COMMISSION D'ENQUÊTE CHARGÉE D'ÉVALUER LES RECHERCHES, LA PRÉVENTION ET LES POLITIQUES PUBLIQUES À MENER CONTRE LA PROPAGATION DES MOUSTIQUES AEDES ET DES MALADIES VECTORIELLES
Lundi 8 juin 2020
La séance est ouverte à quatorze heures cinq.
(Présidence de M. Philippe Michel-Kleisbauer, député)
La commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles procède à l'audition, en visioconférence, du Dr Isabelle Leparc-Goffart, responsable du Centre national de référence des arbovirus, Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA).
Depuis Marseille, nous allons auditionner Mme Isabelle Leparc-Goffart, responsable du centre national de référence des arbovirus au sein de l'institut de recherche biomédicale des armées, dépendant du service de santé des armées (SSA).
Les 44 centres nationaux de référence pour la lutte contre les maladies transmissibles sont des laboratoires localisés au sein d'établissements publics ou privés de santé, d'enseignement ou de recherche. Ils sont nommés pour cinq ans par le ministre chargé de la santé. Ils ont pour mission l'expertise, le conseil, la contribution à la surveillance épidémiologique et l'alerte. Pour les arbovirus, ces missions sont confiées à l'institut de recherche biomédicale des armées, avec deux laboratoires associés en Guyane et à La Réunion.
Madame, je vous laisse la parole pour une intervention liminaire de dix à quinze minutes qui précèdera notre échange sous forme de questions et réponses. Je vous remercie également de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite donc, Madame, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mme Leparc-Goffart prête serment.
Comme vous l'avez très bien dit, je suis la responsable du centre national de référence (CNR) des arbovirus. Ce centre national de référence, localisé à Marseille, appartient à l'institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) qui a pour directrice le médecin général inspecteur Anne Sailliol. Nous appartenons à une unité mixte de recherche (UMR) dirigée par le professeur Xavier de Lamballerie. Cette UMR étudie les virus émergents. Je suis moi-même virologue de formation avec une thèse de sciences.
Je rappelle au préalable que les arbovirus sont des virus transmis par des arthropodes suceurs de sang, qu'il s'agisse de moustiques, de tiques, de phlébotomes ou de culicoïdes. Il existe plus de 100 espèces d'arbovirus pathogènes pour l'homme, dont sept virus qui sont responsables de fièvres hémorragiques. Ils sont transmis par de nombreux et différents vecteurs.
La carte de circulation montre que le virus de la dengue circule dans les pays où les vecteurs, Aedes aegypti et Aedes albopictus, sont présents.
(image non chargée)
Ce sont des vecteurs aussi pour les virus du chikungunya et de Zika. Dans un grand nombre de continents et de pays, le vecteur est présent et ces virus peuvent circuler. En superposant cette carte à celle des lieux dans lesquels nos forces armées françaises sont déployées, essentiellement en Afrique mais aussi dans nos départements d'outre-mer, nous constatons une superposition entre nos forces et la circulation possible de ces virus.
(image non chargée)
C'est pourquoi, en 1998, l'institut de médecine tropicale du service de santé des armées à Marseille a été missionné par la direction centrale du service de santé des armées afin de réaliser un diagnostic d'expertise des arbovirus pour nos forces projetées en opération extérieure.
En 2002, ce laboratoire de l'institut de médecine tropicale du service de santé des armées (IMTSSA) – qui est devenu ensuite l'IRBA – s'est associé ensuite au CNR des arbovirus, ce CNR appartenant à cette époque à l'Institut Pasteur. Depuis 2012, l'IRBA est devenu coordonnateur et CNR en titre des arbovirus. Il est coordonnateur pour tous les départements français et nous sommes accrédités selon la norme ISO 15189 depuis le 1er janvier 2018 pour toutes les analyses de biologie médicale que nous réalisons.
En termes d'organisation, nous devons nous occuper de tous les territoires et départements français. Depuis 2012, l'IRBA est CNR en titre des arbovirus avec deux laboratoires associés pour avoir une couverture générale de tous nos départements : un CNR associé au centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Denis-de-La-Réunion pour La Réunion et Mayotte et un CNR associé à Cayenne pour la zone Antilles-Guyane, à l'Institut Pasteur de Guyane, dirigé par Dominique Rousset. Ce CNR, avec ses trois têtes, collabore étroitement avec des réseaux de laboratoires de biologie médicale, les Instituts Pasteur de Nouméa en Nouvelle-Calédonie, le CHU et l'Institut Louis Malardé de Polynésie française, ainsi qu'avec des laboratoires de recherche.
