Intervention de Didier Véron

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 11h30
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Didier Véron, directeur des affaires corporate du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), président du G5 Santé :

Je vous remercie de nous donner l'occasion d'échanger avec vous ce matin. L'indépendance sanitaire de la France et de l'Europe est une priorité pour le G5 Santé depuis sa création. Nous avons toujours souhaité à conserver nos sites industriels et nos centres de recherche en France. La création de cette commission d'enquête chargée d'établir les moyens de réindustrialiser la France est pour nous une excellente chose.

Le G5 Santé est un cercle de réflexion qui regroupe les présidents des huit premières entreprises de santé françaises, d'un grand groupe comme Sanofi à des entreprises de taille moyenne comme Ipsen, Guerbet, Servier, Pierre Fabre, bioMérieux, Théa et le LFB. Le G5 représente donc l'industrie de santé, avec des entreprises spécialisées dans les dispositifs médicaux et l'imagerie médicale, et pas seulement des entreprises du secteur du médicament. Les dirigeants de ces entreprises sont attachés à l'empreinte industrielle en France. Ces huit entreprises possèdent 52 usines en France, réparties dans les 13 régions françaises, et participent de l'aménagement du territoire. La moitié des emplois du secteur, soit 20 000 emplois industriels, se retrouvent au sein du G5 Santé dont les membres possèdent 32 centres de recherche et réalisent les trois quarts des investissements du secteur recrache et développement (R&D). Cet outil industriel dégage environ 9 milliards d'euros d'excédent de la balance commerciale. En effet, nos usines exportent largement hors du territoire national.

Nous sommes des entreprises globales. Le marché français représente moins de 10 % de notre chiffre d'affaires total, mais 30 % de nos emplois sont situés en France, et 50 % de nos investissements en R&D y sont réalisés.

Le G5 est un cercle de réflexion qui mène très régulièrement des études pour conforter nos dires et documenter nos propositions. Avant la crise sanitaire provoquée par la Covid-19, nous avions alerté les pouvoirs publics sur l'affaiblissement du tissu industriel français. En 2019, une première étude conduite avec le Bureau d'informations et de prévisions économiques (BIPE) a analysé l'évolution de la question industrielle de la santé en France et la contribution du G5 Santé à la richesse nationale. Elle montrait que la France décline tant sur sa part en termes d'exportation par rapport à d'autres pays – nous sommes au 6e rang européen –, qu'en matière de balance commerciale – nous arrivons au 7e rang, derrière le Danemark, les Pays-Bas et la Belgique. La France, qui était le premier producteur européen de médicaments, se situe aujourd'hui en 4e place et risque de se retrouver à la 5e place sous peu.

Nous alertons les pouvoirs publics depuis des années sur ce sujet-là. L'une des causes de ce déclin est la forte régulation qui pèse sur les produits de santé depuis les années 2010. Entre 2010 et 2018, la croissance moyenne du marché du médicament a été égale à zéro alors que l'inflation a atteint les 9,5 % sur la même période. Aucun autre secteur stratégique n'a connu un taux de croissance similaire. Ceci s'explique par les économies sur les dépenses de santé, en particulier sur la santé en ville. Le médicament et les dispositifs médicaux ont représenté 83 % des économies imposées par l'État. Le Président de la République a lui-même indiqué que l'État avait trop abusé du levier des baisses de prix et par conséquent abîmé le secteur industriel de la santé. C'est exactement ce que l'étude du BIPE a démontré.

Cette étude souligne également que cette forte régulation avait abîmé nos entreprises. La contribution des huit entreprises du G5 au PIB a diminué de 23 % entre 2010 et 2017. Leur contribution s'élevait en 2010 à 0,88 % du PIB français, contre 0,68 % en 2017 en raison de cette régulation. La baisse des prix a impacté le chiffre d'affaires global du G5 en France qui a décru de 16 %. Seule notre croissance à l'international, qui a été de 6 % sur la période, permet à notre chiffre d'affaires de rester stable.

Entre 2010 et 2016, la profitabilité de nos entreprises a chuté de 31 % en France. Quand on examine la situation des entreprises ayant connu une baisse de profitabilité de même ampleur, on se rend compte qu'elles ont réduit l'emploi, par exemple de 21 % dans le secteur de l'automobile et de 6 % dans l'industrie pharmaceutique en général. Les entreprises du G5 ont fait le choix de conserver les emplois, qui sont restés stables avec une croissance de 0,4 % sur la période.

