Comme vous l'avez très bien dit, je suis la responsable du centre national de référence (CNR) des arbovirus. Ce centre national de référence, localisé à Marseille, appartient à l'institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) qui a pour directrice le médecin général inspecteur Anne Sailliol. Nous appartenons à une unité mixte de recherche (UMR) dirigée par le professeur Xavier de Lamballerie. Cette UMR étudie les virus émergents. Je suis moi-même virologue de formation avec une thèse de sciences.
Je rappelle au préalable que les arbovirus sont des virus transmis par des arthropodes suceurs de sang, qu'il s'agisse de moustiques, de tiques, de phlébotomes ou de culicoïdes. Il existe plus de 100 espèces d'arbovirus pathogènes pour l'homme, dont sept virus qui sont responsables de fièvres hémorragiques. Ils sont transmis par de nombreux et différents vecteurs.
La carte de circulation montre que le virus de la dengue circule dans les pays où les vecteurs, Aedes aegypti et Aedes albopictus, sont présents.
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Ce sont des vecteurs aussi pour les virus du chikungunya et de Zika. Dans un grand nombre de continents et de pays, le vecteur est présent et ces virus peuvent circuler. En superposant cette carte à celle des lieux dans lesquels nos forces armées françaises sont déployées, essentiellement en Afrique mais aussi dans nos départements d'outre-mer, nous constatons une superposition entre nos forces et la circulation possible de ces virus.
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C'est pourquoi, en 1998, l'institut de médecine tropicale du service de santé des armées à Marseille a été missionné par la direction centrale du service de santé des armées afin de réaliser un diagnostic d'expertise des arbovirus pour nos forces projetées en opération extérieure.
En 2002, ce laboratoire de l'institut de médecine tropicale du service de santé des armées (IMTSSA) – qui est devenu ensuite l'IRBA – s'est associé ensuite au CNR des arbovirus, ce CNR appartenant à cette époque à l'Institut Pasteur. Depuis 2012, l'IRBA est devenu coordonnateur et CNR en titre des arbovirus. Il est coordonnateur pour tous les départements français et nous sommes accrédités selon la norme ISO 15189 depuis le 1er janvier 2018 pour toutes les analyses de biologie médicale que nous réalisons.
En termes d'organisation, nous devons nous occuper de tous les territoires et départements français. Depuis 2012, l'IRBA est CNR en titre des arbovirus avec deux laboratoires associés pour avoir une couverture générale de tous nos départements : un CNR associé au centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Denis-de-La-Réunion pour La Réunion et Mayotte et un CNR associé à Cayenne pour la zone Antilles-Guyane, à l'Institut Pasteur de Guyane, dirigé par Dominique Rousset. Ce CNR, avec ses trois têtes, collabore étroitement avec des réseaux de laboratoires de biologie médicale, les Instituts Pasteur de Nouméa en Nouvelle-Calédonie, le CHU et l'Institut Louis Malardé de Polynésie française, ainsi qu'avec des laboratoires de recherche.
Nous avons quatre missions principales qui sont l'expertise, le conseil, la contribution à la surveillance épidémiologique et la contribution à l'alerte. Nous sommes impliqués dans deux plans nationaux importants en termes de surveillance, respectivement le plan de surveillance de la dengue, du chikungunya et de Zika et le plan de surveillance du West Nile. De plus, nous effectuons aussi ces missions de surveillance pour les forces, pour nos militaires qui sont déployés et nous avons une surveillance épidémiologique forte pour tout militaire qui présente une fièvre.
Je vous ai présenté un papier buvard avec une fiche de renseignements. Ce papier buvard a été développé pour les prélèvements en Afrique, afin de résoudre le gros problème du transport d'échantillons. Ces papiers buvards avec du sang nous permettent de détecter les infections par les arbovirus. Ce développement méthodologique que nous avons fait pour nos militaires sur le terrain est maintenant applicable et très utilisé aussi en France métropolitaine et dans nos départements d'outre-mer pour des enquêtes épidémiologiques.
Nous avons donc une relation forte et des échanges entre ces deux côtés : santé publique et missions civiles d'une part, forces armées d'autre part.
Pour essayer de vous développer ces quatre missions, j'ai pris l'exemple de l'émergence du virus Zika, qui vous montrera tout ce qui est fait au sein du laboratoire pour répondre à ces quatre missions du CNR. Il faut savoir que, lors de l'émergence du virus Zika en 2015, notre laboratoire disposait déjà de tous les outils de diagnostic, que ce soit pour la détection du génome viral ou pour la détection de la réponse anticorps. Nous avons été parmi les premiers à détecter l'émergence et à produire une alerte.
Ce diagnostic d'infection par le virus Zika n'étant, au départ, pas réalisé par d'autres laboratoires, nous avons été tout d'abord impliqués dans du diagnostic de première ligne. En parallèle, nous avons essayé de réaliser et de dessiner un algorithme de diagnostic, d'évaluer des kits et des recommandations pour motiver un réseau de laboratoires que nous avons créé avec la direction générale de la santé et Santé Publique France, enfin de réaliser un transfert technologique. Durant cette émergence en 2015 et 2016, notre laboratoire a, en 2016, géré plus de 11 000 prélèvements en une année, avec plus de 20 conseils téléphoniques à des professionnels de santé sur cette infection par le virus Zika. Nous avons été aussi très fortement impliqués dans des recommandations, avec des saisines par le Haut Conseil de la santé publique, de la Haute Autorité de santé, de l'Agence de biomédecine et les différentes agences, mais aussi au niveau européen et international avec le Centre européen de prévention et contrôle des maladies – European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC) – et l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Enfin, nous avons voulu participer, avec toutes ces données que nous avions recueillies durant cette année, à l'augmentation des connaissances sur le virus Zika, et nous avons publié 19 articles dans des revues internationales à comité de lecture.
Sur ces missions, nous avons une reconnaissance européenne par l'ECDC mais nous faisons aussi partie du groupe de pilotage d'un réseau de laboratoires européens (EVD-Labnet) qui est le réseau des maladies virales importées. Nous avons également un rôle au niveau de l'OMS sur le Zika en termes de recommandations.
Cette expertise du CNR est au profit à la fois des forces et de la santé publique. Pour nous, elle est importante en termes de responsabilités. Elle nous permet en effet d'être expert en tant que centre national de référence mais souvent, aussi, d'être les premiers informés, d'une part par nos touristes qui voyagent et qui nous permettent de détecter des circulations de virus qui ne le sont parfois pas dans le pays même, d'autre part par les informations provenant de nos militaires qui sont sur nos théâtres d'opérations. Nous avons ainsi mis en évidence la circulation de certains virus dans des pays africains, dont le virus West Nile à Djibouti ou la fièvre de la vallée du Rift au Mali.
Cette expertise nous permet aussi d'être entraînés. Nous avons en moyenne 5 000 prélèvements par an. C'est une moyenne, mais cela peut aller de 4 000 à 11 000 prélèvements. Nous faisons 20 000 analyses par an portant sur une trentaine de virus en routine. Nos objectifs sont vraiment d'être capables de déterminer l'étiologie pour tout événement épidémique. En particulier sur nos théâtres d'opérations, nous voulons connaître cette étiologie et ceci dans une collaboration à la fois civile et militaire.
Enfin, pour être expert et CNR, il faut également faire de la recherche. Nous faisons essentiellement de la recherche appliquée. Nous sommes une petite équipe mais nous faisons de la recherche sur l'articulation des arbovirus et les caractéristiques de l'infection. Nous développons aussi toujours de l'expertise et de la recherche sur les virus émergents, en développant en particulier de nouveaux outils de diagnostic. Avec une équipe constituée actuellement de trois chercheurs et de six techniciens, nous arrivons à valoriser tout ce travail de recherche scientifique avec, en cinq ans, 80 articles scientifiques publiés dans des revues internationales à comité de lecture.
Toutes ces missions au sein de notre unité sont au profit des forces armées et de la santé publique.