Nous avons quatre missions principales qui sont l'expertise, le conseil, la contribution à la surveillance épidémiologique et la contribution à l'alerte. Nous sommes impliqués dans deux plans nationaux importants en termes de surveillance, respectivement le plan de surveillance de la dengue, du chikungunya et de Zika et le plan de surveillance du West Nile. De plus, nous effectuons aussi ces missions de surveillance pour les forces, pour nos militaires qui sont déployés et nous avons une surveillance épidémiologique forte pour tout militaire qui présente une fièvre.
Je vous ai présenté un papier buvard avec une fiche de renseignements. Ce papier buvard a été développé pour les prélèvements en Afrique, afin de résoudre le gros problème du transport d'échantillons. Ces papiers buvards avec du sang nous permettent de détecter les infections par les arbovirus. Ce développement méthodologique que nous avons fait pour nos militaires sur le terrain est maintenant applicable et très utilisé aussi en France métropolitaine et dans nos départements d'outre-mer pour des enquêtes épidémiologiques.
Nous avons donc une relation forte et des échanges entre ces deux côtés : santé publique et missions civiles d'une part, forces armées d'autre part.
Pour essayer de vous développer ces quatre missions, j'ai pris l'exemple de l'émergence du virus Zika, qui vous montrera tout ce qui est fait au sein du laboratoire pour répondre à ces quatre missions du CNR. Il faut savoir que, lors de l'émergence du virus Zika en 2015, notre laboratoire disposait déjà de tous les outils de diagnostic, que ce soit pour la détection du génome viral ou pour la détection de la réponse anticorps. Nous avons été parmi les premiers à détecter l'émergence et à produire une alerte.
Ce diagnostic d'infection par le virus Zika n'étant, au départ, pas réalisé par d'autres laboratoires, nous avons été tout d'abord impliqués dans du diagnostic de première ligne. En parallèle, nous avons essayé de réaliser et de dessiner un algorithme de diagnostic, d'évaluer des kits et des recommandations pour motiver un réseau de laboratoires que nous avons créé avec la direction générale de la santé et Santé Publique France, enfin de réaliser un transfert technologique. Durant cette émergence en 2015 et 2016, notre laboratoire a, en 2016, géré plus de 11 000 prélèvements en une année, avec plus de 20 conseils téléphoniques à des professionnels de santé sur cette infection par le virus Zika. Nous avons été aussi très fortement impliqués dans des recommandations, avec des saisines par le Haut Conseil de la santé publique, de la Haute Autorité de santé, de l'Agence de biomédecine et les différentes agences, mais aussi au niveau européen et international avec le Centre européen de prévention et contrôle des maladies – European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC) – et l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Enfin, nous avons voulu participer, avec toutes ces données que nous avions recueillies durant cette année, à l'augmentation des connaissances sur le virus Zika, et nous avons publié 19 articles dans des revues internationales à comité de lecture.
Sur ces missions, nous avons une reconnaissance européenne par l'ECDC mais nous faisons aussi partie du groupe de pilotage d'un réseau de laboratoires européens (EVD-Labnet) qui est le réseau des maladies virales importées. Nous avons également un rôle au niveau de l'OMS sur le Zika en termes de recommandations.
Cette expertise du CNR est au profit à la fois des forces et de la santé publique. Pour nous, elle est importante en termes de responsabilités. Elle nous permet en effet d'être expert en tant que centre national de référence mais souvent, aussi, d'être les premiers informés, d'une part par nos touristes qui voyagent et qui nous permettent de détecter des circulations de virus qui ne le sont parfois pas dans le pays même, d'autre part par les informations provenant de nos militaires qui sont sur nos théâtres d'opérations. Nous avons ainsi mis en évidence la circulation de certains virus dans des pays africains, dont le virus West Nile à Djibouti ou la fièvre de la vallée du Rift au Mali.
Cette expertise nous permet aussi d'être entraînés. Nous avons en moyenne 5 000 prélèvements par an. C'est une moyenne, mais cela peut aller de 4 000 à 11 000 prélèvements. Nous faisons 20 000 analyses par an portant sur une trentaine de virus en routine. Nos objectifs sont vraiment d'être capables de déterminer l'étiologie pour tout événement épidémique. En particulier sur nos théâtres d'opérations, nous voulons connaître cette étiologie et ceci dans une collaboration à la fois civile et militaire.
