COMMISSION D'ENQUÊTE CHARGÉE D'ÉVALUER LES RECHERCHES, LA PRÉVENTION ET LES POLITIQUES PUBLIQUES À MENER CONTRE LA PROPAGATION DES MOUSTIQUES AEDES ET DES MALADIES VECTORIELLES
Lundi 8 juin 2020
La séance est ouverte à quinze heures trente-cinq.
(Présidence de M. Philippe Michel-Kleisbauer, député)
La commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles procède à l'audition, en visioconférence, du Dr Dominique Voynet, directrice générale de l'agence régionale de santé (ARS) de Mayotte et du Dr François Cheize, directeur de la veille et sécurité sanitaire, santé milieux de vie, coopération internationale, conseiller sanitaire de zone, au sein de l'Agence régionale de santé de La Réunion.
Nous entendons maintenant en audition conjointe le Dr Dominique Voynet, directrice générale de l'agence régionale de santé de Mayotte et le Dr François Cheize, directeur de la veille et sécurité sanitaire, santé milieux de vie, coopération internationale, conseiller sanitaire de zone, au sein de l'agence régionale de santé de La Réunion.
Depuis le 1er janvier, chaque département de l'Océan Indien dispose d'une ARS de plein exercice. Ils doivent faire face aujourd'hui à deux épidémies simultanées, de dengue et de Covid-19. Par ailleurs, le décret du 29 mars 2019 a doté les ARS de compétences renforcées en matière de lutte antivectorielle depuis le 1er janvier 2020.
Madame la ministre, monsieur, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d'avoir pris le temps de répondre à nos questions.
Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine ou quinzaine de minutes, qui précédera notre échange sous forme de questions et réponses.
Je vous remercie également de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite donc, Madame, Monsieur, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mme Voynet et M. Cheize prêtent serment.
Je vous remercie, vous avez la parole.
Merci pour cette occasion qui nous est donnée d'exposer la politique de lutte antivectorielle à l'ARS de Mayotte. Il aurait sans doute été plus rationnel de commencer par François Cheize qui a été directeur de la veille et de la sécurité sanitaire de l'ARS de l'océan Indien et qui a donc une vision globale tout à fait complète puisqu'il sait ce qu'il s'est passé avant le 1er janvier, date à laquelle l'ARS de Mayotte est devenue indépendante de l'ARS de La Réunion.
Mon arrivée à l'ARS a coïncidé avec le début d'une importante épidémie de dengue, la plus importante qu'ait jamais connue Mayotte. Nous avions connu une très grosse épidémie de chikungunya en 2011, des épidémies de dengue à plusieurs reprises, mais c'est la première fois que nous avons plus de 4 000 cas de dengue en quelques semaines. Ce chiffre ne rend compte que très imparfaitement de l'importance réelle de l'épidémie puisque, après quelques semaines et dans le contexte de la coexistence avec l'épidémie de Covid-19 et de la concurrence pour les tests Polymerase Chain Reaction (PCR) avec la Covid-19, nous avons cessé de diagnostiquer de façon biologique l'ensemble des cas de dengue. Nous savons néanmoins par le réseau de surveillance syndromique qu'il n'y a pas une famille de Mayotte qui ait échappé à la dengue. Je dois signaler l'existence de cas graves puisque nous avons plusieurs centaines d'hospitalisations pour dengue durant les mois de janvier à avril-mai. Seize décès sont imputés à la dengue pour ce début d'année. Pendant longtemps, on a considéré que la dengue tuait plus que la Covid‑19 à Mayotte.
Comment nous sommes-nous organisés ? Nous avons soixante-cinq agents dans notre service de lutte antivectorielle. Nous avons rajouté à ce service dix personnes, recrutées au moment où l'épidémie s'est renforcée. Il faut y ajouter des pompiers volontaires du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) et des jeunes du régiment de service militaire adapté (RSMA) qui sont en train de se former pour passer le certificat Certibiocide. Ils pourront ainsi venir en renfort dans les communes dans lesquelles l'ARS ouvre des chantiers de lutte contre les moustiques.
Le titre de votre commission d'enquête évoque la propagation des moustiques Aedes mais, sauf si vous y mettez votre veto, j'ai considéré que nous étions amenés à faire le point sur l'ensemble des maladies à propagation vectorielle. Nous avons en effet toujours une sorte de fond, à bas bruit, de paludisme qui est véhiculé par les Anopheles même si l'épidémie de dengue en cours concerne plus spécialement les Aedes.
Ce qui est intéressant dans cette période, c'est qu'une bonne partie de la population de Mayotte, qui a un assez faible niveau de formation et d'éducation, confond encore le paludisme et la dengue, n'est pas consciente du fait que ce ne sont pas les mêmes moustiques dans les mêmes écosystèmes qui transmettent ces deux maladies, que les stratégies de lutte n'appellent pas forcément les mêmes mesures.
Je voudrais vous parler de la place que prend la lutte antivectorielle dans les effectifs de l'ARS, de cette toute jeune ARS née le 1er janvier dernier : plus de 50 % des effectifs sont consacrés à la lutte antivectorielle, avec des agents qui ont connu de nombreux avatars professionnels, qui ont souvent commencé leur carrière de façon informelle, payés de la main à la main par les services de l'État dans les années 1970-1980. Ils sont passés par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS), ont parfois été agents du Département avant d'être fonctionnarisés et titularisés dans leur poste très tardivement, au cours des années 2000 ou même 2010 pour certains d'entre eux. Ces agents ont un niveau de formation initiale très bas. Beaucoup ne savent pas conduire, ce qui complique les interventions de terrain. Certains ne sont pas francophones et l'encadrement de ces agents, très nombreux, souvent très âgé, n'est pas toujours à la hauteur de ce qu'on attend d'un service de lutte antivectorielle efficace.
Nous avons l'obligation d'aller au-delà de l'exécution des tâches rituelles de la lutte antivectorielle pour avoir une approche de plus en plus stratégique, construite avec les communes, avec les intercommunalités, avec le Département, avec les services de l'État, avec les entreprises publiques ou privées qui sont sur le territoire de Mayotte.
Je ne sais pas si vous souhaitez que je détaille les actions qui sont conduites pour lutter contre le paludisme et contre la dengue, mais nous sommes confrontés à deux types de moustiques : d'un côté l'anophèle, qui vole bien, qui vole loin des maisons, qu'on rencontre dans tous les milieux humides avec de l'eau stagnante et, de l'autre, l' Aedes qui est commensal de l'être humain, qui est beaucoup dans les maisons, qui vole assez mal et que nous allons donc traquer plutôt à proximité immédiate des êtres humains.
Cela a des conséquences concrètes sur les formes de l'action. Par exemple, au moment du confinement lié au coronavirus, c'était bien plus compliqué que d'habitude d'intervenir dans les maisons où se trouvaient les personnes confinées. On ne pouvait pas réellement faire l'ensemble des actions prévues pour éliminer les gîtes larvaires et traiter éventuellement les surfaces contre le moustique en présence de personnes qui étaient confinées dans ces maisons.
Je suis prête évidemment à répondre à vos questions techniques sur le type de produit utilisé et les modalités de pulvérisation, qu'il s'agisse d'une pulvérisation à la main, de pulvérisation avec des véhicules, etc.
Ce qui me paraît très important, c'est d'insister sur le fait que nous n'avons jamais cessé d'intervenir contre la dengue pendant toute l'épidémie de coronavirus, avec un problème qui reste très présent et qui constituera une sorte de fil rouge de mon intervention : c'est que l'ARS, dans les départements d'outre-mer comme dans les départements du pourtour méditerranéen par exemple, est une agence régionale de santé.
Elle a des forces limitées en ce qui concerne les interventions de terrain. Elle ne peut pas se substituer à l'ensemble des communes ou des intercommunalités ou des acteurs publics et privés. Pourtant, on a tendance à appeler l'ARS à chaque fois que l'on voit des moustiques : « Merci de venir traiter mon jardin », « Merci de venir enlever les encombrants qui sont dans ma rue », « Merci de faire la lutte mécanique que la commune n'a pas faite ». Dans les propositions que vous pourrez être amenés à faire, j'insisterai beaucoup sur le fait que l'ARS ne peut pas se substituer aux responsabilités des collectivités locales.
