Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT
Jeudi 30 septembre 2021
La séance est ouverte à dix-sept heures quarante.
(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président de la commission)
La commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament procède à l'audition des co-autrices de la note du Conseil d'analyse économique Innovation pharmaceutique : comment combler le retard français.
Mes chers collègues, nous concluons nos auditions en entendant les deux autrices de la note du Conseil d'analyse économique intitulée Innovation pharmaceutique : comment combler le retard français : Mme Anne Perrot, inspectrice générale des finances, et Mme Margaret Kyle, professeure d'économie à Mines ParisTech.
Mesdames, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vais vous passer la parole pour une présentation de vos conclusions, d'environ dix minutes, qui précédera notre échange sous forme de questions et réponses.
Afin de garantir l'interactivité des débats, après le questionnement du rapporteur, nous allons essayer de donner à chaque député quelques minutes pour vous questionner.
Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Mmes Perrot et Kyle prêtent serment.
Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Merci de nous recevoir. Notre travail ne porte pas précisément sur la désindustrialisation, mais il nous a permis d'interagir avec des chercheurs qui se sont emparés des questions de délocalisation, de relocalisation et de politique industrielle en faveur de la réindustrialisation de l'Europe.
Nous nous sommes davantage interrogées sur l'innovation dans le secteur pharmaceutique que sur l'industrie et la production. Notre démarche a consisté à suivre le cheminement d'une innovation, depuis la découverte d'un nouveau mécanisme biologique ou d'une nouvelle molécule chimique dans un laboratoire académique jusqu'à la mise sur le marché d'un nouveau médicament. À chaque étape, nous nous sommes interrogées sur de possibles défaillances et sur les moyens dont disposerait la politique publique pour les combler.
Nous avons tout d'abord noté un problème général de financement de la recherche publique universitaire et scientifique en France. Les crédits alloués à la recherche fondamentale sont insuffisants. Ils sont plus faibles que dans la plupart des pays européens comparables, en particulier dans le secteur de la santé. Entre 2011 et 2018, la France, qui était déjà mal placée par rapport aux autres pays, a diminué les crédits publics accordés à la recherche en santé d'environ 30 %, pendant que d'autres pays déjà au-dessus élevaient leurs financements. Les salaires des chercheurs sont également très inférieurs en France à la moyenne de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
On observe en France une faible proximité entre la recherche fondamentale et le développement de « jeunes pousses » (start-ups) dans la biotechnologie. La Banque mondiale a montré que la France se classait 32e sur les liens entre universités et industries, derrière la Suisse, l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou les États-Unis. Nous n'avons pas d'écosystème en France comme celui de Boston aux États-Unis, équivalent de la Silicon Valley dans le domaine des biotechnologies.
Un très grand nombre d'essais cliniques sont menés en France qui pourrait être chef de file dans ce domaine. Les procédures de recrutement de patients se déroulent de manière intensive et la France est très performante dans des domaines tels que l'oncologie. Toutefois, il y a également beaucoup de mauvais essais cliniques, non « randomisés », c'est-à-dire avec des degrés de preuve des résultats insuffisants. Le financement public doit se concentrer sur les essais cliniques de bonne qualité.
Certains facteurs ne sont pas strictement français. La politique de brevet n'est pas nécessairement adaptée au développement des innovations, car les brevets offrent une protection d'une durée fixe. Ainsi, les vingt ans de protection se sont souvent déjà écoulés quand le médicament arrive sur le marché et la rentabilité des nouveaux médicaments n'est pas assurée. On pourrait imaginer des degrés de protection différenciés entre les produits et d'une durée différente, même si cela existe ponctuellement. Nous préconisons la mise en place au niveau européen des politiques de protection de la propriété intellectuelle plus adaptables aux spécificités de chaque produit.
