au moustique de transmettre le caractère à l'ensemble de la progéniture. On crée donc un super-moustique capable de transmettre un caractère d'intérêt à toute une population, ce qui pose évidemment des problèmes éthiques et écologiques.
J'ai comparé les avantages et inconvénients de trois des stratégies que je viens de présenter : le forçage génétique, RIDL et les insecticides. Ces derniers ont une disponibilité immédiate, sont autorisés et bien acceptés, mais ne fonctionnent pas toujours, et sont nocifs pour l'écosystème et la santé humaine. Les résistances tendent à réduire leur efficacité. Parce qu'ils agissent par des interactions ponctuelles, il faut les appliquer régulièrement pour qu'ils soient efficaces. La technique RIDL doit elle aussi faire l'objet d'un emploi régulier, et suppose des infrastructures pour la production de moustiques. L'utilisation d'organismes génétiquement modifiés (OGM) nécessite d'obtenir des autorisations et demeure mal perçue du public. En revanche, alors que les insecticides sont souvent à spectre large, les moustiques GM permettent de cibler précisément une espèce. A priori, ils n'ont pas d'effet sur la santé. Quant au forçage génétique, son effet est similaire à celui du RIDL mais il y aura en plus un effet durable ; peut-être trop durable en cas d'erreur. Avec une petite quantité de super-moustiques transgéniques, il est possible de répandre le caractère d'intérêt dans une population, mais en cas d'erreur, il est difficile de revenir en arrière. Puisque l'intervention est unique, le coût est faible, et l'échelle spatiale peut être beaucoup plus vaste que pour les autres techniques.
(image non chargée)
Dans la mise en œuvre de ces différentes stratégies, les chercheurs sont confrontés à plusieurs problèmes. Malgré les efforts fournis, il n'y a pas ou peu de vaccins disponibles ; après des dizaines d'années de recherche, il n'existe en particulier toujours aucun vaccin contre le paludisme. On constate en outre une résistance aux traitements thérapeutiques – une résistance à l'artémisinine s'est développée en Asie du Sud-Est, pour reprendre l'exemple du paludisme – et aux insecticides, en particulier en Afrique, où ils ont été utilisés en très grosse quantité. Quatre classes d'insecticides sont autorisées ; une cinquième, les néonicotinoïdes, interdits en Europe, continue d'être utilisée pour la lutte antivectorielle en Afrique. Le nombre de moustiques dans le monde augmente et leur distribution s'élargit. Enfin, il existe un risque accru d'émergence de nouveaux parasites ou de nouveaux virus qui, jusqu'alors confinés à l'intérieur des forêts ou de la faune sauvage, en sortent à mesure que ces territoires sont exploités et se propagent très vite dans les populations.
Au laboratoire de Strasbourg, nous étudions à la fois les réponses antiparasitaires des moustiques anophèles, vecteurs des parasites du paludisme, et les réponses antivirales chez Aedes, vecteur principal des virus. Nos recherches s'appuient sur la production de moustiques transgéniques, qui permet d'étudier des gènes particuliers, et portent également sur le forçage génétique et ses applications potentielles. Nous travaillons également en collaboration avec des chimistes sur de nouveaux médicaments contre le paludisme et sur de nouveaux insecticides.
Il s'agit essentiellement de recherche fondamentale, même si nous réfléchissons aux applications potentielles. Il nous importe avant tout de bien comprendre les mécanismes, de trouver les points faibles des interactions impliquant des moustiques.
À l'instar des hommes, les moustiques souffrent des infections qu'ils contractent, et se défendent contre celles-ci. Quand un moustique prend un repas sanguin infecté, les parasites ou les virus doivent franchir la barrière intestinale et traverser l'épithélium intestinal. Seuls certains d'entre eux parviennent, après s'être répandus dans la cavité du moustique, à envahir les glandes salivaires. Ainsi, quand le moustique pique de nouveau, il recrache donc, avec la salive, des parasites ou des virus.
Le graphique de l'évolution du nombre de parasites dans le temps après un repas sanguin infecté montre que dans les premiers jours après l'infection, ce nombre chute de façon dramatique. Ceci s'explique à la fois par le fait que tous les parasites n'arrivent pas à traverser l'intestin et par la façon dont le moustique se défend contre les parasites. Cette défense est parfois si efficace que certains moustiques sont résistants, c'est-à-dire capables de tuer tous les parasites qu'ils ingèrent, ce qui implique qu'ils ne transmettent pas la maladie.