À Mayotte, c'est d'abord la faillite de certaines communes qui explique que le moustique prolifère. Les gouttières ne sont jamais curées, les fossés non plus, les vieilles machines à laver, les vieilles carcasses de voitures qui s'accumulent partout expliquent largement le fait que le moustique se sente bien à proximité des zones habitées et qu'il se multiplie plus rapidement que l'ARS n'arrive à traiter ou à éradiquer les gîtes.
On ressent une vraie difficulté liée à l'absence de culture du moustique à Mayotte, d'une façon paradoxale. Les gens ont commencé à intégrer le cycle des moustiques pour ce qui concernait le paludisme. Ils savent par exemple qu'installer une moustiquaire pourrait les protéger, mais ils n'ont pas réellement les bons réflexes concernant la dengue, notamment quand ils sont eux-mêmes touchés par la maladie. L'idée qu'il faille se mettre, par exemple, du repellant chimique pour protéger ses proches pour ne pas être repiqués et ne pas faciliter le fait que le moustique se recontamine à votre contact, n'est pas quelque chose de très largement répandu.
Toute stratégie de lutte contre les moustiques doit se faire par une sorte de mobilisation générale de la société. C'est comme cela que l'on peut y arriver. On a failli y arriver à Mayotte cette année, quand le moustique a commencé à apparaître dans une des communes du nord de l'île, à Mtsamboro. La commune était fort sale, la collectivité ne s'était pas réellement mobilisée, mais le maire et son équipe, en pleine campagne municipale, ont accepté de le faire. Ils ont mobilisé les centaines de personnes pour obtenir un nettoyage général de la commune. En vain, puisque le syndicat intercommunal de collecte et de traitement des ordures ménagères, qui était censé venir ramasser les ordures, ne l'a pas fait malgré des appels répétés de l'ARS. Les habitants se sont donc découragés et le moustique est reparti de plus belle.
On voit bien que, si nous voulons être efficaces, il ne faut pas sous-traiter à l'ARS le soin de réussir une mobilisation qui suppose que, maison par maison, rue par rue, commune par commune, quartier par quartier, on ait vraiment un travail d'élimination des gîtes larvaires, de traitement des eaux stagnantes, d'enlèvement des ordures et des encombrants, sauf à répandre effectivement des insecticides de façon rituelle et régulière, avec une inefficacité patente à l'arrivée.
Si notre commission travaille principalement sur les moustiques Aedes, nul doute que notre rapporteure aura également des questions sur les anophèles.
Je pense que nous aurons à exposer beaucoup de sujets en commun avec ce que vient de faire Dominique Voynet parce que, effectivement, nous retrouvons les mêmes difficultés, peut-être pas dans les mêmes proportions.
La situation est un peu différente à La Réunion puisque le paludisme a été éradiqué. Nous avons actuellement une épidémie de dengue qui a émergé depuis la toute fin de l'année 2017. Il y a eu une première vague épidémique en 2018 avec 6 700 cas confirmés, 173 hospitalisations et 6 décès. Une seconde vague de plus grande ampleur a été observée à partir de janvier 2019, avec un pic à la mi-avril à plus de 1 600 cas confirmés par semaine, soit environ 3 800 cas cliniquement évocateurs estimés par semaine. À partir d'avril 2019, une dispersion des cas a été observée et le virus s'est progressivement répandu quasiment sur l'ensemble du territoire, après un départ épidémique essentiellement au sud et un peu à l'ouest.
Le bilan pour 2019 est donc important. L'Institut Pasteur a fait une projection qui, fort heureusement, était trois à cinq fois supérieure à ce que l'on n'a pu constater en réalité. On peut peut-être le mettre sur le compte de l'efficacité la lutte antivectorielle. Cela sera analysé ultérieurement. En 2019, il y a donc eu au total 18 000 cas confirmés et plus de 50 000 cas estimés, 1 623 hospitalisations de plus de 24 heures et 14 décès dont 9 directement liés à la dengue.
La situation se modifie entre 2018 et 2019. En effet, nous avions essentiellement à La Réunion des épidémies du sérotype de type 2 de la dengue et c'est ce sérotype qui apparaît effectivement fin 2018. Mais, à la fin de l'année 2018 et surtout au cours de l'année 2019, apparaît un sérotype de type 1. Nous nous retrouvons donc en 2019 avec deux types de dengue qui cohabitent. De plus, à la fin de l'année 2019 et en 2020, un troisième sérotype, de type 3, apparaît à l'est de l'île. Les trois sérotypes circulent en effet dans la zone.
Les projections qui avaient été faites par l'Institut Pasteur ne prenaient en compte pour 2020 que le sérotype de type 2 et ne tenaient pas compte des infections par le sérotype de type 1 qui s'est développé de façon assez massive. À ce moment, les projections montraient donc une diminution assez forte de l'épidémie, voire une vaguelette comme cela a été dit par l'Institut Pasteur qui, malheureusement, n'avait pas pris en compte l'arrivée de ce sérotype de type 1. Les choses se sont donc à nouveau aggravées et tout s'est passé comme si, en particulier dans le sud et dans l'ouest, le sérotype de type 2 était remplacé par le sérotype de type 1. Nous avons donc constaté une nouvelle montée en puissance de l'épidémie de dengue et un maintien à un niveau important au cours de cette année.
Pour vous donner une idée des intervenants et faire un parallèle avec ce que disait Dominique Voynet, durant les années 2018, 2019 et 2020, le nombre maximum d'agents sur le terrain oscille entre 160 et 200. Il diminue à 160 en 2020 et on peut comprendre les raisons pour lesquelles il a diminué en 2020. Il est important de souligner le nombre de périmètres d'intervention contrôlés pendant les années 2018, 2019 et 2020 : pour 2018, 6 200 périmètres, pour 2019, 8 400 périmètres et, pour le début de l'année 2020, 2 300 périmètres. Il s'agit du nombre de terrains sur lesquels nous intervenons. Cela fait un total de 16 960 périmètres, ce qui est un nombre assez important. Nous avons réalisé également 70 500 visites domiciliaires en 2018. En 2019, le nombre de visites est monté jusqu'à 101 000 et, en 2020, nous avons déjà fait 38 000 visites, et ce malgré la crise de Covid-19. Nous avons donc fait un nombre total de visites domiciliaires de 209 500, ce qui montre effectivement une intervention assez massive des équipes pour faire face. Cela peut expliquer le fait que les chiffres constatés sur le terrain, en tout cas pour 2019, sont plus faibles que ce qui avait été annoncé par l'Institut Pasteur.
À propos des sérotypes et des vagues épidémiques successives, nous sommes actuellement dans une situation nécessitant un peu de temps pour l'analyse. Nous pensons qu'une partie de la population qui a été fortement touchée, en particulier dans le sud et dans l'ouest, a pu s'immuniser vis-à-vis du sérotype de type 2, mais le sérotype de type 1 s'y est ensuite substitué. C'est probablement la raison pour laquelle les estimations de l'Institut Pasteur étaient plutôt optimistes pour l'année 2020. Malheureusement, le sérotype de type 1 circule aux Seychelles, à Mayotte et partout dans la zone, de même que celui de type 3, ce qui leur a permis de se diffuser sur le territoire.
En ce qui concerne les intervenants, je vous ai donné des chiffres, mais je ne vous ai pas dit qui ils étaient. Ce sont des intervenants de l'ARS – 110 agents actuellement dont 47 intérimaires – et 50 membres du SDIS qui nous accompagnent depuis le début de l'année et qui continueront à le faire. Ils ont été amenés à le faire précédemment en 2019 comme ils avaient été amenés à le faire en 2018. Nous avions même eu en 2019 le renfort du RSMA et de la sécurité civile. À ce jour, nous avons une continuité tout à fait appréciable et tout à fait efficace avec le SDIS. Les applicateurs sur le terrain constituent donc un groupe d'environ 150 personnes, qui sont soit des membres du SDIS titulaires du certificat Certibiocide et peuvent donc intervenir, soit des agents de l'ARS, soit des intérimaires qui ont été formés.