Les modalités de fixation des prix sont en revanche une spécificité française et ce facteur apporte un éclairage sur beaucoup de vos questions. Les prix sont fixés bien avant la mise sur le marché, mais ne sont pas révisés au cours de la vie réelle du produit. Pourtant, un grand nombre de données sont susceptibles d'être recueillies durant l'utilisation du médicament et permettraient d'ajuster le prix à la valeur sociale du brevet. Les prix fixés en France font souvent l'objet de rabais importants, ce qui se comprend du point de vue des finances publiques, mais n'est pas très attractif pour les innovateurs, car ils abaissent les rentes et les profits que les laboratoires pharmaceutiques obtiendront durant la commercialisation.
Depuis l'écriture de cette note, les choses ont évolué. La collecte de données de santé est un point crucial. La Plateforme des données de santé (Health Data Hub) est une bonne initiative, mais les données qu'il produit ne sont pas encore accessibles dans de bonnes conditions aux chercheurs qui devraient les utiliser pour développer des analyses en santé publique.
La France est championne du mille-feuille administratif. Un innovateur doit passer par un nombre très important de commissions et de comités, avant de pouvoir mettre son produit sur le marché. Le plan « Innovation santé 2030 » annoncé en juin 2021 a pris la mesure de ce problème en proposant un guichet unique pour les innovateurs afin de satisfaire en une fois à l'ensemble des procédures nécessaires pour mettre un produit sur le marché, comme nous le recommandions dans notre note.
En France, nous avons assez peu d'innovations de grande valeur dans le secteur pharmaceutique, mais aussi peu de génériques. Des pays plus innovateurs et plus économes de leurs ressources publiques délivrent beaucoup plus de génériques, de l'ordre de 80 % en Allemagne contre 30 % en France. Des économies pourraient être réalisées afin de mieux financer la recherche.
Le prix du médicament n'est pas révisé une fois qu'il a été fixé. Trouvez-vous qu'il y a suffisamment de transparence dans la construction du prix du médicament lors de la fixation du prix ? Quel calendrier de révision faudrait-il mettre en œuvre ?
Le prix est révisé en France lors de l'arrivée du générique sur le marché pour éviter un trop grand écart de prix avec le princeps. Or une fois le médicament consommé par les patients, un très grand nombre de données apparaissent sur les effets indésirables, ou des effets bénéfiques au-delà de ceux anticipés. À horizon rapproché, par exemple un an après mise sur le marché, on pourrait fixer des « clauses de rendez-vous » afin d'évaluer la valeur collective du produit.
La transparence est un sujet compliqué. Les innovateurs et les laboratoires pharmaceutiques sont en concurrence car il est rare qu'un médicament soit le seul à traiter un problème particulier. Pour le bon fonctionnement concurrentiel des marchés et afin d'éviter la collusion, il n'est pas bon d'observer les prix pratiqués par les voisins. Pour cette raison, les rabais octroyés par les laboratoires pharmaceutiques ne sont pas connus des autres laboratoires. Cependant, il y a une grande opacité puisque les chercheurs eux-mêmes ne peuvent obtenir le prix réel des médicaments. L'inconvénient de la transparence est que si une entreprise pharmaceutique observe complètement les prix d'une concurrente, elle sera tentée de faire de la collusion pour obtenir des prix équivalents.
Les autres pays européens regardent le prix en France quand ils fixent leurs prix. Un prix assez bas entraîne des conséquences pour le prix dans les autres pays. Beaucoup d'études suggèrent d'attendre avant de mettre les nouveaux médicaments sur le marché en France, pour éviter une baisse des prix en France et dans les autres pays.
Vous voulez dire que ce mode de fonctionnement retarde l'arrivée des médicaments en France, car les laboratoires préfèrent lancer les médicaments dans d'autres pays européens pour éviter une décote dans d'autres pays inspirée par le prix français.
En effet. Sinon, les brevets cachés permettent de lancer un médicament avec un prix nominal assez élevé en France et ailleurs.
Madame Perrot, en votre qualité d'inspectrice générale, peut-on se satisfaire de cette méconnaissance de la construction du coût, malgré la question de la concurrence ? Il est désagréable en tant qu'acheteur de ne pas comprendre la construction des coûts.
