Intervention de Xavier Jaravel

Réunion du jeudi 30 septembre 2021 à 14h30
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Xavier Jaravel, professeur associé à la London School of Economics en détachement à l'Inspection générale des finances et membre du conseil d'analyse économique :

J'estime qu'il y a un bémol général sur l'idée de réindustrialisation. Les chiffres d'Eurostat de 1995 à 2019 montrent que la France ne se situe en fait pas dans une situation très particulière s'agissant de son évolution. Elle part d'une base industrielle qui est plus faible et qui diminue au cours du temps. Entre ces deux dates, la part de l'emploi industriel dans l'emploi total passe de 18,9 % à 13,6 % pour l'Union européenne (UE) à 27, et de 14,7 % à 9,1 % pour la France. La part allemande diminue également de 21,1 % à 17,1 %. On observe des données similaires sur la valeur ajoutée industrielle : l'UE à 27 passe de 20 % à 16,6 %, la France de 16,6 % à 11 %, et l'Allemagne fait figure d'exception en passant de 22,7 % à 21,2 %.

Il n'y a donc pas vraiment de spécificité française. Il faut insister sur le rôle des services aux entreprises. Les sociétés de services en ingénierie informatique (SSII) contribuent largement à l'emploi et sont en hausse entre 1995 et 2019 : elles représentent 10,4 % de la part de l'emploi en France en 1995 et 15,8 % en 2019. Elles compensent donc la baisse identifiée des emplois industriels. À mon sens, la réindustrialisation globale de la France n'est pas un sujet. En revanche, le déclin éducatif de la France et ses conséquences sur la capacité du pays à innover et à être chef de file dans les industries du futur sont un véritable enjeu. Les résultats de l'étude Trends in Mathematics and Science Study (TIMSS) de 2019 publiés l'année dernière placent la France avant-dernière des pays évalués, avec de très mauvais résultats en mathématiques. Les études de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l'Éducation nationale, montrent également une dégradation des performances françaises entre 1987 et 2017, même par rapport à elle-même. Le niveau des élèves les plus performants se dégrade lui aussi, ce qui est rarement relevé. Ce déclin absolu est bien une spécificité française, alors que le déclin relatif par rapport aux pays émergents relève d'un effet de rattrapage et concerne tous les pays développés.

La résilience est l'autre priorité. Isabelle Méjean et moi avons écrit une note à ce sujet. 4 % des importations françaises concernent des échanges de biens où la France est dépendante d'un petit nombre de pays extra-européens. C'est à la fois peu et beaucoup : les semi-conducteurs amènent par exemple avec eux toute la filière automobile. Plutôt que penser une relocalisation dans son ensemble, il faut identifier des situations précises de vulnérabilité. Mais la façon d'y remédier pose la question de la gouvernance, car tout le monde ne s'accorde pas sur ce diagnostic. La direction générale du trésor a publié une note l'an dernier en s'appuyant sur des données plus agrégées pour montrer l'absence de dépendance. La direction générale des entreprises (DGE) montre quant à elle des dépendances sur d'autres sujets. Il n'y a donc ni diagnostic partagé dans l'administration ni instance ayant l'objectif à long terme de résoudre toutes les vulnérabilités d'ici cinq ou dix ans. Il manque aussi une perspective un peu offensive qui aurait pour objet de créer les conditions d'une dépendance mutuelle en se plaçant sur un bout de la chaîne de valeurs, comme les Pays-Bas le font pour les semi-conducteurs avec des machines de dernière génération, afin d'amoindrir le problème géopolitique auquel expose la dépendance. La France est très performante en chimie et en pharmacie, sa balance commerciale est excédentaire dans ce domaine, mais c'est en même temps le secteur où il y a le plus de vulnérabilité et de dépendance sur les produits pris individuellement. L'analyse microéconomique est donc clé.

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