Si je dois vous présenter une périodisation de la politique industrielle, cela commence avec le grand échec du projet pompidolien du plan Calcul a débouché sur une crise de la politique industrielle dans les années 1980. La privatisation du secteur financier est intervenue dans les années 1990.
Nous avons ensuite vu émerger des champions industriels nationaux qui ont commencé à produire à l'étranger, c'est ce qu'on appelle « les métiers régionaux ». Par exemple, Carrefour va produire et achète des groupes pour faire de la croissance externe pour faire de la distribution à l'étranger. C'est pareil pour l'industrie en Chine et le secteur bancaire.
Au début des années 2000, on voit qu'on a un problème industriel, et deux courants émergent. Le premier, lié à l'agenda de Lisbonne, proclame la fin de l'État stratège et appelle à la décentralisation, il faut que « mille fleurs fleurissent ». Le crédit d'impôt-recherche (CIR) et les pôles de compétitivité sont mis en place selon une approche ascendante « bottom-up ». Une deuxième approche émerge, notamment suite à un rapport de Jean-Louis Beffa intitulé Pour une nouvelle politique industrielle publié en 2005, pendant le mandat de Jacques Chirac. Il s'agit alors de redéfinir l'État stratège en faisant preuve d'innovation, en sélectionnant des programmes et en faisant jouer la concurrence. Et ce vocabulaire d'État stratège revient dans le débat public. Nous observons donc une tension entre la décentralisation et le rôle catalyseur de l'État, aboutissant à une défaillance institutionnelle. En même temps, un diagnostic est établi, pointant des facteurs structurels de l'économie française : l'évolution du coût du travail, la fiscalité du travail et les impôts de production. On peut alors comparer les coûts relatifs. La démographie industrielle est particulière en France, puisqu'elle est héritée du mouvement gaulliste : nous sommes dotés de très grands groupes, de petites et moyennes entreprises (PME), mais quasiment pas d'entreprises de taille intermédiaire (ETI), ces dernières étant la force du Mittelstand allemand – les entreprises détenues par des actionnaires familiaux avec un long horizon d'investissement. Le tissu industriel du nord de l'Italie est également très fort, avec de PME fonctionnant en interaction, de manière efficace.
Les PME sont innovantes mais lorsqu'elles croissent, elles finissent par être rachetées par un grand groupe et elles ne sont guère remplacées par d'autres ETI.
Je ne pourrai pas aborder tous les sujets au cours de mon intervention ; je me suis donc limité au coût du travail et à la démographie industrielle principalement.
La comparaison entre la France et l'Allemagne est essentielle à mes yeux. Nous nous sommes d'ailleurs pas mal inspirés du modèle allemand : par exemple l'activité partielle est à rapprocher du Kurzarbeit allemand, durant la crise des subprimes. En 1995, l'Allemagne a procédé à une inversion des normes, replaçant les négociations salariales au niveau des entreprises. On a donc une modération salariale depuis 1995. En 2003-2004, le marché du travail a complètement évolué, avec les lois Hartz. En 2007, une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sociale est créée : la TVA augmente et le coût du travail diminue. Jamais aucun autre pays que l'Allemagne, à ma connaissance, n'a su maintenir un coût du travail constant pendant vingt ans. Cela a été rendu possible par un syndicalisme fort, par un système de cogestion, par une forme de conflictualité au sein du dialogue social. Alors que la balance courante française était en même niveau qu'en Allemagne en 2000, l'Allemagne est devenue en 2016 le premier exportateur mondial, devant la Chine, en dépit de l'écart de population entre les deux pays (80 millions d'Allemands contre 1,3 milliard de Chinois). Le pays industriel le plus puissant au monde n'est pas la Chine, ce ne sont pas les États-Unis, mais l'Allemagne, notre voisin. Toute la politique économique allemande est orientée vers l'industrie : le prix de l'énergie – inférieurs à ceux payés par les consommateurs allemands –, la formation qui est fortement orientée vers les filières industrielles, la fiscalité, l'exportation comme moteur de la croissance. Ils ont réussi à faire cela malgré un coût social, qui a été accepté, compte tenu du modèle de cogestion.
La solution pour nous n'est pas dans l'astuce fiscale de plus, mais dans le consensus national et le dialogue social. Nous avons tenté d'aller vers le modèle de la cogestion en France. François Hollande a introduit le CICE et il est également à l'origine d'une autre mesure moins connue : la représentation des salariés dans les conseils d'administration des entreprises de plus de 5 000 salariés. Je pense que nous ne pouvons plus guère jouer sur le coût du travail dans la mesure où le coût du travail allemand est revenu à la hauteur du coût en France. Il a considérablement augmenté depuis 2015. La différence se joue donc au niveau du dialogue social. L'idée est donc d'introduire la possibilité d'une coordination au sein des entreprises.