Intervention de François Geerolf

Réunion du jeudi 30 septembre 2021 à 14h30
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

François Geerolf, professeur assistant à l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA) et conseiller scientifique au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) :

Un faisceau d'indices nous fait dire dans cette lettre co-écrite avec Thomas Grjebine que le coût du travail est une explication au moins incomplète de ce qui s'est passé en Allemagne comme en France. La temporalité ne correspond pas et depuis, nous avons rattrapé beaucoup de notre supposé différentiel de compétitivité. Les chiffres montrent que les coûts du travail ont convergé, parce que la France a diminué son coût du travail notamment via la politique du CICE, et parce que les syndicats allemands ont obtenu des augmentations de salaire, ce que la France réclamait depuis longtemps à l'Allemagne.

Pourquoi, alors, le surplus commercial allemand est-il toujours important ? Il n'y a pas eu de diminution depuis cette baisse supposée de la compétitivité allemande. Nous rappelions dans cette lettre le facteur souvent oublié de la demande interne, dont dépend de façon endogène le coût du travail. Quand la demande interne est en berne, les industriels sont contraints de se reporter sur des marchés étrangers. C'est ce qui s'est passé quand l'Europe a mené des politiques d'austérité en 2011-2013. L'Allemagne, qui dépendait beaucoup des pays du Sud, a cherché des débouchés à l'étranger, en Chine ou aux États-Unis. Aujourd'hui, le déséquilibre n'est plus tant intra-européen qu'entre l'Allemagne vis-à-vis de la Chine et des États-Unis. Adam Smith appelait ce phénomène « l'évacuation des surplus domestiques » ( vent for surplus). Lorsque l'on n'arrive plus à vendre dans son économie domestique un surplus de production, on recherche des marchés ailleurs : cela se traduit par une politique de prix à l'étranger plus agressive et confère en même temps un avantage de compétitivité.

Le prix des services abrités et de l'immobilier est un autre facteur. Quand on fait une compression de la demande interne, le prix des services non échangeables, comme les loyers, diminue. Inversement, il y a en France une très forte hausse de l'immobilier, ce qui pousse à une hausse des coûts et donc à une hausse du SMIC qui est en partie indexé sur l'inflation. Les coûts du travail ont donc des effets endogènes sur la demande interne. Ainsi, il est nécessaire de regarder les aspects macroéconomiques et non pas seulement les aspects relatifs au coût du travail pour comprendre les déséquilibres.

Enfin, le CICE a voulu imiter la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sociale défendue par Nicolas Sarkozy. L'idée était de reproduire en France la TVA sociale, en considérant qu'elle fonctionnait en Allemagne, après avoir été établie par Angela Merkel en 2007 et déjà par Schröder en 1998, et coïncidait avec une amélioration du surplus commercial allemand. Mais les évaluations du CICE estiment ses effets de compétitivité très faibles sur l'exportation et sur l'emploi. Si la TVA sociale allemande fonctionne selon nous, ce n'est pas grâce à l'effet du coût du travail, mais grâce à l'effet de la demande interne. L'augmentation de la TVA fait diminuer la consommation et accroît les profits des entreprises, car la contribution sociale généralisée (CSG) et les charges diminuent. En Espagne et en Italie, l'austérité a marqué des moments de redressement du secteur industriel. On pourrait alors penser qu'il faut faire de l'austérité en France. Or, dans une union monétaire, chacun y aurait intérêt pour gagner des parts de marché à l'étranger : nos partenaires commerciaux n'accepteraient pas un surplus commercial de la zone euro égal à celui de l'Allemagne autour de 8 % du PIB, d'autant plus depuis la présidence de Joe Biden.

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