Je remercie M. François Geerolf d'avoir abordé les aspects macroéconomiques. La désindustrialisation n'est pas un phénomène nouveau. Pendant des années, une désindustrialisation triomphante a été menée, chacun se rappelle des propos de Serge Tchuruk qui se réjouissait de voir une France sans usine et des usines sans salariés. Plusieurs rapports, y compris parlementaires, jugeaient que le recul de l'industrie représentait l'entrée dans la modernisation, et que de même que la révolution industrielle avait causé le retard de l'agriculture, l'avenir résidait dans la tertiarisation et la dématérialisation de l'économie.
Des économistes comme Jean-Hervé Lorenzi en 2004 puis le rapport Gallois de 2012 après la crise financière de 2009 ont remis la question de la désindustrialisation au centre des enjeux de la puissance publique. Une partie des services, notamment ceux à forte intensité en connaissance, sont extrêmement dépendants de l'industrie. Il était illusoire de croire que l'Europe et la France pourraient garder l'amont et l'aval des filières de la production, de la recherche et développement (R&D) et du marketing et délocaliser le reste. Les pays où nous avons délocalisé, la Chine en tête, ont très bien su s'approprier le segment amont de la filière.
Mme Sonia Bellit a évoqué les causes de ce processus de désindustrialisation. Je souhaite souligner la reprise de conscience de la nécessité de mener une politique industrielle. Nous avons enfin un secrétariat d'État à l'industrie, après plusieurs décennies seulement marquées par le bref intermède des commissaires au redressement productif et par deux piliers présents dans toutes les politiques publiques de soutien à l'économie : quel que soit le problème, on propose toujours la baisse du coût du travail et des politiques en faveur de l'innovation. La première, au travers de l'exonération de cotisations sociales ou du crédit impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), a favorisé l'emploi de travailleurs peu payés et peu qualifiés, ce qui explique cette spécialisation dans des secteurs à basses technologies. Quant aux politiques en faveur de l'innovation et au crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche (CIR), la France a le dispositif le plus généreux en la matière. Toutefois, ce crédit est principalement utilisé pour de l'innovation de processus, de marketing ou d'organisation. L'innovation de produit, qui porte la conquête de segments de marché de plus haute qualité, reste extrêmement minoritaire.
La réindustrialisation est-elle souhaitable ? Oui. Est-elle possible ? Ce sera difficile, mais quelques éléments nous redonnent espoir. Les Territoires d'industrie produisent des résultats visibles et coûtent peu cher : environ 700 millions d'euros avec l'abondement récent supplémentaire. Je pense aux projets d'usines géantes (gigafactories) de batteries à Béthune et de panneaux solaires en Moselle. L'ancrage des entreprises aux territoires et ces politiques collectives de soutien à l'activité industrielle sont parfois plus performantes et à moindre coût que les politiques de soutien individuel aux entreprises à coup d'exonérations variées. Il faut donc les favoriser.
Citons aussi les innovations apportées dans le domaine de la transition écologique et de la sobriété productive. Il n'y a pas que les usines 4.0, mais aussi toutes les technologies de production additive qui permettent d'économiser énormément de matière. Dans un contexte de raréfaction des matières, ces innovations peuvent être très intéressantes du point de vue de la compétitivité-coût hors travail.