Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Réunion du lundi 15 juin 2020 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • djibouti
  • militaire
  • moustiquaire
  • surveillance
  • vectorielle
  • épidémie
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COMMISSION D'ENQUÊTE CHARGÉE D'ÉVALUER LES RECHERCHES, LA PRÉVENTION ET LES POLITIQUES PUBLIQUES À MENER CONTRE LA PROPAGATION DES MOUSTIQUES AEDES ET DES MALADIES VECTORIELLES

Lundi 15 juin 2020

La séance est ouverte à quatorze heures.

(Présidence de M. Philippe Michel-Kleisbauer, député)

La commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles procède à l'audition en visioconférence du Dr Vincent Pommier de Santi, médecin en chef, chef de l'unité de surveillance et investigations épidémiologiques au sein du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées.

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Nous achevons cette semaine les auditions de la commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles.

Dans un premier temps nous allons entendre, depuis Marseille, le Docteur Vincent Pommier de Santi, médecin en chef, chef de l'unité de surveillance et d'investigations épidémiologiques au sein du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées.

Votre collègue Fabrice Simon, que nous avons auditionné le 13 février dernier, a évoqué le plan de protection des forces contre l'épidémie de chikungunya que vous aviez mis en place à Djibouti, d'où cette audition aujourd'hui puisque cette expérience semble utile pour voir comment il est possible de lutter efficacement contre les moustiques vecteurs.

Docteur, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à nos questions.

Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes, qui précédera un échange sous forme de questions et réponses.

Je vous remercie également de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc, Monsieur, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

M. Pommier de Santi prête serment.

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Dr Vincent Pommier de Santi, médecin en chef, chef de l'unité de surveillance et investigations épidémiologiques au sein du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées

Pour aborder la question cruciale des enjeux liés au risque vectoriel en France, je vais d'abord faire une brève présentation de mon parcours dans cette thématique.

Je suis médecin militaire depuis vingt-cinq ans. Après un court exercice en médecine générale dans ce que l'on appelle maintenant la médecine des forces, j'ai rejoint l'Institut de médecine tropicale du service de santé des armées à Marseille, pour devenir médecin spécialiste de santé publique et épidémiologiste. Cet institut, qu'on appelle aussi le Pharo, était historiquement une école de formation internationale et francophone à la médecine tropicale, dédiée à la santé publique, avec des composantes de recherche. Elle a été fermée en 2012.

J'ai ensuite rejoint la Guyane de 2012 à 2015 dans le cadre d'un programme de recherche sur une autre maladie à transmission vectorielle, le paludisme. Je vous en parle parce que, pendant la période durant laquelle j'étais en Guyane, il y a eu trois épidémies d'arboviroses successives : une énième épidémie de dengue, l'émergence du chikungunya et l'arrivée du Zika. En seulement trois ans, nous voyons donc dans un département d'outre-mer trois épidémies successives. Cela souligne le poids énorme des arboviroses pour les populations de la France d'outre-mer. Leur impact socio-économique est lui aussi très important. Cela a cependant un corollaire positif : en France, nous disposons d'un vivier d'experts de ces maladies à transmission vectorielle, au sens large, sur les plans clinique, diagnostique, épidémiologique ou de gestion de crise.

J'ai ensuite rejoint le Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées (CESPA) où je suis affecté actuellement et au sein duquel je dirige, depuis 2017, une unité particulière qui s'appelle Surveillance et investigations épidémiologiques. Le CESPA est un organisme de santé publique des armées qui est relativement récent puisqu'il a été créé en 2013. C'est un petit établissement avec une quarantaine de personnes, personnels de soutien administratif inclus. Sa mission principale est de protéger la santé de la force française, à titre plus collectif qu'individuel puisqu'il s'agit de santé publique, avec toujours, comme objectif premier, le maintien de la capacité opérationnelle de la force.

Pour cela, cet établissement s'appuie sur plusieurs services d'expertise, un service de veille et anticipation, ce qu'on appelle la veille sanitaire de défense, un service de surveillance épidémiologique et d'investigation, un service de promotion et d'éducation pour la santé et une unité de lutte antivectorielle.

L'unité que je dirige a un effectif assez modeste, puisque nous sommes dix au total. Nous surveillons une soixantaine d'évènements de santé, des maladies à déclaration obligatoire et toutes les pathologies, tous les évènements de santé qui peuvent avoir un intérêt pour les forces armées françaises. Nous surveillons tous les militaires en position d'activité et quel que soit le lieu où ils se trouvent, c'est-à-dire qu'ils soient en opération extérieure, qu'il s'agisse des forces de présence à l'étranger ou dans des départements d'outre-mer, et les marins lors des escales ou quand ils sont en mer. Notre terrain est mondial parce que les militaires français sont présents sur beaucoup de territoires dans le monde. Cela signifie aussi qu'il y a de nombreuses expositions et, particulièrement, des expositions aux maladies vectorielles.

Quel est le poids de ces maladies vectorielles dans les armées ? Nous avons entre 500 et 1 000 déclarations par an de maladies à transmission vectorielle dans les armées, en incluant le paludisme, les arboviroses comme la dengue ou le chikungunya, mais aussi la leishmaniose cutanée en Guyane. Dès qu'une épidémie survient, l'équipe de surveillance épidémiologique vient en soutien des médecins des forces qui sont sur le terrain, soit à distance si cela est possible, soit directement en étant déployée en soutien de ces équipes de santé projetées sur le terrain.

