Alors, pourquoi l'industrie représente-elle un enjeu sachant que sa part dans le PIB est décroissante ? Tout d'abord, ce secteur est à l'origine d'une grande partie de l'innovation et de la recherche et développement. Son rôle pour la transformation de l'économie est donc extrêmement important. Son poids est faible mais la part d'entraînement est importante, à travers les consommations intermédiaires : pour produire un milliard d'euros de valeur ajoutée industrielle, trois milliards d'euros de consommation intermédiaire des autres secteurs, y compris les services, sont nécessaires. L'industrie contribue donc au développement des autres secteurs. Par ailleurs, les productions dites stratégiques concourent à notre indépendance et au maintien de notre niveau de vie et de notre santé. Enfin, les emplois industriels sont répartis différemment sur le territoire par rapport aux services, l'enjeu de la répartition des emplois industriels est majeur.
Depuis une quarantaine d'années, la désindustrialisation est un phénomène général observé dans la plupart des pays développés, pour des raisons déjà soulevées. L'industrie étant davantage productive que les services, l'emploi est moindre à valeur ajoutée égale et il tend à diminuer avec les gains de productivité.
Dans les années 1980, nous avons assisté à un premier mouvement de recentrage sur le corps de métier, à travers la sous-traitance d'un certain nombre de services qui étaient auparavant internalisés, intégrés. Aujourd'hui, 300 000 intérimaires travaillent pour le secteur industriel, mais ils sont considérés comme des prestataires de services, et il est important de délimiter le périmètre. Il est donc assez réducteur de mesurer la part de l'industrie en pourcentage du PIB sans tenir compte de ces critères-là.
Avec l'évolution du niveau de vie, les besoins en service augmentent plus rapidement que les besoins industriels, mais il s'agit là d'une tendance générale encore une fois.
La phase qui est assez critique, c'est à partir de 2000, où les parts de marché de la France à l'exportation ont commencé à se dégrader, comparativement à l'Allemagne notamment. On y voit ici deux phénomènes. L'explication tient tout d'abord à l'évolution des coûts salariaux unitaires en France et en Allemagne. Les exportateurs français ont dû, pour préserver leurs parts de marché, compresser leurs marges, réduisant leur capacité à innover et à investir. Et, deuxième point, nous assistons, sur la même période 2000-2010, à une forte augmentation des investissements directs français à l'étranger. Les fonctions de conception et de recherche ont tendance à être maintenues en France mais la production est ailleurs, souvent rapprochées de leurs marchés finaux, puis les dividendes sont rapatriés. Et on remarque qu'au fur et à mesure que la balance commerciale se dégrade, ces revenus versés de l'étranger ont tendance à augmenter. Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas compétitifs, et on a eu la naissance de champions internationaux. Quelle est leur contribution à l'économie française et à l'industrie ?
À la suite du rapport Gallois de 2012, nous avons cherché à déterminer si la désindustrialisation avait un caractère inéluctable. La France a mis en place une politique d'offre – crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) pour 20 milliards d'euros, pacte de responsabilité et de solidarité pour 15 milliards d'euros – et nous avons observé de nombreux transferts fiscaux. Ces aides ont en réalité peu profité au secteur industriel.
Cette politique assez coûteuse a pu créer des emplois, mais n'a guère amélioré la situation de l'industrie. Les parts de marché ont certes arrêté de se dégrader. Nous avons recouvré des marges mais au prix d'un effort fiscal relativement important. Nous avons observé, avant la crise, la reprise de la création d'emplois dans l'industrie, y compris dans les filières qui avaient beaucoup perdu. Peut-être que la politique de l'offre a fini par fonctionner. Les baisses des impôts sur la production sont peut-être mieux ciblées.