Intervention de Philippe Truelle

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 10h30
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Philippe Truelle, vice-président de l'Association des moyens laboratoires et industries de santé (AMLIS) et président de CDM Lavoisier :

Je vous remercie de nous apporter une occasion unique de témoigner de l'existence d'un tissu industriel mal connu. L'AMLIS est une association fondée en 1969 qui regroupe une cinquantaine de très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME) dans le secteur de la santé. Ces entreprises représentent aujourd'hui la moitié des TPE-PME du secteur et forment un tissu essentiel au développement de notre territoire, notamment en matière industrielle. Chacune possède en effet un site de distribution, de production, de recherche, ou un siège social dans plus de la moitié des départements français. Il s'agit pour la plupart d'entreprises à taille humaine et d'origine essentiellement familiale. Elles génèrent un chiffre d'affaires de plus de 3 milliards d'euros, soit une moyenne de 60 millions d'euros. L'effectif moyen de ces entreprises s'élève à 70 personnes et elles participent à la dynamique de notre secteur en matière d'emploi. Une étude récente menée au sein de l'association montre une évolution des effectifs de l'ordre de 5 % à 7 % dans nos entreprises au cours de ces cinq dernières années.

Nos entreprises sont investies dans le développement de nouveaux médicaments, parfois en biotechnologie ou dans le champ des thérapies orphelines, comme la société CTRS. Elles sont investies dans la fabrication et la distribution de médicaments sur le territoire national : la moitié de nos entreprises possèdent un site industriel en propre ou disposent d'un réseau de façonniers essentiellement français.

La crise sanitaire n'a fait que mettre en lumière la tension extrême qui pèse sur le tissu industriel et sa chaîne de valeurs, depuis les fabricants de matières premières auxquels font appel nos entreprises – il n'y a pas d'intégration – jusqu'aux sites de production. Des aspects économiques expliquent cette tension. Nos entreprises produisent en majorité des médicaments du quotidien ou « commodités », dont le prix moyen est estimé entre 11 et 15 centimes d'euro pour une gélule, et entre 14 et 15 centimes d'euro pour une ampoule sur les injectables. Ces médicaments sont pourtant essentiels à la prise en charge de maladies chroniques ou de situations d'urgence pour nos concitoyens. D'ailleurs, la crise sanitaire que nous venons de traverser a montré l'importance de certains de ces médicaments peut être oubliés ou mal connus du grand public et qui pourtant étaient fabriqués dans ces entreprises.

Notre secteur souffre malheureusement d'une image négative. Une enquête récente menée par Ipsos à la demande de notre branche montre que l'appréhension du secteur par les citoyens reste négative à la sortie de la crise sanitaire. Moins d'un jeune sur six est désireux de travailler dans l'industrie pharmaceutique, malgré l'élan qu'aurait dû générer la pandémie. Cet enjeu se révèle au quotidien à nos entreprises à travers les difficultés de recrutement de profils notamment techniques. Il est paradoxal qu'au terme d'études parfois longues et techniques, les jeunes craignent de ne pas trouver de travail, tandis que notre secteur offre des métiers exaltants qui permettent comme peu d'autres secteurs de s'engager pour le bien commun. Malheureusement, ces deux volontés ne se rencontrent pas, sans doute en raison du poids de la désindustrialisation et de la négation de l'intérêt de ce tissu pour notre pays. Depuis trente ans, certaines décisions politiques ont favorisé d'autres secteurs, notamment dans le tertiaire. Les métiers de l'industrie ont peu à peu pris l'image de métiers salissants, exigeants et complexes, qu'il convenait de délocaliser vers d'autres zones géographiques. La crise a pourtant montré l'intérêt d'un tissu local réactif, capable de répondre à des urgences. Au plus fort de la crise, lorsque certaines frontières ont été fermées et que certaines matières premières n'étaient plus disponibles, la France a été confrontée à des pénuries de médicaments.

Je souhaitais réagir à l'idée que l'État puisse prendre en charge la production de certains médicaments, une petite musique que l'on entend depuis plusieurs années. L'Agence générale des équipements et produits de santé (AGEPS) de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) et la Pharmacie centrale des armées possèdent aujourd'hui les deux principaux sites industriels publics de fabrication des médicaments. Je connais bien ces deux sites puisque nous collaborons avec eux. Le premier s'apprête à fermer. Je déplore cette décision à titre personnel. Si nous voulons disposer d'une capacité de réaction, nous devons pouvoir nous appuyer sur un tissu très diversifié. C'est l'intérêt de posséder des entreprises qui produisent des petites séries de médicaments techniques, de médicaments injectables peu développés sur le territoire. Je ne dispose pas de tous les éléments mais la décision de l'AGEPS me semble répondre à des motifs économiques. Maintenir un site industriel en France est coûteux, et les prix que j'ai évoqués sont beaucoup trop faibles. Le développement de médicaments techniques nécessite l'intervention d'acteurs importants localisés pour la majorité en Europe. La politique menée depuis plusieurs années cherche à équilibrer l'enveloppe des dépenses de médicaments pris en charge en finançant les médicaments les plus innovants et les plus chers avec les médicaments les plus anciens. Ce système est en bout de course : dans la vague d'innovation actuelle, ces médicaments ne peuvent coexister dans le même système de financement et il est indispensable de trouver de nouvelles solutions pour les financer.

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