L'acheteur public connaît le rabais puisqu'il le négocie avec le laboratoire pharmaceutique qui fournit le produit. Il y a en réalité une tension entre la dépense d'argent public utilisé dans le remboursement aux patients, et la volonté d'être attractif pour les laboratoires et les innovateurs qui nécessite de ne pas avoir des prix trop bas.
Depuis quelques jours, certaines personnes auditionnées expliquent que la question du prix et du remboursement doit être séparée de la question industrielle. D'autres soutiennent au contraire qu'on ne peut avoir un prix trop bas pour rester attractif sur la partie industrielle. Auriez-vous des données, ou des exemples de laboratoires qui auraient arrêté d'investir en France, car le prix du médicament ou du remboursement était trop faible ?
Depuis les années 1980, la recherche est localisée aux États-Unis, en Allemagne, en Suisse, en Angleterre. Il est néanmoins difficile d'établir une causalité directe avec le prix du médicament. Les dirigeants pensent que cette causalité existe tandis que les économistes estiment qu'il faut faire la recherche où c'est le plus productif.
Les lieux où se développent la recherche et l'innovation et où se développe la production renvoient à deux questions différentes et le lien entre elles n'est pas linéaire. On peut être innovant et délocaliser sa production ailleurs.
On nous a indiqué que les pays qui accueillaient un certain nombre d'essais cliniques et qui avaient une activité dans la recherche avaient une plus grande probabilité d'accueillir la production. Souscrivez-vous à cette idée ? L'exemple de la Belgique, où l'attractivité des essais et de la recherche pourrait présager d'une localisation des productions futures, nous a été donné.
Il faut trouver des producteurs de médicaments assez spécialisés pour les essais cliniques. S'ils sont dissimulés, il faut pouvoir fabriquer le comprimé de manière dissimulée également. C'est encore un marché de niche en France ou alors il faut avoir, comme Sanofi, la capacité en interne. Ce sujet n'est pas le même que celui de la production qui sert à vendre partout. Dans notre note, nous n'avons pas étudié le lien entre production et essais cliniques.
Compte tenu des chaînes de production à échelle nationale, internationale et européenne, quels effets d'entraînement pourrait avoir un renforcement de la dépense publique et privée en faveur de la recherche ?
Nous expliquons dans la note que la recherche publique a des effets d'entraînement importants sur la génération de biotechnologies qui s'emparent d'une innovation et favorisent le passage au marché. Ce n'est pas suffisant. Comme on l'a vu avec le vaccin Pfizer-BioNtech, une seule petite start-up ne possède pas les capacités de commercialisation et de production. La recherche publique permet le développement des innovations, et c'est encore plus vrai avec la biologie qu'avec la chimie, où beaucoup d'innovations étaient produites dans les laboratoires de recherche. Dans le cas de la biologie, il s'agit plus de recherche académique. Pour qu'un grand nombre d'innovations voient le jour, il faut mieux financer la recherche publique pour permettre l'éclosion des start-ups. Une centaine d'innovations est en général nécessaire pour qu'un produit arrive au bout de la chaîne.
Avez-vous connaissance de pays qui avanceraient plus vite dans la collecte et le partage de données que vous évoquiez ?
Au Royaume-Uni, les données concernant les traitements pour la Covid-19 étaient beaucoup mieux organisées, centralisées et partagées entre plusieurs acteurs, même si cela n'a pas encore abouti pour traiter la Covid-19.
Le répertoire français des génériques est étroit par rapport à celui d'autres pays européens et l'utilisation des génériques est plus faible qu'en Allemagne, ou aux Pays-Bas où elle tourne autour de 80 %. Ces économies qu'on ne peut faire sur les génériques du fait de ce faible répertoire ne permettraient-elles pas d'augmenter les dépenses pour la recherche fondamentale publique ?
