Intervention de Dr Vincent Pommier de Santi

Réunion du lundi 15 juin 2020 à 14h00
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Dr Vincent Pommier de Santi, médecin en chef, chef de l'unité de surveillance et investigations épidémiologiques au sein du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées :

Pour aborder la question cruciale des enjeux liés au risque vectoriel en France, je vais d'abord faire une brève présentation de mon parcours dans cette thématique.

Je suis médecin militaire depuis vingt-cinq ans. Après un court exercice en médecine générale dans ce que l'on appelle maintenant la médecine des forces, j'ai rejoint l'Institut de médecine tropicale du service de santé des armées à Marseille, pour devenir médecin spécialiste de santé publique et épidémiologiste. Cet institut, qu'on appelle aussi le Pharo, était historiquement une école de formation internationale et francophone à la médecine tropicale, dédiée à la santé publique, avec des composantes de recherche. Elle a été fermée en 2012.

J'ai ensuite rejoint la Guyane de 2012 à 2015 dans le cadre d'un programme de recherche sur une autre maladie à transmission vectorielle, le paludisme. Je vous en parle parce que, pendant la période durant laquelle j'étais en Guyane, il y a eu trois épidémies d'arboviroses successives : une énième épidémie de dengue, l'émergence du chikungunya et l'arrivée du Zika. En seulement trois ans, nous voyons donc dans un département d'outre-mer trois épidémies successives. Cela souligne le poids énorme des arboviroses pour les populations de la France d'outre-mer. Leur impact socio-économique est lui aussi très important. Cela a cependant un corollaire positif : en France, nous disposons d'un vivier d'experts de ces maladies à transmission vectorielle, au sens large, sur les plans clinique, diagnostique, épidémiologique ou de gestion de crise.

J'ai ensuite rejoint le Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées (CESPA) où je suis affecté actuellement et au sein duquel je dirige, depuis 2017, une unité particulière qui s'appelle Surveillance et investigations épidémiologiques. Le CESPA est un organisme de santé publique des armées qui est relativement récent puisqu'il a été créé en 2013. C'est un petit établissement avec une quarantaine de personnes, personnels de soutien administratif inclus. Sa mission principale est de protéger la santé de la force française, à titre plus collectif qu'individuel puisqu'il s'agit de santé publique, avec toujours, comme objectif premier, le maintien de la capacité opérationnelle de la force.

Pour cela, cet établissement s'appuie sur plusieurs services d'expertise, un service de veille et anticipation, ce qu'on appelle la veille sanitaire de défense, un service de surveillance épidémiologique et d'investigation, un service de promotion et d'éducation pour la santé et une unité de lutte antivectorielle.

L'unité que je dirige a un effectif assez modeste, puisque nous sommes dix au total. Nous surveillons une soixantaine d'évènements de santé, des maladies à déclaration obligatoire et toutes les pathologies, tous les évènements de santé qui peuvent avoir un intérêt pour les forces armées françaises. Nous surveillons tous les militaires en position d'activité et quel que soit le lieu où ils se trouvent, c'est-à-dire qu'ils soient en opération extérieure, qu'il s'agisse des forces de présence à l'étranger ou dans des départements d'outre-mer, et les marins lors des escales ou quand ils sont en mer. Notre terrain est mondial parce que les militaires français sont présents sur beaucoup de territoires dans le monde. Cela signifie aussi qu'il y a de nombreuses expositions et, particulièrement, des expositions aux maladies vectorielles.

Quel est le poids de ces maladies vectorielles dans les armées ? Nous avons entre 500 et 1 000 déclarations par an de maladies à transmission vectorielle dans les armées, en incluant le paludisme, les arboviroses comme la dengue ou le chikungunya, mais aussi la leishmaniose cutanée en Guyane. Dès qu'une épidémie survient, l'équipe de surveillance épidémiologique vient en soutien des médecins des forces qui sont sur le terrain, soit à distance si cela est possible, soit directement en étant déployée en soutien de ces équipes de santé projetées sur le terrain.