Je voudrais aussi souligner le fait que les études qui sont menées pour apprécier l'efficacité des actions ont montré que, dans 70 % des cas, il n'y a pas eu de cas secondaires de dengue dans les périmètres, dans les quarante jours qui suivent une intervention effective à pied des agents de la lutte antivectorielle (LAV). Je pense que c'est un élément important, surtout si on le compare à un autre 70 %, correspondant à l'apparition de cas secondaires lorsque les agents de la LAV n'ont pas pu intervenir. C'est un des éléments qui nous amène à répondre positivement à la demande de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) pour pouvoir analyser de façon plus fine l'efficacité de la lutte antivectorielle. Les résultats militent en faveur de l'efficacité, mais encore faut-il que nous puissions aller plus en finesse. Pour l'instant, en ce qui concerne l'intervention de la LAV et particulièrement les interventions à pied, ces résultats préliminaires sont en faveur des réponses qui sont apportées actuellement à l'épidémie qui est multiple du fait du nombre de sérotypes différents.
En tout état de cause, le sujet qui nous pose le plus de problèmes, c'est le peu d'implication ou l'insuffisance d'implication, peut-être moins criante qu'à Mayotte, des maires et des intercommunalités dans leurs missions de police sanitaire. Ces missions sont prévues, elles sont rappelées chaque année par des arrêtés par les préfets. Il s'agit d'agir pour renforcer l'entretien des sites, renforcer la propreté urbaine, renforcer l'entretien des bâtiments, intervenir dans le domaine privé en cas de refus ou d'absence du propriétaire. Ce sont des éléments qui sont très difficiles à faire passer malgré une action très coordonnée entre la lutte antivectorielle bien sûr, le SDIS et la préfecture.
J'ai oublié de le dire, nous sommes au niveau 3 du plan ORSEC, sous l'autorité du préfet, avec un soutien très fort de la part de la préfecture.
Malgré ces soutiens, malgré ces rappels réguliers, de la part à la fois de la préfecture et de l'ARS, auprès de l'intercommunalité et auprès des mairies, il y a effectivement peu d'interventions de leur part sur les sujets qui devraient être tout à fait prioritaires.
On ne peut pas comparer ce que doivent faire les applicateurs sur le terrain, qui sont, comme nous l'avons dit, 150 répartis sur l'ensemble de l'île et ce que doit faire l'ensemble d'entre nous, la population, les mairies, parfois les intercommunalités, pour nettoyer, pour enlever les gîtes larvaires et pour rendre la situation saine comme elle devrait l'être.
Je rebondis sur ce que nous a indiqué Mme Voynet concernant les difficultés du territoire de Mayotte par rapport à la prise en charge de cette lutte par les maires qui disposent en premier lieu des pouvoirs de police mais qui, force est de le constater, ne veulent pas ou ne comprennent pas ou ne peuvent pas assumer leur rôle, ce qui fait que la dengue a pu sévir sévèrement dans nos territoires.
Pourriez-vous nous présenter les actions de lutte antivectorielle menées par l'ARS ? Les épidémies de dengue en cours ont-elles conduit à la mise en place de plans spécifiques de prévention de crise en matière de lutte antivectorielle ?
Je vais me concentrer sur la dengue, tout en sachant évidemment que nous avons en même temps des cas de paludisme.
Nous avons concentré notre action en matière de paludisme, outre les études et les enquêtes épidémiologiques et entomologiques autour des cas, sur la distribution de moustiquaires imprégnées d'insecticide, notamment au contact des cas avérés, mais aussi chez les femmes enceintes. Nous avons pu, avec des fins de crédits de l'année dernière, acheter suffisamment de moustiquaires imprégnées pour rééquiper l'ensemble des femmes enceintes de l'île, la dernière distribution généralisée de moustiquaires datant déjà de 2011. Ce ne sont pas les mêmes insecticides qui sont utilisés pour lutter contre le paludisme mais, dans ce contexte de l'épidémie de dengue, nous n'avons pas du tout utilisé d'insecticide pour lutter contre le paludisme. Nous nous sommes contenté des moustiquaires, de l'information et de la surveillance entomologique.
Pour ce qui concerne la lutte contre la dengue, nous faisons bien sûr des enquêtes épidémiologiques et entomologiques autour des cas, l'éradication des gîtes larvaires soit directement par les agents de lutte antivectorielle soit par le biais d'une sensibilisation, d'une formation d'agents communaux, de membres d'associations, d'enseignants. Nous avons vu par exemple qu'il y avait énormément de cas de dengue dans les villages autour des personnes âgées. Les centres communaux d'action sociale (CCAS), les associations… ont été mobilisés, cette action s'inscrivant dans le cadre de notre volonté d'installer à Mayotte un réseau de santé communautaire pour aller au plus près du terrain.
La sensibilisation des habitants en porte-à-porte permet de dire des choses précises sur l'écologie du moustique, sur la différence qu'il peut y avoir entre le paludisme et la dengue. Cela a permis aussi d'expliquer à beaucoup d'habitants que le coronavirus, contrairement à ce qu'ils pensaient, n'est pas véhiculé par le moustique.
La pulvérisation d'insecticides en extérieur a évolué avec le coronavirus. Nous privilégions le travail à pied avec des petites équipes qui vont vraiment au plus près des habitants, qui ne pulvérisent jamais pour solde de tout compte mais qui acceptent de pulvériser quand le travail préalable de sensibilisation, d'éradication des gîtes, de traitement des eaux stagnantes a été fait.
Ce travail se fait dans un rayon de 50 mètres autour des maisons hors épidémie. Pendant l'épidémie de coronavirus, nous avons été amenés à faire évoluer notre dispositif en privilégiant, dans les endroits les plus fortement infestés par les moustiques, des épandages d'insecticides par pulvérisateur monté sur un véhicule dans certains villages où c'était évidemment difficile d'intervenir au plus près des habitants. C'était une façon de protéger nos agents. C'était aussi une façon de protéger les habitants eux-mêmes de nos agents. Cela nous a amenés à travailler de nuit. Nos équipes travaillaient à partir de deux ou trois heures du matin jusqu'au petit jour pour éviter d'épandre des insecticides trop près des habitants et à un moment où ceux-ci pouvaient éventuellement être sortis de leur maison.
Nous avons traité de façon plus systématique les établissements scolaires, les établissements médico-sociaux, les sites recevant du public, la zone de l'aéroport qui est toujours un site très impacté par le moustique.
Je terminerai par le travail de sensibilisation des habitants. On peut détailler tout le travail qui a été fait avec un souci particulier en porte-à-porte, mais aussi des campagnes d'information – au-delà de ce que j'ai décrit tout à l'heure via les associations ou les écoles – dans les principaux médias et dans les trois langues utilisées à Mayotte, le shimaoré, le shibushi et le français.
Pour La Réunion, je vais souligner les actions qui sont menées lors des campagnes de sensibilisation. La mobilisation sociale vise à encourager l'adoption par le plus grand nombre de comportements individuels protecteurs, dont trois fondamentaux. L'essentiel est d'avoir des messages relativement simples mais qui sont répétés à l'envi. Ce qui a bien montré au départ la nécessité de répéter des messages dont nous avons dû limiter le nombre, c'est que nous avions besoin d'être plus en lien avec la population et, également, de faire intervenir d'autres acteurs que ceux de la lutte antivectorielle.
Ces trois messages sont :
– prévenir et limiter les conditions propices au développement de moustiques ;
– se protéger contre les piqûres de moustiques, y compris lors des voyages ;
– consulter son médecin en cas de signes évocateurs de maladies vectorielles.
La situation peut paraître simple mais, d'une certaine façon, a eu du mal à être bien perçue au départ de l'épidémie : la dengue est considérée, probablement en comparaison avec le chikungunya, comme une maladie bénigne, une « grippette » comme il a été dit à l'époque. Malheureusement, les décès qui se sont produits par la suite et les cas graves ont montré le contraire.
