Intervention de Dr Dominique Voynet

Réunion du lundi 8 juin 2020 à 15h35
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Dr Dominique Voynet, directrice générale de l'ARS de Mayotte :

Merci pour cette occasion qui nous est donnée d'exposer la politique de lutte antivectorielle à l'ARS de Mayotte. Il aurait sans doute été plus rationnel de commencer par François Cheize qui a été directeur de la veille et de la sécurité sanitaire de l'ARS de l'océan Indien et qui a donc une vision globale tout à fait complète puisqu'il sait ce qu'il s'est passé avant le 1er janvier, date à laquelle l'ARS de Mayotte est devenue indépendante de l'ARS de La Réunion.

Mon arrivée à l'ARS a coïncidé avec le début d'une importante épidémie de dengue, la plus importante qu'ait jamais connue Mayotte. Nous avions connu une très grosse épidémie de chikungunya en 2011, des épidémies de dengue à plusieurs reprises, mais c'est la première fois que nous avons plus de 4 000 cas de dengue en quelques semaines. Ce chiffre ne rend compte que très imparfaitement de l'importance réelle de l'épidémie puisque, après quelques semaines et dans le contexte de la coexistence avec l'épidémie de Covid-19 et de la concurrence pour les tests Polymerase Chain Reaction (PCR) avec la Covid-19, nous avons cessé de diagnostiquer de façon biologique l'ensemble des cas de dengue. Nous savons néanmoins par le réseau de surveillance syndromique qu'il n'y a pas une famille de Mayotte qui ait échappé à la dengue. Je dois signaler l'existence de cas graves puisque nous avons plusieurs centaines d'hospitalisations pour dengue durant les mois de janvier à avril-mai. Seize décès sont imputés à la dengue pour ce début d'année. Pendant longtemps, on a considéré que la dengue tuait plus que la Covid‑19 à Mayotte.

Comment nous sommes-nous organisés ? Nous avons soixante-cinq agents dans notre service de lutte antivectorielle. Nous avons rajouté à ce service dix personnes, recrutées au moment où l'épidémie s'est renforcée. Il faut y ajouter des pompiers volontaires du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) et des jeunes du régiment de service militaire adapté (RSMA) qui sont en train de se former pour passer le certificat Certibiocide. Ils pourront ainsi venir en renfort dans les communes dans lesquelles l'ARS ouvre des chantiers de lutte contre les moustiques.

Le titre de votre commission d'enquête évoque la propagation des moustiques Aedes mais, sauf si vous y mettez votre veto, j'ai considéré que nous étions amenés à faire le point sur l'ensemble des maladies à propagation vectorielle. Nous avons en effet toujours une sorte de fond, à bas bruit, de paludisme qui est véhiculé par les Anopheles même si l'épidémie de dengue en cours concerne plus spécialement les Aedes.

Ce qui est intéressant dans cette période, c'est qu'une bonne partie de la population de Mayotte, qui a un assez faible niveau de formation et d'éducation, confond encore le paludisme et la dengue, n'est pas consciente du fait que ce ne sont pas les mêmes moustiques dans les mêmes écosystèmes qui transmettent ces deux maladies, que les stratégies de lutte n'appellent pas forcément les mêmes mesures.

Je voudrais vous parler de la place que prend la lutte antivectorielle dans les effectifs de l'ARS, de cette toute jeune ARS née le 1er janvier dernier : plus de 50 % des effectifs sont consacrés à la lutte antivectorielle, avec des agents qui ont connu de nombreux avatars professionnels, qui ont souvent commencé leur carrière de façon informelle, payés de la main à la main par les services de l'État dans les années 1970-1980. Ils sont passés par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS), ont parfois été agents du Département avant d'être fonctionnarisés et titularisés dans leur poste très tardivement, au cours des années 2000 ou même 2010 pour certains d'entre eux. Ces agents ont un niveau de formation initiale très bas. Beaucoup ne savent pas conduire, ce qui complique les interventions de terrain. Certains ne sont pas francophones et l'encadrement de ces agents, très nombreux, souvent très âgé, n'est pas toujours à la hauteur de ce qu'on attend d'un service de lutte antivectorielle efficace.

Nous avons l'obligation d'aller au-delà de l'exécution des tâches rituelles de la lutte antivectorielle pour avoir une approche de plus en plus stratégique, construite avec les communes, avec les intercommunalités, avec le Département, avec les services de l'État, avec les entreprises publiques ou privées qui sont sur le territoire de Mayotte.

