Le sujet des industries de santé est désormais prégnant dans le débat public et il a considérablement évolué. Ce secteur se porte bien, beaucoup mieux que l'ensemble des autres secteurs industriels, puisqu'il est le seul qui, depuis 1974, n'a pas perdu d'emplois. C'est un secteur très exportateur, à très haute valeur ajoutée, qui finance un niveau très élevé de R&D par rapport à son activité. Il n'empêche que nous avons le sentiment qu'il va mal parce que la crise a conduit à mettre à jour des fragilités qui tenaient non seulement à l'évolution mondiale de l'industrie pharmaceutique, mais également à certaines caractéristiques propres à notre pays.
Les chaînes de production des médicaments banalisés se sont mondialisées. Fréquemment, les médicaments contiennent des ingrédients provenant de plusieurs pays à bas coûts. Nous avons découvert que ces chaînes, considérées comme sûres, ne fonctionnaient plus en cas de crise sanitaire. La fabrication des masques constitue un exemple des dysfonctionnements entraînés par un manque d'anticipation du scénario de la crise.
En France, ce secteur n'a pas fait l'objet d'une attention particulière des pouvoirs publics puisqu'il était perçu comme prospère, que la recherche fondamentale en santé disposait d'un budget et qu'il était un bénéficiaire significatif du CIR. De fait, ce secteur apparemment bien portant n'a pas été jugé comme une priorité de la politique industrielle. Dans le même temps, la préoccupation de la maîtrise des dépenses de santé a conduit à une politique qui a mis l'accent sur l'obtention de prix de vente satisfaisants par les industriels pharmaceutiques implantés en France ou vendant en France. Ce contrôle des coûts a été un succès dans une large mesure et a détourné l'attention de l'appareil de production, de l'appareil de R&D et de notre capacité à progresser internationalement dans ce secteur. Nous nous trouvons donc dans une situation où la crise nous a pris au dépourvu, alors que nous pensions avoir un secteur solide et qui, à bien des égards, était effectivement solide.
Certaines fragilités, clairement identifiées désormais, se situent en aval de l'invention d'un médicament et notamment dans les essais cliniques. La France n'est pas un terrain de choix pour les essais cliniques pour des raisons liées à son organisation et au fait qu'elle n'a peut-être pas perçu suffisamment tôt l'ampleur de l'enjeu industriel. Par ailleurs, les médicaments les plus innovants sont « sur mesure », destinés à la médecine personnalisée et font l'objet de processus de production beaucoup moins industriels. Il s'agit d'un domaine de très grand avenir, à très grande valeur ajoutée, dans lequel nous pourrions et devrions progresser.
Enfin, nous disposions de talents capables d'inventer le vaccin et d'entreprises capables de le fabriquer. Il se trouve que ni Pasteur ni Sanofi n'ont inventé, commercialisé et produit à partir de la France les vaccins les plus importants et notamment les vaccins à acide ribonucléique (ARN) messager. Ce n'est ni une fatalité ni l'expression d'une crise profonde de l'industrie, mais une succession de choix qui se sont avérés malheureux dans les circonstances particulières que nous avons vécues. Il convient désormais de s'interroger quant à la localisation de la production des vaccins ainsi qu'aux conditions et au cadre juridique et économique de cette production.
La production des vaccins se répand et se relocalise. La recherche a été réalisée en Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis et elle s'étend également dans le monde. Le métier des grands groupes pharmaceutiques consiste à repérer les endroits où se déroule la recherche et soit de recruter des équipes, soit d'acheter des entreprises. Lorsqu'ils trouvent un produit susceptible de rencontrer un énorme succès, ils perçoivent des recettes gigantesques. Nous abordons là le débat autour des brevets et de la manière d'aborder la situation des entreprises qui afficheront des résultats extraordinaires dans le contexte de la vente de vaccins contre la Covid-19. Cette question mérite d'être posée d'autant plus sérieusement que beaucoup de ces entreprises auront bénéficié à un moment de leur développement d'aides publiques significatives. Il n'est donc pas illégitime de s'interroger quant aux modalités d'action de la politique publique afin que l'investissement à risque de l'argent des contribuables dans de la R&D publique, bénéficiant à des entreprises, puisse faire l'objet d'un taux de retour, notamment quand un énorme succès est assis sur de la dépense publique. En effet, les vaccins sont achetés partout dans le monde par des entités publiques.
Cette question reste ouverte. Il serait souhaitable que l'industrie pharmaceutique partage les résultats qu'elle engendre avec l'un des principaux financeurs de la recherche qui a conduit à ces résultats.