Où qu'ils se trouvent finalement, en opération extérieure, en outre-mer ou même en métropole, la caractéristique de ces populations de militaires est qu'elles sont exposées aux mêmes maladies que la population civile locale au sein de laquelle ils vivent et ils exercent leur métier. Ceci signifie, en termes d'épidémie, que lorsqu'une épidémie de maladies à transmission vectorielle survient, nous sommes concernés et nous observons de manière quasi systématique une épidémie au sein des forces armées. Une autre implication importante est le risque d'importation de virus par les militaires au retour de leur mission. C'est un point auquel nous sommes particulièrement attentifs.

Maintenant que j'ai défini le contexte de nos interventions, vous voyez bien que nous devons nous intégrer dans différents systèmes de santé. Quand nous sommes en métropole, nous suivons les recommandations nationales en termes de gestion du risque vectoriel. Ainsi, chaque année, d'avril à novembre, ce qui correspond à la période d'activité maximale du vecteur d'arboviroses Aedes albopictus en France, nous engageons un plan qui s'appelle le plan Arboveille. Ce plan vise principalement à contrôler le risque d'importation d'arbovirose en France en détectant le plus précocement possible les cas importés qui proviendraient d'autres zones du monde.

Comment nous articulons-nous ensuite avec les instances sanitaires civiles ? Notre plan est calqué sur celui des instances sanitaires civiles. Dès qu'un cas survient, nous déclarons évidemment ce cas aux agences régionales de santé et nous coconstruisons nos interventions avec eux. À ma connaissance, il n'y a encore jamais eu de cas de transmission autochtone d'une arbovirose suite à un retour de militaires infectés par un virus. C'est évidemment quelque chose qui pourrait survenir un jour, malgré toutes les précautions, puisque vous savez que beaucoup de formes cliniques de ces maladies sont paucisymptomatiques, voire asymptomatiques, et sont donc parfois très difficiles à détecter. Dans les territoires ultramarins, nous nous appuyons globalement sur les stratégies qui sont déployées par les agences régionales de santé localement.

La situation est un petit peu plus difficile, plus complexe pour nous dès lors que nous sommes à l'étranger puisque, concrètement, il faut que les armées se suffisent à elles-mêmes dans la gestion de ces épidémies. Vous avez évoqué dans vos questions une intervention que nous avons réalisée en 2019 auprès du contingent français déployé en République de Djibouti. Je vais juste vous décliner les principales actions que nous avons menées, ce qui me permettra de vous expliquer la manière dont nous travaillons, en espérant que cela puisse servir à d'autres.

Une des premières étapes est l'étape d'anticipation et de veille sanitaire de défense. Elle consiste à prendre de la hauteur, c'est-à-dire à regarder non pas ce qu'il se passe là où nous sommes, mais ce qu'il se passe autour de nous. C'est une vision qui peut être régionalisée ou à l'échelle d'un continent ou plus.

Nous avons observé grâce à ce système une épidémie de chikungunya dans une ville éthiopienne qui a la particularité d'être reliée à Djibouti par voie routière, par voie ferrée et par voie aérienne. La population djiboutienne était naïve, c'est-à-dire que, en tout cas en l'état des connaissances qui étaient à notre disposition, elle n'avait jamais rencontré le virus du chikungunya ; le vecteur de cette maladie, Aedes aegypti, était présent sur place et compétent. Tout était donc réuni pour qu'une épidémie de grande ampleur ait lieu dans ce pays.

La communauté de défense au sens large, qui inclut militaires, civils de la défense et familles de militaires, vit au cœur de la ville de Djibouti. Aedes aegypti est un moustique anthropisé, c'est-à-dire qu'il vit avec l'Homme et aux dépens de l'Homme. Il n'y avait donc aucune raison, dans notre évaluation de risques, de ne pas considérer que la survenue d'une épidémie allait arriver.

C'est le point de départ. Une fois que nous avons posé ces éléments, il s'agit pour nous de renforcer tout un tas de mesures.

La première chose que nous renforçons est la détection des premiers cas. Plus on est précoce dans la détection d'une épidémie, plus on a de chances de l'interrompre. Nous avons renforcé notre système de surveillance épidémiologique, tout en renforçant en parallèle notre système de surveillance microbiologique et biologique à l'aide de papiers buvards sur lesquels nous déposons une goutte de sang, dès que quelqu'un présente des symptômes compatibles. Ce papier buvard est ensuite ramené en métropole et analysé par l'équipe du Docteur Isabelle Leparc-Goffart que vous avez auditionnée récemment, au centre national de référence (CNR) des arbovirus en France, qui est aussi un CNR militaire.

Nous avons ensuite déployé sur place du matériel pour réaliser des réactions de polymérisation en chaîne – Polymerase Chain Reaction (PCR) pour la dengue et le chikungunya, et nous avons envoyé une équipe sur le terrain. La mission de l'équipe sur le terrain est multiple et l'équipe est forcément multidisciplinaire. Face à un risque infectieux qui émerge, comme le chikungunya à Djibouti, nous ne nous concevons pas la réponse sans associer toutes les spécialités qui peuvent avoir un rôle à jouer. Pour ce cas d'une maladie infectieuse à transmission vectorielle, nous avons associé les médecins de santé publique, épidémiologistes, infectiologues, logisticiens et le centre national de référence. Cette équipe préparatoire des actions en a défini les grandes lignes.

