La réunion

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Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT

Mercredi 22 septembre 2021

La séance est reprise à seize heures cinq.

(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président de la commission)

La commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament procède à la tenue d'une table ronde de représentants des cercles de réflexion et organismes d'expertise en matière économique.

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Pour notre seconde table ronde, nous accueillons des experts en matière d'économie :

– M. François Lévêque, professeur d'économie au centre d'économie industrielle des Mines ParisTech ;

– M. Xavier Ragot, professeur d'économie à l'Institut d'études politiques de Paris, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ;

– M. Mathieu Plane, directeur-adjoint du département analyses et prévisions de l'OFCE ;

– Mme Anaïs Voy-Gillis, chercheuse associée au centre de recherche sur les économies et sociétés des arts et des techniques de l'Université de Haute Alsace, et consultante ;

– M. Emmanuel Jessua, directeur des études au sein de Rexecode.

Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Je vous passerai la parole pour une intervention liminaire d'environ cinq minutes chacun, puis nous échangerons sous la forme de questions et réponses. Afin de garantir l'interactivité des débats, je donnerai ensuite la parole aux députés, à raison de quatre minutes pour chaque échange.

Je vous remercie également de bien vouloir déclarer, lors de vos interventions, tous les intérêts publics ou privés qui seraient de nature à influencer vos déclarations.

Je vous rappelle par ailleurs que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et dire « Je le jure ».

Les personnes auditionnées prêtent serment tour à tour.

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Anaïs Voy-Gillis, chercheuse associée au centre de recherche sur les économies et sociétés des arts et des techniques de l'Université de Haute Alsace, et consultante

En matière de désindustrialisation et de réindustrialisation, il ne faut pas se limiter seulement à des facteurs macroéconomiques, comme on a tendance à le faire, car la désindustrialisation est, pour moi, une histoire qui relève de la défaillance de plusieurs acteurs : les entreprises, les banques, l'État et les collectivités territoriales. Les entreprises françaises sont confrontées à un triple sous-investissement, dans le domaine de l'innovation, celui des compétences et celui de l'outil productif, ce qui a obéré notre capacité à se réindustrialiser et ce qui demeure un problème.

Dans certains secteurs, les risques associés à l'intrusion de nouveaux entrants, comme la Chine ou comme les grandes entreprises américaines du secteur numérique telles que Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM), n'ont pas été identifiés. Ces derniers développent aujourd'hui des activités purement industrielles : véhicules autonomes, voitures électriques. Ils risquent de nous « ringardiser » et de « ringardiser » nos industriels.

À ce titre, tous les pays n'ont pas réagi de la même manière. L'Allemagne a par exemple mis en place le plan Industrie 4.0, qui avait pour but de répondre à ces nouvelles menaces.

Les positionnements en gamme et les erreurs stratégiques ne sont pas de la responsabilité de l'État et des acteurs publics, que l'on a tendance à fortement incriminer, en oubliant la responsabilité des entreprises. Le positionnement en gamme des automobiles, c'est aussi un choix des entreprises. Le raté du tournant du véhicule électrique c'est aussi le choix des constructeurs et des entreprises.

Je ne pense pas que nous aurions été meilleurs si nous avions eu des coûts plus faibles, plus bas. Notre pays a eu tendance à vivre de nos rentes et nous avons, par excès de naïveté ou excès de confiance, sous-estimé la capacité des autres pays à nous concurrencer et nous n'avons pas su nous réinventer. Nous évoluions encore dans le mythe de l'époque gaullo-pompidolienne mais le cadre a évolué depuis. L'Union européenne, la mondialisation et surtout le changement climatique sont autant de nouveaux défis, qui vont transformer nos manières de produire et de consommer.

Et nos ambitions, nous n'avons pas su les redéfinir. La preuve en est que nous utilisons encore des outils hérités de l'ère gaullo-pompidolienne, comme, par exemple, le plan. Aujourd'hui nous avons défini le plan, mais le plan n'a pas le rôle de gardien du temple. Nous ne faisons même pas de la planification. Nous avons conservé dix-neuf filières. A l'ère gaullo-pompidolienne, le triple objectif du général de Gaulle était de garantir à la France une indépendance dans des secteurs stratégiques tels que l'aéronautique, l'énergie et les infrastructures. Dix-neuf filières, c'est du saupoudrage, tout cela manque d'ambition. Pour ma part, j'ai trente ans, et à trente ans on aimerait bien qu'il y ait d'autres figures tutélaires que le général de Gaulle ! C'est très bien ce qui a été fait, mais j'espère que cette commission nous aidera à nous réinventer.

Réindustrialiser est possible. Lorsque j'ai commencé ma thèse en 2014, nous étions encore dans le mythe de l'ère post-industrielle et la crise de la Covid-19 nous a montré que ce n'était pas la panacée. Reconstruire le tissu productif ne sera pas simple car il a été profondément affaibli par la crise. Nous avons des écosystèmes plus étroits et nous accusons un retard technologique important. Je ne vais pas vous faire l'affront que de citer tous les facteurs. Ce n'est pas avec des chimères que nous arriverons à réindustrialiser ce pays. Il faudra réfléchir non pas en termes de produits, mais s'appuyer sur nos points forts, nos avantages comparatifs pour reconstruire une chaîne de valeur en amont et en aval et réacquérir des positions fortes. En d'autres termes, quel peut être le semi-conducteur français ? Qu'est-ce qui peut nous permettre de redevenir un acteur géopolitique mondial ? Il n'est pas question d'être leaders dans un domaine dont nous ne maîtrisons pas les technologies.

Bien entendu, nous aurons besoin d'une approche territoriale. Depuis l'ère pompidolienne, nous avons avancé dans la décentralisation. Les territoires ont un rôle à jouer et connaissent sans doute mieux les entreprises que beaucoup d'acteurs de l'État, qui se sont désintéressés de l'industrie pendant longtemps.

Il faudra penser l'industrie au-delà des usines. La réindustrialisation nécessite aussi des infrastructures. Nous avons par exemple développé des véhicules électriques, mais nous avons oublié de prévoir des bornes de recharge ! Nous allons devoir penser les capacités logistiques et de maintenance et nous allons devoir mener à bien notre plan en tenant compte des compétences et de l'innovation, afin de réduire notre dépendance et notre vulnérabilité. Il faudra choisir entre une dépendance choisie – nous ne pouvons pas être totalement indépendants – et une dépendance subie – nous subissons actuellement. Nous devrons travailler sur la fiscalité, sur l'Union européenne, nous allons devoir repenser notre modèle car celui que nous avons défini est hérité de l'après-guerre mais tout a changé depuis. Les mécanismes sociaux ont été pensés dans une ère productiviste alors qu'il s'agissait de reconstruire le pays. Nous sommes confrontés aujourd'hui au changement climatique et ce n'est pas en taxant davantage que nous allons créer un sentiment d'adhésion dans ce pays.

Nous devons remettre les choses à plat et redéfinir un projet de société dans lequel l'industrie s'inscrit parce que c'est un pilier de notre projet de société. Ne définissons pas l'industrie que nous voulons, choisissons d'abord là où nous voulons aller, puis les industries qui nous permettront d'atteindre ce but.

Pour finir sur une note davantage positive, il existe des industriels partout dans le pays, qui participent au rayonnement de la France. C'est eux le cœur battant de notre pays, nous devrions nous en inspirer pour faire renaître une industrie puissante au service de nos intérêts.