Il a fallu intervenir, simplifier le contenu des messages, aller vers des publics cibles plus à risque, en s'appuyant sur des relais d'opinion, à la fois des relais d'opinion très populaires et des relais d'opinion associatifs. Plus de 500 actions ont été menées chaque année, avec la réalisation et la mise à disposition de support d'information, l'animation d'un réseau de partenaires relais, des interventions programmées auprès des publics cibles, dans les écoles, dans les diverses associations professionnelles et l'organisation, dans les médias, de campagnes de communication. Nous avons réussi à faire, depuis le début de l'année 2018, près de neuf campagnes de communication complètes qui ont été menées avec un budget conséquent. Ces campagnes allaient du contact direct avec la population, ce que fait déjà la lutte antivectorielle, à des supports médias digitaux et des campagnes télévisées, à la radio, dans les journaux ou avec des affiches. Ces campagnes de sensibilisation ont été faites avec une mobilisation des associations notamment, et avec l'aide de la préfecture.
Mme Annelise Tran nous a présenté lors de son audition les outils de modélisation des populations d' Aedes albopictus, AlboRun et Arbocarto, et nous a indiqué que ces modèles avaient été développés par l'ARS de l'océan Indien. Où en est l'utilisation de ces outils par vos services ? S'avèrent-ils efficaces ?
L'ARS de Mayotte n'a reçu qu'il y a deux semaines l'outil Arbocarto qui nous a été envoyé par la direction générale de la santé (DGS). Les équipes sont en train de regarder comment elles vont l'utiliser. Elles l'attendaient avec impatience.
L'objectif de cette modélisation est la surveillance épidémiologique en fonction de la distribution spatiale et temporelle des gîtes productifs. L'outil mis en place par Mme Annelise Tran est un outil de modélisation qui nous permet d'avoir une idée du nombre et de la densité de moustiques dans les différentes zones. Il a été développé en lien avec le centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et l'institut de recherche pour le développement (IRD).
C'est un outil de prédiction des densités vectorielles en fonction des conditions météorologiques, de la pluviométrie et de la température. Il nous permet d'orienter nos actions et de les anticiper, en fonction des densités de moustiques. C'est un outil réellement efficace que nous utilisons régulièrement parce qu'il nous est précieux en permanence. On ne peut que se féliciter de cette action commune CIRAD-IRD et des données que nous avons pu transmettre en termes de surveillance entomologique et de distribution spatiale et temporelle.
Certaines campagnes de lutte contre les moustiques font l'objet de recours administratifs de la part d'associations, notamment pour insuffisance de l'évaluation des incidences Natura 2000. Comment intégrez-vous ces critiques ? Avez-vous des liens avec le monde associatif ?
J'imagine que les campagnes de lutte contre le paludisme exposent beaucoup plus les ARS à des recours de la part d'associations de protection de l'environnement, puisque l'on est amené dans ces situations à traiter des zones humides particulièrement fragiles, ce qui n'est pas le cas avec la dengue.
Nous avons vraiment traité de façon ciblée, nous continuons à le faire de façon ciblée, à proximité des habitations, dans les lieux où nous éradiquons les gîtes et où nous sommes confrontés à des quantités importantes de moustiques. Nous avons actuellement plus de plaintes d'associations qui considèrent que nous ne traitons qu'avec trop de scrupules que de recours d'associations pour insuffisance d'évaluation des incidences au titre de Natura 2000. À vrai dire, nous n'avons pas retrouvé trace de plainte associative ou de recours pour ce motif à Mayotte.
En ce qui concerne les recours, notamment en zone Natura 2000, l'écologie particulière d' Aedes albopictus n'est pas propice à l'intervention sur des zones qui ne sont pas urbaines. Les interventions par insecticides sont réalisées uniquement en zone urbaine, autour des lieux de fréquentation des malades, avec bien sûr des précautions pour limiter autant que possible l'impact sur l'environnement. Les produits insecticides sont appliqués à ultra bas volume, avec des dosages 15 à 20 fois moins importants que les doses utilisées en usage agricole. Ils ne sont utilisés dans les zones d'espaces protégés ou naturels, à proximité de ruchers ou de bassins à poissons qu'en lien avec les associations et les personnes qui sont directement concernées.
L'ARS a développé au fil du temps des relations avec plusieurs acteurs de la protection de l'environnement, avec des associations de protection des espèces patrimoniales, avec les filières agricoles. Ceux-ci sont informés des opérations de traitement dans le cadre de la gestion de l'épidémie de dengue et peuvent contribuer à l'évaluation des dispositifs.
À titre d'exemple, pour limiter le risque pour les abeilles, les apiculteurs sont invités depuis de nombreuses années à déclarer leur rucher à l'ARS au moyen d'un numéro vert. Plus de 800 ruchers sont connus de l'ARS et il y a une zone d'exclusion de traitement d'un rayon de 125 mètres autour des ruchers lors des traitements nocturnes. De même, pour la protection du gecko de Manapany, nous sommes en relation avec les associations de protection des espèces patrimoniales et les filières agricoles.
Nous avons eu, bien sûr, des plaintes sur des interventions, mais quand on les analyse de façon un peu formelle, en particulier pour ce qui concernait les problèmes de ruchers, c'était lié à l'épidémie de varroa qui a touché récemment La Réunion. Comme vous le savez, le moustique tigre a une distance de vol qui ne dépasse pas les 100 mètres. Généralement, les ruchers, par rapport au lieu d'intervention des équipes du SDIS ou de la LAV, étaient à plus de 1 000 mètres.
Tout cela est piloté par un groupe issu à la fois du milieu associatif et de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), donc par des gens indépendants de nous pour s'assurer que nous appliquons effectivement des pratiques de protection de la nature.
Le décret du 29 mars 2019 confie aux ARS de nombreuses compétences en matière de démoustication, notamment en matière de surveillance des vecteurs et de lutte antivectorielle, à rebours du transfert de compétences vers le département opéré en 2004. L'essentiel de ces dispositions est entré en vigueur le 1er janvier 2020 comme vous l'avez souligné l'une et l'autre. En dépit de ce temps d'application encore réduit, quel regard portez-vous à ce stade sur cette recentralisation ?
Pour ce qui concerne Mayotte, nous ne sommes pas réellement face à une recentralisation puisque la délégation de l'ARS océan Indien avant le 31 décembre 2019 puis l'ARS de Mayotte depuis le 1er janvier 2020 ont toujours assuré cette compétence de la lutte antivectorielle. Il n'y a donc pas eu de changement en raison du décret du 29 mars 2019.
Nous serons peut-être amenés à y revenir tout à l'heure : nous nous posons beaucoup de questions sur la nécessité d'articuler un service de lutte antivectorielle dépendant de l'ARS avec des fonctions stratégiques, territoriales, d'observation épidémiologique et entomologique, mais qui pourrait être coordonné avec les services intervenant davantage aux côtés des communes, un service tel que d'ailleurs l'ARS de La Réunion a pu en connaître. En tout cas, ce n'est pas le décret qui aurait provoqué une évolution du mode d'intervention de l'ARS et de ses compétences.
Comme le dit Dominique Voynet, cette recentralisation n'a eu aucune conséquence à La Réunion puisque la décentralisation de 2004 n'a jamais été opérée dans les faits. La lutte antivectorielle, pendant et à l'issue de la crise du chikungunya en 2006, a continué à être assurée par l'État via la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) d'abord, puis via l'agence régionale de l'hospitalisation (ARH) et ensuite l'ARS.
Ce défaut de mise en œuvre de la décentralisation a tenté – et je dis bien « a tenté » – d'être compensé pour partie par la mise en place en 2006 d'un groupement d'intérêt public (GIP) regroupant l'État et les collectivités locales. Mais, là encore – je suis peut-être un peu moins optimiste que Dominique Voynet – on voit que cette démarche n'a pas réellement abouti. Les collectivités se réunissent, certes, mais qui dit GIP dit fonds d'intervention de ces collectivités. Or, à ce jour, lorsque l'on réunit ce GIP, c'est le préfet qui le réunit avec l'ARS pour donner des informations, mais cette instance n'a pas de fonction réelle, ni sur le terrain, ni sur la mise en place de la modernisation de la lutte antivectorielle.