Ce qui nous intéresse en tant que chercheurs, c'est d'identifier les gènes et variations des gènes du moustique essentiels au développement des pathogènes ou à la réponse immunitaire contre les pathogènes. Pour envahir les glandes salivaires, le pathogène peut avoir besoin d'un récepteur afin de reconnaître la glande pour s'y accrocher ; si on casse ce récepteur, il ne pourra alors pas traverser. L'autre piste de travail consiste à identifier les gènes que le moustique utilise pour se défendre, à déterminer si certaines variations sont plus efficaces que les autres, ce qui est avéré tant chez Anopheles que chez Aedes.
Après des millions d'années d'évolution, les pathogènes ont eux aussi appris à se défendre ou à éviter la réponse immunitaire des moustiques ; il faut aussi comprendre ces mécanismes pour avoir une vision globale des interactions.
Je vais m'arrêter quelques instants sur l'exemple très précis d'un gène identifié récemment par mon collègue brésilien João Marques, qui travaille à la fois dans son laboratoire au Brésil et avec nous au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur Aedes. Il s'agit donc d'un gène antiparasitaire de moustiques Aedes. Des virus sont présents dans l'intestin du moustique, qui vient de les manger, et se sont répandus dans la cavité ; certains sont parvenus aux glandes salivaires. Nous nous sommes appuyés sur notre connaissance de la drosophile, un autre modèle d'insecte, pour laquelle nous savons que l'interférence à acide ribonucléique (ARN) est importante pour lutter contre les virus. Parce que le moustique a des gènes similaires, nous avons pensé qu'il se défendait de la même façon contre les virus au moyen de ce mécanisme appelé interférence à ARN.
Nous avons pu vérifier cette hypothèse dans le cas de l'infection systémique, c'est-à-dire quand les virus ont réussi à envahir tout le corps du moustique. En revanche, elle est invalidée quand le virus est localisé dans l'intestin. Il fallait donc comprendre pourquoi cette réponse ne fonctionnait pas lorsque l'infection était localisée dans l'intestin.
Mon collègue a trouvé un gène – Loqs 2 – qui n'est pas du tout exprimé dans l'intestin. Lorsqu'on bloque son expression dans les autres tissus, on observe une augmentation du nombre de virus. Pour prouver l'effet antiviral de ce gène, nous avons produit des moustiques transgéniques exprimant ce gène dans l'intestin et comparé la réaction des moustiques transgéniques et des moustiques sauvages en cas d'infection. L'expérience montre que quatre jours puis huit jours après l'infection, le pourcentage de moustiques infectés est plus faible chez les moustiques transgéniques que chez les moustiques non transgéniques. Ce résultat tend à prouver qu'un moustique exprimant ce gène dans son intestin et en capacité de mieux se défendre contre le virus de la dengue, même si le blocage ainsi activé n'est pas complet.
Il nous reste à comprendre précisément le rôle de ce gène dans la réponse antivirale et à découvrir les raisons pour lesquelles il n'est pas produit dans l'intestin, alors qu'il l'est dans d'autres tissus – ce pourrait être le résultat d'un désavantage qui aurait conduit à une extinction au cours de l'évolution. Nous nous interrogeons également sur l'opportunité d'utiliser ce gène dans le cadre d'un forçage génétique, ne serait-ce qu'en qualité de preuve de concept, dans un premier temps.
J'en viens aux travaux d'un autre collègue de l'unité, Éric Marois, qui portent sur le forçage génétique. Le but de cette méthode est soit de diffuser dans une population un caractère de résistance – stratégie de modification –, soit de contrôler une population de vecteurs en la réduisant à néant – stratégie d'extinction. Nous travaillons pour notre part principalement sur des stratégies de modification des populations naturelles visant par exemple à faire s'exprimer des facteurs qui rendraient les moustiques plus résistants aux parasites ou aux virus ou des facteurs exogènes susceptibles de bloquer la transmission.