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Emmanuel Jessua, directeur des études au sein de Rexecode

Mon propos sera plus axé sur la macroéconomie. On mesure souvent la désindustrialisation à travers la diminution de la contribution de l'industrie à la valeur ajoutée ou au produit intérieur brut (PIB). La désindustrialisation n'est pas un mouvement propre à la France, et du fait des forts gains de productivité de l'industrie, l'emploi industriel tend à occuper une part décroissante de l'emploi total, alors que dans la demande, la part des bien industriels reste stable, voire peut décliner.

Je pense que nous devons donc plutôt raisonner en fonction de la performance relative de la France par rapport à ses principaux concurrents, en non pas en termes de part de l'industrie dans le PIB. Comme beaucoup de pays européens, la France a perdu du terrain par rapport aux grands pays émergents et notamment la Chine. Chez Rexecode, nous avons principalement analysé la situation comparative de la France et de ses voisins de la zone Euro, pour deux raisons principales, car Nos économies sont sensiblement au même niveau de développement et parce que nous partageons la même monnaie, ce qui nous affranchit des considérations d'effets de change et de politiques de dévaluation.

Nous avons observé, au cours des vingt dernières années, une profonde redistribution de l'activité industrielle au sein de la zone euro. L'Allemagne est la grande gagnante : l'industrie manufacturière allemande représentait, en 2000, 35,4 % de la valeur ajoutée manufacturière de la zone euro et ce taux est passé à 38,1 % en 2019. Je me borne à l'année 2019 pour ne pas perturber l'analyse avec la crise sanitaire. Inversement, la part de la France est passée de 17,5 % de l'activité manufacturière de la France à 13,8 %. L'Espagne affiche une légère baisse et l'Italie a reculé deux fois moins que la France. La France est le pays qui a connu le recul le plus important de son activité industrielle parmi les principales économies de la Zone Euro. Parallèlement, les parts de marché à l'export ont régressé dans les mêmes proportions, le parallèle est frappant.

Nous avons essayé de trouver et d'identifier des raisons. Un des paramètres qui joue rapidement un rôle est celui des coûts. Au début des années 2000, les deux principales économies de la zone euro ont mis en place des politiques radicalement opposées : l'Allemagne a mis en place des réformes du marché du travail pour diminuer le coût du travail et des cotisations – notamment par la négociation – tandis que la France appliquait une politique de réduction du temps de travail, entraînant une hausse du coût horaire. Des allégements du coût du travail sous le mandat de François Hollande ont permis de ralentir la tendance alors qu'outre-Rhin, les salaires augmentaient, mais l'enjeu est aujourd'hui de recouvrer nos pertes.

Notons que les constats sont sensiblement les mêmes dans chaque sous-secteur de l'industrie : on retrouve ces pertes de marché, l'activité manufacturière et les parts de marché françaises ont reculé dans tous les secteurs, que ce soit l'agroalimentaire, le textile, que ce soit l'automobile, la seule exception étant l'aéronautique, qui est un de nos points forts.

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François Lévêque professeur d'économie au centre d'économie industrielle des Mines ParisTech

Je vous ferai part de quelques réflexions générales en qualité de micro-économiste. Puisque je suis celui qui connait sûrement le moins l'aspect macroéconomique de la question, j'aurais aimé avoir un descriptif plus précis du diagnostic actuel et des éventuels points de controverse.

Je suis davantage spécialiste de l'analyse de la concurrence, c'est-à-dire de savoir si Bruxelles est un frein qui expliquerait la désindustrialisation. En l'occurrence, je ne pense pas que l'Union européenne explique la désindustrialisation, contrairement à l'idée répandue que l'ouverture à la concurrence voulue par Bruxelles aurait empêché l'émergence de champions nationaux et européens.

Je m'intéresse de près aux politiques industrielles. Et là le message principal est de dire qu'il y a des manières modernes de penser les politiques industrielles, qui réduisent le risque de capture par les lobbies, et il y a une légitimité théorique des politiques industrielles. Là où les économistes ne s'accordent pas c'est sur le fait de dire si les écueils principaux des politiques industriels c'est que, généralement, ce sont les plus grosses entreprises qui bénéficient des aides. Mais cet état de fait est en train de changer car il existe de manières intelligentes de mener des politiques industrielles.

Je connais bien également le thème des entreprises « superstars ». Depuis une quarantaine d'années, les inégalités sont croissantes entre les entreprises qui réussissent et celles qui ne réussissent pas, que ce soit en termes d'innovation, de profils, de parts de marché, de gains de productivité, de revenu. Il y a toujours eu des entreprises qui réussissent mieux que d'autres, mais l'écart entre celle-ci est fortement croissant.

N'étant pas un spécialiste de la question, je m'interroge au sujet de la terminologie employée. Est-il raisonnable de parler de désindustrialisation, un concept qui véhicule l'idée de déclin de l'industrie ? Cela signifie que l'industrie disparaîtrait, ce qui n'est pas le cas. Un ancien issu de mon école évoquait d'ailleurs « une France sans usines » mais je pense que nous pouvons oublier cette idée.

Vous évoquez les industries françaises de manière générale dans votre questionnaire mais je ne sais guère ce que c'est « les industries françaises », comment les caractériser, sachant que beaucoup d'usines en France sont contrôlées par des investisseurs étrangers ou ont reçu des capitaux étrangers.

La question ne se résumerait-elle pas à la compétitivité des entreprises industrielles françaises ? Le diagnostic de la désindustrialisation relève d'une déformation de la demande et de pertes de compétitivité. Selon une étude de la direction générale du Trésor, entre 1980 et 2007, les pertes de compétitivité n'expliqueraient le déclin de l'industrie qu'à hauteur de 13 %. Il serait intéressant de savoir si ce chiffre fait consensus ou non. Si la problématique est celle d'un manque de compétitivité, pourquoi employer l'expression « désindustrialisation » ?

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En l'occurrence, notre commission d'enquête a été constituée sur demande du groupe Socialistes et apparentés, qui a donc choisi le libellé de la commission. Je ne pourrais donc pas répondre à cette question, faisant pour ma part partie de la majorité présidentielle. Je laisserai donc au rapporteur le soin de vous répondre. Avant cela, nous poursuivons notre tour de table.

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Mathieu Plane, directeur-adjoint du département analyses et prévisions de l'OFCE

Alors, pourquoi l'industrie représente-elle un enjeu sachant que sa part dans le PIB est décroissante ? Tout d'abord, ce secteur est à l'origine d'une grande partie de l'innovation et de la recherche et développement. Son rôle pour la transformation de l'économie est donc extrêmement important. Son poids est faible mais la part d'entraînement est importante, à travers les consommations intermédiaires : pour produire un milliard d'euros de valeur ajoutée industrielle, trois milliards d'euros de consommation intermédiaire des autres secteurs, y compris les services, sont nécessaires. L'industrie contribue donc au développement des autres secteurs. Par ailleurs, les productions dites stratégiques concourent à notre indépendance et au maintien de notre niveau de vie et de notre santé. Enfin, les emplois industriels sont répartis différemment sur le territoire par rapport aux services, l'enjeu de la répartition des emplois industriels est majeur.

Depuis une quarantaine d'années, la désindustrialisation est un phénomène général observé dans la plupart des pays développés, pour des raisons déjà soulevées. L'industrie étant davantage productive que les services, l'emploi est moindre à valeur ajoutée égale et il tend à diminuer avec les gains de productivité.

Dans les années 1980, nous avons assisté à un premier mouvement de recentrage sur le corps de métier, à travers la sous-traitance d'un certain nombre de services qui étaient auparavant internalisés, intégrés. Aujourd'hui, 300 000 intérimaires travaillent pour le secteur industriel, mais ils sont considérés comme des prestataires de services, et il est important de délimiter le périmètre. Il est donc assez réducteur de mesurer la part de l'industrie en pourcentage du PIB sans tenir compte de ces critères-là.