Outre la partie diagnostic et surveillance épidémiologique vient ensuite la partie d'intervention sur le terrain qui est là pour organiser le parcours de soins. Lorsque l'on est face à une épidémie de chikungunya, on attend deux phases : une phase dite aiguë qui risque de saturer notre système de santé et une phase plus longue, plus chronique, qui dépend finalement de l'évolution clinique de certains patients. Fabrice Simon vous en a parlé. C'est une phase de réhabilitation de ces patients qui peut s'inscrire dans la durée.

Notre objectif dans ces situations n'est pas d'éviter l'épidémie, puisque c'est quasiment impossible, mais d'en maîtriser l'impact pour pouvoir continuer la mission opérationnelle. Nous sommes sur une double stratégie de protection individuelle et de protection collective.

Les premiers cas sont survenus comme attendu en novembre 2019, suite aux premières pluies, et il a fallu organiser sur place la protection contre les vecteurs. Nous avons réalisé cette démarche de protection de manière participative. Ce terme est important puisque nous nous adressons à une population. Si nous voulons que les gens adhèrent, il faut les faire participer, que ce soit le commandement militaire ou les familles de militaires. Cette dynamique participative est essentielle pour nous. On ne fait pas de la santé pour ou contre, on fait de la santé avec les personnes concernées.

La protection elle-même a été déclinée en trois niveaux, en trois cercles : d'abord l'Homme, puis l'habitat et l'emprise, c'est-à-dire, pour nous, le camp militaire.

Protéger l'Homme, c'est ce qui relève de la protection personnelle individuelle contre les piqûres de moustiques. C'est une action que nous avons appuyée sur l'information, l'éducation pour la santé, l'utilisation de répulsifs cutanés et de moustiquaires imprégnées d'insecticide. J'insiste sur un point particulier : nous avons fourni pour chaque personne ces moustiquaires, pour que chaque personne, chaque lit, dispose d'une moustiquaire imprégnée. Nous avons aussi, parce que c'est ce que nous faisons dans les armées, délivré gratuitement les répulsifs cutanés au personnel militaire. Pour les familles de militaires, ces répulsifs cutanés ont fait l'objet d'un remboursement par la caisse nationale militaire de sécurité sociale.

Ces actions de promotion pour la santé sont essentielles puisque, avant de commencer un plan de santé, il faut créer ce qu'on appelle « un environnement favorable ». Fournir les moyens, c'est fournir cet environnement favorable. Par opposition, si je vous dis simplement « il faut utiliser », je vous dis « il faut que vous achetiez ». Cela n'est pas toujours possible, pas uniquement pour des raisons financières d'ailleurs et, de plus, il peut y avoir certains freins dont l'étude relève plus des sciences humaines que de l'épidémiologie.

Par chance – vous excuserez ce terme qui peut paraître un peu inapproprié –, nous avions subi en février 2019 une épidémie de paludisme qui avait donné lieu à une précédente intervention sur le terrain. Je faisais partie de l'équipe et, au cours de cette épidémie, nous avions mis en place un certain nombre de stratégies. Nous avions donc anticipé, c'est-à-dire que le jour où notre équipe de terrain est arrivée pour le chikungunya, toutes les moustiquaires étaient disponibles et la question de l'accès aux répulsifs cutanés avait été réglée. Il y avait donc eu une anticipation préalable, non prévue, mais ô combien bienvenue.

Ensuite, nous avons protégé l'habitat. Pour cela, plusieurs stratégies sont envisageables. Nous nous sommes cantonnés à l'installation de grillages moustiquaires aux fenêtres, avec dans un second temps, lorsque c'était possible, l'installation de grillages moustiquaires au niveau des portes.

Nous n'avons pas utilisé d'insecticide à l'intérieur des habitations. C'est un choix, surtout lié au fait que, dans ce pays, nous n'avions aucune connaissance particulière des résistances d' Aedes aegypti aux insecticides. En termes de balance bénéfices-risques, quel que soit l'insecticide que nous aurions utilisé, nous étions un peu en aveugle. Ce n'était pas acceptable.

La protection des emprises a été axée sur la lutte contre les gîtes larvaires, leur destruction, l'élimination des déchets, le drainage des collections d'eau lorsque c'était possible, ou sinon un traitement des collections d'eau avec un biocide, un produit naturel, Bacillus thuringiensis israelensis. Là encore, nous n'avons pas utilisé d'insecticide.

Si l'on doit faire le bilan de cette gestion d'épidémie, nous avons eu au total 56 cas de chikungunya. Nous avons cassé le pic épidémique, nous avons étalé les cas dans le temps. Nous n'avons jamais eu de saturation de notre système de santé. En parallèle, nous avons aussi eu 57 cas de dengue. C'est toute la difficulté de la gestion des épidémies en milieu tropical, puisque plusieurs agents pathogènes peuvent circuler en même temps et donnent parfois des symptômes similaires, en tout cas en phase aiguë.

Nous n'avons malheureusement pas d'éléments de comparaison par rapport à ce qu'il s'est passé en population civile, hormis ce que l'on a pu nous rapporter de manière informelle. Par exemple, certaines entreprises nous ont signalé que près d'un tiers de leurs salariés avaient été indisponibles lors de cette épidémie de chikungunya à cause de la maladie. En comparaison, 2 % de notre effectif a été touché. C'est donc une réussite.

Que doit-on retenir de cette expérience ? L'essentiel est dans l'organisation de la réponse. Pour reprendre les principaux points, la réponse comprend plusieurs phases : l'anticipation et l'évaluation, la quantification du risque ainsi qu'une phase d'adhésion individuelle et collective aux mesures qui sont proposées. Nous avons cette chance dans les armées de pouvoir dialoguer directement avec le commandement pour construire les actions d'un point de vue global pour l'ensemble de la population. Ici, c'est quelque chose qui a parfaitement fonctionné. On peut s'en féliciter.