Ces travaux sont centrés sur la protéine Cas9, protéine 9 associée aux clustered, regularly interspaced, short palindromic repeats (CRISPR), c'est-à-dire aux courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées. Concrètement, il s'agit d'un ciseau moléculaire qui va couper l'ADN selon un programme précis ; la nature ayant horreur du vide, la cellule va mettre en œuvre un mécanisme de réparation à la suite de la coupure ciblée de l'ADN.
Le moustique est un diploïde : il dispose de deux copies de son génome. Le principe est d'insérer dans le gène cible Cas9 et l'ARN guide qui le coupe. Le moustique traité sera hétérozygote, c'est-à-dire qu'il aura un chromosome sauvage et un chromosome modifié. En présence de Cas9 et de l'ARN guide, la cible va se casser et la cellule va s'efforcer de la réparer. Elle va le faire en recopiant le chromosome transgénique à proximité, qui contient la cassette de forçage génétique. Le moustique qui, au départ, n'avait qu'une copie, en aura désormais deux, ce qui aura pour effet la transmission du caractère à toute sa descendance.
Le Graal du forçage génétique est de parvenir à répandre le caractère d'intérêt dans l'ensemble d'une population sauvage en y introduisant quelques moustiques génétiquement modifiés.
Pour rendre effectif le forçage génétique, il faut élaborer des stratégies efficaces de diffusion de la résistance et, surtout, estimer les risques propres à cette technologie puissante.
Dans le cadre de nos recherches sur de nouvelles molécules antipaludiques, nous collaborons avec des chimistes, en particulier Élisabeth Davioud-Charvet, du CNRS. Dans le cycle de vie du parasite Plasmodium falciparum, responsable du paludisme, certaines étapes sont responsables des symptômes chez l'homme et nous rendent malades, d'autres correspondent à la transmission aux moustiques et ne nous rendent pas malades.
En testant les molécules mises au point par Élisabeth Davioud-Charvet, nous avons montré qu'elles étaient efficaces à la fois aux étapes symptomatiques et de transmission : ce sont donc d'excellents médicaments, qui soignent les gens tout en luttant contre la transmission à des fins d'éradication de la maladie.
Nous essayons aujourd'hui de comprendre le mécanisme par lequel ces molécules tuent les parasites à ces étapes de leur cycle et de déterminer s'il est possible de les utiliser en synergie avec d'autres médicaments. À l'instar du sida, contre lequel on prescrit des tri-thérapies, le paludisme requiert un mélange de médicaments pour limiter l'apparition de résistances. L'objectif est également d'améliorer l'efficacité et les propriétés de ces traitements.
Nous étudions enfin les moyens de rendre les moustiques sensibles aux stress oxydatifs. Ces termes ne vous parlent pas forcément, mais vous avez sans doute déjà vu ou utilisé des crèmes enrichies en antioxydants tels que la coenzyme Q10. L'oxydoréduction ou redox est à la base de toute vie : c'est une réaction chimique qui repose sur un transfert d'électrons. On parle d'effet antioxydant quand un agent limite l'effet d'oxydation sur les cellules, qui doivent rester réduites et pas trop oxydées.
Le constat de départ est que la résistance de certains moustiques aux insecticides est due à la présence d'enzymes redox surexprimées qui détoxifient ces produits. L'objectif de notre étude était de resensibiliser les moustiques aux stress oxydatifs de manière à diminuer leur résistance aux insecticides. Nous avons d'abord essayé de comprendre comment l'équilibre redox se maintenait dans les cellules des moustiques, puis cherché des molécules susceptibles de les rendre plus sensibles aux stress oxydatifs.
Le moustique peut subir un stress oxydatif naturel ou artificiel en prenant un repas sanguin, le fer présent dans le sang étant un élément très oxydatif, en contractant une infection ou en étant exposé à un insecticide. En temps normal, il survit ; nous essayons donc de trouver un inhibiteur pour qu'une exposition le conduise à la mort.
Nous avons démontré la faisabilité de cette méthode grâce à un composé qui, absorbé oralement par le moustique, a des propriétés insecticides. Nous essayons aujourd'hui d'aller plus loin en le combinant à des produits insecticides.