Avec l'évolution du niveau de vie, les besoins en service augmentent plus rapidement que les besoins industriels, mais il s'agit là d'une tendance générale encore une fois.

La phase qui est assez critique, c'est à partir de 2000, où les parts de marché de la France à l'exportation ont commencé à se dégrader, comparativement à l'Allemagne notamment. On y voit ici deux phénomènes. L'explication tient tout d'abord à l'évolution des coûts salariaux unitaires en France et en Allemagne. Les exportateurs français ont dû, pour préserver leurs parts de marché, compresser leurs marges, réduisant leur capacité à innover et à investir. Et, deuxième point, nous assistons, sur la même période 2000-2010, à une forte augmentation des investissements directs français à l'étranger. Les fonctions de conception et de recherche ont tendance à être maintenues en France mais la production est ailleurs, souvent rapprochées de leurs marchés finaux, puis les dividendes sont rapatriés. Et on remarque qu'au fur et à mesure que la balance commerciale se dégrade, ces revenus versés de l'étranger ont tendance à augmenter. Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas compétitifs, et on a eu la naissance de champions internationaux. Quelle est leur contribution à l'économie française et à l'industrie ?

À la suite du rapport Gallois de 2012, nous avons cherché à déterminer si la désindustrialisation avait un caractère inéluctable. La France a mis en place une politique d'offre – crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) pour 20 milliards d'euros, pacte de responsabilité et de solidarité pour 15 milliards d'euros – et nous avons observé de nombreux transferts fiscaux. Ces aides ont en réalité peu profité au secteur industriel.

Cette politique assez coûteuse a pu créer des emplois, mais n'a guère amélioré la situation de l'industrie. Les parts de marché ont certes arrêté de se dégrader. Nous avons recouvré des marges mais au prix d'un effort fiscal relativement important. Nous avons observé, avant la crise, la reprise de la création d'emplois dans l'industrie, y compris dans les filières qui avaient beaucoup perdu. Peut-être que la politique de l'offre a fini par fonctionner. Les baisses des impôts sur la production sont peut-être mieux ciblées.

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Xavier Ragot, professeur d'économie à l'Institut d'études politiques de Paris, président de l'OFCE

Si je dois vous présenter une périodisation de la politique industrielle, cela commence avec le grand échec du projet pompidolien du plan Calcul a débouché sur une crise de la politique industrielle dans les années 1980. La privatisation du secteur financier est intervenue dans les années 1990.

Nous avons ensuite vu émerger des champions industriels nationaux qui ont commencé à produire à l'étranger, c'est ce qu'on appelle « les métiers régionaux ». Par exemple, Carrefour va produire et achète des groupes pour faire de la croissance externe pour faire de la distribution à l'étranger. C'est pareil pour l'industrie en Chine et le secteur bancaire.

Au début des années 2000, on voit qu'on a un problème industriel, et deux courants émergent. Le premier, lié à l'agenda de Lisbonne, proclame la fin de l'État stratège et appelle à la décentralisation, il faut que « mille fleurs fleurissent ». Le crédit d'impôt-recherche (CIR) et les pôles de compétitivité sont mis en place selon une approche ascendante « bottom-up ». Une deuxième approche émerge, notamment suite à un rapport de Jean-Louis Beffa intitulé Pour une nouvelle politique industrielle publié en 2005, pendant le mandat de Jacques Chirac. Il s'agit alors de redéfinir l'État stratège en faisant preuve d'innovation, en sélectionnant des programmes et en faisant jouer la concurrence. Et ce vocabulaire d'État stratège revient dans le débat public. Nous observons donc une tension entre la décentralisation et le rôle catalyseur de l'État, aboutissant à une défaillance institutionnelle. En même temps, un diagnostic est établi, pointant des facteurs structurels de l'économie française : l'évolution du coût du travail, la fiscalité du travail et les impôts de production. On peut alors comparer les coûts relatifs. La démographie industrielle est particulière en France, puisqu'elle est héritée du mouvement gaulliste : nous sommes dotés de très grands groupes, de petites et moyennes entreprises (PME), mais quasiment pas d'entreprises de taille intermédiaire (ETI), ces dernières étant la force du Mittelstand allemand – les entreprises détenues par des actionnaires familiaux avec un long horizon d'investissement. Le tissu industriel du nord de l'Italie est également très fort, avec de PME fonctionnant en interaction, de manière efficace.

Les PME sont innovantes mais lorsqu'elles croissent, elles finissent par être rachetées par un grand groupe et elles ne sont guère remplacées par d'autres ETI.

Je ne pourrai pas aborder tous les sujets au cours de mon intervention ; je me suis donc limité au coût du travail et à la démographie industrielle principalement.

La comparaison entre la France et l'Allemagne est essentielle à mes yeux. Nous nous sommes d'ailleurs pas mal inspirés du modèle allemand : par exemple l'activité partielle est à rapprocher du Kurzarbeit allemand, durant la crise des subprimes. En 1995, l'Allemagne a procédé à une inversion des normes, replaçant les négociations salariales au niveau des entreprises. On a donc une modération salariale depuis 1995. En 2003-2004, le marché du travail a complètement évolué, avec les lois Hartz. En 2007, une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sociale est créée : la TVA augmente et le coût du travail diminue. Jamais aucun autre pays que l'Allemagne, à ma connaissance, n'a su maintenir un coût du travail constant pendant vingt ans. Cela a été rendu possible par un syndicalisme fort, par un système de cogestion, par une forme de conflictualité au sein du dialogue social. Alors que la balance courante française était en même niveau qu'en Allemagne en 2000, l'Allemagne est devenue en 2016 le premier exportateur mondial, devant la Chine, en dépit de l'écart de population entre les deux pays (80 millions d'Allemands contre 1,3 milliard de Chinois). Le pays industriel le plus puissant au monde n'est pas la Chine, ce ne sont pas les États-Unis, mais l'Allemagne, notre voisin. Toute la politique économique allemande est orientée vers l'industrie : le prix de l'énergie – inférieurs à ceux payés par les consommateurs allemands –, la formation qui est fortement orientée vers les filières industrielles, la fiscalité, l'exportation comme moteur de la croissance. Ils ont réussi à faire cela malgré un coût social, qui a été accepté, compte tenu du modèle de cogestion.

La solution pour nous n'est pas dans l'astuce fiscale de plus, mais dans le consensus national et le dialogue social. Nous avons tenté d'aller vers le modèle de la cogestion en France. François Hollande a introduit le CICE et il est également à l'origine d'une autre mesure moins connue : la représentation des salariés dans les conseils d'administration des entreprises de plus de 5 000 salariés. Je pense que nous ne pouvons plus guère jouer sur le coût du travail dans la mesure où le coût du travail allemand est revenu à la hauteur du coût en France. Il a considérablement augmenté depuis 2015. La différence se joue donc au niveau du dialogue social. L'idée est donc d'introduire la possibilité d'une coordination au sein des entreprises.

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La crise sanitaire a révélé des dépendances extérieures fortes de notre tissu industriel. Cela n'a fait qu'ajouter à la réflexion que nous devrions chercher à reprendre pied dans cette compétitivité par rapport aux autres pays.

Effectivement, il pourrait être utile de reprendre le diagnostic de cette baisse de la part de l'industrie dans le PIB, car il n'est pas certain qu'il soit complètement partagé. Nous avons voulu, à travers cette commission d'enquête, apprécier les causes, mais également les possibilités de rebond de notre tissu industriel, non pas pour faire renaître les industries d'hier mais pour inventer celles de demain. Je partage avec vous l'idée qu'il existe aujourd'hui une certaine porosité entre l'industrie et les services. Même en réintégrant les activités sous-traitées, la taille de l'industrie dans notre PIB a diminué.