Pour qu'un innovateur soit incité à investir dans la recherche et développement (R&D), il faut que son innovation soit protégée et rentabilisée sur un marché. L'arrivée des génériques sur le marché est retardée par une richesse de stratégies anticoncurrentielles des grands laboratoires qui y ont intérêt. On peut voir cela comme la volonté d'avoir plus de marges pour pouvoir investir en R&D, mais on peut aussi seulement vouloir plus de marges, et c'est autant qui est gaspillé au lieu d'être récupéré par la puissance publique pour financer la recherche académique.
L'utilisation des génériques peut en effet permettre de réallouer les dépenses vers des médicaments plus innovants. Des efforts sont tout de même en cours aujourd'hui en France et on y utilise plus de génériques qu'il y a dix ans. On peut apprendre de l'expérience des autres pays où les consommateurs ont intérêt à utiliser le générique plutôt que la marque. L'effort est dirigé en France vers les médecins pour changer leurs habitudes, mais il faudrait aussi cibler d'autres niveaux de la chaîne de consommation.
Je parlais du répertoire lui-même. Les produits biosimilaires et hybrides ne sont pas considérés comme des génériques en France malgré le vote en ce sens des députés dans le cadre de la loi du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019. Les hybrides ne sont toujours pas substituables malgré une volonté d'élargir ce répertoire. Ce sera la solution pour faire des économies pour la sécurité sociale.
Ce n'était pas vraiment le sujet de notre note. Toutefois, l'expérience des autres pays pour les biosimilaires peut nous inspirer. Parfois, ce sont aussi les médecins et pharmaciens qui ne sont pas d'accord avec les décisions relatives à la prescription de génériques.
Depuis 2021 cependant, les médecins n'ont plus la possibilité d'écrire « non substituable » sur les ordonnances sans justification : or, la justification demande du temps, ce qui est très dissuasif dans la vie quotidienne d'un médecin.
Comment expliquez-vous la spécialisation des entreprises du secteur pharmaceutique français sur des médicaments aux autorisations de marché plus anciennes et aux prix mécaniquement plus bas ?
Il n'y a plus de brevet qui empêche la concurrence, mais ce ne sont pas non plus des génériques. C'est un marché protégé avec une grande fidélité des médecins et consommateurs. C'est une spécificité française, où ce marché reste intéressant pour les entreprises qui ont un chiffre d'affaires important. À l'inverse, les entreprises à l'étranger ne sont pas très intéressées par ce marché.
Nous évoquions l'interaction entre recherche fondamentale et recherche appliquée. Votre rapport montre un bilan assez mitigé de l'attractivité de la recherche universitaire et de l'impact international des universités françaises dans le domaine de la santé. En dehors de la faiblesse du salaire des chercheurs, quels sont les handicaps des universités françaises par rapport à la concurrence internationale ?
Quand un jeune chercheur prometteur se voit offrir un salaire beaucoup plus élevé dans une université bien mieux dotée en équipements et en moyens pour financer la recherche dans des domaines plus innovants, il choisit souvent de partir. Outre le salaire, il faut donc considérer les conditions de travail en général.
Le manque de liens entre la recherche et les start-ups participe d'un manque général de dynamique de l'attractivité de la recherche académique, pas uniquement dans le domaine de la santé. Lorsque nous avons rédigé la note, M. Alain Fischer, alors professeur au collège de France, nous a parlé du modèle d'organisation néerlandais : la recherche académique fondamentale, la recherche clinique dans un hôpital et ce qui s'ensuit, comme la commercialisation des innovations, sont très intégrées dans des unités sur un domaine donné. Tous ces éléments participent de l'attractivité pour les chercheurs.
Quelles seraient vos propositions pour rendre perfectibles ces relations ? Comment pourrait-on mettre en place un modèle comme celui des Pays-Bas ?
Nous avons manqué de temps pour y réfléchir. Des recherches ont été menées sur les universités aux États-Unis et en Europe, mais je ne préfère pas formuler des recommandations peu informées.
