Intervention de Matthieu Crozet

Réunion du mercredi 22 septembre 2021 à 16h00
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Matthieu Crozet, professeur d'économie à l'université Paris-Saclay :

L'aspect rassurant de la désindustrialisation, c'est-à-dire la décroissance de la contribution de l'industrie à la production de richesse nationale, est qu'il s'agit d'un phénomène continu et visible partout, même si l'intensité peut varier : il est impressionnant aux États-Unis, dramatique au Japon et plus léger en Allemagne, et l'on assiste aussi à une désindustrialisation de la Chine. Dès lors que la productivité d'un secteur croît plus rapidement que les autres, il devient capable de produire toujours autant en utilisant moins de ressources financières et moins de main d'œuvre. Cela explique que l'industrie tende à occuper une part de moins en moins importante du produit intérieur brut (PIB) et de l'emploi total. Nous avons d'ailleurs pu constater une relative stabilité de ce poids en France pendant une assez longue période. Cet aspect rassurant permet en quelque sorte de transcender le débat sur la productivité, qui occupe les économistes : comment maximiser la production de richesse en employant les ressources disponibles ?

La frontière entre l'industrie et les autres secteurs est assez floue, dans la mesure où une partie du secteur tertiaire correspond à des services autrefois intégrés à des usines et qui ont été externalisés. Je pense par exemple à la maintenance, qui est fréquemment externalisée à l'heure actuelle. Inversement, de nombreuses entreprises industrielles vendent des services voire y consacrent toute leur activité. Amazon est considérée comme une entreprise de services mais son organisation est profondément industrialisée : transport, gestion des flux, approvisionnement en énergie des fermes de serveurs, etc.

J'ai souvent été conduit à débattre sur la question : pourquoi devrions-nous donc finalement nous préoccuper de la désindustrialisation ? Un fabricant de fenêtres est-il une « meilleure » entreprise qu'un pôle logistique ? C'est un débat hérétique. Des problématiques d'indépendance et d'autonomie diplomatique peuvent être évoquées mais le constat semble plus nuancé en Allemagne, où le secteur industriel est développé mais où la diplomatie est contrainte par les approvisionnements énergétiques. Nous pouvons également essayer d'aborder le problème en comparant les gains de productivité dans l'industrie et dans les services. Ne faudrait-il pas finalement imaginer des politiques basées sur la productivité plutôt que sur l'aménagement du territoire ? Peu importerait finalement la nature de l'activité sur un territoire donné pourvu que la production de richesse soit maximisée.

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