Nous avons également souhaité, dans le contexte sanitaire actuel, nous intéresser tout particulièrement à l'industrie pharmaceutique. D'autres filières mériteraient aussi notre attention bien entendu. Nos concitoyens ont été surpris par notre manque de capacité à produire des vaccins en dépit de la recherche active de traitements.

Lors de la première table ronde, nous avons constaté que la balance commerciale française intracommunautaire était déséquilibrée. Nous avons également évoqué les spécificités du capitalisme industriel français. J'aimerais bien vous entendre sur le sujet. N'existe-t-il pas un lien étroit entre le dialogue social et la structuration du capital ?

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Anaïs Voy-Gillis, chercheuse associée au centre de recherche sur les économies et sociétés des arts et des techniques de l'Université de Haute Alsace, et consultante

La question de la compétitivité peut être examinée sous deux angles : soit nous ne sommes pas suffisamment compétitifs, soit nous ne produisons pas les produits qui nous permettraient de l'être, vis-à-vis de notre structure de coûts. Nous avons tendance à fabriquer des produits de bas de gamme ou de moyenne gamme, et nous sommes soumis à de fortes tensions par rapport à d'autres pays où le coût du travail est moins élevé.

Nous avons certes fait des efforts à cet égard, mais nous avons tendance à procéder à des corrections à la marge lorsque nous souhaitons procéder à des réformes structurelles. C'est le cas, par exemple, dans un contexte de baisse des dotations aux collectivités territoriales, ces dernières ont moins de moyens. Mais de manière générale, le CICE ne profitait pas véritablement à l'industrie ; et de nouvelles taxes ont été créées par ailleurs. Si nous voulons nous attaquer à ce problème de compétitivité, il faudra remettre à plat le schéma de fiscalité, en nous posant les questions du taux de la TVA, de la taxation du travail, du capital, etc.

La capitalisation des grands groupes français représente une faiblesse car elle est de moins en moins détenue par des investisseurs français. Des ETI sont également détenues par des fonds étrangers. C'est un problème en cas de crise, quand le fonds cherche à repositionner ses actifs : en l'absence d'actionnaires français, les arbitrages ont alors tendance à être opérés au détriment de la France.

Quant au dialogue social, même si des possibilités existent dans ce domaine, le taux de syndicalisation en Allemagne est sans commune mesure avec ce que l'on observe en France. Les syndicats français ne sont plus représentatifs et la mise en place de la cogestion ne résoudra donc pas forcément notre problème. Nous pourrions envisager un système d'adhésion obligatoire pour pouvoir bénéficier des accords de branche. Des dispositifs existent dans certains pays.

On peut s'intéresser au cas allemand, qui est très intéressant. L'Allemagne a été grandement favorisée par sa proximité avec l'Europe de l'Est, ce qui en fait une force. Nous n'avons pas su mener la même intégration avec les pays du Maghreb mais nous avons d'autres pistes à examiner et d'autres exemples qui peuvent nous intéresser comme la Suisse, l'Italie (pays caractérisé par une prédominance de PME et aux exportations robustes), la Suède (pour la formation). Nous ne devons pas nous contenter de copier le modèle allemand car nous avons notre propre histoire. À partir des forces des autres, créons notre propre schéma, car le copier-coller ne marche pas.

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J'imagine que Cendra Motin rebondira sur la question des dotations aux collectivités pour réaffirmer avec force et brio qu'elles n'ont pas diminué durant ce mandat car les baisses ont été compensées par l'État.

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Emmanuel Jessua, directeur des études au sein de Rexecode

J'ai l'impression qu'un consensus se dégage à propos d'une divergence de coûts entre la France et l'Allemagne dans les années 2000. Il semble par ailleurs que les grands groupes aient eu tendance à produire au niveau des marchés de destination plutôt que sur le territoire français. La divergence de la dynamique du coût du travail a pu inciter ces grands groupes à délocaliser et à produire à proximité des marchés de destination et à moindre coût. Les deux explications ne sont donc pas incompatibles.

S'agissant de la question du tissu industriel, certes, nous ne bénéficions pas du Mittelstand allemand, mais nous pouvons noter que la France est le pays qui a connu la plus forte attrition de ses entreprises industrielles de plus de 20 salariés par rapport à ses principaux voisins. Cette tendance à la disparition concerne aussi les entreprises de 20 à 250 salariés et pas seulement les grands groupes. Au niveau de tous les indicateurs, nous observons une dichotomie par rapport à nos voisins.

Nous avons effectivement comblé le retard par rapport à l'Allemagne en termes de coût unitaire du travail, ceci résultant à la fois des allégements (CICE et pacte de responsabilité) et de la dynamique intrinsèque salariale allemande. Il n'en demeure pas moins que les impôts de production ne figurent pas dans les coûts salariaux unitaires mais pèsent sur les coûts de production. Si nous voulons rapidement récupérer un peu du terrain perdu, nous pouvons chercher à abaisser nos coûts en dessous de ceux de l'Allemagne.

En termes de péréquation budgétaire, nous sommes dans une situation atypique en zone euro : notre taux de prélèvement obligatoire est le plus élevé car nous présentons le radio de dépenses publiques le plus important. Nous devons assurer la soutenabilité de nos finances publiques, si bien que pour pouvoir abaisser les prélèvements obligatoires sur les coûts de production, il faudrait idéalement pouvoir identifier des sources d'économies budgétaires, comme la TVA sociale ou le CICE, mais les effets nets sont forcément décevants. Il faut alors trouver des sources d'économies de dépenses publiques qui soient le moins nocives possibles à la croissance. Il ne s'agit pas forcément de réduire les effectifs de fonctionnaires, on peut envisager des réformes macro-budgétaires au niveau des dépenses de transfert comme les retraites.

Je rejoins Xavier Ragot dans ses observations sur la culture des négociations au plus près de l'entreprise.

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Mathieu Plane, directeur-adjoint du département analyses et prévisions de l'OFCE

S'agissant de la question de la compétitivité, cela fait une dizaine d'années que nous avons basculé vers une politique de l'offre, le mouvement ayant été enclenché avec la réforme de la taxe professionnelle sous Nicolas Sarkozy. Nous avons lancé le CICE, le pacte de responsabilité et nous avons réformé le marché du travail (loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels) pour gagner en compétitivité. De l'autre côté, les investissements privés et publics cumulés sont supérieurs à ceux de l'Allemagne. Donc on ne peut pas dire qu'on désinvestit, puisqu'on accumule du capital productif. Au cours des années 2000, nous avons perdu l'équivalent de six points au niveau du taux de marge du secteur exportateur par rapport à l'Allemagne. L'effet de levier principal pour l'Allemagne était l'abaissement des coûts salariaux unitaires. La mie en place du salaire minimum en Allemagne et les revalorisations salariales ont ensuite provoqué un rapprochement des indicateurs français et allemands. L'argument des coûts salariaux n'est donc plus réellement valable. En revanche, nous remarquons que nous investissons beaucoup, mais nous investissons surtout dans l'immatériel en France (logiciels, bases de données) mais beaucoup moins dans les biens d'équipement. Le problème est que ce capital immatériel se déprécie rapidement, ce qui impose de maintenir un taux d'investissement élevé pour le maintenir. Le taux d'investissement n'est donc pas un indicateur pertinent. S'agissant en revanche de l'investissement net des dépréciations, nous sommes en dessous de l'Allemagne. Quant au taux de marge des exportations net des dépréciations, nous accusons un retard de 12 points par rapport à l'Allemagne. La stratégie d'investissement dans l'immatériel ne semble pas produire de résultats conséquents.

