Je n'étais pas opposé à l'idée de m'implanter ailleurs en Europe. Il y avait des laboratoires au Portugal et en Italie que j'aurais pu racheter aussi. Cependant, en tant que Français, le rachat d'une usine était plus facile. J'avais le projet de transférer les produits développés dans mon usine en Inde pour les fabriquer dans un pays européen.
On arrive au bout d'un cycle. Les multinationales se sont séparées de leur outil industriel et l'ont revendu à des acteurs comme Delpharm, Famar, Fareva ou des laboratoires de l'AMLIS. Le laboratoire que j'ai racheté à Valenciennes appartenait anciennement à Abbott. Les investissements et le recrutement en support réglementaire nécessaires ne sont pas compensés par les prix. Il faut du capital intensif, avec des dépenses d'investissement. Les multinationales ont donc abandonné ces outils industriels aujourd'hui entre nos mains. Les prix n'ont pas baissé dernièrement mais la clause de sauvegarde permet à l'État de compenser l'absence de diminution des prix. La baisse des marges et la pression sur les prix se poursuivent en France. Seule la méthode change…
Depuis mon usine indienne, il n'était pas viable de déposer, enregistrer et lancer un produit sur le marché français comme les capsules, les médicaments oraux, les sachets, alors que j'ai lancé des produits dans un très grand nombre de pays, comme l'Italie, l'Espagne, le Canada, le Royaume-Uni, l'Afrique du Sud ou la Russie. J'ai fait le pari de racheter une usine en France qui bénéficiait déjà d'un tissu de clients sur des génériques et la speciality pharma afin de disposer d'une base pour le marché français. Mon calcul concernait donc le marché français, et non l'export. Quand le tissu industriel français est endommagé, c'est aussi l'export qui en souffre. Nous n'avons pas perdu des positions dans le classement par rapport à nos partenaires européens : nous avons également perdu des positions à l'export. Les Espagnols, les Suisses et les Allemands ont gagné des parts de marché à l'exportation. L'exportation française se porte bien mais elle pourrait se porter encore mieux. La France est dotée d'un tissu industriel reconnu à l'international. Mais combien d'usines se créent aujourd'hui pour la production des médicaments matures ? Il n'y a aujourd'hui que des fermetures ! Les usines de produits matures passent aujourd'hui dans les mains des PME. Après les PME, il n'y aura rien ! Il n'y aura que des fermetures...
On en est arrivé à un point où les clients refusent même de mettre à jour les dossiers de modification des produits. La pression sur la constitution de stocks de deux mois supplémentaires risque de pousser un grand nombre d'acteurs à ne pas renouveler leurs AMM en France au vu des faibles marges et des coûts de renouvellement des dossiers. Les gens sont quand même là pour faire de l'argent. Des produits vont disparaître en France car les entreprises cherchent à réaliser des bénéfices. Les pénuries – les chiffres montrent une multiplication par 40 en quinze ans, hors Covid-19 – vont continuer et s'accélérer !