Je ne sais pas si vous souhaitez que je détaille les actions qui sont conduites pour lutter contre le paludisme et contre la dengue, mais nous sommes confrontés à deux types de moustiques : d'un côté l'anophèle, qui vole bien, qui vole loin des maisons, qu'on rencontre dans tous les milieux humides avec de l'eau stagnante et, de l'autre, l' Aedes qui est commensal de l'être humain, qui est beaucoup dans les maisons, qui vole assez mal et que nous allons donc traquer plutôt à proximité immédiate des êtres humains.

Cela a des conséquences concrètes sur les formes de l'action. Par exemple, au moment du confinement lié au coronavirus, c'était bien plus compliqué que d'habitude d'intervenir dans les maisons où se trouvaient les personnes confinées. On ne pouvait pas réellement faire l'ensemble des actions prévues pour éliminer les gîtes larvaires et traiter éventuellement les surfaces contre le moustique en présence de personnes qui étaient confinées dans ces maisons.

Je suis prête évidemment à répondre à vos questions techniques sur le type de produit utilisé et les modalités de pulvérisation, qu'il s'agisse d'une pulvérisation à la main, de pulvérisation avec des véhicules, etc.

Ce qui me paraît très important, c'est d'insister sur le fait que nous n'avons jamais cessé d'intervenir contre la dengue pendant toute l'épidémie de coronavirus, avec un problème qui reste très présent et qui constituera une sorte de fil rouge de mon intervention : c'est que l'ARS, dans les départements d'outre-mer comme dans les départements du pourtour méditerranéen par exemple, est une agence régionale de santé.

Elle a des forces limitées en ce qui concerne les interventions de terrain. Elle ne peut pas se substituer à l'ensemble des communes ou des intercommunalités ou des acteurs publics et privés. Pourtant, on a tendance à appeler l'ARS à chaque fois que l'on voit des moustiques : « Merci de venir traiter mon jardin », « Merci de venir enlever les encombrants qui sont dans ma rue », « Merci de faire la lutte mécanique que la commune n'a pas faite ». Dans les propositions que vous pourrez être amenés à faire, j'insisterai beaucoup sur le fait que l'ARS ne peut pas se substituer aux responsabilités des collectivités locales.

À Mayotte, c'est d'abord la faillite de certaines communes qui explique que le moustique prolifère. Les gouttières ne sont jamais curées, les fossés non plus, les vieilles machines à laver, les vieilles carcasses de voitures qui s'accumulent partout expliquent largement le fait que le moustique se sente bien à proximité des zones habitées et qu'il se multiplie plus rapidement que l'ARS n'arrive à traiter ou à éradiquer les gîtes.

On ressent une vraie difficulté liée à l'absence de culture du moustique à Mayotte, d'une façon paradoxale. Les gens ont commencé à intégrer le cycle des moustiques pour ce qui concernait le paludisme. Ils savent par exemple qu'installer une moustiquaire pourrait les protéger, mais ils n'ont pas réellement les bons réflexes concernant la dengue, notamment quand ils sont eux-mêmes touchés par la maladie. L'idée qu'il faille se mettre, par exemple, du repellant chimique pour protéger ses proches pour ne pas être repiqués et ne pas faciliter le fait que le moustique se recontamine à votre contact, n'est pas quelque chose de très largement répandu.

Toute stratégie de lutte contre les moustiques doit se faire par une sorte de mobilisation générale de la société. C'est comme cela que l'on peut y arriver. On a failli y arriver à Mayotte cette année, quand le moustique a commencé à apparaître dans une des communes du nord de l'île, à Mtsamboro. La commune était fort sale, la collectivité ne s'était pas réellement mobilisée, mais le maire et son équipe, en pleine campagne municipale, ont accepté de le faire. Ils ont mobilisé les centaines de personnes pour obtenir un nettoyage général de la commune. En vain, puisque le syndicat intercommunal de collecte et de traitement des ordures ménagères, qui était censé venir ramasser les ordures, ne l'a pas fait malgré des appels répétés de l'ARS. Les habitants se sont donc découragés et le moustique est reparti de plus belle.

On voit bien que, si nous voulons être efficaces, il ne faut pas sous-traiter à l'ARS le soin de réussir une mobilisation qui suppose que, maison par maison, rue par rue, commune par commune, quartier par quartier, on ait vraiment un travail d'élimination des gîtes larvaires, de traitement des eaux stagnantes, d'enlèvement des ordures et des encombrants, sauf à répandre effectivement des insecticides de façon rituelle et régulière, avec une inefficacité patente à l'arrivée.

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