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Xavier Ragot, professeur d'économie à l'Institut d'études politiques de Paris, président de l'OFCE

Le secteur de la santé est un secteur compliqué qui demande des analyses spécifiques. Mais nous avons quand même l'impression qu'il est assez paradigmatique d'une structure industrielle française : nous avons un grand groupe – Sanofi – qui rachète des PME, qui gère par acquisition externe, qui gère une dynamique technologique, qui assume ses choix technologiques et jouit d'un quasi-monopole. Nous avons également un institut parapublic réputé – l'institut Pasteur. Le secteur se caractérise peut-être par une prise de risque plus faible que chez nos partenaires. Nous aurions peut-être besoin d'autres structures qui ouvriraient des perspectives vers d'autres choix technologiques.

Comment trouver une politique de réindustrialisation qui convienne à l'écosystème français ? La volonté de promouvoir le dialogue social dans l'entreprise se heurte à un faible taux de syndicalisation. Soit on a une politique très volontariste de chèque syndical et on force un taux de syndicalisation mais c'est une vraie difficulté. Le syndicalisme allemand s'est construit au fil des siècles. J'ai relu récemment le rapport de Pierre Massé, qui est à l'origine du plan français de l'après-guerre. Il était basé sur le dialogue social entre les partenaires sociaux : syndicats de salariés, patronat, universitaires, représentants de la société civile. Nous aurions besoin, pour réactiver le plan, d'un lieu de dialogue social national. Cela me semble nécessaire pour opérer des choix qui influeront sur les cursus de formation des ingénieurs et sur l'orientation de la recherche publique. Je pense donc que nous devons non seulement inciter au développement de la représentation des salariés, mais également créer des instances centrales de dialogue où les choix technologiques pourraient être discutés. Je pense que nous avons manqué une opportunité avec le grand plan d'investissement. Cette initiative aurait dû susciter un dialogue social sur les priorités d'investissement. La question ce n'est pas celle des produits ou des milliards d'euros. Le succès des politiques économiques dépend fondamentalement des conditions dans lesquelles elles sont élaborées.

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Nous passons à la session de questions-réponses. Comme tout à l'heure, afin de garantir à chacun la possibilité de s'exprimer, je demanderai à chaque député d'essayer de s'en tenir à quatre minutes pour poser sa question et entendre les réponses.

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J'aimerais rebondir sur les interventions de Mme Voy-Gillis, qui m'ont semblé très intéressantes. Tout d'abord, je souligne que la baisse des impôts de production a été compensé et les dotations des collectivités sont parfaitement stables depuis quatre ans, et qu'elles seront maintenues au même niveau en 2022.

Nous avons encore une marge de progression au niveau des impôts de production mais la question centrale est le financement des pertes de recettes sur le budget de l'État – nous avons commencé à y travailler dans le plan Industrie 2025.

Je pense que pour que le dialogue social prenne son essor, il faudra restaurer la confiance. D'après le dernier baromètre social qui vient d'être publié, 62 % des Français n'accordent pas leur confiance aux syndicats. Ils n'en voient même pas l'utilité. Une obligation à se syndiquer serait équivalente à mes yeux à rendre le vote obligatoire aux élections politiques.

Bien entendu, il ne s'agit pas de recréer l'industrie du passé mais de penser l'industrie du futur, compte tenu des contraintes environnementales et technologiques. Vous avez évoqué la territorialisation de l'industrie, qui répond certes à une logique environnementale mais qui dépend aussi de mécanismes économiques comme les interactions entre les prix et les salaires. Le fait de réinternaliser certaines industries pourrait entretenir l'inflation, structurellement, car les boucles prix-salaires pourraient s'installer et devraient être traitées au niveau européen.

Votre collègue Philippe Aghion en parle beaucoup, mais j'aimerais connaître votre opinion au sujet de l'idée de créer une agence pour les projets de recherche avancée de défense – Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) à l'européenne. Le modèle américain a montré qu'il était possible de mieux faire sur les innovations de rupture, et d'accélérer le développement des industries du futur. Mais nous ne pourrons certainement pas obtenir ce résultat seuls au niveau français.

Pouvons-nous nous passer d'un État stratège ? Je ne le pense pas. Je pense également que nous devons prendre nos distances avec l'héritage gaulliste et que nous construisions des modèles plus actuels. Pourquoi le plan de 30 milliards d'euros d'investissement est-il aussi long à mettre en place ? Parce que la France n'est pas toute seule pour le construire. Lorsqu'il s'agit de financer la fabrication de batteries pour voitures électriques, nous devons en discuter avec l'Allemagne. Airbus n'est pas un succès purement français, mais européen.

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Anaïs Voy-Gillis, chercheuse associée au centre de recherche sur les économies et sociétés des arts et des techniques de l'Université de Haute Alsace, et consultante

J'ai l'impression que la DARPA est le modèle à la mode. Quoi qu'il en soit, je suis favorable à la création de structures au niveau européen car le poids de la France n'est pas suffisant. Nous investissons un milliard d'euros tous les cinq ans dans l'intelligence artificielle alors que la Chine y consacre cinq milliards d'euros chaque année.

Cependant, en Européenne convaincue, j'estime qu'une telle collaboration communautaire est difficilement envisageable avec les traités actuels. L'affaire des sous-marins australiens révèle les difficultés que rencontrent les États membres à s'entendre sur un projet commun. Il n'existe aucune souveraineté européenne et vingt-sept souverainetés nationales. La France a donc besoin d'alliés pour construire une ambition européenne. L'idée serait aussi de créer une troisième voie face à la Chine et aux États-Unis.

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François Lévêque

Ma vision sur l'Europe est plus optimiste. L'idée d'une politique industrielle européenne n'est plus un sujet tabou. Nous nous sommes dotés d'outils modernes pour établir des alliances industrielles. Il ne s'agit pas de suivre le modèle d'Airbus ni de construire un modèle vertical de l'amont vers l'aval mais de rassembler tout l'écosystème concerné par le développement des batteries. L'idée est de faire naître des projets en invitant l'ensemble des entreprises qui sont complémentaire à réfléchir ensemble. Ainsi, des alliances se créent. À ce stade, aucun financement européen n'est requis. La décision est collective, ce qui signifie que le membre le plus efficace du lobby n'a pas forcément le dernier mot.

Les alliances européennes ainsi créées – qui reprennent le nom d'Airbus mais qui reposent sur un modèle différent – peuvent bénéficier plus facilement de subventions nationales et communautaires, sans oublier la Banque européenne d'investissement. L'Union Européenne doit jouer un rôle central dans la coordination des politiques industrielles des États-membres. Logiquement, lorsque des subventions sont proposées, les entreprises cherchent à en bénéficier mais l'objet n'est pas de servir en priorité celles qui exercent le lobbying le plus fort. Ce risque est présent mais nous pouvons nous en prévenir.

Dans le même ordre d'idée, une politique industrielle verte européenne me semble indispensable.

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Les comparaisons avec l'Allemagne ont été nombreuses mais n'oublions pas qu'il y a une vingtaine d'années, nous avons décidé de privilégier le développement des services par rapport à celui de l'industrie. Nos champions nationaux dans les secteurs de la banque, des assurances, de l'eau, de l'énergie et de la propreté en ont bénéficié. Or, le secteur des services emploie également un nombre important de techniciens et d'ingénieurs.