Où qu'ils se trouvent finalement, en opération extérieure, en outre-mer ou même en métropole, la caractéristique de ces populations de militaires est qu'elles sont exposées aux mêmes maladies que la population civile locale au sein de laquelle ils vivent et ils exercent leur métier. Ceci signifie, en termes d'épidémie, que lorsqu'une épidémie de maladies à transmission vectorielle survient, nous sommes concernés et nous observons de manière quasi systématique une épidémie au sein des forces armées. Une autre implication importante est le risque d'importation de virus par les militaires au retour de leur mission. C'est un point auquel nous sommes particulièrement attentifs.

Maintenant que j'ai défini le contexte de nos interventions, vous voyez bien que nous devons nous intégrer dans différents systèmes de santé. Quand nous sommes en métropole, nous suivons les recommandations nationales en termes de gestion du risque vectoriel. Ainsi, chaque année, d'avril à novembre, ce qui correspond à la période d'activité maximale du vecteur d'arboviroses Aedes albopictus en France, nous engageons un plan qui s'appelle le plan Arboveille. Ce plan vise principalement à contrôler le risque d'importation d'arbovirose en France en détectant le plus précocement possible les cas importés qui proviendraient d'autres zones du monde.

Comment nous articulons-nous ensuite avec les instances sanitaires civiles ? Notre plan est calqué sur celui des instances sanitaires civiles. Dès qu'un cas survient, nous déclarons évidemment ce cas aux agences régionales de santé et nous coconstruisons nos interventions avec eux. À ma connaissance, il n'y a encore jamais eu de cas de transmission autochtone d'une arbovirose suite à un retour de militaires infectés par un virus. C'est évidemment quelque chose qui pourrait survenir un jour, malgré toutes les précautions, puisque vous savez que beaucoup de formes cliniques de ces maladies sont paucisymptomatiques, voire asymptomatiques, et sont donc parfois très difficiles à détecter. Dans les territoires ultramarins, nous nous appuyons globalement sur les stratégies qui sont déployées par les agences régionales de santé localement.

La situation est un petit peu plus difficile, plus complexe pour nous dès lors que nous sommes à l'étranger puisque, concrètement, il faut que les armées se suffisent à elles-mêmes dans la gestion de ces épidémies. Vous avez évoqué dans vos questions une intervention que nous avons réalisée en 2019 auprès du contingent français déployé en République de Djibouti. Je vais juste vous décliner les principales actions que nous avons menées, ce qui me permettra de vous expliquer la manière dont nous travaillons, en espérant que cela puisse servir à d'autres.

Une des premières étapes est l'étape d'anticipation et de veille sanitaire de défense. Elle consiste à prendre de la hauteur, c'est-à-dire à regarder non pas ce qu'il se passe là où nous sommes, mais ce qu'il se passe autour de nous. C'est une vision qui peut être régionalisée ou à l'échelle d'un continent ou plus.

Nous avons observé grâce à ce système une épidémie de chikungunya dans une ville éthiopienne qui a la particularité d'être reliée à Djibouti par voie routière, par voie ferrée et par voie aérienne. La population djiboutienne était naïve, c'est-à-dire que, en tout cas en l'état des connaissances qui étaient à notre disposition, elle n'avait jamais rencontré le virus du chikungunya ; le vecteur de cette maladie, Aedes aegypti, était présent sur place et compétent. Tout était donc réuni pour qu'une épidémie de grande ampleur ait lieu dans ce pays.

La communauté de défense au sens large, qui inclut militaires, civils de la défense et familles de militaires, vit au cœur de la ville de Djibouti. Aedes aegypti est un moustique anthropisé, c'est-à-dire qu'il vit avec l'Homme et aux dépens de l'Homme. Il n'y avait donc aucune raison, dans notre évaluation de risques, de ne pas considérer que la survenue d'une épidémie allait arriver.

C'est le point de départ. Une fois que nous avons posé ces éléments, il s'agit pour nous de renforcer tout un tas de mesures.