Enfin, pour être expert et CNR, il faut également faire de la recherche. Nous faisons essentiellement de la recherche appliquée. Nous sommes une petite équipe mais nous faisons de la recherche sur l'articulation des arbovirus et les caractéristiques de l'infection. Nous développons aussi toujours de l'expertise et de la recherche sur les virus émergents, en développant en particulier de nouveaux outils de diagnostic. Avec une équipe constituée actuellement de trois chercheurs et de six techniciens, nous arrivons à valoriser tout ce travail de recherche scientifique avec, en cinq ans, 80 articles scientifiques publiés dans des revues internationales à comité de lecture.
Toutes ces missions au sein de notre unité sont au profit des forces armées et de la santé publique.
Merci, madame, pour cet exposé succinct mais clair. Nous allons vous interroger afin d'obtenir des précisions par rapport à vos missions. Pouvez-vous nous dire dans quelles conditions et avec quels objectifs le CNR Arbovirus a été fondé ? S'agissait-il d'une demande politique ou d'une initiative de la communauté scientifique ?
Je ne suis pas sûre d'être la mieux placée pour répondre à cette question. Je ne connais pas l'origine des CNR au niveau de la santé publique et du ministère de la Santé, donc je ne sais pas. Je vous ai parlé de l'historique au niveau du ministère des Armées. Quand j'étais jeune, j'étais en formation dans le laboratoire de virologie du professeur Aymard au CHU de Lyon. À cette époque, il s'agissait du laboratoire national de référence des entérovirus. Je crois que c'était une institution qui dépendait anciennement de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Toutefois, j'ignore comment s'est faite l'évolution en CNR.
Ce que je pense important, à l'heure actuelle, est que les CNR doivent candidater. Il y a un appel à candidatures avec une évaluation des dossiers. Chaque institution, chaque laboratoire qui candidate doit montrer son expertise et sa recherche dans ce domaine. C'est le point qui me paraît le plus important actuellement.
Quelle est la portée de vos travaux de recherche en matière de défense et de protection du combattant ? Le moustique et les arboviroses sont-ils potentiellement des armes biologiques ?
En ce qui concerne les forces armées, la problématique est vraiment celle de problèmes naturels du risque biologique « B », comme on dit. Nos forces étant exposées à des piqûres de moustiques, notre institution est experte dans les deux grosses familles de pathogènes transmis par les vecteurs, le paludisme et les arboviroses. Nous nous intéressons à la protection du combattant contre ces deux risques que sont le paludisme – nous avons un laboratoire qui est le CNR associé au paludisme au sein de l'IRBA – et les arboviroses. Ces arboviroses peuvent être très incapacitantes pour nos forces, comme par exemple le chikungunya qui a un gros impact au niveau opérationnel. Nous travaillons donc sur la détection et la surveillance épidémiologique d'un risque biologique « B » naturel pour nos militaires, d'un risque d'infection naturelle pour nos forces.
Quels sont les moyens alloués au titre du CNR ? Qu'est-ce que cela représente en pourcentage du budget de l'IRBA ?
La subvention que nous recevons au titre du centre national de référence des arbovirus représente à peu près 95 % du financement de mon unité. C'est en effet un gros CNR en termes d'activité, pour lequel nous avons un financement à la fois de Santé publique France et de l'assurance maladie. L'institution par elle-même ne finance pour l'instant que 5 % de nos activités. Ce financement est destiné au fonctionnement. Il ne nous permet pas d'acheter du gros matériel.
La problématique en termes de ressources humaines est que, comme nous dépendons du ministère des Armées, il nous faudrait – au niveau du CNR – des contrats à durée indéterminée (CDI) de mission pour remplir nos missions, ce qui est un peu difficile à négocier à l'heure actuelle avec la direction des ressources humaines du ministère des Armées. En ce moment, nous avons à la fois du personnel fixe et des personnels qui sont en contrat à durée déterminée (CDD).
Les CNR ont quatre missions, vous l'avez dit, qui sont l'expertise, le conseil, la contribution à la surveillance épidémiologique, l'alerte. Quelles actions sont menées pour chacune de ces missions ?
Je vous ai donné un exemple dans le cas du virus Zika. Nous avons essentiellement une grosse mission de surveillance épidémiologique et d'expertise sur la dengue, le chikungunya, le Zika et West Nile. Ces quatre virus constituent en quelque sorte notre fonds de commerce annuel. À côté de cela, nous avons finalement tous les ans des situations et des émergences nouvelles, ce qui fait que chaque mission est remplie en fonction de la situation épidémiologique de l'année.
Pour prendre l'exemple de cette année, nous avons un foyer d'une trentaine de cas de méningites et d'encéphalites à tiques dans l'Ain, avec une infection via des fromages de chèvre au lait cru. Nous nous occupons d'abord de l'alerte, puis du diagnostic d'expertise et ensuite des recommandations mais, en fait, il est difficile de séparer les différentes missions. Lors de chaque événement épidémiologique, nous avons pour rôle d'assurer la surveillance épidémiologique et l'expertise, tout en sachant quand même que les arbovirus sont très surprenants.
J'ai repris l'historique de nos activités depuis 2013. Nous avons eu l'émergence du chikungunya dans les Amériques et dans les Antilles en 2013 – 2014, Zika en 2015 – 2016, un foyer important de West Nile en France métropolitaine en 2018, l'émergence de Zika aussi l'année dernière en France métropolitaine et cette année l'encéphalite à tiques. Tous les ans, nous avons énormément de surprises. Il faut avoir l'esprit très ouvert pour étudier les arbovirus.
Nous diagnostiquons au laboratoire à peu près une trentaine d'infections à arbovirus différentes. En termes de circulation, le plus fréquent, même au niveau mondial, est le virus de la dengue qui circule largement.
Nous imposons que tout transfert d'échantillons dans notre laboratoire en diagnostic d'expertise soit associé à une fiche de renseignements. Cette fiche précise la notion de voyage, du pays de voyage, les symptômes. En fonction de toutes ces données, c'est nous qui choisissons quels virus nous testons, quel type de technique nous mettons en œuvre pour rendre un diagnostic.
Le plus gros de notre activité concerne quand même, d'une part les virus qui circulent le plus souvent, comme la dengue, d'autre part les virus en surveillance pour de l'émergence, essentiellement West Nile, chikungunya et Zika. Ensuite, tous les autres arbovirus seront testés en fonction de la zone géographique dans laquelle les gens ont voyagé et en fonction des symptômes cliniques.
Quels sont les organismes, instances ou agences qui sont les destinataires de vos travaux de surveillance épidémiologique dans le domaine de la santé, dans le domaine de la défense et dans les autres domaines concernés ?
Nous fonctionnons dans un lien très proche avec Santé publique France, que ce soit avec les cellules régionales de Santé publique France ou au niveau national. En période de surveillance, nous pouvons nous téléphoner deux à trois fois par semaine. En cas d'alerte ou d'événement anormal, nous communiquons avec cette agence qui, après nos échanges, transmet l'alerte à la direction générale de la santé (DGS). Ces contacts avec Santé publique France sont vraiment très fréquents.
Ensuite, nous avons un rôle d'expertise pour différentes instances publiques de santé. Nous avons essentiellement un travail énorme avec le Haut Conseil de la santé publique, en particulier avec le groupe de travail sur la sécurité des éléments et produits du corps humain (Secproch). Nous réfléchissons à ce qui doit être mis en œuvre pour les arbovirus dans tout ce qui est don de sang et don d'organes.
Enfin, ce que nous faisons pour la santé publique est traduit aussi au niveau militaire. Nous avons un relationnel très étroit avec nos épidémiologistes militaires du service de santé des armées ainsi qu'avec la direction centrale dès qu'il y a une alerte.
Voilà pour ce qui concerne la santé et la défense, mais il faut savoir que le domaine des arboviroses est multidisciplinaire. Nous avons aussi des contacts avec notre correspondant au niveau animal qui est l'équipe de Stephan Zientara, avec Sylvie Lecollinet qui est responsable du LNR West Nile, mais également avec les entomologistes. En fait, nous sommes vraiment dans cette transversalité avec toute la multidisciplinarité que demandent les arbovirus.
Très peu. Étant experte à la Haute Autorité de santé et au Haut Conseil, ma déclaration publique d'intérêts doit être blanche, plus blanche que blanche. Cela peut arriver s'il y a un intérêt de santé publique, comme cela s'est produit par exemple pendant l'émergence du chikungunya en 2013 – 2014. En effet, il n'y avait aucun kit de sérologie sur le marché, très peu de laboratoires pouvaient réaliser cette analyse. En concertation avec le ministère de la Santé et avec Santé publique France, nous avons aidé certains industriels à développer des kits pour que cela puisse vraiment avoir un impact en termes de santé publique.
Toutefois, quand on parle de l'évaluation – et j'y tiens énormément –, si nous devons évaluer les kits, nous n'avons aucun lien avec l'industriel. Nous achetons des kits, nous les payons nous-mêmes, pour les évaluer et pouvoir en donner les caractéristiques.
Lorsque nous avons des contacts avec le privé, c'est plutôt à la demande d'un questionnement de santé publique, dans le cas où nous aurions vraiment besoin de l'aide d'un industriel, sinon nous n'en avons pas.
Comment s'articule la collaboration entre l'antenne marseillaise du CNR Arbovirus et les antennes océan Indien et Guyane-Antilles ?
Au moment de la candidature du CNR, nous avons monté un dossier commun avec ces deux laboratoires. Nous rendons aussi tous les ans un rapport d'activité qui est commun à nos trois laboratoires. Nous essayons d'avoir un maximum d'échanges par mail. Nous avons essayé aussi régulièrement de nous réunir par visioconférence, tout en sachant que nous avons souvent été sous une grosse pression d'alerte et de travail.
Nous avons un peu de mal à nous voir et à nous parler régulièrement. Toutefois, dès que quelque chose se passe qui peut avoir un impact, nous échangeons énormément sur les techniques, sur les recommandations que nous pouvons donner. Nous faisons aussi parfois des échanges de ressources biologiques pour faire du contrôle inter-laboratoires.
Nous essayons donc d'avoir un maximum d'échanges entre nous, tout en sachant que nous sommes quand même tous bien occupés. Malheureusement, nous ne nous rencontrons pas aussi souvent que nous le voudrions.
Est-ce que vous collaborez avec la recherche universitaire française et dans quelles conditions ?
Du point de la recherche, nous appartenons à l'unité mixte de recherche (UMR) des virus émergents. Au sein de cette UMR, nous avons bien sûr des collaborations de recherche.
Il faut savoir que notre unité est quand même petite ; nous faisons surtout de la recherche appliquée, en particulier pour connaître – en cas d'émergence d'un nouveau pathogène – la cinétique d'infection. Nous faisons ce dont nous sommes vraiment capables, comme le développement de nouveaux outils de diagnostic.
Nous sommes assez souvent contactés par des laboratoires de recherche, mais souvent plutôt parce que notre laboratoire a les ressources biologiques. Nous pouvons isoler les virus, nous avons des sérums caractérisés et qui seraient nécessaires pour la recherche. Nous avons choisi, avec la direction de l'université d'Aix-Marseille et l'UMR, dans ce cadre des échanges de ressources biologiques, de mettre nos ressources biologiques sur European Virus Archive global (EVAg) qui est une collection européenne de virus. Nous participons à la recherche plutôt par ces ressources biologiques que nous transmettons via EVAg.
Par ailleurs, je fais partie du groupe de pilotage d'Arbo-France dont vous avez probablement entendu parler. C'est un regroupement, multidisciplinaire et transversal, de la veille et de la recherche en arbovirologie. Nous sommes en train d'étudier quels sont les programmes de recherche susceptibles d'être importants à monter et de voir comment nous pouvons les financer. Le gros problème de la recherche en arbovirologie, lorsque c'est de la recherche appliquée, est en effet malheureusement le financement. Nous allons participer à des études de séroprévalence pour savoir à quel niveau les virus ont circulé. Il s'agit vraiment de recherche très appliquée.
Vos travaux de recherche participent à la veille sanitaire et épidémiologique en France hexagonale et dans les outre-mer. J'ai compris que le CNR Arboviroses collabore aussi au sein des réseaux européens. Mais collabore-t-il aussi au sein de réseaux internationaux ?
Très honnêtement, nous sommes vraiment plus forts au niveau européen qu'au niveau international en termes de collaboration et de réseau.
Toutefois, en termes de veille sanitaire et épidémiologique, nous effectuons une veille en Afrique. Grâce à la présence de nos forces, nous sommes souvent capables de mettre en évidence des émergences. En particulier, l'année dernière, nous avons mis en évidence l'émergence du chikungunya à Djibouti et nous avions été très proactifs.
Je dirais que c'est plus au niveau du travail que nous faisons avec les forces en opérations extérieures que nous avons un impact au niveau international.
Comment évaluez-vous l'organisation actuelle de la recherche française sur les arboviroses ?
Je pense que l'initiative de l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan) et de REsearch and ACTion targeting emerging infectious diseases (REACTing) de créer ce groupe Arbo-France nous permet vraiment, à l'heure actuelle, de réfléchir tous ensemble aux projets de recherche qui sont les plus importants à mener en termes de santé publique, d'émergence, ainsi que de préparation. Je pense que, par cette organisation d'Arbo-France, nous commençons vraiment à avoir une organisation des spécialistes réellement multidisciplinaire et multi-institutionnelle, qui permet maintenant, je pense, d'avoir un niveau de réponse national.
Que pensez-vous de la création d'une agence dédiée à la lutte contre les vecteurs et les arbovirus ? Faut-il l'envisager ?
Je pense personnellement qu'il faut déjà savoir comment nous fonctionnons actuellement. Il existe différentes institutions qui collaborent avec une grande transversalité et cela fonctionne très bien. Nous travaillons avec le LNR de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) sur la problématique des zoonoses animales. Notre laboratoire, qui est à la fois CNR et IRBA, collabore avec les épidémiologistes civils avec Santé Publique France et ses cellules d'intervention en région (CIRE), avec le côté alimentaire et avec le côté entomologie. Cette transversalité est finalement suffisante et il n'y a pas besoin d'avoir une institution ou un organisme. Je pense qu'il faut fonctionner sur cette transversalité.
Le point faible à l'heure actuelle concerne la partie entomologie. Auparavant il existait le Centre national d'expertise sur les vecteurs (CNEV), avec lequel nous avions énormément de relations. Tous les ans, nous avions des réunions vraiment transversales entre entomologistes, infectiologues, vétérinaires, épidémiologistes, virologues pour essayer d'avancer sur la santé publique et tout ce qui est lié aux infections par les vecteurs. Depuis que le CNEV a disparu, l'entomologie est beaucoup moins présente. Nous avions aussi énormément de relations avec les Ententes interdépartementales pour la démoustication (EID), essentiellement l'EID Méditerranée, un opérateur public qui participait vraiment et nous permettait de monter des projets de recherche, de répondre à des foyers ; cette transversalité fonctionnait bien. Maintenant, depuis la disparition du CNEV et le changement des opérateurs pour la lutte anti-vectorielle liée à la santé publique, nous avons l'impression que cela sera un point faible pour les années qui viennent.
Je reviens sur les missions du CNR des arbovirus. Avez-vous des activités de recherche ou de conseil portant sur les vecteurs tels que les moustiques à Aedes aegypti et Aedes albopictus ?
Nous ne sommes pas entomologistes. Sur ce domaine, nous travaillons plutôt sur la détection du virus dans ces vecteurs, c'est-à-dire que nous collaborons avec les entreprises qui, lors d'une émergence, essaieront de faire de la lutte anti-vectorielle mais aussi de la capture pour savoir quel virus circule et à quel niveau. Ces vecteurs une fois identifiés, dont par exemple Aedes albopictus en France métropolitaine, nous seront envoyés pour que nous effectuions la détection du virus dans ces vecteurs. C'est sur ce point que nous avons un certain niveau d'expertise, mais pas sur l'entomologie de base, c'est-à-dire la capture et l'identification des vecteurs.
Ma deuxième question est très localisée : lorsque j'étais directeur de cabinet de la ville de Fréjus au milieu des années 2000, nous avons eu plusieurs épisodes de fièvre du Nil occidental (West Nile) détectés au niveau des étangs de Villepey. Est-ce que vous avez une récurrence sur ces secteurs ou dans d'autres étangs de notre région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), comme à Hyères ou en Camargue ?
En effet, le virus West Nile demanderait beaucoup de projets de recherche appliquée. C'est vraiment une surprise. C'est vrai qu'il a beaucoup circulé en Camargue. C'était vraiment son lieu de prédilection et c'est là que nous nous attendons tous les ans à le trouver.
Mais ces dernières années, l'épidémiologie de West Nile a énormément changé. La plus grosse émergence a été en 2018 dans les Alpes-Maritimes et essentiellement dans la ville de Nice, dans un périmètre très urbain, pas du tout comme la Camargue, avec cette eau et cet environnement d'oiseaux qui arrivent. Nous sommes très surpris par cette nouvelle circulation.
L'année dernière, nous avons eu deux cas dans le Var. C'est un peu incompréhensible. Tous les ans maintenant, nous avons de nouveaux foyers de West Nile dans des zones auxquelles nous ne nous attendions pas forcément. Je pense qu'il y a des études à faire.
Bien sûr, ce virus est lié aux moustiques vecteurs Culex, qui peuvent être urbains ou ruraux, lié aux oiseaux migrateurs, lié à une endémicité peut-être qui se crée au niveau de certains environnements écologiques particuliers. Il faut savoir que, en Italie, le virus est devenu endémique. Il est possible que le gros foyer que nous avons eu en 2018 dans les Alpes-Maritimes soit lié à un transfert passif de l'Italie à la France.
Il y a beaucoup d'incompréhensions sur le West Nile. Il y a à la fois des cas humains et des cas animaux. Je vous ai cité l'épidémiologie au niveau humain. Mais au niveau animal, les foyers que nous trouvons parmi les chevaux ne sont pas dans les mêmes régions que les foyers humains. C'est assez surprenant. L'année dernière, il y a eu des cas chez des chevaux en Corse. On sent que toute cette région PACA est vraiment une région où une émergence peut arriver régulièrement et pas forcément seulement dans des zones marécageuses.
Pas forcément marécageuses, mais côtières. Nous avons vu dans nos auditions précédentes que les moustiques avaient une tendance à s'élever en altitude et même à dépasser des barrières ou des limites que l'on croyait impossible de franchir auparavant. Mais les cas que vous recensez sont quand même liés au littoral.
Non, ce n'est pas forcément lié au littoral. Je crois que Culex est présent partout en France. L'année dernière, il me semble – je ne voudrais pas dire de bêtises mais je crois que je n'en dirai pas – que les premiers cas de West Nile ont été recensés en Allemagne.
Ce n'est pas comme avec Aedes albopictus, qui est arrivé dans le Sud et qui est monté petit à petit, y compris en en altitude. Culex est vraiment présent partout. Il lui faut une niche écologique, en termes de migration des oiseaux je crois. En fait, le West Nile émerge par la migration des oiseaux, souvent d'Afrique. Ils vont se reposer dans un endroit, infecter le moustique et le moustique infecte des oiseaux autochtones. C'est vraiment un cycle très compliqué et très particulier. Effectivement, chez nous, c'est essentiellement sur le pourtour de la France, mais il faudrait voir les réseaux des oiseaux migrateurs en termes de cheminement sur la France métropolitaine.
Je crois que nous faisons un métier passionnant. Ce qui est vraiment important est de garder cette dynamique, cette opérationnalité entre beaucoup de disciplines différentes, d'avoir cette opportunité de travailler vraiment en transversalité.
C'est cela qui est important et c'est important pour les alertes, c'est important pour le conseil. Nous le voyons, au niveau du Haut Conseil de la santé publique où le travail qui est réalisé, qui est très transversal, est vraiment de très haute qualité.
Il est un peu regrettable, comme nous en avons eu le sentiment récemment au niveau du ministère de la Santé et de la DGS, que certaines réunions très transversales que nous avions auparavant commencent à disparaître. Nous arrivons à les faire entre personnes opérationnelles, mais je crois qu'il faut vraiment toujours travailler ensemble. C'est un sujet tellement complexe qui demande beaucoup de disciplines différentes. Il faut vraiment continuer à travailler dans cette voie.
Dans une période comme celle que nous venons de vivre, où nous avons tous été soumis à la dure loi de la Covid-19, y a-t-il des passerelles, en termes de recherche, qui se sont faites avec les chercheurs qui essaient de comprendre les mécanismes inhérents au coronavirus ? Avez-vous vous-même essayé de regarder, si sur vos sujets d'observation habituels, il y avait des apparitions anormales ou des choses à mettre en lien avec ces recherches de vos collègues ?
Dans cette période très compliquée pour tout le monde, nous avons fait un choix différent que celui réellement de la « recherche », entre guillemets. Nous avons considéré que nous avions une grande expertise dans la détection du génome viral. Comme je vous le disais, nous y sommes très entraînés et parfaitement prêts. Pour détecter un virus, que cela soit SARS-CoV-2 ou la dengue, les techniques et les plateformes utilisées sont identiques.