Mayotte et La Réunion ont dû gérer en même temps l'épidémie de dengue et celle de Covid-19, et même le paludisme en ce qui concerne Mayotte. Ces deux agences disposaient-elles de suffisamment de compétences humaines et techniques pour répondre à ces deux défis ? Je repose la question, même si vous nous avez donné les chiffres. Pour ce qui est de La Réunion, j'ai compris qu'il y avait 150 agents et à Mayotte 65 agents plus des renforts. Je voudrais savoir, en termes de moyens humains, ce qu'il vous faudrait.
Je vais aller un peu de l'avant et essayer de voir comment on pourrait être plus efficace.
Nous avons donc 65 agents de lutte antivectorielle dans nos effectifs théoriques. J'ai recruté avec l'accord du ministère de la Santé, au début de l'épidémie, dix agents supplémentaires, avec une autorisation exceptionnelle d'aller au-delà de mon plafond d'emploi compte tenu d'une situation tout à fait particulière à Mayotte : nombre d'agents de la LAV sont très âgés. Certains agents ont avoué un âge civil inférieur à leur âge biologique réel au moment où s'est posée la question de leur accès à l'école car ils souhaitaient apprendre à lire et à écrire. Leur âge théorique n'est donc pas leur âge biologique et ils se retrouvent aujourd'hui très âgés, très fragiles. Nous avons dû mettre en arrêt exceptionnel et en autorisation exceptionnelle d'absence, au moment du début de la crise de la Covid-19, 13 agents dont nous pensions qu'ils étaient trop fragiles pour continuer à aller au contact du public et être exposés éventuellement au virus.
Nous avons donc embauché dix personnes supplémentaires, et, comme à La Réunion et comme François Cheize vient de le décrire, nous avons reçu une aide tout à fait appréciable des pompiers volontaires du SDIS et du RSMA également. Toutefois, je pense que nous ne pouvons pas porter, tous les jours de l'année, des effectifs aussi lourds qu'il serait nécessaire de le faire pour être en mesure de relever le défi d'une épidémie comme celle que nous venons de vivre.
Je suis en train de travailler avec mes équipes sur des hypothèses alternatives : un service de la LAV qui serait dimensionné comme il l'est aujourd'hui mais avec des agents qui seraient positionnés de façon plus stratégique en formateurs, en formateurs de formateurs, en sensibilisation, en conseil, en appui aux collectivités et, éventuellement, la mise en place d'une association départementale pour la lutte antivectorielle ou d'entreprises privées.
Nous sommes finalement dans une situation étrange où on demande aux collectivités de relever le défi pour ce qui concerne les rats, les punaises de lit, etc. mais, pour ce qui concerne le moustique, on sous-traite totalement à l'État.
Je souhaite qu'on puisse avoir un rôle fort de l'ARS mais que les communes puissent avoir recours aussi à des partenaires privés ou à des partenaires associatifs, en complément de l'action de l'ARS, parce que je ne pense pas que ce soit le rôle des agents de l'ARS. L'ARS est positionnée de façon stratégique sur des compétences qui sont des compétences d'appui et de conseil surtout. Je souhaite qu'elle puisse garder et même renforcer ce rôle.
Il faut mettre en retraite des agents les plus fragiles et les plus usés par un travail qui est très pénible et très dur. Ils portent des pulvérisateurs qui contiennent 10, 15 ou 20 litres de produit, en étant équipés parfois d'une combinaison de cosmonaute, de masques, de filtres, etc. C'est un travail très pénible, très difficile. Je pense que le travail de l'ARS devrait être relayé et complété par des partenaires publics ou privés, associatifs ou entreprises.
Concernant La Réunion, nous avons également cette évolution, moins forte certes, d'un vieillissement de la population des membres de la lutte antivectorielle, avec un certain nombre de personnes qui ont des contre-indications. Ces contre-indications ont été très présentes et le sont encore d'ailleurs pendant la période de la Covid-19. Nous sommes effectivement dans une logique où les réflexions sur l'évolution de la lutte antivectorielle sont tout à fait d'actualité.
En ce qui concerne la question plus précise de la continuité de la lutte antivectorielle contre la dengue pendant la période du confinement, la situation a permis de maintenir une activité dans un cadre sécurisé, avec des protocoles de services adaptés. Cela va du maintien de la distance à la limitation du nombre d'agents, avec des horaires échelonnés, la limitation au maximum de l'interchangeabilité du matériel, des gens en quinconce dans les véhicules, etc. Cela a permis fort heureusement de maintenir l'activité même s'il y a eu une semaine ou une semaine et demie de battement.
Nous avons, avec l'ensemble de l'encadrement de la lutte antivectorielle, rencontré les équipes de l'ARS ainsi que les équipes du SDIS par petits groupes pour les mobiliser. Je ne vous cacherai pas que, à un moment donné, il a fallu être persuasif par rapport aux risques que cela pouvait éventuellement générer. Il y a eu une période de battement mais tout le monde a repris son activité avec les mesures qui permettaient de se protéger et d'aller au contact à distance aussi des personnes qui étaient amenées à ouvrir leur maison, sur tous les lieux où ils devaient intervenir.
D'autre part, je voudrais souligner que l'ANSES, avec qui nous avons pu communiquer en plein milieu de l'épidémie de Covid-19, a remis un rapport qui date du 7 mai, que vous avez sans doute eu, relatif aux bénéfices et risques des pratiques de lutte antivectorielle. Cet avis récent souligne la balance bénéfices-risques de l'action de la LAV dans le contexte de la Covid‑19. Il n'a pas émis de réserve sur les pratiques déclarées par l'ARS de La Réunion et n'a pas émis de demande d'ajustement de ces pratiques. Nous serons toujours particulièrement vigilants dans des situations analogues, mais l'appui de l'ANSES est un élément important pour sécuriser l'ensemble des agents et nous sécuriser dans les actions que nous avons mises en place.
Le décret du 29 mars 2019 toujours octroie des prérogatives nouvelles aux maires, même si nous avons bien compris qu'à La Réunion – c'est un peu mieux à Mayotte – les maires n'ont pas vraiment compris que lutter contre les moustiques faisait partie de leurs prérogatives. Le maire peut ainsi prescrire aux propriétaires de terrains comportant des mares ou des fossés à eau stagnante au voisinage d'habitations de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour lutter contre le développement des moustiques vecteurs. Il peut également désigner un référent technique chargé de ces questions. Dans quelle mesure vos relations avec les maires ont-elles évolué ou sont-elles amenées à évoluer à la suite de ces nouvelles dispositions ?
Je vais peut-être rappeler la genèse de l'ARS. Jusqu'au 1er janvier 2020, je pense que les relations entre l'ARS et les communes étaient assez peu développées. Je me suis employée à renforcer ces relations avec les maires et avec les élus, avec la difficulté évidemment liée au fait qu'ils étaient en campagne pour les élections municipales et ont eu, pour certains d'entre eux, du mal à se projeter dans les mois ou années à venir avec les directeurs généraux des services (DGS) et les services.
Je considère personnellement que les DGS, les directeurs, les chefs de service et les agents des communes sont des relais naturels de la lutte antivectorielle et que nous devons les former, les mobiliser, les sensibiliser et les accompagner dans les actions de terrain qui sont conduites par les communes et par les CCAS. C'est une organisation toute récente à Mayotte, où le département date seulement de 2011 et où beaucoup de communes se sont dotées de CCAS dans les années qui viennent de s'écouler. L'idée d'intervenir plus particulièrement pour protéger des personnes vulnérables, des personnes âgées et des personnes isolées nous a conduits à privilégier ces contacts avec les CCAS dans la perspective de la construction du réseau de santé communautaire que j'évoquais.
Certains maires sont très sensibilisés à la question mais se sentent un peu démunis. La compétence du ramassage des déchets et de l'élimination des déchets a été confiée à des syndicats intercommunaux et c'est un euphémisme d'affirmer que ces syndicats ne fonctionnent pas très bien. Quiconque vient à Mayotte en ce moment serait choqué de voir que, depuis la fin de la saison des pluies et depuis le confinement, nous avons énormément de déchets partout, en dépit des efforts qui ont été déployés par l'ARS et la DREAL avec la préfecture et certaines communes pour ramasser les encombrants. Un site a été ouvert sur une ancienne décharge pour permettre de collecter à distance des habitations, en dehors des communes donc, des volumes absolument considérables d'encombrants qui sont abandonnés d'habitude dans les rues.