La première chose que nous renforçons est la détection des premiers cas. Plus on est précoce dans la détection d'une épidémie, plus on a de chances de l'interrompre. Nous avons renforcé notre système de surveillance épidémiologique, tout en renforçant en parallèle notre système de surveillance microbiologique et biologique à l'aide de papiers buvards sur lesquels nous déposons une goutte de sang, dès que quelqu'un présente des symptômes compatibles. Ce papier buvard est ensuite ramené en métropole et analysé par l'équipe du Docteur Isabelle Leparc-Goffart que vous avez auditionnée récemment, au centre national de référence (CNR) des arbovirus en France, qui est aussi un CNR militaire.

Nous avons ensuite déployé sur place du matériel pour réaliser des réactions de polymérisation en chaîne – Polymerase Chain Reaction (PCR) pour la dengue et le chikungunya, et nous avons envoyé une équipe sur le terrain. La mission de l'équipe sur le terrain est multiple et l'équipe est forcément multidisciplinaire. Face à un risque infectieux qui émerge, comme le chikungunya à Djibouti, nous ne nous concevons pas la réponse sans associer toutes les spécialités qui peuvent avoir un rôle à jouer. Pour ce cas d'une maladie infectieuse à transmission vectorielle, nous avons associé les médecins de santé publique, épidémiologistes, infectiologues, logisticiens et le centre national de référence. Cette équipe préparatoire des actions en a défini les grandes lignes.

Outre la partie diagnostic et surveillance épidémiologique vient ensuite la partie d'intervention sur le terrain qui est là pour organiser le parcours de soins. Lorsque l'on est face à une épidémie de chikungunya, on attend deux phases : une phase dite aiguë qui risque de saturer notre système de santé et une phase plus longue, plus chronique, qui dépend finalement de l'évolution clinique de certains patients. Fabrice Simon vous en a parlé. C'est une phase de réhabilitation de ces patients qui peut s'inscrire dans la durée.

Notre objectif dans ces situations n'est pas d'éviter l'épidémie, puisque c'est quasiment impossible, mais d'en maîtriser l'impact pour pouvoir continuer la mission opérationnelle. Nous sommes sur une double stratégie de protection individuelle et de protection collective.

Les premiers cas sont survenus comme attendu en novembre 2019, suite aux premières pluies, et il a fallu organiser sur place la protection contre les vecteurs. Nous avons réalisé cette démarche de protection de manière participative. Ce terme est important puisque nous nous adressons à une population. Si nous voulons que les gens adhèrent, il faut les faire participer, que ce soit le commandement militaire ou les familles de militaires. Cette dynamique participative est essentielle pour nous. On ne fait pas de la santé pour ou contre, on fait de la santé avec les personnes concernées.

La protection elle-même a été déclinée en trois niveaux, en trois cercles : d'abord l'Homme, puis l'habitat et l'emprise, c'est-à-dire, pour nous, le camp militaire.

Protéger l'Homme, c'est ce qui relève de la protection personnelle individuelle contre les piqûres de moustiques. C'est une action que nous avons appuyée sur l'information, l'éducation pour la santé, l'utilisation de répulsifs cutanés et de moustiquaires imprégnées d'insecticide. J'insiste sur un point particulier : nous avons fourni pour chaque personne ces moustiquaires, pour que chaque personne, chaque lit, dispose d'une moustiquaire imprégnée. Nous avons aussi, parce que c'est ce que nous faisons dans les armées, délivré gratuitement les répulsifs cutanés au personnel militaire. Pour les familles de militaires, ces répulsifs cutanés ont fait l'objet d'un remboursement par la caisse nationale militaire de sécurité sociale.

Ces actions de promotion pour la santé sont essentielles puisque, avant de commencer un plan de santé, il faut créer ce qu'on appelle « un environnement favorable ». Fournir les moyens, c'est fournir cet environnement favorable. Par opposition, si je vous dis simplement « il faut utiliser », je vous dis « il faut que vous achetiez ». Cela n'est pas toujours possible, pas uniquement pour des raisons financières d'ailleurs et, de plus, il peut y avoir certains freins dont l'étude relève plus des sciences humaines que de l'épidémiologie.

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