Par ailleurs, l'industrie est porteuse de risques, obéit à des normes et nécessite des investissements importants. Les métiers sont parfois pénibles, les relations sociales sont parfois compliquées et l'acceptabilité de la part des riverains est difficile à obtenir. Un changement de mentalité me semble nécessaire pour que le secteur industriel redevienne attractif par rapport aux services. Comment rendre une belle image à l'industrie ?

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Mathieu Plane, directeur-adjoint du département analyses et prévisions de l'OFCE

Le phénomène que vous évoquez est très marqué. Ce que l'on voit c'est que les services ont un contenu en emploi qui est très fort par rapport à l'industrie, qui est beaucoup plus capitalistique. Le CICE était censé favoriser la compétitivité et l'emploi, deux notions qui ne sont pas forcément compatibles. La compétitivité peut s'obtenir par la montée en gamme, par des investissements productifs, par la robotisation, mais le levier positif sur l'emploi n'est pas immédiat. Les mesures consistant à abaisser les coûts salariaux, notamment au niveau des bas salaires, bénéficient principalement au secteur des services sachant que le coût du travail est généralement supérieur dans l'industrie.

Ces niveaux de salaires pourraient donner de l'attractivité au secteur industriel mais l'historique des destructions massives d'emplois au cours des quarante dernières années n'incite guère les étudiants à choisir ces filières. L'industrie recommence aujourd'hui à créer des emplois et l'objectif sera de structurer le système éducatif pour satisfaire ces besoins d'emploi. Nous voyons déjà des tensions apparaître dans certaines filières de recrutement, alors même que les salaires peuvent sembler plus attirants. Il y a donc tout un écosystème à repenser, de la formation jusqu'à la production.

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Anaïs Voy-Gillis, chercheuse associée au centre de recherche sur les économies et sociétés des arts et des techniques de l'Université de Haute Alsace, et consultante

Tout d'abord j'insiste sur le fait que l'expression « industrie du futur » ne renvoie pas à l'idée de créer des métiers complètement nouveaux. Ce n'est pas parce que nous misons sur les industries du futur que nous n'aurons plus besoin de produire de l'acier, en France ou ailleurs.

Étudions deux stratégiques opposées, mises en place dans les années 1990. L'Allemagne a décidé de soutenir son industrie, qui se revendique comme un pays site de production, et le Royaume-Uni son secteur des services, en attirant les investissements étrangers. La France a opté pour un modèle hybride, si bien que nous n'avons pas vraiment développé les services financiers. Paris n'est pas aujourd'hui une place financière aussi importante que Londres et nous n'avons guère de GAFA français. Et on se désindustrialise.

L'acceptabilité des usines passe par l'acceptation des risques inhérents à l'industrie. Il est impossible de développer l'industrie sans devoir gérer les risques associés, alors que le principe de précaution en France est beaucoup trop fort. Délocaliser à l'autre bout du monde toutes les productions dont nous ne voulons pas en France n'est d'ailleurs guère responsable sur le plan environnemental car, sur le temps long, cela contribue au réchauffement climatique.

Les hommes politiques parlent de l'industrie mais enverraient-ils leurs enfants travailler à l'usine ? Pour que l'industrie redevienne attractive, nous devrons mettre en valeur les métiers industriels. Nous avons besoin de construire un nouveau compromis national autour de l'industrie, comme l'Allemagne l'a fait avec son programme Industrie 4.0. On peut changer de majorité, le projet reste d'actualité. C'est ce que nous devons chercher à créer par le dialogue.

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Les hommes politiques sont bien entendu favorables au développement des filières de formation pour rendre les métiers de l'industrie attractifs. Je n'ai pas d'enfant mais je serais ravi que mon neveu travaille dans l'industrie. La situation s'est d'ailleurs améliorée par rapport à 2017 comme en atteste le nombre record d'apprentis :500 000 étudiants ont choisi l'apprentissage. Dans mon département, ce nombre est passé de 2 000 à 2 900 entre 2017 et 2020. Je participe d'ailleurs à tous les événements visant à valoriser les métiers industriels, comme, par exemple, la semaine dernière, où j'ai assisté à une projection à Chartres : des élèves du lycée Jehan de Beauce ont présenté un film qui mettait en valeur leur futur métier de chaudronnier. D'ailleurs, tous les jeunes avaient trouvé un emploi avant même d'achever leur formation et les parents étaient fiers de leur réussite. Vous pouvez donc compter sur la détermination des députés pour mettre en valeur les métiers de l'industrie et les filières d'apprentissage.

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Depuis quelques années, l'industrie est redevenue créatrice nette d'emplois. Les politiques d'offre qui se sont succédé depuis une dizaine d'années commencent sans doute à payer.

Lors de ma scolarité au collège, le principal passait dans les classes et déclarait que les élèves les plus brillants en mathématiques étaient promis à un baccalauréat C, les moins bons à un baccalauréat B, les bons en français en A, et les autres iront dans les filières techniques. Nous avons réorienté l'économie vers le tertiaire par manque de volonté de soutenir l'industrie et simultanément nous avons éteint les vocations pour les métiers techniques. J'aimerais entendre vos avis sur la question.

Des entreprises industrielles à haute valeur ajoutée recommencent à s'implanter partout sur le territoire français mais elles rencontrent des difficultés pour satisfaire leurs besoins de recrutement, quand bien même elles acceptent de former leurs nouveaux salariés.

Quant aux personnes sur le marché du travail, elles peuvent hésiter à retourner vers un emploi et préférer temporiser en utilisant les amortisseurs sociaux à leur disposition.

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Xavier Ragot, professeur d'économie à l'Institut d'études politiques de Paris, président de l'OFCE

J'ai un avis nuancé sur la question des pénuries d'emploi. Depuis 2018 ou 2019, l'industrie est redevenue créatrice nette d'emplois et elle n'a jamais recruté autant. Le processus de recrutement est certes difficile mais les postes finissent par être pourvus. Réenclencher les processus de recrutement peut demander un certain temps : il faut communiquer sur son image sur son bassin d'emploi, négocier les salaires, sur le type de contrats de travail. Je n'ai donc pas l'impression que les tensions sur les recrutements soient aussi aiguës qu'il y paraît d'après certains discours.

Pour développer une bonne image de l'industrie, notamment vis-à-vis des jeunes, nous devrons démontrer qu'elle permet de régler des problématiques sanitaires et environnementales tout en contribuant à l'aménagement du territoire. Le positionnement de l'industrie vis-à-vis de la question environnementale est un enjeu clé. Le prix du carbone, en interne, est une question qui est déjà prise en compte par nos groupes industriels, qui sont plutôt en avance à cet égard. Je rappelle en outre que le salaire moyen dans l'industrie est de 1,9 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) contre 1,3 SMIC dans les services.

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François Lévêque

Une grande partie de mes étudiants de l'école des Mines se dirige vers l'industrie : vers les grands groupes, mais aussi vers les jeunes pousses (start-ups).

La démographie de l'industrie française semble trop polarisée au niveau des grands groupes et nous n'avons pas beaucoup d'entreprises de taille intermédiaire. Je ne suis pas certain, qu'à l'horizon vingt ans, que la démographie des entreprises industrielles françaises soit la plus souhaitable sous l'angle de la croissance économique, ni que la moins souhaitable soit la démographie allemande. Je n'ai pas de réponse définitive à cette question.

