Intervention de Stanislas Bourron

Réunion du jeudi 11 juin 2020 à 15h05
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Stanislas Bourron, directeur général des collectivités locales :

Le sujet sur lequel vous avez souhaité nous auditionner, la répartition des compétences entre État et collectivités en matière de lutte contre la propagation des moustiques et de lutte anti-vectorielle, n'est pas simple, à vrai dire.

J'imagine que la commission a déjà largement la vision de la complexité de l'organisation juridique du dispositif. Dans ce maquis historique, car la difficulté de la perception de l'organisation s'explique aussi par l'ancienneté des textes sur lesquels nous travaillons, je vais essayer d'organiser mon propos autour de deux aspects : d'une part le sujet des compétences, et d'autre part, le sujet des pouvoirs de police, ainsi que des questions qui se posent aujourd'hui sur ces deux aspects, au regard de l'évolution de la lutte anti-vectorielle qui prend une ampleur nouvelle ces dernières années, par rapport au contexte des années 1960 et même des années 2000.

Les textes qui fondent la lutte contre la propagation des moustiques et la lutte anti-vectorielle sont la loi du 16 décembre 1964 et l'article L. 3114‑5 du code de la santé publique, qui a été modifié par la loi relative aux libertés et responsabilités locales dite « loi LRL » du 13 août 2004. Celle-ci confie très principalement à l'État la responsabilité de la politique de lutte anti-vectorielle (LAV) et donne aux collectivités, notamment aux départements, la possibilité d'intervenir dans la mise en œuvre et le financement de cette politique, tout en créant une compétence autour de ce qu'on appelle la lutte de confort.

Ce sont ces deux grandes thématiques qui ont fait débat dans les années qui ont suivi cette loi et jusqu'à aujourd'hui : savoir où commence la lutte anti-vectorielle, où s'arrête la lutte contre la prolifération des moustiques en termes de confort, sachant qu'il revient au ministère de la Santé de déterminer les départements dans lesquels il convient d'intervenir dans la lutte anti-vectorielle. En revanche, toute collectivité départementale pouvait s'emparer du sujet de la lutte de confort et décider une intervention ciblée sur tel ou tel endroit pour traiter des présences de moustiques.

Nous avons donc une intervention sur une politique sanitaire autour de la LAV, qui est portée par le ministère en charge de la santé avec, au niveau déconcentré, des préfets de département qui prennent des arrêtés pour déterminer des zones où il faut lutter contre les moustiques vecteurs et, à la manœuvre les ARS, qui ont des compétences spécifiques en matière de prospection, de traitement, de travaux et de mesures de surveillance entomologique.

Les départements sont en charge, dans les zones délimitées par le préfet, de conduire des opérations de démoustication, ce qu'on appelle plus classiquement la lutte de confort.

À ce sujet des compétences, viennent s'ajouter dans cet univers juridique les compétences du maire, c'est-à-dire son pouvoir de police. Le pouvoir de police du maire est de deux natures : un pouvoir de police spéciale, prévu par le code général des collectivités territoriales (CGCT), pour la surveillance des points d'eau. C'est une possibilité d'intervention large ; cela concerne évidemment la possibilité de traiter les nids d'insectes vecteurs et surtout toute présence de moustiques gênants au sein de ces points d'eau. Les maires disposent également du pouvoir de police générale, classique, qui leur permet d'intervenir au titre de la salubrité publique en cas d'urgence.

Dans le cadre de ces pouvoirs de police, assez classiquement, le préfet peut se substituer si les maires n'intervenaient pas.

Cette intervention des maires a été rappelée dans le décret du 29 mars 2019, qui rappelle dans le code de la santé publique l'importance de cette possibilité d'intervenir.

Nous avons donc des interventions au titre soit des compétences, soit des pouvoirs de police, et ces interventions peuvent se chevaucher, ainsi que des interventions soit au titre de la lutte anti-vectorielle, soit au titre de la lutte de confort, ce qui peut amener à différents acteurs à intervenir.

Il y a sans doute une difficulté à intervenir de façon fondée sur des bases juridiques qui sont complexes et pas toujours très précises, il faut bien le dire. La façon dont les choses sont rédigées est le fruit de l'histoire et le fait que certaines collectivités, notamment départementales, se sont emparées de ces sujets pour les traiter, notamment ces questions de lutte contre les moustiques.

La question est aujourd'hui un peu complexe puisque nous assistons à une montée en puissance de la lutte anti-vectorielle avec la diffusion du moustique tigre qui s'est répandu sur le territoire. Par conséquent, nous avons une baisse assez naturelle de l'intervention au titre de la lutte de confort, puisque les deux sujets sont en train de fusionner, de se rejoindre. Cela rend d'autant plus difficile à trouver et à tracer la ligne d'intervention entre les uns et les autres selon qu'on est en confort ou en lutte anti-vectorielle. Sur le sujet des compétences, il y a donc effectivement une difficulté à tracer la ligne d'intervention.

L'une des solutions trouvées dans certains cas pour régler cela est la possibilité, notamment pour le ministère de la Santé via les ARS, de déléguer ces politiques d'intervention à un opérateur. Le conseil départemental de l'Aisne, notamment, s'est vu confier cette compétence par l'ARS et peut donc intervenir au titre de ses compétences propres, mais aussi au titre de la délégation qu'il a reçue de l'ARS pour traiter de façon uniforme, sans se poser la question de savoir s'il s'agit de confort, de la démoustication classique ou de la lutte anti-vectorielle. Ce sont des pistes concrètes qui ont pu être mises en œuvre pour essayer de coordonner les actions en donnant à un opérateur unique la possibilité d'intervenir, quels que soient la base juridique et le titulaire de la compétence de départ.

Sur les sujets des pouvoirs police, la réflexion a avancé et, notamment, une proposition de loi a été adoptée par le Sénat au début de cette année, qui vise à essayer de mieux tracer la ligne et de mieux identifier les responsabilités, entre ce qui est du ressort du pouvoir de police spéciale du maire et ce qui serait du ressort de l'État, en considérant qu'il revient à l'État d'assurer une politique de santé publique et donc de s'emparer de cette compétence dès qu'il y a une détection d'un nid de vecteurs.

C'est un sujet assez ancien et les débats juridiques sont aussi anciens. Les mises en œuvre ont été assez différentes selon les territoires, avec des collectivités qui s'en sont plus ou moins emparées. Nous assistons à une évolution des besoins avec la montée en puissance de la lutte anti-vectorielle ces dernières années, ce qui amène aujourd'hui à se poser la question des conditions dans lesquelles nous pouvons arriver à apporter les bonnes réponses aux problèmes auxquels sont confrontés tels ou tels territoires en matière de lutte anti-vectorielle.

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