Nous avons travaillé avec Care Factory pour analyser notre empreinte sanitaire et notre rapport aux patients en France. 84 % des Français qui utilisent des médicaments et produits de santé sont couverts par un produit du G5 Santé. 53 % des patients français utilisent des produits et médicaments du G5 pour traiter des maladies chroniques sur six mois. Nos sites de production n'ont pas été délocalisés. 83 % de nos médicaments ont au moins leur site de fabrication du principe actif situé en Europe ; 95 % du produit fini est fabrique en France ou en Europe. Nous apportons une réelle contribution sanitaire aux Français.

Lors de la dernière rencontre du G5 Santé en 2020, une étude a été publiée en rapport avec la question de l'approvisionnement en flacons, en principes actifs et en matières premières durant la crise de la Covid-19. À la demande des dirigeants des entreprises du G5, nous avons constitué un groupe de travail avec notre directeur industriel, notre directeur achat monde et le cabinet PriceWaterhouseCoopers pour identifier nos points de fragilité sur l'approvisionnement en matières premières. L'étude portait sur une dizaine de segments sélectionnés par nos entreprises représentant la moitié de nos achats. Nous avons noté une certaine dépendance envers les pays asiatiques à bas coûts pour certains segments, ainsi qu'envers les États-Unis et le Japon pour les matières premières des produits en cancérologie. Nous avons proposé au Gouvernement de reconstituer une filière de chimie pharmaceutique en France et en Europe. Nous étions les premiers industriels français à réaliser cette étude pour sécuriser nos approvisionnements. Nous avons conclu qu'un investissement d'un milliard d'euros serait nécessaire pour reconstituer cette filière, qui permettrait de générer 240 millions d'euros de valeur ajoutée annuelle supplémentaire et de créer des emplois à terme. Les industriels sont prêts à assumer le coût de cette reconstitution, qui pourrait être compensé par la hausse moyenne de 7 % des coûts d'achat. Le prix est donc un juge important pour conforter notre indépendance sanitaire.

Cette étude a été mise à profit dans le cadre du comité stratégique de filière des industries et technologies de santé, dont un projet structurant porte sur la relocalisation des principes actifs. Notre cercle de réflexion souhaite que la France redevienne une grande nation européenne et souveraine. Outre la dimension de production, lors de notre point presse du 5 octobre 2021, nous avons formulé des propositions à propos de la production mais également sur les stades amonts tels que la R&D. Nous préconisons ainsi de doubler les crédits publics alloués aux sciences de la vie en France – notre niveau de dépenses est deux fois inférieur à celui de l'Allemagne – et d'améliorer la gouvernance de la recherche publique française.

Il est important que la fixation du prix du médicament prenne en compte les enjeux industriels liés à la sécurité des approvisionnements. Un nouvel accord-cadre a été signé entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et Les Entreprises du médicaments (LEEM) en mars dernier. Le G5 a beaucoup œuvré pour qu'il comporte un chapitre consacré au soutien des exportations et de l'investissement. Cet accord-cadre ne sera cependant pas suffisant et le code de la sécurité sociale doit être révisé car c'est la loi qui édicte les critères de fixation du prix. Le Gouvernement a reconnu l'importance de ce critère industriel qui sera intégré dans l'article 38 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 (PLFSS 2022). Nous demandons un moratoire sur les baisses de prix des médicaments à fort enjeu d'indépendance sanitaire. On l'a vue pendant la crise sanitaire provoquée par la covid-19 : on manquait de masques, de respirateurs, de doliprane. À force de baisser le prix des produits matures, la production de ces médicaments quitte la France et l'Europe pour des pays à bas coûts. Comme le Président de la République l'a souligné au cours du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) tenu le 29 juin 2021, la commande publique offre également un levier pour assurer notre indépendance sanitaire et réindustrialiser la France et l'Europe. Dans la pondération des décisions sur les appels d'offres hospitaliers, le critère du prix pèse pour 70 % à 80 %. Ces critères doivent être diversifiés et prendre en compte la sécurité d'approvisionnement. L'hôpital public doit acheter des produits français et européens et privilégier les appels d'offres hospitaliers multi-attributaires afin d'éviter des ruptures d'approvisionnement et disposer de plusieurs fournisseurs sur les appels d'offres. Un projet de circulaire en préparation au ministère des Solidarités et de la santé va dans ce sens. Enfin, la diversification des sources d'approvisionnement et la relocalisation nécessitent une simplification des procédures et des dossiers d'autorisation de mise sur le marché (AMM).

À l'échelle européenne, nous pensons qu'un projet important d'intérêt européen commun (PIEEC) serait un excellent outil aux mains des pouvoirs politiques afin d'améliorer la filière et renforcer notre indépendance sanitaire. Comme vous le savez, un PIEEC permet aux États membres d'accorder des aides d'État aux entreprises stratégiques pour relocaliser. La présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022 pourrait contribuer à la mise en place de ce très bon outil.

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