J'aimerais avant de conclure vous présenter le nouvel insectarium de l'IBMC où nous menons nos travaux. Construit en 2018, ce bâtiment comporte une zone d'élevage de 8 chambres climatiques sur une surface de 170 mètres carrés, ce qui nous permet de produire de nombreux moustiques chaque jour. Le confinement des lieux nous autorise à travailler avec des espèces invasives, à utiliser la méthode du forçage génétique ou plus généralement des moustiques transgéniques. Une partie du bâtiment qui représente environ 100 mètres carrés est classée P3 – niveau de sécurité biologique 3 –, ce qui nous permet de travailler avec des pathogènes humains comme le parasite humain du paludisme, Plasmodium falciparum, et les virus du chikungunya, de la dengue et de Zika.
Ce nouvel insectarium a été financé par l'Université de Strasbourg, par le programme d'investissements d'avenir (PIA) – le bâtiment a été équipé grâce à une action d'équipement d'excellence ou Équipex – et une contribution du CNRS.
L'insectarium aura été un projet de longue haleine : quatorze années se sont écoulées entre l'idée et la réalisation, ce qui est très long. Je n'ai pas étudié en détail le texte de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche, mais j'espère que celle-ci permettra de diminuer ce délai. La construction a en revanche été très rapide : il n'a fallu que deux ans après la pose de la première pierre pour que nous puissions intégrer le bâtiment. Un peu plus de 8 millions d'euros ont été investis. Nous avons passé des milliers d'heures de réunion à essayer d'imaginer le design complet de ce laboratoire unique en son genre. En raison des activités qu'il abrite, nous sommes soumis à trois directives européennes.
Ce nouvel équipement ouvre néanmoins de magnifiques opportunités. Auparavant, nous travaillions avec un modèle de souris du paludisme, et non pas avec les virus humains. Si certains caractères sont conservés entre les modèles de parasites animaux et les modèles de parasites humains, il existe aussi des différences. Il est donc très important d'avoir accès aux pathogènes humains pour mener des études à des fins d'application.
Concernant son financement, l'IBMC s'appuie sur des sources dont l'échelle s'étend du local à l'international. L'Université de Strasbourg et la région Alsace financent des bourses de thèse. L'Agence nationale de la recherche (ANR) et le système des laboratoires internationaux associés (LIA) nous donnent accès à des financements nationaux. Au plan européen, le laboratoire a bénéficié depuis 2002 d'une bourse du Conseil européen de la recherche (CER, ou ERC en anglais) et participé à trois consortia et à un réseau d'infrastructure. À l'heure actuelle, nous faisons encore partie du consortium ZIKAlliance, dont vous avez entendu parler la semaine dernière, et nous recevons des post-doctorats financés l'un par une bourse des actions Marie Sklodowska-Curie (AMSC, ou MSCA pour l'acronyme anglais), l'autre par la Fondation allemande pour la recherche (DFG pour l'acronyme allemand). S'agissant des financements du Howard Hughes Medical Institute (HHMI), l'Institut médical Howard Hughes, nous n'y avons désormais plus accès. Nous avons également reçu des prix et déposé une demande de brevet et une demande de financement pour le développement de médicaments auprès de la Medicine for Malaria Venture (MMV), un partenariat soutenu notamment par la fondation Bill Gates et des fonds de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour développer de nouveaux médicaments antipaludiques.
Enfin, il nous paraît important de partager notre expertise scientifique afin qu'elle soit utile à la société. Mon collègue à l'IBMC de Strasbourg, Éric Marois, spécialiste des moustiques transgéniques et en particulier du forçage génétique, a contribué à un rapport publié en mai 2017 par le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) ; celui-ci est très bien construit et je vous en recommande la lecture. Dans ce cadre, M. Marois avait aussi été auditionné à l'Assemblée nationale, et il est par ailleurs intervenu devant le comité d'éthique de l'Inserm à propos de la technique du forçage génétique, qui soulève des enjeux éthiques importants.
Nous sommes par ailleurs très impliqués pour promouvoir la science à l'école : nous intervenons directement dans les établissements scolaires et nous formons des professeurs auxquels nous fournissons du matériel pour qu'ils puissent travailler avec leurs classes sur ces sujets.
Enfin, nous tâchons de diffuser notre pratique scientifique auprès de la société : nous intervenons dans les médias, et nous participons à des conférences et à des débats ouverts au public. Il est essentiel de promouvoir un engagement communautaire afin de contribuer à une prise de conscience du public sur ces questions sensibles. Rares sont les personnes informées qu'un bébé moustique est une petite larve qui vit dans l'eau, et que si vous enrayez son développement dans votre jardin, cela vous évite de vous faire piquer le soir. Si nous pouvons diffuser de telles informations, ce sera une bonne chose.