Nous avons aussi une grande expérience et une grande expertise sur la caractérisation de la réponse anticorps en détectant des anticorps neutralisants dans un laboratoire de classe 3, puisque tous nos virus sont de classe 3 et que le SARS-CoV-2 l'est aussi.
Nous avons donc décidé de translater ce que nous savons très bien faire sur les arbovirus sur le SARS-CoV-2. En ce qui concerne les populations militaires, nous avons fait une grosse investigation épidémiologique pour les marins-pompiers de Marseille parmi lesquels il y a eu un cluster. Nous sommes aussi intervenus dans des EHPAD. En termes de résilience, nous avons décidé d'aider, de participer collectivement ce qui se passait au niveau national, mais sur ce que nous étions capables de bien faire et que nous savions bien maîtriser.
Ensuite, tout cela a été relayé bien sûr au sein de notre unité mixte de recherche, en ce qui concerne notre institut IRBA également au niveau des équipes de Brétigny, pour répondre à différentes questions. Ces questions assez simples concernent la cinétique de la présence du virus dans la sphère pharyngée, la cinétique d'apparition des anticorps neutralisants. Nous avons un projet pour étudier combien de temps les anticorps sont présents.
Nous avons donc essayé de faire ce que nous savons bien faire et de l'appliquer à des projets de recherche appliquée et de recherche clinique, à la fois avec les laboratoires civils et le service santé des armées.
À propos de ces anticorps neutralisants, est-ce que, dans le domaine des arboviroses il existe des seuils de population immunisée, comme pour la Covid dont on sait qu'il faudra avoir une certaine proportion de la population immunisée ?
Oui, tout à fait. De telles études ont déjà été réalisées. C'est ce qu'on appelle des études de séroprévalence. Cela a été réalisé en particulier en Martinique et en Guadeloupe, pour le chikungunya mais aussi pour le Zika. Souvent, c'est réalisé avec l'Établissement français du sang avec lequel nous collaborons énormément et qui fait partie de notre unité mixte de recherche. Nous regardons la réponse neutralisante, c'est-à-dire une réponse protectrice. Pour les arbovirus en tout cas, nous sommes capables de montrer qu'il y a un certain niveau d'immunisation de la population qui explique pourquoi le chikungunya, par exemple, ne circule plus à l'heure actuelle. En fait, lorsqu'une certaine proportion de la population – c'est souvent 50 ou 60 % – est immunisée, alors la circulation du virus s'éteint. C'est beaucoup plus facile dans les îles que sur des continents où la circulation et la dynamique sont un peu plus compliquées.
Si vos budgets venaient à s'accroître, hormis en termes de personnel, puisque nous avons compris que vous n'étiez pas nombreux, auriez-vous des pistes ou des bons usages à faire d'une augmentation de vos budgets ?
Oui, tout à fait. Vous avez bien vu la taille de l'équipe. Nous recevons tous les jours 20 à 30 prélèvements. Nous avons une routine de diagnostic qui est obligatoire avec plusieurs postes. Nous avons un poste avec tout ce qui se passe, tout ce qui se fait au niveau du laboratoire P3 puisque c'est un laboratoire de confinement, toute la caractérisation sérologique et la caractérisation moléculaire.
Notre partie recherche et développement de nouveaux outils et préparation nous permet d'être préparés pour une éventuelle nouvelle émergence et c'est très important. C'est tout bête, mais avant que Zika émerge en Polynésie française, nous avions commencé à nous préparer en faisant de la veille. Je ne sais pas pourquoi nous avions senti qu'il pouvait se passer quelque chose. Nous avions développé tous les outils.
Mais vu la taille de l'équipe et le travail de routine que nous devons réaliser au laboratoire, notre marge pour tout ce qui est développement, recherche et préparation à l'émergence est un peu faible.
Je vous remercie pour la clarté de vos réponses et de votre exposé qui nous ont permis de bien progresser. Le document que vous avez diffusé en préambule permettra aussi à chacun de mieux resituer le travail que vous faites.
La réunion s'achève à quatorze heures cinquante.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles
Réunion du lundi 8 juin 2020 à 14 h 05
Présents. – Mme Ramlati Ali, M. Philippe Michel-Kleisbauer
Excusés. – Mme Ericka Bareigts, M. Alain David, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean‑Hugues Ratenon