J'espère pouvoir, à l'occasion du deuxième tour des élections municipales, prendre langue avec les nouveaux élus, les convaincre de la nécessité de travailler ensemble, d'anticiper avant la prochaine saison des pluies. Le fait que l'épidémie de dengue soit actuellement en train de refluer fortement ne doit pas nous rassurer exagérément. Nous devons être prêts, avec un kit de mobilisation des communes adapté aux territoires.
Dans ce contexte, le logiciel Arbocarto qui a été décrit tout à l'heure doit nous aider à anticiper et à voir où sont les sites sur lesquels le moustique se plaît, se reproduit et risque de revenir dès les prochaines pluies.
Vous avez évoqué, madame, le fait que les communes étaient fortement mobilisées pour certaines d'entre elles. Ce que je constate personnellement, c'est que beaucoup de maires n'osent pas prescrire aux propriétaires des terrains les mesures d'entretien de leurs mares ou de leurs fossés. On risque d'être dans un système où ou le serpent se mord la queue parce que, en proposant que l'intervention du maire soit limitée à une simple obligation de signalement des situations à risque à l'ARS, l'ARS va se retrouver en situation de dire au maire : « Mon ami, voilà une responsabilité qui vous incombe au titre de la police sanitaire. »
Nous signaler le problème alors que nous n'avons pas l'autorité pour agir ne résout pas le problème. C'est ce qu'a très bien montré finalement la mise en œuvre du plan d'organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles (ORSAN) pour les arboviroses à Mayotte. Si le préfet ne met pas en demeure les maires de faire, ils ne font pas. Ce qu'on doit obtenir, c'est que les maires soient désormais convaincus que c'est une part importante de leurs responsabilités, comme pour d'autres nuisibles sur lesquels ils peuvent être parfois un peu plus actifs.
Je complète puisque je suis totalement en phase avec Dominique Voynet sur ce sujet.
Effectivement, le code général des collectivités territoriales comporte des obligations de police sanitaire pour les maires. Madame la rapporteure, vous avez souligné que le décret du 29 mars 2019 mettait en lumière les prérogatives nouvelles du maire : informer la population, mettre en place un programme de repérage dans les zones urbanisées, intégrer au sein d'un plan communal de sauvegarde un volet relatif à la lutte antivectorielle en cas d'épidémie des maladies vectorielles en déclinant le dispositif départemental d'organisation de réponse de la sécurité civile (ORSEC), lutter contre l'insalubrité…
On sait qu'il y a des difficultés. Je devrais modérer mon propos en disant que, lors de l'épidémie de Covid-19, nous avons eu régulièrement, tous les 15 jours, des consultations avec les maires ou leurs représentants. Ces réunions ont montré qu'un certain nombre de maires étaient à nouveau mobilisés et mobilisables sur le sujet.
Le problème est que le texte, si je peux me permettre, nous pose un problème. Si je reprends le texte du 29 mars 2019, il n'est pas écrit « le maire doit » mais « le maire peut décliner ces dispositions ». Cette différence sémantique pose obligatoirement un problème et il est peut-être dommage de ne pas aller jusqu'au bout d'un texte qui aurait apporté énormément pour une lutte commune avec l'ensemble des intervenants sur l'île.
Les missions de police en matière de salubrité publique ont historiquement fait l'objet d'une attribution générale aux maires. Celle-ci a toutefois été concurrencée au fur et à mesure de l'expansion de la diffusion des enjeux de santé publique par les attributions des agences régionales de santé de manière générale.
En matière de lutte antivectorielle, tout l'enjeu de ces textes a été de définir la bonne articulation entre l'acteur qui fonde sa compétence sur la proximité de son action, le maire, et celui qui la fonde sur la spécialité de sa mission, l'ARS. Le Sénat propose que l'intervention du maire en la matière soit limitée à une simple obligation de signalement de toute situation suspecte, l'essentiel des mesures préventives et répressives devant relever de la compétence de l'ARS. Que pensez-vous de la répartition des compétences entre communes, départements et État, préfets et ARS par la proposition de loi relative à la sécurité sanitaire adoptée par le Sénat ?
Voilà qui est difficile pour nous. Comment dire aux sénateurs que leur proposition ne nous convient pas ? En fait, je voudrais dire deux choses.
La première concerne la situation de Mayotte qui est totalement différente de celle de la quasi-totalité des autres régions métropolitaines ou d'outre-mer. Pourquoi ? Parce que Mayotte, c'est tout petit. L'ARS de Mayotte travaille avec seulement 17 communes, 5 intercommunalités, un seul conseil départemental pour 300 000 habitants. C'est donc assez facile pour l'ARS, à Mayotte, de territorialiser son action, de savoir exactement ce qui se passe sur le terrain, de connaître individuellement chaque maire, chaque DGS et pratiquement de se faire une idée de la crédibilité des associations qui travaillent sur le terrain. J'imagine que c'est très différent quand vous êtes le directeur général de l'ARS de Provence-Alpes-Côte d'Azur ou de l'ARS Occitanie.
Nous sommes donc confrontés ici de plein fouet à cette situation étrange qui conduit d'ailleurs les ARS à subir des pages entières de critiques dans Le Canard Enchaîné de cette semaine. Qu'est-ce qu'il se passe ? On crée une agence régionale de santé avec des délégations départementales qui sont réduites à leur plus simple expression. Pour de nombreux de départements, le délégué départemental est le seul bras armé, je dirais, du ministère de la Santé sur le territoire. Il est souvent seul. Vous imaginez donc bien que la territorialisation des politiques, le dialogue avec les maires, n'a rien de commun. Comment reprocher aux ARS qui ne sont pas dotées de services territoriaux de ne pas être assez présentes sur le terrain ?
Nous sommes dans une situation étrange où le maire, qui a des services municipaux, qui connaît parfaitement les situations, qui sait où sont les endroits qui posent problème, se verrait invité à simplement signaler les situations à risque à l'ARS, qui est parfois localisée à 200 kilomètres de distance et qui n'a pas les services territoriaux pour agir.
Soit on territorialise l'action de l'ARS, ce qui me paraît nécessaire – après tout, l'agriculture, l'équipement, etc. ont toujours eu des services départementaux – soit on repositionne l'ARS sur son rôle de concepteur de politiques publiques, de stratège, d'accompagnateur, d'appui des collectivités, ce qu'avait souhaité le législateur. Mais on ne peut pas convenir que l'ARS, informée de tous les dysfonctionnements sur un territoire qui couvre parfois dix ou onze départements, va pouvoir mettre en demeure chaque propriétaire ou chaque entreprise sur les dysfonctionnements constatés.
Je pense personnellement qu'une partie du travail devrait être au contraire de responsabiliser les maires et de leur donner la boîte à outils pour la prévention, pour l'intervention de terrain, avec de la formation de leurs agents, avec de la conception de documents adaptés à leur territoire, l'actualisation des cartes et la mutualisation des informations de façon à leur permettre de savoir exactement où sont les moustiques et les cas de dengue par exemple. C'est le dialogue avec les maires qui me paraît important, ce n'est pas que les maires se défaussent sur les ARS qui sont parfois beaucoup trop loin de la réalité de terrain et qui n'ont pas les moyens d'intervenir.
Encore une fois, je soutiens totalement ce qu'a dit François Cheize tout à l'heure sur le contenu du décret. Si l'on admet que les questions de santé, de sécurité sanitaire sont largement aussi importantes que d'autres politiques confiées aux maires, le maire doit empoigner ce sujet et non peut l'empoigner s'il le désire.
Je suis encore totalement en phase avec Dominique Voynet.
Malgré tout, c'est une véritable interrogation pour nous. Limiter l'intervention du maire à une simple obligation de signalement de toute situation suspecte est pour le moins surprenant, pour ne pas dire pire. De toute façon, c'est délétère.