Je vous remercie pour votre intervention très complète. Pourriez-vous nous donner des précisions quant à vos recherches sur les réponses immunitaires des moustiques vecteurs de maladies ? La législation actuelle permet-elle de faire des expériences in vivo ? À défaut, que faudrait-il changer ? Enfin, qu'en est-il de la coopération internationale en la matière ? Les moustiques ne respectant pas les frontières étatiques, celle-ci n'est-elle pas nécessaire ?
En ce domaine, la législation est relativement satisfaisante ; nous pouvons travailler correctement sur les moustiques et sur les virus et parasites qu'ils sont susceptibles de transmettre. Des améliorations sont cependant possibles.
Par exemple, le parasite Plasmodium falciparum est classé P3* dans la législation européenne et française, ce qui correspond au niveau 3 de sécurité biologique, et requiert pour le manipuler de travailler dans un laboratoire de niveau correspondant. Un astérisque a été ajouté parce que ce parasite n'est a priori pas infectieux dans l'air. Une telle imprécision peut toutefois entraîner des problèmes d'application sur le terrain. Je recommanderais de laisser ce parasite ou les virus de la dengue ou du chikungunya au niveau de sécurité biologique 2 quand ils sont manipulés en culture cellulaire, car ils ne présentent alors pas de risque plus important que le virus du sida, mais de les classer P3 quand ils se trouvent dans les moustiques, car le risque est alors plus important – on ne contrôle pas nécessairement la trajectoire ni le comportement du moustique. Il est également incohérent de classer la dengue P3 alors que Zika est P2 ; à cet égard, la réglementation des risques gagnerait donc à être simplifiée.
S'agissant de l'expérimentation sur les humains pour l'étude de la transmission, nous n'y sommes pas encore, et les modèles animaux restent nécessaires.
En matière de manipulation génétique, il peut être également compliqué d'avancer. Les collègues de La Réunion ont voulu mettre en œuvre la technique de l'insecte stérile sur l'île, mais le caractère imprécis de la législation a beaucoup retardé leurs recherches et leurs possibilités d'action. Je crois que l'expérience est sur le point d'être conduite, mais il faudrait prendre les devants pour que de tels travaux soient facilités à l'avenir.
Pour ce qui est du forçage génétique et des moustiques génétiquement modifiés, la communauté internationale réfléchit actuellement à l'instauration de normes supranationales dans le cadre de réunions auxquelles participe notamment le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB), car les moustiques ayant subi un forçage génétique sont susceptibles de se répandre et d'éradiquer une espèce complète à l'échelle du monde entier. La collaboration internationale est donc évidemment souhaitable, d'autant que les maladies sur lesquelles nous travaillons sont endémiques non pas en France métropolitaine mais dans certains pays étrangers, avec lesquels nous sommes donc amenés à coopérer – par exemple le Brésil pour Zika et la dengue, ou le Cameroun pour le paludisme. Nous nous efforçons de mettre en place des formes de coopération, bien que nous ne bénéficiions pas toujours des soutiens nécessaires.
Au cours de votre exposé, vous n'avez pas évoqué les animaux sur lesquels des expériences sont effectuées, mais vous y avez fait allusion dans votre dernière réponse. Sur quels animaux travaillez-vous pour faire avancer la recherche ? S'agit-il, comme on peut le penser, de singes ?
Par ailleurs, pourriez-vous dire un mot de l'état de la recherche sur les pathologies liées aux moustiques dans les pays où elle est certainement la plus avancée, en particulier en Chine ou aux États-Unis ?
Enfin, vous avez affirmé à juste titre que le moustique est l'animal le plus dangereux sur la planète en raison du nombre de décès dont il est à l'origine. Existe-t-il des pays qui, dans leur stratégie de défense, cherchent à utiliser les moustiques comme armes pour nuire à leurs ennemis ?
N'ayant aucun contact privilégié avec l'armée, je ne saurais répondre à votre dernière question. Néanmoins, les moustiques n'étant pas si simples à manipuler, ils ne constitueraient sans doute pas une arme biologique très efficace.
J'ai précisé tout à l'heure que nous menions des expérimentations sur les animaux à défaut de pouvoir le faire sur des humains, mais ce n'était pas tout à fait vrai. Des essais sont par exemple réalisés sur des volontaires, en particulier aux Pays-Bas, afin de développer des vaccins contre le paludisme. Parce que les parasites utilisés sont sensibles aux traitements que nous avons développés, ces essais peuvent être menés sans risque, car nous sommes en mesure d'arrêter l'infection suffisamment tôt.
Pour la dengue, Zika et le chikungunya, nous n'avons en revanche pas de traitements disponibles. Des résultats de recherche commencent à être publiés, mais ils ne sont pas encore validés et ne peuvent faire l'objet d'applications à l'heure actuelle. Il est donc impossible de travailler sur ces maladies avec des humains. Les modèles animaux qui sont utilisés sont des souris – généralement immunodéficientes – ou des primates, mais ce n'est pas du tout mon domaine d'expertise ; je ne suis donc pas la bonne personne pour répondre à cette question.
Plusieurs recherches menées aujourd'hui impliquent la dispersion de moustiques génétiquement modifiés. Comment percevez-vous les risques induits par l'utilisation d'une telle technique ?
Il y a différents types de moustiques génétiquement modifiés.
La technique RIDL – la version OGM de la TIS – est par exemple auto-limitante, puisqu'elle consiste à répandre des moustiques incapables de se reproduire. Des fuites peuvent cependant survenir, car la reproduction des moustiques n'est pas bloquée à 100 %. Oxitec – pour Oxford Insect Technologies –, la firme qui a mis au point la méthode et répandu ce moustique, ne s'en est pas cachée ; elle a même contribué à une étude récente qui a montré que des petits morceaux de génomes issus des laboratoires étaient passés dans la population sauvage. Quoi qu'il en soit, les risques induits par cette technique sont très limités, à la fois pour les populations et pour l'écosystème – sauf à considérer que le moustique visé occupe une place importante dans l'écosystème, et que son éradication produirait donc un déséquilibre. Néanmoins, il y a généralement plusieurs espèces de moustique dans une niche donnée, et de nouvelles peuvent venir s'y placer. Le risque serait donc plutôt qu'une nouvelle espèce s'installe qui serait aussi vectrice de maladie ; il faudrait alors créer une nouvelle série de moustiques selon la méthode RIDL pour l'éradiquer.
Concernant la méthode du forçage génétique, nous n'en sommes encore qu'au stade des expériences en laboratoire. D'une logique similaire à celle de la technique RIDL en ce qu'elle vise l'éradication de l'espèce, elle pourrait néanmoins se répandre plus rapidement et à une échelle beaucoup plus étendue, jusqu'au monde entier. Il est donc légitime de se demander dans quelle mesure sa mise en œuvre pourrait engendrer des problèmes pour les écosystèmes. À nouveau, il faut bien distinguer les moustiques invasifs des moustiques locaux. Ces derniers sont endémiques d'une zone qu'ils ont envahie il y a très longtemps, et ils ont leur place dans l'écosystème ; à l'inverse, les moustiques invasifs du type Aedes albopictus ou Aedes aegypti sont arrivés plus récemment et ne font donc pas peser les mêmes contraintes sur le milieu.
Enfin, pour évaluer l'efficacité et les risques potentiels de ces technologies, nous devons mener des expériences à la fois en laboratoire et en conditions semi-naturelles, par exemple dans de grandes moustiquaires déployées sur le terrain. Ce dernier type d'expérimentation est nécessaire pour dissiper toute incertitude quant aux risques, même s'ils ne sont pas identifiés a priori.
Que pensez-vous de l'organisation de la recherche en France métropolitaine sur les réponses immunitaires des moustiques ? La considérez-vous comme efficace ? Existe-t-il suffisamment de centres de recherche spécifiquement consacrés à ce domaine ? Quelles sont vos préconisations à ce sujet ?
À ma connaissance, il existe en France métropolitaine trois centres qui étudient les interactions entre moustiques et pathogènes : l'Institut Pasteur à Paris, MIVEGEC – maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle – à Montpellier et l'IBMC à Strasbourg, pour lequel je travaille.
À l'IBMC, nous avons la spécificité de travailler depuis longtemps sur les réponses immunitaires des insectes – autrefois uniquement chez la drosophile, et désormais également chez le moustique –, à partir des travaux pionniers de Jules Hoffmann qui a obtenu le prix Nobel de physiologie ou médecine en 2011.
Étant donné le coût de construction et de fonctionnement d'infrastructures telles que l'insectarium de Strasbourg, il ne me semble pas pertinent de développer d'autres centres. En revanche, il est important de donner aux centres existants les moyens de fonctionner correctement. J'ai mentionné précédemment nos financements propres, c'est-à-dire ceux que nous obtenons en répondant à des appels à projets ; ceux-ci assurent une partie non négligeable de notre fonctionnement de base, mais requièrent beaucoup de travail. C'est d'autant plus compliqué qu'avec la loi Sauvadet, nous sommes obligés de nous séparer des chercheurs une fois que nous les avons formés et qu'ils sont devenus efficaces à leur poste, car nous ne pouvons reconduire leur contrat, alors même que nous avons les moyens financiers de le faire. Cette législation contribue ainsi à créer une forme de précarisation.
Oui, au terme d'une certaine période intervient le dispositif de « CDIsation ». Ce n'est pas moi qui décide et, si c'était le cas, les choses ne seraient pas organisées de cette manière. Nos institutions ne nous permettent pas d'employer les gens plus de trois à cinq ans.
Les institutions de recherche ne sont pas pour la « CDIsation ». Je pense qu'il est important de nous donner les moyens de travailler dans de bonnes conditions, donc de nous assurer un financement suffisant afin d'assurer le fonctionnement de base du laboratoire et la mise en œuvre des études exploratoires, pour lesquelles il n'est pas toujours facile de trouver de l'argent. Pour le reste, nous travaillons sur la base d'appels à projets et c'est tout à fait normal.
Depuis le début des auditions, il a beaucoup été question des moyens alloués à la recherche. Pensez-vous que des fonds européens pourraient être utiles ? Le neuvième programme-cadre pour la recherche et le développement technologique (PCRD) en fait-il une priorité ?
Nous bénéficions déjà de fonds européens émanant de sources diverses. Ceux-ci passent d'abord par des consortia, des réseaux construits comme les réseaux d'excellence – Network of Excellence ou NoE en anglais – qui ont été soutenus jusqu'au septième PCRD – ils ne le sont plus aujourd'hui. ZIKAlliance, par exemple, a été une réaction très rapide à l'épidémie de virus Zika au Brésil.
Le neuvième PCRD prévoit également de renforcer le soutien aux infrastructures ; c'est important, car cela permet à des chercheurs qui ne disposent pas, au sein de leur propre laboratoire, des moyens suffisants ou des équipements adéquats – par exemple un insectarium tel que le nôtre –, d'aller mener des expériences dans d'autres laboratoires.
Enfin, la santé figure parmi les clusters sélectionnés par le neuvième PCRD ; notre profil correspond bien, nous y avons tout à fait notre place, et j'espère que nos institutions nous soutiendront.
En quoi l'action des pouvoirs publics pourrait-elle être utile pour combiner différentes approches stratégiques de contrôle du développement des vecteurs ? Faudrait-il établir une cartographie de contrôle des vecteurs et, si oui, sous quelle forme ?
À l'échelle nationale et surtout locale, il existe des sociétés de démoustication, notamment les ententes interdépartementales de démoustication (EID), qui sont soutenues financièrement par l'État et les collectivités. Ce n'est pas mon domaine d'expertise, puisque dans le cadre de mes recherches, je travaille en amont du terrain. Ce sont les acteurs locaux qui disposent de la meilleure connaissance du terrain et des nouvelles espèces de moustiques susceptibles de proliférer à l'avenir. Je pense qu'il faut leur faire confiance et les renforcer, mais aussi s'efforcer de les faire se rencontrer, afin qu'ils puissent échanger et limiter l'invasion au cas où une espèce invasive apparaîtrait. Il faut promouvoir les discussions pour déterminer quelles méthodes fonctionnent, et dans quelles conditions.
Par ailleurs, les acteurs locaux sont aussi ceux qui diffusent l'information sur le terrain, notamment en faisant du porte-à-porte pour informer les populations sur les implications de leurs pratiques quotidiennes. Par exemple, le fait de récupérer l'eau de pluie pour arroser son jardin est un geste écologique qui doit être encouragé, mais il faut penser à couvrir la cuve pour éviter que s'y développe un élevage de moustiques. Ces structures à but non lucratif remplissent par leur activité une mission de santé publique – en l'occurrence, la lutte contre les moustiques.
Concernant les moustiques Aedes, vecteurs de la dengue, il n'y a pas de corrélation stricte entre la quantité de moustiques présents à un endroit et la probabilité que se développe une épidémie, voire une pandémie. En effet, les moustiques sont des vecteurs tellement efficaces qu'un petit nombre d'entre eux suffit à transmettre la maladie ; en même temps, dans les endroits où il y a beaucoup de moustiques, il peut arriver que les gens aient développé une immunité contre le virus, et donc que la transmission n'ait pas lieu. Je donne cette précision car on entend parfois certaines personnes demander à quoi sert d'éliminer les moustiques dans les zones où les maladies vectorielles ne sont pas installées, comme c'est le cas par exemple en France métropolitaine. Mais nous voulons précisément éviter qu'elles s'y développent : il faut vraiment lutter contre la propagation de ces moustiques pour continuer à contrôler efficacement les maladies qu'ils sont susceptibles de transmettre. Pour le moment, l'Europe n'a été le théâtre que de petites épidémies locales – par exemple plusieurs centaines de cas de chikungunya en Italie en 2007 –, qui demeurent restreintes et limitées. Il faut continuer à travailler dans cette direction pour limiter les possibilités de transmission.
Vous dites que certaines personnes sont immunisées. Est-ce lié au fait qu'elles ont contracté la maladie dans le passé, ou existe-t-il des formes d'immunité innées, à propos desquelles nous n'aurions pas nécessairement d'explication ?
Ce sont des personnes ayant contracté la maladie. Cependant, l'immunité contre le paludisme, par exemple, doit être entretenue. Prenons le cas d'un Africain qui serait venu vivre en Europe, où le paludisme a été éradiqué ; à son retour, il sera tout aussi susceptible de le contracter qu'un Européen n'ayant jamais mis les pieds en Afrique. C'est un peu différent pour la dengue, mais l'efficacité des anticorps créés contre le virus diminue aussi au cours du temps. Cependant, le problème principal de cette maladie réside dans le fait qu'un individu infecté une première fois n'est pas immunisé contre les autres formes du virus – quand il est à nouveau infecté, la quantité d'anticorps présente dans son sang augmente, mais pas suffisamment pour le protéger ; il se trouve alors dans une fenêtre de risque important et présente davantage de risques de développer une dengue hémorragique, hautement dangereuse. C'est tout le problème de la vaccination, qui risquait d'emmener les gens dans cette fenêtre ; en Amérique, on a arrêté de vacciner les gens contre la dengue.
Je voudrais ajouter une précision par rapport à ce que j'avais expliqué au début de mon intervention : les moustiques ne développent pas d'anticorps, mais ils se défendent par d'autres moyens.
Je veux aussi insister sur l'utilité des essais en conditions semi-naturelles.
Concernant le financement de la recherche, je répète que nous avons besoin d'un soutien régulier pour assurer le fonctionnement de nos laboratoires et la mise en œuvre des études exploratoires, afin que nous nous trouvions dans les meilleures conditions pour répondre aux appels à projets. C'est ce qui nous permet ensuite de passer au stade de l'application, qui requiert des budgets lourds que ne peuvent financer l'Agence nationale de la recherche (ANR) ou d'autres institutions du même type. L'intervention du Gouvernement, de l'Union européenne ou des fondations privées comme la fondation Bill & Melinda Gates ou MMV peut alors s'avérer nécessaire.
En conclusion, je veux souligner l'importance de l'engagement communautaire.
La réunion s'achève à seize heures dix.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles
Réunion du lundi 24 février 2020 à 15 heures 15
Présents. – Mme Ramlati Ali, Mme Sereine Mauborgne, Mme Bérengère Poletti, Mme Valérie Thomas
Excusés. – Mme Delphine Bagarry, Mme Ericka Bareigts, M. Alain David, M. Max Mathiasin, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon