Merci de nous recevoir. Notre travail ne porte pas précisément sur la désindustrialisation, mais il nous a permis d'interagir avec des chercheurs qui se sont emparés des questions de délocalisation, de relocalisation et de politique industrielle en faveur de la réindustrialisation de l'Europe.
Nous nous sommes davantage interrogées sur l'innovation dans le secteur pharmaceutique que sur l'industrie et la production. Notre démarche a consisté à suivre le cheminement d'une innovation, depuis la découverte d'un nouveau mécanisme biologique ou d'une nouvelle molécule chimique dans un laboratoire académique jusqu'à la mise sur le marché d'un nouveau médicament. À chaque étape, nous nous sommes interrogées sur de possibles défaillances et sur les moyens dont disposerait la politique publique pour les combler.
Nous avons tout d'abord noté un problème général de financement de la recherche publique universitaire et scientifique en France. Les crédits alloués à la recherche fondamentale sont insuffisants. Ils sont plus faibles que dans la plupart des pays européens comparables, en particulier dans le secteur de la santé. Entre 2011 et 2018, la France, qui était déjà mal placée par rapport aux autres pays, a diminué les crédits publics accordés à la recherche en santé d'environ 30 %, pendant que d'autres pays déjà au-dessus élevaient leurs financements. Les salaires des chercheurs sont également très inférieurs en France à la moyenne de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
On observe en France une faible proximité entre la recherche fondamentale et le développement de « jeunes pousses » (start-ups) dans la biotechnologie. La Banque mondiale a montré que la France se classait 32e sur les liens entre universités et industries, derrière la Suisse, l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou les États-Unis. Nous n'avons pas d'écosystème en France comme celui de Boston aux États-Unis, équivalent de la Silicon Valley dans le domaine des biotechnologies.
Un très grand nombre d'essais cliniques sont menés en France qui pourrait être chef de file dans ce domaine. Les procédures de recrutement de patients se déroulent de manière intensive et la France est très performante dans des domaines tels que l'oncologie. Toutefois, il y a également beaucoup de mauvais essais cliniques, non « randomisés », c'est-à-dire avec des degrés de preuve des résultats insuffisants. Le financement public doit se concentrer sur les essais cliniques de bonne qualité.
Certains facteurs ne sont pas strictement français. La politique de brevet n'est pas nécessairement adaptée au développement des innovations, car les brevets offrent une protection d'une durée fixe. Ainsi, les vingt ans de protection se sont souvent déjà écoulés quand le médicament arrive sur le marché et la rentabilité des nouveaux médicaments n'est pas assurée. On pourrait imaginer des degrés de protection différenciés entre les produits et d'une durée différente, même si cela existe ponctuellement. Nous préconisons la mise en place au niveau européen des politiques de protection de la propriété intellectuelle plus adaptables aux spécificités de chaque produit.
Les modalités de fixation des prix sont en revanche une spécificité française et ce facteur apporte un éclairage sur beaucoup de vos questions. Les prix sont fixés bien avant la mise sur le marché, mais ne sont pas révisés au cours de la vie réelle du produit. Pourtant, un grand nombre de données sont susceptibles d'être recueillies durant l'utilisation du médicament et permettraient d'ajuster le prix à la valeur sociale du brevet. Les prix fixés en France font souvent l'objet de rabais importants, ce qui se comprend du point de vue des finances publiques, mais n'est pas très attractif pour les innovateurs, car ils abaissent les rentes et les profits que les laboratoires pharmaceutiques obtiendront durant la commercialisation.
Depuis l'écriture de cette note, les choses ont évolué. La collecte de données de santé est un point crucial. La Plateforme des données de santé (Health Data Hub) est une bonne initiative, mais les données qu'il produit ne sont pas encore accessibles dans de bonnes conditions aux chercheurs qui devraient les utiliser pour développer des analyses en santé publique.
La France est championne du mille-feuille administratif. Un innovateur doit passer par un nombre très important de commissions et de comités, avant de pouvoir mettre son produit sur le marché. Le plan « Innovation santé 2030 » annoncé en juin 2021 a pris la mesure de ce problème en proposant un guichet unique pour les innovateurs afin de satisfaire en une fois à l'ensemble des procédures nécessaires pour mettre un produit sur le marché, comme nous le recommandions dans notre note.
En France, nous avons assez peu d'innovations de grande valeur dans le secteur pharmaceutique, mais aussi peu de génériques. Des pays plus innovateurs et plus économes de leurs ressources publiques délivrent beaucoup plus de génériques, de l'ordre de 80 % en Allemagne contre 30 % en France. Des économies pourraient être réalisées afin de mieux financer la recherche.