Si on regarde au cours des vingt ou trente dernières années, 6 000 entreprises « superstars » réalisent plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires. Leur poids dans l'économie s'est considérablement accru ces dernières années, que ce soit au niveau de la part des profits, de recherche et développement, des parts de marché. Les entreprises qui réussissent ne sont pas toutes parmi les plus grandes mais les entreprises les plus efficaces sont de grande taille. Dans un monde globalisé, si vous êtes spécialiste sur un marché donné, vous êtes davantage exposé au risque qu'un pays vous ferme ses frontières ou qu'un produit concurrent supplante le vôtre. Il est donc possible après tout que la démographie française soit la plus appropriée. Que deviendra l'industrie allemande ces vingt prochaines années avec un marché chinois qui se fermera à elle ?

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Effectivement, nous ignorons de quoi l'avenir fait, et donc si la prédominance des grands groupes dans l'industrie française sera plutôt un atout ou un handicap concurrentiel. La principale question à l'égard des grands groupes est celle de la localisation des emplois : dans quelle mesure accepteront-ils de relocaliser en France ou en Europe certaines de leurs activités ?

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François Lévêque

Il est démontré que l'économie d'un pays profite davantage du fait d'abriter des entreprises globales plutôt que de recevoir des investissements de la part de multinationales étrangères.

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Je partage votre point de vue sur ce sujet.

J'aimerais vous interroger sur la responsabilité des entrepreneurs et des financeurs. Qui est censé prendre les risques ? Quelle durée de retour sur investissement vous semble raisonnable ?

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Anaïs Voy-Gillis, chercheuse associée au centre de recherche sur les économies et sociétés des arts et des techniques de l'Université de Haute Alsace, et consultante

Les grands groupes sont positifs pour l'économie domestique à condition de ne pas se comporter comme des prédateurs de leur écosystème. Je citerai l'exemple des délais de paiement. La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, dite « loi LME », a résolu certains problèmes mais pas tous. J'ai accompagné des industriels français qui travaillaient à la fois avec des entreprises allemandes et françaises et alors que les premières paient en trois jours, les secondes sont souvent en infraction avec la loi LME. Ce n'est qu'un exemple de politique anticoncurrentielle parmi tant d'autres.

Notre écosystème bancaire est assez différent de celui de l'Allemagne ou de l'Italie puisque nos banques sont assez averses au risque. Je citerai l'exemple de l'achat d'un laminoir pour un ou deux millions d'euros qui s'intégrait à une stratégie de croissance et qu'aucune banque française n'acceptait de financer. De même, les investissements sont plus simples à trouver pour des start-ups de livraison de pizzas que pour des start-ups industrielles. Or, nous avons besoin de ce type d'entreprises si nous voulons réussir le pari de réindustrialiser la France.

Les investissements sont relativement importants en France mais encore faut-il investir dans les bonnes machines. Rappelons également que notre outil productif est plutôt vieillissant. Je citerai l'exemple d'un industriel de la filière du bois qui a acheté une machine capable de produire des panneaux en grande série mais qui n'était pas adaptée pour les productions en petite série, lui faisant perdre du temps lors des changements de format. Un autre exemple : celui d'un industriel de l'agro-alimentaire qui a acheté une machine onéreuse qui s'est avérée complètement inopérante en raison de la viscosité trop importante des fruits. Les statistiques ne reflètent pas toujours la pertinence des investissements mais seulement leur niveau.

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Emmanuel Jessua, directeur des études au sein de Rexecode

S'aggisant du financement des industries du futur, le capital risque est insuffisant, de même que les sources de financement en fonds propre pour les entreprises à forte croissance dans des secteurs pourtant cruciaux (pharmacie, environnement). Le problème serait donc celui de l'orientation de l'épargne. Les Français détiennent une épargne financière très importante mais les placements sans risque en représentent une part prépondérante compte tenu de leur aversion au risque. Il faudrait trouver un mécanisme qui permette de lever des fonds chez les épargnants pour pouvoir investir en fonds propres dans des entreprises prometteuses. L'investissement il peut être fait directement par les entreprises s'il y a les bons circuits de financement.

Sur le plan environnemental, la France représente moins de 1 % des émissions de gaz à effet de serre. L'enjeu n'est donc pas tant de les réduire que de développer sur notre sol des technologies qui contribueront à la croissance économique française et à la résolution de l'équation environnementale mondiale.

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Xavier Ragot, professeur d'économie à l'Institut d'études politiques de Paris, président de l'OFCE

Je suis assez dubitatif sur cette question du capital risque. Cela fait une dizaine d'années que l'on dit qu'il manque dix milliards de fonds propres aux PME. Quand on interroge les investisseurs ils disent que le problème c'est BPI (la Banque Publique d'Investissement), quand on interroge BPI, ils parlent de l'absence en France de culture de l'investissement. Donc tout le monde se renvoie la balle. Mais globalement les entreprises françaises ont un fort accès au crédit, si bien que leur taux d'endettement figure parmi les plus élevés. Nos PME sont assez fortement endettées mais leur taux d'accidents de crédit est parmi les plus faibles en Europe. Je suis donc relativement dubitatif par rapport au discours selon lequel les entreprises industrielles manqueraient structurellement de sources de financement.

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Emmanuel Jessua, directeur des études au sein de Rexecode

Le problème ne se limite pas aux crédits mais concerne aussi l'investissement en fonds propres.

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Xavier Ragot, professeur d'économie à l'Institut d'études politiques de Paris, président de l'OFCE

Quand on voit les licornes qui sont financées, du moins certaines qui sont financées par des flux de financement colossaux en France, pourquoi une PME qui peut ouvrir son capital ne le fait pas pour avoir ces fonds propres ? Souvent c'est parce que le propriétaire veut garder le monopole de l'entreprise. Les entreprises industrielles sont souvent réticentes à ouvrir leur capital dans une logique de transmission patrimoniale aux héritiers. Je pense que nous manquons de données qui mettraient en évidence que c'est au niveau des fonds propres que les entreprises manqueraient de ressources.

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Anaïs Voy-Gillis, chercheuse associée au centre de recherche sur les économies et sociétés des arts et des techniques de l'Université de Haute Alsace, et consultante

Nombre d'industriels que j'accompagne acceptent d'ouvrir leur capital, y compris à des fonds étrangers. Certains refusent aussi bien entendu. Malheureusement, beaucoup de start-ups industrielles sont bloquées dans leur développement au stade du passage en présérie ou à la phase industrielle faute d'investisseurs. Les investisseurs sont en effet plus frileux pour soutenir des start-ups industrielles par rapport à d'autres secteurs. Elles sont souvent contraintes de rechercher des capitaux à l'étranger.

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Au vu de la discussion que nous venons d'avoir, quelle serait à vos yeux la réforme prioritaire pour faciliter la réindustrialisation ?

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Mathieu Plane, directeur-adjoint du département analyses et prévisions de l'OFCE

La taxe carbone aux frontières est un grand sujet, au niveau européen. Offrir un prix du carbone plus compétitif faciliterait certainement les relocalisations. La baisse de l'impôt sur la production me semble aussi être une bonne idée à la réserve près que cela risque d'alimenter le déficit public structurel. Au sujet de la fiscalité, pourquoi ne négocierions-nous pas directement des contreparties avec les multinationales qui souhaiteraient s'implanter sur notre territoire ? Les investissements directs étrangers sont importants mais ils ne sont pas nécessairement générateurs d'emplois en France. Les multinationales ont tendance à maintenir des activités de recherche et développement en France mais à produire dans des pays à bas coûts. Les industries recrutent certes des ingénieurs mais il n'en est pas de même pour des opérateurs de production dans le secteur automobile ou textile – plus souvent recrutés comme intérimaires qu'en contrat à durée indéterminée (CDI).

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Beaucoup ont réfléchi à la baisse des impôts de production mais personne n'avait franchi le pas. Nous avons dû batailler ferme pour initier le mouvement.

