En matière de désindustrialisation et de réindustrialisation, il ne faut pas se limiter seulement à des facteurs macroéconomiques, comme on a tendance à le faire, car la désindustrialisation est, pour moi, une histoire qui relève de la défaillance de plusieurs acteurs : les entreprises, les banques, l'État et les collectivités territoriales. Les entreprises françaises sont confrontées à un triple sous-investissement, dans le domaine de l'innovation, celui des compétences et celui de l'outil productif, ce qui a obéré notre capacité à se réindustrialiser et ce qui demeure un problème.
Dans certains secteurs, les risques associés à l'intrusion de nouveaux entrants, comme la Chine ou comme les grandes entreprises américaines du secteur numérique telles que Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM), n'ont pas été identifiés. Ces derniers développent aujourd'hui des activités purement industrielles : véhicules autonomes, voitures électriques. Ils risquent de nous « ringardiser » et de « ringardiser » nos industriels.
À ce titre, tous les pays n'ont pas réagi de la même manière. L'Allemagne a par exemple mis en place le plan Industrie 4.0, qui avait pour but de répondre à ces nouvelles menaces.
Les positionnements en gamme et les erreurs stratégiques ne sont pas de la responsabilité de l'État et des acteurs publics, que l'on a tendance à fortement incriminer, en oubliant la responsabilité des entreprises. Le positionnement en gamme des automobiles, c'est aussi un choix des entreprises. Le raté du tournant du véhicule électrique c'est aussi le choix des constructeurs et des entreprises.
Je ne pense pas que nous aurions été meilleurs si nous avions eu des coûts plus faibles, plus bas. Notre pays a eu tendance à vivre de nos rentes et nous avons, par excès de naïveté ou excès de confiance, sous-estimé la capacité des autres pays à nous concurrencer et nous n'avons pas su nous réinventer. Nous évoluions encore dans le mythe de l'époque gaullo-pompidolienne mais le cadre a évolué depuis. L'Union européenne, la mondialisation et surtout le changement climatique sont autant de nouveaux défis, qui vont transformer nos manières de produire et de consommer.
Et nos ambitions, nous n'avons pas su les redéfinir. La preuve en est que nous utilisons encore des outils hérités de l'ère gaullo-pompidolienne, comme, par exemple, le plan. Aujourd'hui nous avons défini le plan, mais le plan n'a pas le rôle de gardien du temple. Nous ne faisons même pas de la planification. Nous avons conservé dix-neuf filières. A l'ère gaullo-pompidolienne, le triple objectif du général de Gaulle était de garantir à la France une indépendance dans des secteurs stratégiques tels que l'aéronautique, l'énergie et les infrastructures. Dix-neuf filières, c'est du saupoudrage, tout cela manque d'ambition. Pour ma part, j'ai trente ans, et à trente ans on aimerait bien qu'il y ait d'autres figures tutélaires que le général de Gaulle ! C'est très bien ce qui a été fait, mais j'espère que cette commission nous aidera à nous réinventer.
Réindustrialiser est possible. Lorsque j'ai commencé ma thèse en 2014, nous étions encore dans le mythe de l'ère post-industrielle et la crise de la Covid-19 nous a montré que ce n'était pas la panacée. Reconstruire le tissu productif ne sera pas simple car il a été profondément affaibli par la crise. Nous avons des écosystèmes plus étroits et nous accusons un retard technologique important. Je ne vais pas vous faire l'affront que de citer tous les facteurs. Ce n'est pas avec des chimères que nous arriverons à réindustrialiser ce pays. Il faudra réfléchir non pas en termes de produits, mais s'appuyer sur nos points forts, nos avantages comparatifs pour reconstruire une chaîne de valeur en amont et en aval et réacquérir des positions fortes. En d'autres termes, quel peut être le semi-conducteur français ? Qu'est-ce qui peut nous permettre de redevenir un acteur géopolitique mondial ? Il n'est pas question d'être leaders dans un domaine dont nous ne maîtrisons pas les technologies.
Bien entendu, nous aurons besoin d'une approche territoriale. Depuis l'ère pompidolienne, nous avons avancé dans la décentralisation. Les territoires ont un rôle à jouer et connaissent sans doute mieux les entreprises que beaucoup d'acteurs de l'État, qui se sont désintéressés de l'industrie pendant longtemps.
Il faudra penser l'industrie au-delà des usines. La réindustrialisation nécessite aussi des infrastructures. Nous avons par exemple développé des véhicules électriques, mais nous avons oublié de prévoir des bornes de recharge ! Nous allons devoir penser les capacités logistiques et de maintenance et nous allons devoir mener à bien notre plan en tenant compte des compétences et de l'innovation, afin de réduire notre dépendance et notre vulnérabilité. Il faudra choisir entre une dépendance choisie – nous ne pouvons pas être totalement indépendants – et une dépendance subie – nous subissons actuellement. Nous devrons travailler sur la fiscalité, sur l'Union européenne, nous allons devoir repenser notre modèle car celui que nous avons défini est hérité de l'après-guerre mais tout a changé depuis. Les mécanismes sociaux ont été pensés dans une ère productiviste alors qu'il s'agissait de reconstruire le pays. Nous sommes confrontés aujourd'hui au changement climatique et ce n'est pas en taxant davantage que nous allons créer un sentiment d'adhésion dans ce pays.
Nous devons remettre les choses à plat et redéfinir un projet de société dans lequel l'industrie s'inscrit parce que c'est un pilier de notre projet de société. Ne définissons pas l'industrie que nous voulons, choisissons d'abord là où nous voulons aller, puis les industries qui nous permettront d'atteindre ce but.
Pour finir sur une note davantage positive, il existe des industriels partout dans le pays, qui participent au rayonnement de la France. C'est eux le cœur battant de notre pays, nous devrions nous en inspirer pour faire renaître une industrie puissante au service de nos intérêts.