La détection précoce des cas est essentielle pour signer le début de l'épidémie. Viennent ensuite la prise en charge, le diagnostic, le parcours de soins et le parcours de réhabilitation. On parle de chikungunya, il peut y avoir des formes chroniques. Le pilotage de la crise a été fait en continu localement et, ensuite, il faut faire une analyse critique de la gestion pour en tirer les leçons.

Nous voyons bien ici le distinguo entre ce qui relève de la santé publique, que je viens de vous décliner à l'instant, et ce qui relève de l'épidémiologie. Pourquoi est-ce que j'insiste sur cet aspect ? Parce que souvent, on a tendance à être un peu réducteur et à comparer les médecins de santé publique à des épidémiologistes. L'épidémiologie est une expertise, c'est un métier. La santé publique utilise l'épidémiologie comme un outil, les deux travaillent ensemble, mais il ne faut pas abandonner cette dimension de prise en charge des collectivités. Au départ, les médecins militaires de santé publique étaient des médecins des collectivités. Ce terme est très important puisqu'il définit bien que nous nous occupons des populations. Nous ne nous occupons pas de chiffres, nous nous occupons de populations.

Un point négatif que je souligne par contre est que nous avons des effectifs contraints, restreints. Une épidémie de fièvre de la vallée du Rift est survenue en même temps à Mayotte ; malgré le fait que des militaires ont été touchés, nous n'avons pas pu intervenir sur deux théâtres d'opérations de manière simultanée.

Pour conclure cet exposé, j'aimerais donner mon avis personnel sur le risque vectoriel en France. Tout d'abord, j'insiste sur le fait que, quelle que soit la réponse apportée, elle doit forcément être multidisciplinaire. Elle doit aussi, à mon sens, impliquer les populations dans le cadre d'une démarche participative. Les gîtes larvaires d' Aedes albopictus, en France, sont aussi bien dans le domaine privé que dans le domaine public. On ne peut pas mettre en place une politique publique sans essayer de convaincre et d'amener tout ce qui relève de la sphère privée à éliminer aussi ces gîtes larvaires, dans les jardins par exemple. Si une stratégie est mise en place, elle doit s'inscrire dans le long terme. Nous ne savons pas quand l'épidémie va survenir ; on sait que, finalement, elle finira par arriver. L'éducation est donc essentielle et elle doit cibler, à mon sens, prioritairement les enfants qui seront finalement demain les acteurs de leur propre santé et aussi de la santé collective. Nos moyens actuels sont limités, et pas seulement pour les armées, mais de manière générale en France.

Partant de ce constat, nous voyons bien que des initiatives très positives ont eu lieu comme le Centre national d'expertise sur les vecteurs (CNEV) ou ont lieu actuellement comme Arbo-France. Ces initiatives ont pour point commun qu'elles rassemblent différents acteurs de différentes disciplines, de différentes spécialités. On ne peut que louer ce genre d'action, d'intervention et de rassemblement.

Il manque, à mon avis, dans la construction actuelle de la réponse à une phase épidémique en France, de considérer que ce risque est possible. Jusqu'à présent, nous avons parfaitement réussi à maîtriser les clusters de cas autochtones autour de cas importés sans que l'épidémie échappe à notre contrôle. Il faut aussi préparer le plan B après ce plan A, c'est-à-dire un plan B qui fait face à un virus inconnu – l'épidémie de Covid-19 est là pour nous rappeler que c'est essentiel – et réfléchir à ce qu'il faudra faire. Comment mobiliser tous ces moyens si une épidémie de grande ampleur survient en France, que ce soit à l'échelle d'une commune, d'une ville ou d'un département ? Quels moyens allons-nous pouvoir mobiliser ? Cela reste actuellement un des grands points d'interrogation.

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Vous nous avez parlé des missions de l'unité de surveillance et investigations épidémiologiques qui sont de permettre aux pouvoirs publics d'anticiper les risques sanitaires et d'y apporter une réponse appropriée. Comment s'organisent vos échanges avec l'État dans ce cas de figure ?

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Dr Vincent Pommier de Santi, médecin en chef, chef de l'unité de surveillance et investigations épidémiologiques au sein du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées

J'évolue au sein du ministère des Armées. Toutes les informations qui sont traitées à notre niveau sont remontées par la voie hiérarchique, c'est-à-dire vers un niveau supérieur qui se trouve à Paris. Cela concerne tout évènement particulier qui intéresse les forces armées et, dans un sens plus large, les intérêts de la France. Nous ne nous focalisons pas uniquement sur ce qui concerne les forces armées, dans ce que nous surveillons et ce que nous anticipons. C'est ce niveau hiérarchique supérieur qui fait l'interface avec les autorités sanitaires civiles dès lors que cela s'avère nécessaire. Nous pouvons réaliser un certain nombre d'expertises, qui seront ensuite partagées avec la direction générale de la santé par exemple ou avec Santé publique France.

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Quelles actions mettez-vous actuellement en œuvre dans la lutte contre l'épidémie de Covid-19 ?