Notre note égrène une série de recommandations, mais elles sont assez génériques. Au cœur du plan « Innovation santé 2030 » et des 7 milliards d'euros annoncés en juin, il y avait bien la jonction entre recherche clinique et recherche fondamentale de manière à favoriser l'éclosion de start-ups proches de la sphère académique. Le plan souhaite également simplifier le parcours d'obstacles administratifs avant la mise sur le marché et développer la santé numérique qui semble fondamentale dans ces domaines. Il faut désormais attendre les réalisations. On ne décrète pas d'un coup la mise en place d'un laboratoire de recherche fondamentale dans un hôpital. Il existe toutefois des lieux qui y ressemblent : le centre régional de lutte contre le cancer Gustave-Roussy à Villejuif représente un modèle pour le cancer assez proche de ce qu'il faudrait généraliser ou accentuer dans d'autres domaines.
Il existe au sein de l'industrie du médicament un mouvement continu de recours à la sous-traitance, à l'externalisation et à la fin progressive de l'intégration verticale de l'ensemble des fonctions, notamment pour les produits dont le brevet a expiré. Qu'en pensez-vous ?
Ce n'était pas vraiment la question de notre note. Il y a quand même des exemples de laboratoires qui gardent une filière pour la production du générique. Cette sous-traitance n'est pas universelle.
Une partie de la production est en effet sous-traitée. Inversement, on voit de grands laboratoires pharmaceutiques acheter des biotechnologies. Il serait souhaitable que ces start-ups deviennent plus grosses et puissent concurrencer les grands laboratoires sur le marché pour favoriser l'innovation et la baisse des prix. Toutefois, souvent, les biotechnologies sont rachetées par de grands laboratoires qui, le cas échéant, s'approprient l'innovation. Parfois, ces acquisitions sont des acquisitions « tueuses » : les laboratoires rachètent des start-ups qui pourraient un jour leur faire de l'ombre sur des produits sur lesquels elles craignent la concurrence. Toutefois, notre note parle assez peu de production et plutôt d'innovation.
La France dispose-t-elle des incitations et moyens financiers suffisants pour pousser à l'innovation ?
C'est un débat plus général que celui qui se pose dans le secteur de la biologie et des biotechnologies. La France souffre d'un déficit de financement de l'innovation en général et des start-ups quel que soit le secteur d'activité. Ce problème a commencé à trouver des réponses, avec davantage de capital-risque aujourd'hui qu'il y a quelques années. Toutefois, le ticket moyen levé en biotechnologie en 2019 en France est de 9 millions d'euros, contre 12 millions au Royaume-Uni et 16 millions en Allemagne. Ce déficit de financement est lié au déficit de sociétés de capital-risque et à la forte aversion des Français au risque dans le placement de leur épargne.
Manque-t-il un équipement français, public ou privé, pour que nos biotechnologies puissent faire leurs lots cliniques et continuer ? Est-ce parce qu'elles sont plus avancées vers le lot clinique et plus proches de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) que les sociétés de biotechnologies des autres pays parviennent à lever plus d'argent que nos start-ups françaises ?
Nous n'avons pas regardé exactement pourquoi il existe ces différences. Monter un essai clinique est aussi plus compliqué en France que dans certains autres pays et les innovateurs prometteurs ont tendance à aller à l'étranger.
Notre note rappelle aussi que la France mène beaucoup d'essais cliniques et que certains ne satisfont pas aux critères de qualité scientifique qu'on serait en mesure d'attendre au vu de leur financement public, c'est-à-dire des essais randomisés.
C'est aussi une limite pour les essais cliniques randomisés, privés, car il y a alors moins de patients disponibles pour les essais corrects s'il y a trop d'essais de mauvaise qualité.
Vous avez souligné que la France était performante en essais cliniques, notamment en oncologie, mais qu'il y avait trop d'essais non randomisés. Comment l'expliquez-vous et comment pourrait-on l'améliorer ?
C'est plutôt une question pour l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et ceux qui financent la recherche.
Il faut exiger radicalement d'un essai clinique financé par l'argent public qu'il soit mené suivant les meilleures pratiques du moment en termes scientifiques.
Au sujet de la complexité administrative, vous mettez en exergue l'importance du nombre d'acteurs, la complexité des processus d'autorisation de mise sur le marché et de fixation du prix des médicaments. Quelles seraient les simplifications nécessaires ?
Entre l'obtention de l'autorisation de mise sur le marché d'un médicament et sa commercialisation, il s'écoule en moyenne 119 jours en Allemagne contre 489 en France. La Suisse, le Royaume-Uni et l'Espagne ont également des délais beaucoup plus rapides que la France. Même quand l'AMM a été obtenue en France, il reste toute une série d'étapes avant qu'un produit soit disponible en pharmacie. Nous recommandons de mettre en place un interlocuteur unique, avec une procédure administrative centralisée, où l'innovateur devrait fournir un dossier unique. La course d'obstacles actuelle mobilise de l'énergie, de l'argent et des emplois dans les laboratoires. Le plan « Innovation santé 2030 » semble avoir intégré cette recommandation, mais il faut que cet interlocuteur unique se substitue aux autres et ne s'y superpose pas.
On pourrait aussi décider du prix sans attendre d'atteindre l'étape d'autorisation, ou faire comme en Allemagne, où le prix est fixé un an après l'arrivée du médicament. Pendant cette année, on a l'opportunité de voir en vie réelle les effets attendus et les effets indésirables pour mieux fixer le prix.
On peut ainsi très bien fixer rapidement un prix et le réajuster au bout d'un an, pour introduire beaucoup plus rapidement l'innovation sur le marché.
Quel jugement portez-vous sur l'efficacité de la politique industrielle de l'État en faveur de l'innovation dans l'industrie pharmaceutique ?
La politique industrielle souffre du défaut de « l'éléphant au milieu de la pièce » des économistes : l'État a du mal à savoir quel est le bon produit ou la bonne innovation à financer, ce qui a mené dans le passé à des échecs de politiques industrielles. L'État peut aussi passer à côté d'une innovation qui se développe sans soutien des finances publiques. Plutôt que de localiser la production et de parier sur une technologie, il est préférable de financer l'innovation et laisser les chercheurs et innovateurs définir leur ligne de recherche et les pistes prometteuses. Le financement d'un produit sélectionné soulève des débats, comme dans le cas des usines de batteries pour voiture électrique où certains constructeurs automobiles pensent que l'on finance la mauvaise technologie. Je crains que la puissance publique ne sache pas juger davantage que les constructeurs quelles sont les bonnes technologies. La politique industrielle devrait donc se concentrer sur le financement de l'innovation.
Louis Gallois saluait hier lors de son audition par notre commission d'enquête la potentialité de cette usine de batterie et quelques retours montrent que l'expérience est prometteuse. Toutefois, j'entends votre point de vue.
Nous avons aussi évoqué lors des auditions l'idée de planification des filières et des structurations sur le long terme. Quelqu'un évoquait tout à l'heure des lois de programmation de santé. Que pensez-vous de cette restauration de la planification ?
La planification, par chance, peut bien tomber, mais peut aussi tomber à côté. Aux États-Unis, les agences comme la Biomedical advanced research and developement authority (BARDA) ou la Defense advanced research projects authority (DARPA) dans le secteur de la défense ont fait leurs preuves en allouant des moyens et en laissant beaucoup de liberté à la recherche, mais aussi en centralisant et en permettant de voir d'un seul bloc la recherche fondamentale et ses applications industrielles. C'est un modèle très prometteur. Une agence qui se situe à cette intersection a les possibilités de voir loin. À défaut de « planifier », qui est peut-être un mot fort pour ce qu'une telle agence serait susceptible de faire, il faudrait au moins anticiper les pistes de recherche prometteuses et le développement industriel qui doit suivre.
Pendant ces deux jours, nous avons entendu que le crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche (CIR), qui fonctionne bien par ailleurs, n'était pas tout à fait adapté à la santé et au médicament. Quelles modifications proposeriez-vous ?
Nous n'avons pas entendu ce retour.
D'autres évaluations ont porté plus spécifiquement là-dessus, notamment l'évaluation de 2021 du CIR réalisée par la commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation (CNEPI) différenciant les effets du CIR sur les grandes et les petites entreprises. Cependant, je ne connais pas d'analyse sectorielle dans ce domaine.
Vous évoquiez la BARDA et la DARPA. L'Union européenne mène actuellement une réflexion autour de la création d'une structure équivalente appelée Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire – Health Emergency Preparedness and Response Authority (HERA). Quel jugement portez-vous sur cette initiative ? Quelles informations avez-vous sur son fonctionnement et son périmètre ? Quelle est la place de la France dans cette construction ?
Je ne préfère pas parler d'un sujet que nous n'avons pas étudié.
Vous avez travaillé sur la protection que procurent les brevets en droit européen. Par quels moyens et sur quels critères pourrions-nous adapter la durée du brevet et l'exclusivité de l'usage de la découverte au degré d'innovation du médicament ?
Quand le brevet est déposé, on manque d'informations sur l'efficacité du médicament futur. Changer la durée de brevet aurait des implications sur tous les accords entre tous les pays pour respecter la propriété intellectuelle. Il est préférable de regarder la période d'exclusivité. En Europe, elle est de huit ans pour les données, puis de deux ans pour le marché. Beaucoup plus d'informations sont disponibles au moment où le médicament arrive sur le marché. Avec une ou deux années de plus de protection, nous pourrions être un peu plus attractifs et offrir plus de protection pour les vaccins ou les antibiotiques, car nous avons besoin d'antibiotiques innovants. L'Europe pourrait identifier des besoins dans quelques domaines et donner plus de protection pour les médicaments qui y répondent. Il pourrait aussi exister d'autres moyens comme des concours, au niveau au minimum européen, pour proposer une alternative au brevet.
Nous déplorons ici que la protection accordée par le brevet soit uniforme et non différenciée selon la nature de l'innovation et sa valeur sociale. Il serait préférable que la puissance publique passe un contrat avec des innovateurs potentiels pour s'engager à financer leur recherche et à acheter une certaine quantité de médicaments quand ils seront mis sur le marché. Substituons à ces règles très horizontales et indifférenciées des contrats plus spécifiques dans lesquels la puissance publique peut définir ses priorités, passer des contrats, lancer des concours d'innovation et s'engager pour financer le produit en question et le protéger par des exclusivités plus ou moins strictes.
Vous parlez de « puissance publique » à de nombreuses reprises. Qu'entendez-vous par là, connaissant le poids de la sécurité sociale en termes de médicaments ?
S'il s'agit de financer la recherche, nous parlons du ministère de l'action et des comptes publics, mais aussi du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Concernant le financement des essais cliniques, nous nous référons plutôt au ministère des solidarités et de la santé. Nous nous en sommes donc tenues à ce terme volontairement englobant, mais flou, de « puissance publique ».
Merci beaucoup pour la qualité de vos réponses. Je vous propose de compléter nos échanges en envoyant au secrétariat les éléments que vous jugerez utiles à la commission d'enquête et que nous n'aurions pas évoqués ici.
La réunion se termine à dix-huit heures quarante-cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament
Réunion du jeudi 30 septembre 2021 à 14h30
Présents. – M. Philippe Berta, Mme Émilie Cariou, M. Éric Girardin, M. Guillaume Kasbarian, M. Luc Lamirault, M. Gérard Leseul
Excusés. – M. Bertrand Bouyx, Mme Jennifer De Temmerman, Mme Véronique Louwagie, M. Jacques Marilossian, M. Jean-Louis Touraine