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Xavier Ragot, professeur d'économie à l'Institut d'études politiques de Paris, président de l'OFCE

Je suggérerais de financer la baisse des impôts de production par une hausse équivalente de l'impôt sur les sociétés. Le bilan serait neutre pour l'État et je ne pense pas que le patronat y serait hostile. Je préconise également de donner au ministère en charge de l'Économie la mainmise sur le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) et de lui conférer les moyens d'animer un conseil de l'industrie et de mettre en place, en concertation avec les différentes parties prenantes – la recherche, les industriels – par un dialogue social, un programme pluriannuel de financement de projets industriels de rupture.

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Anaïs Voy-Gillis, chercheuse associée au centre de recherche sur les économies et sociétés des arts et des techniques de l'Université de Haute Alsace, et consultante

La question environnementale nous contraindra à revoir notre fiscalité et le mouvement des Gilets jaunes nous montre que nous devons remettre à plat l'ensemble de notre système fiscal. Les citoyens comme les entreprises ont l'impression de payer trop d'impôts. Nous devons créer une fiscalité adaptée aux enjeux de notre siècle. Baisser les impôts de production serait intéressant à court terme mais ce n'est pas une réponse de long terme. Nous sommes des champions en matière de création de nouvelles taxes et je suis donc prête à parier que d'ici quelques années, les effets de la baisse des impôts sur la production seront effacés.

Je souscris à l'idée de la création d'un super-ministère de l'Économie qui serait en charge de l'innovation, de l'industrie, de l'environnement et des infrastructures. La souveraineté numérique, par exemple, est intimement liée à la souveraineté industrielle. Pendant la crise de la Covid-19, nous avons tous utilisé des outils de communication à distance dont aucun n'avait été conçu en Europe. Nous avons également besoin d'infrastructures comme des câbles sous-marins pour acheminer les flux de données numériques. Si nous n'avons pas cette réflexion globale, les infrastructures qui sont au service de notre indépendance, qu'elle soit nationale ou européenne, alors nous allons manquer nos buts.

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Je confirme que les parlementaires sont très inventifs lorsqu'il s'agit de créer des taxes ! Quoi qu'il en soit, au cours du quinquennat, 50 milliards d'euros de baisses d'impôts ont été consenties, ce qui n'est pas négligeable.

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François Lévêque

Je n'ai pas de proposition d'économiste à formuler car je ne serais pas certain de pouvoir en formuler une en étant sûr qu'elle soit bonne et faisable. Ma proposition serait de délier, dans l'esprit du public, que la politique industrielle est là pour aider, pour faire de la politique lorsqu'une entreprise ferme. Il faut une politique sociale lorsque les entreprises ferment, vis-à-vis des gens touchés, vis-à-vis des territoires. Mais ceci ne correspond pas à une politique industrielle. Une politique industrielle viserait quant à elle à allouer des capitaux au développement de l'industrie du futur. L'association des deux a un coût extraordinaire : je pense qu'il serait important de dissocier la politique industrielle de la politique d'accompagnement social dans les zones touchées par un déclin industriel.

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Emmanuel Jessua, directeur des études au sein de Rexecode

Nous devons nous efforcer tout d'abord de trouver des marges budgétaires nous permettant de moins peser sur la croissance à long terme – je pense par exemple aux retraites. Cela permettrait de baisser les impôts sur la production.

Ma deuxième recommandation serait la création d'un système permettant d'orienter l'épargne vers le financement en fonds propres des petites et moyennes entreprises innovantes. Les rendements des fonds propres pourraient être assortis d'une garantie d'État.

Enfin, je suggère de renforcer l'attractivité comme le degré d'exigence des cursus technico-scientifiques afin de satisfaire les besoins de recrutement des industries. L'innovation implique une certaine excellence dans le domaine de la recherche et simultanément nous avons besoin de techniciens supérieurs.

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J'ai une dernière question pour M. Xavier Ragot : le ministre a annoncé tout à l'heure que 70 000 postes industriels étaient actuellement non pourvus. J'entends très fréquemment les chefs d'entreprise de ma circonscription se plaindre de problèmes de recrutement. Je dois d'ailleurs en rencontrer demain et si vous pouviez me souffler une réponse à leur donner, j'en serais ravi.

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Xavier Ragot, professeur d'économie à l'Institut d'études politiques de Paris, président de l'OFCE

Nous sommes en phase de reprise. Le marché du travail n'est pas encore stabilisé et beaucoup de Français sont encore dans l'attente. Quels sont les emplois non pourvus ? Les médecins, les vétérinaires, qui sont confrontés au numerus clausus. Les chaudronniers également, c'est un problème de qualification. Pour le reste, c'est un problème d'augmentation des salaires également. Les demandeurs d'emploi n'ont pas accès à certains emplois par manque de qualification et ils peuvent être hésitants à accepter un poste dans une entreprise où l'activité serait fluctuante.

Les créations d'emplois industriels ont atteint un sommet en 2019, générant une réelle tension sur les recrutements. Je pense que les industriels ont besoin, dans un premier temps, de renforcer leurs directions des ressources humaines.

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Mathieu Plane, directeur-adjoint du département analyses et prévisions de l'OFCE

Un poste peut être non pourvu soit parce que les processus de recrutement n'aboutissent pas, soit parce que le délai de recherche est plus long. Par ailleurs, nous avons vécu une crise très singulière avec une chute d'activité extrêmement violente et un redémarrage tout aussi rapide. Cela engendre une forte demande et des tensions de recrutement. Je pense que l'attractivité de certains métiers y joue un rôle, comme, par exemple, dans les secteurs du bâtiment et des travaux public (BTP) ou de la restauration. Ce ne sont pas que des questions de salaire, ce sont des questions de contrats également. S'y ajoutent des contraintes de mobilité, de formation également, certains bassins d'emploi faisant face à une pénurie de main-d'œuvre. Néanmoins, ces problèmes sont presque un bon signe.

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Anaïs Voy-Gillis, chercheuse associée au centre de recherche sur les économies et sociétés des arts et des techniques de l'Université de Haute Alsace, et consultante

À court terme, je crois qu'il y a un vrai sujet sur la coopération des entreprises, qui pourraient s'adresser à des missions d'accompagnement local pour recruter en dehors de leur bassin d'emploi. Des solutions innovantes peuvent aussi être explorées, comme le partage de salariés. J'ai l'exemple en tête d'une très petite entreprise du Sud de la France, implantée sur un bassin d'emploi déjà saturé, à qui j'ai conseillé de collaborer avec d'autres entreprises pour s'adresser à de nouveaux marchés ensemble.

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Je vous remercie et je vous invite à nous transmettre les documents contributions ou réponses au questionnaire qui vous sembleraient importants pour notre commission d'enquête.

Nos prochaines sessions d'audition sont programmées les mercredi 29 et jeudi 30 septembre 2021.

La réunion se termine à dix-neuf heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Réunion du mercredi 22 septembre 2021 à 18 heures

Présents. - M. Frédéric Barbier, M. Philippe Berta, Mme Émilie Cariou, Mme Cécile Delpirou, M. Éric Girardin, M. Brahim Hammouche, M. Guillaume Kasbarian, M. Gérard Leseul, M. Denis Masséglia, Mme Cendra Motin, M. Stéphane Viry, Mme Hélène Zannier, M. Jean-Marc Zulesi

Excusés. - M. Jean-Noël Barrot, M. Bertrand Bouyx, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Daniel Labaronne, Mme Véronique Louwagie, M. Jacques Marilossian, Mme Bénédicte Taurine, M. Jean-Louis Touraine