Étant moi-même historien spécialiste du plan Monnet, j'ai apprécié le propos introductif de M. Aglietta sur la planification.
Le courant de la désindustrialisation suscite parfois du déni ou encore de la désespérance. Je m'efforcerai d'éviter ces deux écueils.
Sur le très long terme, la désindustrialisation peut s'interpréter comme un mouvement de balancier par rapport à la période d'industrialisation de l'Europe qui a eu lieu au XIXe et au XXe siècles, déséquilibrant ainsi la répartition de la fabrication des richesses dans le monde. Entre le XVIe et le XIXe siècle, la Chine et l'Inde produisaient chacune environ le quart des richesses au niveau mondial. L'Europe et l'Amérique représentaient une part inférieure à 20 % et le reste du monde représentait les 30 % restants. Durant les deux siècles d'industrialisation, la part de l'Europe et son extension nord-américaine a culminé au-delà de 60 %. L'industrialisation des pays émergents – dont la Chine – a contribué à un rééquilibrage. Je souligne au passage que de tels taux de croissance, notamment en Chine depuis l'an 2000, étaient jusqu'alors sans aucun précédent historique. Ce mouvement de rééquilibrage s'opère nécessairement sur une échelle de temps relativement longue.
Comme les historiens de l'économie comme Fernand Braudel le savent très bien, la désindustrialisation est consubstantielle de l'industrialisation. On retrouve cette idée directrice aussi bien chez Karl Marx que chez Joseph Schumpeter avec le thème de la destruction créatrice. Il n'est donc absolument pas surprenant d'observer concomitamment des phénomènes d'industrialisation et de désindustrialisation.
Bien évidemment, la désindustrialisation de la France depuis les années 1970 s'inscrit dans une tendance durable et massive. Le rythme de la désindustrialisation française n'a actuellement à peu près d'égaux que ceux du Royaume-Uni et de la Belgique mais les podiums peuvent évoluer avec le temps. Selon le point de départ considéré, on peut considérer que la désindustrialisation a été moins massive en Allemagne, en Italie ou en Espagne. Nous pouvons toujours afficher une certaine prudence, eu égard par exemple à la porosité entre le secteur secondaire et le secteur tertiaire, mais cela ne remet pas en cause la tendance observée.
Au début des années 1990, on mettait en avant la faiblesse de l'économie allemande et on sous-estimait le potentiel des économies espagnole et italienne. On peut observer des différences entre les partenaires européens et à un phénomène de spécialisation, et nous devrons tenir compte de ces différences. Je pense par exemple au système de formation et d'éducation et aux modèles d'organisation territoriale (l'exemple des Länder allemands, par opposition avec le modèle centralisé français). Les différences peuvent représenter tantôt des avantages, tantôt des inconvénients. Nous devons donc prendre garde à ne pas tirer de conclusions hâtives et à considérer que les vainqueurs sont toujours les mêmes.
Mon discours ne vise pas à conclure sur un constat de fatalité. L'histoire montre que dans une situation donnée, on a toujours le choix entre plusieurs options. On peut être très imaginatif sur les innovations à inventer mais tôt ou tard, nous devrons les partager avec nos compagnons de route de l'Union européenne.