L'action première essentielle de la lutte antivectorielle est la prévention et la lutte contre les gîtes larvaires au titre des pouvoirs de police sanitaire du maire en matière de salubrité publique, prévus dans le code général des collectivités territoriales. C'est par cette action de proximité, au plus près des administrés, de la population, de l'ensemble des intervenants, par une action comprenant sensibilisation et répression, que la LAV peut être réellement efficace. L'action du maire, couplée aux interventions de l'ARS autour des cas déclarés par le système de surveillance, représente une forme de lutte intégrée essentielle qui ne peut pas être portée, faute de moyens, uniquement par l'une ou l'autre des parties individuelles et qui représente un tout indivisible, j'insiste bien sur « indivisible ». C'est évident que l'ARS ne va pas intervenir sur les déchets, sur la salubrité. Ce n'est pas son rôle. Je le répète, c'est réellement un tout indivisible et les actions doivent donc être menées ensemble.
Comme vous le savez, au terme de nos auditions, nous faisons un rapport et nous devons faire des propositions. Nous avons bien entendu que si le peut pouvait être changé en doit, ce serait nettement mieux.
L'article 2 de l'arrêté du 23 juillet 2019 prévoit que l'ARS établit un programme annuel de surveillance entomologique en concertation avec les préfets et les collectivités territoriales. Comment avez-vous mis au point ce programme ? Pouvez-vous nous en présenter les grandes lignes ?
L'ARS assure la surveillance entomologique. Je pense que François Cheize pourra détailler car il coordonnait cette surveillance entomologique pour les deux territoires l'année dernière. Je n'ai personnellement pas encore eu l'occasion cette année de m'y intéresser.
Je sais que nous y travaillons chaque année et que ce n'est pas en coordination avec les préfets ou les collectivités. C'est un travail qui est fait par l'ARS et qui, à ce jour, n'a pas réellement intéressé les autres partenaires du programme. Établir ces discussions fait partie des projets de l'ARS.
Effectivement, cela s'est mis en place en même temps que la création des GIP LAV. C'est un élément positif de cette création, que ce soit à Mayotte ou à La Réunion. Les résultats des suivis entomologiques de l'ARS sont communiqués au préfet et aux collectivités. Cette instance s'est réunie, à titre d'exemple pour La Réunion, sept fois depuis 2017 et a permis de mettre en place une plateforme riche d'échanges.
En termes de surveillance entomologique, nous pouvons dire qu'elle est menée de longue date des services de la LAV. Elle est dotée d'un entomologiste à temps plein depuis sa création.
Concrètement, notre service est doté d'un laboratoire qui mène les activités suivantes : d'abord, une activité de surveillance des sensibilités des populations adultes d' Aedes albopictus à la deltaméthrine. Le moustique est décrit, comme vous le savez peut-être, depuis 1913 sur l'île de La Réunion et un protocole de service établit des tests comparatifs de sensibilité entre des populations particulièrement exposées au traitement durant les trois dernières années au cœur des foyers actifs et d'autres populations très peu exposées dans les hauteurs de l'île. Les données indiquent que, en moyenne, 80 % des moustiques testés sont sensibles à la deltaméthrine et de nouveaux résultats de tests sont attendus pour la fin de l'année. Ils auraient dû arriver auparavant, mais la crise de la Covid-19 ne l'a pas permis. J'insiste sur le fait qu'on parle de 80 % des moustiques testés en 2018. En 2017, nous avions une efficacité de 90 %. Manifestement, il y a un véritable sujet à suivre et c'est l'intérêt de cette plate-forme.
Nous surveillons aussi la présence d' Aedes aegypti qui est présent sur l'île, dans des secteurs déjà bien identifiés à l'ouest et au sud de l'île. Ce qui est plus inquiétant probablement, c'est la surveillance d' Anopheles arabiensis qui est le vecteur du paludisme. Il était très présent à La Réunion à une époque et nous sommes particulièrement vigilants. Des poches de présence de cette espèce ont été décrites et cartographiées au fur et à mesure des prospections menées par les services durant les dix dernières années. Son gîte est périurbain, naturel, ensoleillé.
Une fois par an, un inventaire des espèces capturées est réalisé avec le concours de l'IRD, ce qui permet d'identifier de nouvelles espèces sur l'île, en plus des 12 espèces déjà connues. Je pense que c'est une structure particulièrement efficace et sur laquelle, effectivement, nous devons travailler en commun. Nous le ferons bien sûr avec plaisir et même avec enthousiasme avec Mayotte.
Vous avez anticipé sur la question que j'avais prévue pour savoir comment vous travaillez ensemble.
Concernant les gîtes larvaires dans le bâti et les normes en matière d'urbanisme, d'après vos observations, quels types d'installations posent-ils le plus de problèmes ? Les normes de construction sont-elles adaptées selon vous ? Faut-il imaginer des normes de construction et des normes d'entretien afin d'éviter la création de gîtes larvaires ? Qui pourrait avoir la charge du contrôle et de la police en matière de lutte contre les gîtes larvaires, avec quelle répression envisageable ?
Vous connaissez parfaitement le tissu urbain et social de Mayotte et vous savez donc qu'il est fort difficile de parler de normes de construction à Mayotte avec 30 à 40 % d'habitat informel, précaire, constitué de planches et de tôles avec des soubassements en pneus.
C'est quand même très compliqué d'expliquer à des personnes qui n'ont pas accès à l'eau courante, qui stockent de l'eau dans des bidons, dans des récipients parfois ouverts à l'air, dans de vieux réfrigérateurs ouverts par exemple, que c'est un gîte larvaire.
Évidemment, nous savons tous que les gouttières et les fossés non curés posent problème. Mais à Mayotte, c'est la précarité, c'est le tissu urbain dégradé, c'est la faible compréhension des causes des maladies vectorielles, c'est le manque d'accès à l'eau potable et à l'eau courante qui génèrent des situations propices à la prolifération des gîtes larvaires, ainsi que l'absence d'évacuation et d'assainissement de l'eau.
C'est aussi l'absence de ramassage des déchets efficace. C'est vraiment un point qui concerne tout le monde, aussi bien les gens qui ont des conditions de vie décentes et ceux qui ne les ont pas. J'imagine que les maires, sur les domaines privé et public, avec une possible mise en demeure par le préfet en cas de carence du maire, devraient pouvoir garder le contrôle de la police en matière de lutte contre les gîtes larvaires et contre les situations qui facilitent la prolifération des moustiques.
Peu de maires apprécient cette obligation. C'est un peu comme ce qui se passe pour la lutte contre l'habitat indigne. Vous savez, il y a des gens qui le prennent à bras-le-corps et d'autres qui n'ont pas envie de le faire.
Je pense que l'État devrait être plus vigoureux en la matière. Nous avons été capables de mettre en place des obligations d'entretien des chaudières et des cheminées en métropole pour éviter les incendies en zone urbaine ou les asphyxies. Je pense qu'édicter des textes qui rappellent à chacun ses obligations serait utile, pas seulement pour les propriétaires privés, mais aussi pour les propriétaires publics. Je pense par exemple à l'Éducation nationale. Nous trouvons énormément de gîtes larvaires dans les lycées, les collèges et les écoles fréquentées par des milliers d'enfants. Que la lutte contre les gîtes larvaires devienne un élément essentiel et normal de l'entretien des bâtiments, comme de tondre le gazon ou ratisser les graviers ce qui est quand même moins intéressant du point de vue sanitaire, devrait être rappelé.
La lutte antivectorielle a lancé une étude sur la productivité des gîtes larvaires présents autour des habitations réunionnaises. Ce projet repose sur le dénombrement des larves de moustiques présentes dans les différents gîtes identifiés au sein d'un échantillonnage représentatif.
Le premier constat reste que les gouttières et les citernes sont moins préoccupantes à La Réunion qu'aux Antilles. L'essentiel, soit 80 % des gîtes identifiés au cours des interventions, sont des petits objets ou des petits contenants permettant une collection temporaire d'eau et amenant la création de gîtes larvaires dits « gîtes de négligence ». Il faut rappeler effectivement que le moustique tigre raffole des petits gîtes. Il ne se reproduit pas dans les grands lacs, il ne se reproduit pas dans les grands espaces. C'est donc un élément important.
Pour la partie du bâti à proprement parler, les gîtes sont rares et les plus productifs identifiés sont les fosses septiques, non étanches bien sûr, et les siphons de sol extérieurs, qui sont relativement peu présents à La Réunion mais sur lesquels il faut malgré tout rester vigilant, Aedes albopictus préférant pondre à l'extérieur des habitations. Les entreprises de construction doivent donc veiller au respect du bon écoulement des eaux en toiture et dans les gouttières. Les plans locaux d'urbanisme (PLU) et les avis de l'administration sur les projets d'aménagement intègrent actuellement des recommandations visant à éviter toute stagnation des eaux dans le cadre de la lutte contre les moustiques.
Lors de son audition, M. Fabrice Simon, chercheur à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), a alerté notre commission d'enquête sur le fait que nous avions pris du retard dans la gestion post-crise concernant les épidémies de chikungunya, notamment en termes de réponse post-épidémique. Qu'en pensez-vous ? Est-ce vrai pour les autres épidémies ?
Nous n'avons aucun cas de chikungunya actuellement à Mayotte. Nous avons constaté également que nous n'avions pas été confrontés cette année, contrairement à l'année dernière, à une forte épidémie de grippe, ni à un nombre important de cas de leptospirose. Nous ne sommes encore qu'en période de début d'épidémie de leptospirose mais nous avons moitié moins de cas que l'année dernière à la même période.
Est-ce parce qu'on a moins cherché ou est-ce qu'il y en a vraiment moins ? Je ne sais pas le dire. Nous avons quand même eu beaucoup de difficultés à assurer l'ensemble des tests PCR à la recherche du coronavirus. Vous savez que la PCR est une technique qui sert à des diagnostics variés sur la dengue, sur la leptospirose ou sur d'autres viroses. Il est possible qu'on l'ait moins recherchée que l'année dernière.
Je ne suis pas sûre que nous ayons pris du retard. Le plan ORSEC arboviroses date de 2014 et il ne me paraît pas caduc. Nous sommes actuellement au niveau 4, comme à La Réunion. Il est prévu qu'il soit révisé cette année pour tenir compte de l'expérience accumulée dans l'épidémie de dengue d'une part, et dans celle de coronavirus d'autre part.
Au sujet de l'interrogation de ce chercheur de l'Inserm, je dirais que le retour d'expérience du chikungunya a permis effectivement de réfléchir à ce qui devait se mettre en place. C'est d'ailleurs à l'origine de la création de la lutte antivectorielle, de la mise en place du plan ORSEC. Nous sommes dans une situation où nous avons essayé, et je pense réussi pour partie, pour rester toujours modeste, à mettre en place un système qui permette de répondre à une situation post-chikungunya. Ce système s'est avéré aussi efficace pour d'autres arboviroses. Nous voyons bien d'ailleurs qu'il n'y a pas eu de réapparition de chikungunya, mais je pense que l'idée qui consistait à s'arrêter une fois qu'une épidémie avait disparu n'était pas du tout dans l'esprit de mes prédécesseurs et de nos prédécesseurs.
Le plan ORSEC date de 2016, c'est vrai, mais il est en train d'être réévalué pour être affiné. Nous restons dans cette logique. Nous avons des éléments importants. Est-ce que le nombre de cas est plus important que sa dispersion ? Le nombre de sérotypes, dans le cas des arboviroses et de la dengue, est-il plus important que le nombre de cas pour graduer en niveau 1, 2, 3, 4 ou 5 ? Nous réfléchissons à tous ces éléments qui participent du retour d'expérience et de l'application de ce retour d'expérience dans le sens de ce que souhaite ce chercheur.
Quels sont vos rapports avec Santé publique France ? Comment fonctionne la cellule d'intervention en région (CIRE) de Santé publique France qui se trouve au sein de l'ARS ? Cette collaboration est-elle utile ?
C'est une question qui déborde largement du cadre de la dengue et qui est d'une très grande actualité.
Je crois qu'une partie des difficultés est liée au fait que Santé publique France et l'ARS n'ont pas exactement le même objectif. Santé publique France collecte des données dans une perspective d'accumulation de connaissances en épidémiologie et nous cherchons à avoir, avec un autre rythme et je dirais de façon peut-être plus impérieuse au moment présent, des données qui nous permettent de guider la décision publique, qui nous permettent de guider nos politiques sur le terrain.
Nos rapports sont globalement bons, voire très bons mais la situation institutionnelle est inconfortable. Santé publique France a une sorte de double chaîne de commandement : d'un côté, la direction générale de Santé publique France avec ses outils, ses propres contraintes et ses propres exigences, et de l'autre, cette demande pressante de la part de l'ARS que soient apportés les éléments qui vont nous permettre de guider notre décision.
Sur la dengue, nous n'avons aucune difficulté. Nous travaillons à 100 % en harmonie. Sur le coronavirus, cela a été plus compliqué parce que nous n'avions pas de passé et que nous avions besoin d'avoir des éléments épidémiologiques pour guider nos choix. Santé publique France s'est souvent trouvée en difficulté pour fournir en temps et en heure des renseignements, par exemple sur la localisation des clusters, sur leur évolution, sur la dynamique même de l'épidémie.
Je précise aussi que la cellule de Santé publique France ne se trouve pas vraiment au sein de l'ARS. Ce sont des cousins proches mais ils ne sont pas au sein de l'ARS, sous l'autorité fonctionnelle du directeur général de l'ARS. Ils sont au sein de l'ARS sous cette double chaîne de commandement et avec l'autorité de l'ARS sur Santé publique France pour ce qui concerne la seule conduite des enquêtes épidémiologiques menées dans le cadre du coronavirus.
Madame la rapporteure, permettez-moi de rester sur le sujet de la dengue, puisque Dominique Voynet a exprimé un certain nombre de choses que je partage.
En ce qui concerne la dengue, la collaboration quotidienne entre la cellule d'intervention en région (CIRE) de Santé publique France, la direction de la veille et de la sécurité sanitaire (DVSS) et la LAV pour la surveillance et la réception des signaux est de très grande qualité. Elle assure une bonne réception des signaux, qui sont ensuite transmis à la LAV pour gestion. Nous avons une interlocutrice dédiée à la CIRE qui a été missionnée depuis le début sur la dengue. Elle est extrêmement efficace, avec une collaboration interne quotidienne. Elle assure l'animation d'un dispositif de surveillance en médecine de ville, à l'hôpital, de la dynamique au niveau épidémique, le suivi des passages aux urgences, des hospitalisations et de la mortalité. Nous avons donc une action qui, en matière de participation à la lutte antivectorielle, est particulièrement efficace.
Deuxième point, Santé publique France a apporté un grand appui à la LAV par la mise à disposition de réservistes sanitaires au plus fort de l'épidémie en 2019, avec des personnels de grande qualité. On ne peut donc que se réjouir des liens entre l'ARS de La Réunion et la CIRE sur la dengue et des relations que nous avons sur ce sujet.
Je vous remercie pour ce temps que vous avez pris pour répondre à nos questions. Nous avons compris qu'un certain nombre de suggestions allaient peut-être se transformer en propositions dans le rapport de ma collègue.
Vous savez que, dans l'océan Indien, nous disposons d'un réseau international de veille épidémiologique qui s'appelle Surveillance des épidémies et gestion des alertes (SEGA). Nous avons vraiment besoin de renforcer ce réseau pour avoir une meilleure vision de l'environnement régional. Nous avons des cas importés de paludisme, de dengue et d'autres maladies en provenance des Comores, de Madagascar ou d'autres. Ce réseau est donc vraiment important et je crois que c'est important aussi que la commission d'enquête soit consciente du fait que la mobilisation de moyens humains et matériels au profit de ce réseau peut nous aider à traiter mieux nos situations épidémiques à La Réunion et à Mayotte.
Je soutiens cela totalement.
Ce sera noté dans notre rapport, parce que le but de notre démarche est d'arriver à trouver des pistes d'amélioration.
La réunion s'achève à dix-sept heures.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles
Réunion du lundi 8 juin 2020 à 15 h 35
Présents. – Mme Ramlati Ali, M. Philippe Michel-Kleisbauer
Excusés. – Mme Ericka Bareigts, M. Alain David, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean‑Hugues Ratenon