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Dr Vincent Pommier de Santi, médecin en chef, chef de l'unité de surveillance et investigations épidémiologiques au sein du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées

Nous sortons un peu du champ propre du risque vectoriel, mais, comme je vous l'ai dit bien, nos actions ne se limitent pas du tout à un seul type de risque. Les infections respiratoires aiguës fébriles en font partie. L'unité de surveillance au sens le plus large, c'est-à-dire l'ensemble de l'établissement, le CESPA, a été impliquée à tous les niveaux depuis le début de la crise, depuis l'identification de l'émergence du virus en Chine, toujours par ce système de veille et d'anticipation. Nous avons travaillé sur l'évaluation du risque pour les forces armées et ensuite est venue cette seconde phase d'extension des premiers cas.

Nous sommes intervenus physiquement sur la base aérienne de Creil, en parallèle de l'investigation du premier cluster qui touchait un lycée de Crépy-en-Valois. Nous avons surveillé l'ensemble de cette maladie tout au long de l'épidémie et encore maintenant. Nous avons adapté notre système de surveillance en fonction des recommandations sanitaires nationales pour suivre l'ensemble de l'épidémie au sein des forces armées où qu'elles soient.

Nous intervenons aussi, et nous sommes intervenus, dans un certain nombre d'investigations de regroupements des cas liés entre eux au sein des forces armées, toujours en lien avec les agences régionales de santé. C'est important pour nous de le préciser.

Nous sommes intervenus pour l'enquête épidémiologique sur le porte-avions Charles de Gaulle. C'est moi qui ai dirigé cette enquête et rédigé le rapport public qui a été mis en ligne sur le site du ministère de la Défense.

Aujourd'hui, nous sommes impliqués à la fois dans le bilan de l'impact de cette épidémie au sein du ministère des Armées et dans le suivi des clusters, où qu'ils soient, avec une attention toute particulière pour nos forces opérationnelles.

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Restons sur ce volet opérationnel, mais sur le plan de l'interopérabilité puisque vous nous avez précisé tout à l'heure que vous développez aussi une coopération au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN). Pouvez-vous nous en parler et nous dire comment cela s'organise ? D'où cela s'organise-t-il ? Quels sont les apports que nos alliés peuvent apporter dans cette recherche, puisque c'est un volet assez méconnu de l'activité de l'OTAN ?

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Dr Vincent Pommier de Santi, médecin en chef, chef de l'unité de surveillance et investigations épidémiologiques au sein du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées

Plusieurs membres de nos équipes participent au sein de l'OTAN à ce qu'on pourrait appeler des commissions de réflexion pour faire simple, qui sont axées sur un certain nombre de thématiques. Il y a évidemment la thématique des risques NRBC – nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques. Il y a aussi la thématique qui relève du medical intelligence, de ce que l'on appelle la veille sanitaire de défense. Il ne s'agit pas de faire du renseignement médical, mais de récolter toute l'information qui peut être utile pour les forces armées. Il y a aussi tout ce qui concerne la protection de la santé de la force. Comme je vous l'ai dit, plusieurs médecins de santé publique militaire participent activement à tous ces groupes de travail.

Il existe aussi une formation qui est réalisée ici, au sein de l'établissement, pour les États membres de l'OTAN. Elle concerne justement la surveillance épidémiologique et l'investigation d'épidémies. C'est un cours international en anglais.

En quoi consistent les travaux des commissions ? Il s'agit de travailler sur ce caractère interopérable, c'est-à-dire que des forces armées de l'OTAN déployées en même temps sur un même théâtre d'opérations doivent parler le même langage et suivre les mêmes procédures. Le travail réalisé dans ces commissions vise à harmoniser l'ensemble des procédures dans le cadre des missions internationales réalisées par l'OTAN.

Dans le cadre de ce travail, nous avons présenté notre système de surveillance syndromique, le système d'analyse et de surveillance épidémiologique en temps réel ASTER. Ce système, au départ, a été conçu pour répondre à une détection précoce en cas de menace biologique ou de menace chimique qui pourrait toucher les forces françaises ; il a été testé en Guyane sur la détection précoce des épidémies de dengue. Si l'on doit retenir quelque chose de ce système, qui est en cours d'industrialisation encore aujourd'hui même si le prototype a plus que largement été validé, c'est le concept.

Le concept est simple. Nous n'avons pas toujours les outils nécessaires pour faire un diagnostic biologique sur le terrain et nous ne pouvons pas déployer tous les outils de diagnostic biologique sur le terrain pour prévoir tous les risques possibles. Si une épidémie survient parmi les forces armées et que nous n'avons pas les moyens de diagnostic, nous risquons de passer à côté, tout simplement. La surveillance syndromique permet une détection précoce d'un regroupement de cas qui présentent les mêmes symptômes et dont, à ce stade, nous ne savons pas ce que c'est. Nous pouvons ainsi intervenir sur un phénomène épidémique bien en amont du diagnostic, en proposant d'abord des mesures de contrôle dites aspécifiques, génériques, c'est-à-dire des mesures d'hygiène, des mesures de décloisonnement, des mesures d'isolement dans le cas d'une maladie infectieuse à transmission interhumaine. Nous pouvons également réfléchir et adapter les prélèvements qui vont être faits sur le terrain et identifier en avance de phase quel laboratoire va pouvoir faire les analyses pour mettre un nom sur cette épidémie.

Voici le concept de la détection précoce et de la surveillance précoce. Pour nous, il s'agit d'avoir un temps d'avance pour éviter que l'épidémie ne prenne trop d'ampleur ou que nous n'arrivions trop tard sur une épidémie ce qui entraînerait finalement la perte du contrôle, de la maîtrise de cette épidémie.

