C'est possible. Nous avons travaillé, dans mon laboratoire, sur des dermaseptines, qui sont des peptides issus de la peau de grenouilles. Les grenouilles vivent dans des mares pourries, et pleines de bestioles mais ne sont jamais malades parce que leur peau sécrète des peptides antimicrobiens qui percent des trous dans les bactéries et les champignons, et les protègent.
Avec un laboratoire tunisien qui a isolé une de ces molécules à partir d'une grenouille de Tunisie, nous avons développé une dermaseptine baptisée DS4 et composée de peptides hélicoïdales qui se posent sur la surface lipidique des microbes et les percent. Nous l'avions testé il y a vingt ans sur le VIH et avions pu constater que cela réduisait la charge virale ; nous l'avions également testé sur d'autres flavivirus pour lesquels cela donnait également des résultats.
Ces peptides sont à l'origine des produits naturels, mais nous les synthétisons, ce qui n'est pas donné, dans la mesure où un peptide de vingt acides aminés coûte cher à fabriquer, d'autant que les doses sont assez élevées. Nous avions travaillé avec le laboratoire anglais Robin Shattock sur une crème génitale d'application locale, à utiliser au moment des rapports parce qu'elle bloquait à la fois l'herpès et le VIH et qui donnait de très bons résultats chez les primates. Mais l'industrie pharmaceutique n'est pas du tout intéressée, et ce pour deux raisons : d'abord, parce que ce n'est pas assez spécifique, ensuite parce que cela ne rentre pas dans la catégorie des blockbusters, c'est-à-dire des médicaments qui rapportent au moins 1 à 2 milliards d'euros par an. Or c'est inenvisageable pour une dermaseptine destinée à protéger contre la dengue, car on ne va pas vendre le tube cent euros pièce.
C'est un véritable problème car tout ce qui touche au conditionnement de la molécule, en l'espèce la conception et la fabrication de la crème, appartient aux métiers de la pharmacie et ne relève pas des chercheurs. Il n'y a donc eu aucun développement dans ce domaine, malgré l'existence avérée de ces peptides antimicrobiens qui peuvent percer le virus.
Cela étant, leur efficacité serait à mon avis limitée, après que le moustique a piqué et que le virus a déjà pénétré l'organisme. Jusqu'à preuve du contraire, j'ai toujours dit que ce qui marchait le mieux pour se protéger de la dengue, c'était le répulsif anti-moustique. Partant, on peut imaginer des répulsifs dotés de principes actifs capables de déstabiliser le virus. Pourquoi pas ; mais n'imaginons pas non plus que ce serait la panacée.