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Permettez-moi de vous poser une question sur ce mécanisme de la détection précoce d'un certain nombre de cas qui ne sont pas encore identifiés. Dans la région de Montpellier, un vétérinaire a parlé récemment par voie de presse de l'apparition d'une tique qui serait porteuse du virus de la fièvre Crimée-Congo. Avez-vous ce genre de cas ? Il ne s'agit plus des moustiques, mais ce genre de cas, ce genre de détection, rentre-t-il dans vos radars et est-il apparu à votre niveau ?

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Dr Vincent Pommier de Santi, médecin en chef, chef de l'unité de surveillance et investigations épidémiologiques au sein du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées

La fièvre hémorragique du Crimée-Congo est une zoonose vectorielle aussi puisque transmise par un arthropode. C'est un virus de fièvre hémorragique et, évidemment, dès que l'on dit cela, l'affaire devient encore plus sérieuse. Un comité scientifique a identifié un certain nombre de tiques qui sont capables de transmettre cette maladie.

C'est une maladie bien connue que nous surveillons chaque année. Elle a tendance à avancer. Nous la surveillons depuis de nombreuses années, surtout au niveau de la Turquie, mais nous l'avons vue se rapprocher dans les Balkans et, petit à petit, elle gagne du terrain même si cela reste extrêmement modéré. J'ai observé des épidémies. Nous avons eu une alerte en 2005 pour les forces françaises au Kosovo justement, où nous avions préparé tout ce qu'il fallait faire pour gérer éventuellement une fièvre hémorragique.

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Excusez-moi, car je ne veux pas dériver de notre enquête sur ce vecteur qui est une tique. Mais, en gros, si nous avons quelque part un certain nombre de cas qui venaient à apparaître, votre système de surveillance syndromique ASTER nous permettrait de savoir qu'il y a une zone dans laquelle sont apparus des cas qui nécessitent l'attention. Est-ce bien cela ?

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Dr Vincent Pommier de Santi, médecin en chef, chef de l'unité de surveillance et investigations épidémiologiques au sein du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées

Oui. Le système de surveillance syndromique permettrait effectivement d'observer un regroupement de cas. Pour faire simple, qu'observerait-on ? On observerait des cas avec de la fièvre et des signes hémorragiques. Évidemment, cela déclenche une alerte immédiate sur un système dont les analyses sont ensuite totalement automatisées. Cela produit une alerte en temps réel.

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Docteur, vous nous avez parlé tout à l'heure de l'opération à Djibouti en 2019. Les autorités djiboutiennes ont-elles dû donner leur accord ? Comment s'est passée la coopération ? Vous nous avez dit que, parmi le contingent militaire et les familles, 2 % des gens avaient été atteints, avec 56 cas. Pouvez-vous nous dire les familles qui ont été les plus touchées ?

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Dr Vincent Pommier de Santi, médecin en chef, chef de l'unité de surveillance et investigations épidémiologiques au sein du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées

La République de Djibouti est un État souverain et un pays ami sur le territoire duquel nous sommes présents dans le cadre d'accords de défense. Il n'y a pas d'intervention possible, d'un point de vue sanitaire, sans collaboration avec les autorités sanitaires djiboutiennes. Cela dit, la stratégie que je vous ai décrite est une stratégie qui a été mise en œuvre à l'intérieur de nos emprises et qui n'a en fait pas eu d'impact au niveau de la population djiboutienne. Cela reste assez circonscrit. Cela en diminue forcément l'efficacité. Mais, tout particulièrement, nous n'avons pas décidé d'utiliser de nous-mêmes une pulvérisation spatiale d'insecticides, puisque le choix des insecticides et de la méthode de pulvérisation relève plutôt d'une stratégie nationale. Nous restons donc dans un périmètre assez limité, tout en évitant par tous les moyens d'interférer avec une stratégie ou une politique locale qui appartient au gouvernement de ce pays.

En ce qui concerne les familles les plus touchées, nous n'avons pas réussi à identifier une population particulière. Il y a eu très peu de cas. Ce que je peux vous dire, c'est que des militaires, des civils de la défense et des familles de militaires ont été touchés. Nous avons aussi fait des diagnostics chez le personnel djiboutien qui est embauché pour travailler au sein de la base, mais sans parvenir à délimiter une population spécifique touchée par la maladie.

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Les autres contingents militaires basés sur place ont-ils été concernés par ce plan ou ont-ils pris des mesures eux-mêmes ? Pourriez-vous nous décrire si possible les actions menées ? Quelles leçons devons-nous tirer de leur savoir-faire ou de leur expérience ?

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Dr Vincent Pommier de Santi, médecin en chef, chef de l'unité de surveillance et investigations épidémiologiques au sein du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées

Effectivement, à Djibouti, beaucoup de contingents militaires sont présents.

Il y a le contingent chinois ; je ne sais pas du tout ce qu'il a fait.

Les petits contingents européens avec lesquels nous travaillons habituellement ont décliné leur propre stratégie, même si la présence sur les emprises françaises d'un centre médico-chirurgical et d'un infectiologue – puisque deux médecins spécialistes en infectiologie ont successivement été déployés sur le terrain pendant cette crise – peut amener ces pays amis à venir consulter, à demander un avis dans le cadre de cette épidémie.

Les Américains ont utilisé des pulvérisations spatiales d'insecticide, mais de manière assez ciblée, et du piégeage.

Nous avons utilisé le piégeage, mais sans que ce soit considéré comme un outil de lutte efficace. C'était plus à visée de recherche pour tester certains pièges pondoirs pour commencer à travailler sur la question de la barrière autour des habitations. Je crois que Fabrice Chandre vous en a parlé. C'est quelque chose qui nous intéresse aussi et que nous avons commencé à tester sur place à Djibouti.

Finalement, pour répondre à votre question, les actions n'ont pas été coordonnées. Chaque entité a fait une stratégie de son côté, tout en bénéficiant de l'aide des uns et des autres quand il s'agissait de pouvoir bénéficier d'un diagnostic par PCR ou d'un avis spécialisé.

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Un suivi à long terme a-t-il été mis en place ?

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Dr Vincent Pommier de Santi, médecin en chef, chef de l'unité de surveillance et investigations épidémiologiques au sein du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées

Oui, tout à fait. Nous avons eu assez peu de formes prolongées sur cet échantillon de population. Comme je vous l'ai dit, toutes ces personnes sont rentrées dans un parcours de soins et, dans le cadre de ce parcours de soins, si elles présentent encore des symptômes, elles peuvent être suivies par nos spécialistes, en métropole ou à partir du théâtre d'opérations de Djibouti, toujours en lien avec nos spécialistes qui se trouvent dans les hôpitaux d'instruction des armées.

Je n'ai pas de retour exact aujourd'hui sur ces populations. Je dois dire que nous avons dû interrompre le déroulé normal de la mission pour ramener nos effectifs présents sur place et nous lancer à corps perdu dans l'épidémie de Covid-19. Les deux épidémies se sont un peu télescopées.

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Quelles pistes de recherche mériteraient d'être approfondies, selon vous ? Quelles actions de lutte antivectorielle mériteraient d'être renforcées ? Jugez-vous suffisante l'action des pouvoirs publics en ce domaine ?

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Dr Vincent Pommier de Santi, médecin en chef, chef de l'unité de surveillance et investigations épidémiologiques au sein du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées

Je peux aborder avec vous la question de la recherche pour vous parler de quelque chose qui a très bien fonctionné pour nous. Dans mes propos liminaires, je vous ai dit que j'étais parti en Guyane sur un programme de recherche contre le paludisme.

Ce programme de recherche était particulièrement innovant sur de nombreux points. Tout d'abord ce programme étudiait l'ensemble des aspects de la maladie, c'est-à-dire l'Homme, qui est réservoir de parasites, le vecteur – ici, ce sont des anophèles – et les parasites, des plasmodies. Tout cela évolue dans un écosystème particulier et l'ensemble a été étudié, sous financement de l'état-major des armées, pour une problématique infectieuse qui concernait un territoire français. C'est quand même quelque chose qui n'arrive pas tous les jours et je tenais à le souligner.

Nous avons investi dans la recherche sur cette maladie sur un territoire français, principalement parce qu'elle touchait nos militaires et gendarmes déployés sur place dans le cadre de la lutte contre l'orpaillage illégal en forêt guyanaise. Ils étaient touchés à tel point que cela commence à poser un problème pour la capacité opérationnelle de la force et de l'opération Harpie.

Nous n'avons pas mené ce programme de recherche seuls. C'est le deuxième point innovant. Nous l'avons mené en collaboration dans le cadre d'une convention avec l'Institut Pasteur de la Guyane. C'est également très innovant : répondre à une problématique qui concerne les forces armées, avec une équipe de civils ou de militaires qui travaillent de manière conjointe sur une politique de santé publique qui concerne la population guyanaise, puisque les retentissements et les apports des recherches qui ont été menées bénéficient maintenant, en tout cas je l'espère, à la population de Guyane.

Je vous présente ces deux points innovants pour vous montrer comment nous avons pu procéder et comment nous gérons ces programmes de recherche. Nous n'avons pas toutes les expertises au sein du service de santé des armées. Nous n'avons pas toutes les compétences, mais nous pouvons nous associer avec des organismes civils, avec des financements qui peuvent venir de la direction générale de l'armement (DGA), de l'état-major des armées ou des financements propres qui sont issus du service de santé des armées dans le cadre de projets de recherche clinique.

Pour ce qui concerne l'action des politiques publiques en France, je n'ai pas d'avis particulier, hormis que jusqu'à présent, pour la métropole, nous pouvons constater que l'ensemble des plans et des stratégies qui ont été mis en œuvre ont permis de contenir tout début de transmission autochtone de virus. Cela montre bien que le système, dans cette dimension, est efficace. Sera-t-il toujours efficace si on sort du cadre préétabli ? C'est une autre question et c'est plutôt cette question qui mériterait d'être abordée, à mon sens.

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Accompagnez-vous vos patients par une information sur les différents types de maladies ou de parasites qu'ils peuvent contracter ? Je vais vous expliquer pourquoi je pose cette question. C'est toujours hors de notre sujet, mais de la bilharziose a été détectée à plusieurs reprises, en été, dans un cours d'eau dans le sud de la Corse. Or elle ne pouvait pas avoir survécu à l'hiver. Il s'agissait donc de quelqu'un qui était porteur de cette parasitose, qui revenait au même endroit et qui, par manque d'hygiène, la propageait dans ce cours d'eau. Cela veut dire que soit il le faisait sans le savoir, soit c'était un comportement irresponsable, il le savait et s'en moquait. Quand vous avez des sujets qui sont porteurs, les informez-vous de ce qu'ils portent et des conséquences que cela peut avoir sur leur comportement ?

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Dr Vincent Pommier de Santi, médecin en chef, chef de l'unité de surveillance et investigations épidémiologiques au sein du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées

Cette partie formation est essentielle. Tout d'abord, nous formons en fait l'ensemble des médecins militaires au cours de leur formation initiale et continue à l'ensemble des pathologies qu'ils sont susceptibles de rencontrer au cours des missions en zone d'endémie de ces maladies. La bilharziose en est un exemple type et nous avons eu des épidémies de bilharziose dans les armées au cours de ces dernières années. Ces épidémies faisaient suite à une exposition dans des cours d'eau, dans des zones où cette maladie est endémique, voire épidémique.

Pour répondre de manière très précise à votre question, si un militaire présente une maladie, quelle qu'elle soit d'ailleurs, bien sûr, nous l'informons de cette maladie, mais, en plus, nous le soignons. La bilharziose est une maladie qui se soigne très bien. Dans le cas présent, il s'agit probablement de ce qui circule en France, une bilharziose du voyageur. Ce sont des infections qui sont possiblement symptomatiques lors de l'exposition et qui peuvent rester latentes pendant de nombreuses années ou guérir spontanément sans avoir manifesté de symptôme clinique particulier.

Pour faire simple, si un militaire se présente avec une hématurie qui signerait peut-être une bilharziose urinaire ou des rectorragies qui signeraient une bilharziose intestinale, soyez sûr que le médecin militaire qu'il aura en face de lui cherchera systématiquement la bilharziose et que ce patient sera traité, en collaboration bien sûr avec des infectiologues des hôpitaux des armées.

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Docteur, merci pour tous ces éclairages. Voulez-vous vous-même ajouter quelque chose à ce débat pour nous éclairer ou nous orienter vers d'autres auditions ?

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Dr Vincent Pommier de Santi, médecin en chef, chef de l'unité de surveillance et investigations épidémiologiques au sein du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées

J'aimerais revenir sur un des points importants qu'a soulignés Fabrice Chandre, celui de l'accès aux moustiquaires imprégnées.

Nous avons utilisé à Djibouti des moustiquaires imprégnées d'insecticide et nous avons toujours des difficultés lorsqu'il s'agit d'utiliser des moustiquaires imprégnées d'insecticide – qui sont des armes efficaces dans la lutte contre les vecteurs – parce que nous avons des restrictions en France alors que, en parallèle, nous soutenons par l'intermédiaire du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et de l'Organisation mondiale de la santé l'utilisation de ces mêmes moustiquaires pour les populations qui en ont besoin.

J'avais déjà rencontré cette problématique quand j'étais en Guyane. Cela avait donné lieu à une expertise rapide et très efficace de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) qui nous avait permis d'utiliser en situation exceptionnelle ces moustiquaires imprégnées de pyréthrinoïdes de synthèse. Je crois que la question des moustiquaires, dans la transmission vectorielle, est cruciale. Même si nous avons ici affaire à un moustique diurne, cela reste important pour protéger les malades.

Je pense qu'un vrai travail est à faire pour disposer d'un stock de moustiquaires efficaces, des stocks stratégiques. Nous avons bien vu, avec la Covid-19, à quel point il est nécessaire de disposer de ces stocks stratégiques. Si un jour une épidémie doit survenir, il faut que ces stocks soient présents, qu'ils soient validés dans leur utilisation par les autorités compétentes, ici l'Anses, dans une situation spécifique dans laquelle la balance bénéfices-risques est forcément en faveur du bénéfice d'utilisation. C'est vraiment quelque chose qui me paraissait important à dire en conclusion.

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Pouvez-vous repréciser de quelles moustiquaires imprégnées nous parlons ? Je me souviens au début de nos auditions avoir interrogé ceux qui se sont prêtés à cette commission d'enquête notamment sur les moustiquaires bleues que l'on peut trouver dans le bush africain et qui permettent de piéger les mouches tsé-tsé, en demandant à vos prédécesseurs s'il existait une telle technique qui nous permettrait de piéger un certain nombre de moustiques responsables de ces maladies vectorielles. La réponse était plutôt négative. Les intervenants confirmaient que cela marchait bien pour la mouche tsé-tsé, mais pas pour le moustique. Pouvez-vous nous repréciser ce que sont ces moustiquaires imprégnées, s'il vous plaît ?

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Dr Vincent Pommier de Santi, médecin en chef, chef de l'unité de surveillance et investigations épidémiologiques au sein du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées

Vous avez évoqué un système de piégeage de la mouche qui transmet le parasite responsable de la maladie du sommeil. Ce dont je vous parle, ce sont des moustiquaires de lits qui servent à protéger l'individu des moustiques qui pourraient être porteurs d'un virus. L'utilisation n'est pas du tout la même. Je parle également de moustiquaires imprégnées d'insecticide – ce sont les mêmes – qui permettent de mettre un malade contagieux dans un lit et de le protéger contre des moustiques qui pourraient venir le piquer, donc s'infecter avec le virus lors de la piqûre et générer de nouveaux cas secondaires dans l'entourage proche, famille, voisins, quartier. Ce sont deux choses complètement différentes.

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Nous vous remercions vraiment pour cet exposé très instructif, qui nous a beaucoup appris . Merci au service de santé des armées d'être toujours là même quand on ne le suspecte pas.

La réunion s'achève à quinze heures.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles

Réunion du lundi 15 juin 2020 à 14 heures

Présents. – Mme Ramlati Ali, M. Philippe Michel-Kleisbauer

Excusés. – Mme Ericka Bareigts, Mme Françoise Dumas, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon