La réunion

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Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT

Mercredi 20 octobre 2021

La séance est reprise à onze heures quarante.

(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président de la commission)

La commission d'enquête procède à l'audition des représentants du G5 Santé.

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Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en entendant des représentants du G5 Santé, cercle de réflexion qui rassemble les huit principales entreprises françaises de la santé et des sciences du vivant. Je souhaite la bienvenue à :

– M. Didier Véron, directeur des affaires corporate du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), président du G5 Santé,

– Mme Muriel Carroll, directrice des affaires institutionnelles des laboratoires Théa, membre du comité technique du G5 Santé,

– et M. Michaël Danon, directeur général adjoint du Groupe Pierre Fabre, président du pôle de compétitivité Eurobiomed.

Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

M. Véron, Mme Carroll et M. Danon prêtent serment.

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Didier Véron, directeur des affaires corporate du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), président du G5 Santé

Je vous remercie de nous donner l'occasion d'échanger avec vous ce matin. L'indépendance sanitaire de la France et de l'Europe est une priorité pour le G5 Santé depuis sa création. Nous avons toujours souhaité à conserver nos sites industriels et nos centres de recherche en France. La création de cette commission d'enquête chargée d'établir les moyens de réindustrialiser la France est pour nous une excellente chose.

Le G5 Santé est un cercle de réflexion qui regroupe les présidents des huit premières entreprises de santé françaises, d'un grand groupe comme Sanofi à des entreprises de taille moyenne comme Ipsen, Guerbet, Servier, Pierre Fabre, bioMérieux, Théa et le LFB. Le G5 représente donc l'industrie de santé, avec des entreprises spécialisées dans les dispositifs médicaux et l'imagerie médicale, et pas seulement des entreprises du secteur du médicament. Les dirigeants de ces entreprises sont attachés à l'empreinte industrielle en France. Ces huit entreprises possèdent 52 usines en France, réparties dans les 13 régions françaises, et participent de l'aménagement du territoire. La moitié des emplois du secteur, soit 20 000 emplois industriels, se retrouvent au sein du G5 Santé dont les membres possèdent 32 centres de recherche et réalisent les trois quarts des investissements du secteur recrache et développement (R&D). Cet outil industriel dégage environ 9 milliards d'euros d'excédent de la balance commerciale. En effet, nos usines exportent largement hors du territoire national.

Nous sommes des entreprises globales. Le marché français représente moins de 10 % de notre chiffre d'affaires total, mais 30 % de nos emplois sont situés en France, et 50 % de nos investissements en R&D y sont réalisés.

Le G5 est un cercle de réflexion qui mène très régulièrement des études pour conforter nos dires et documenter nos propositions. Avant la crise sanitaire provoquée par la Covid-19, nous avions alerté les pouvoirs publics sur l'affaiblissement du tissu industriel français. En 2019, une première étude conduite avec le Bureau d'informations et de prévisions économiques (BIPE) a analysé l'évolution de la question industrielle de la santé en France et la contribution du G5 Santé à la richesse nationale. Elle montrait que la France décline tant sur sa part en termes d'exportation par rapport à d'autres pays – nous sommes au 6e rang européen –, qu'en matière de balance commerciale – nous arrivons au 7e rang, derrière le Danemark, les Pays-Bas et la Belgique. La France, qui était le premier producteur européen de médicaments, se situe aujourd'hui en 4e place et risque de se retrouver à la 5e place sous peu.

Nous alertons les pouvoirs publics depuis des années sur ce sujet-là. L'une des causes de ce déclin est la forte régulation qui pèse sur les produits de santé depuis les années 2010. Entre 2010 et 2018, la croissance moyenne du marché du médicament a été égale à zéro alors que l'inflation a atteint les 9,5 % sur la même période. Aucun autre secteur stratégique n'a connu un taux de croissance similaire. Ceci s'explique par les économies sur les dépenses de santé, en particulier sur la santé en ville. Le médicament et les dispositifs médicaux ont représenté 83 % des économies imposées par l'État. Le Président de la République a lui-même indiqué que l'État avait trop abusé du levier des baisses de prix et par conséquent abîmé le secteur industriel de la santé. C'est exactement ce que l'étude du BIPE a démontré.

Cette étude souligne également que cette forte régulation avait abîmé nos entreprises. La contribution des huit entreprises du G5 au PIB a diminué de 23 % entre 2010 et 2017. Leur contribution s'élevait en 2010 à 0,88 % du PIB français, contre 0,68 % en 2017 en raison de cette régulation. La baisse des prix a impacté le chiffre d'affaires global du G5 en France qui a décru de 16 %. Seule notre croissance à l'international, qui a été de 6 % sur la période, permet à notre chiffre d'affaires de rester stable.

Entre 2010 et 2016, la profitabilité de nos entreprises a chuté de 31 % en France. Quand on examine la situation des entreprises ayant connu une baisse de profitabilité de même ampleur, on se rend compte qu'elles ont réduit l'emploi, par exemple de 21 % dans le secteur de l'automobile et de 6 % dans l'industrie pharmaceutique en général. Les entreprises du G5 ont fait le choix de conserver les emplois, qui sont restés stables avec une croissance de 0,4 % sur la période.

Nous avons travaillé avec Care Factory pour analyser notre empreinte sanitaire et notre rapport aux patients en France. 84 % des Français qui utilisent des médicaments et produits de santé sont couverts par un produit du G5 Santé. 53 % des patients français utilisent des produits et médicaments du G5 pour traiter des maladies chroniques sur six mois. Nos sites de production n'ont pas été délocalisés. 83 % de nos médicaments ont au moins leur site de fabrication du principe actif situé en Europe ; 95 % du produit fini est fabrique en France ou en Europe. Nous apportons une réelle contribution sanitaire aux Français.

Lors de la dernière rencontre du G5 Santé en 2020, une étude a été publiée en rapport avec la question de l'approvisionnement en flacons, en principes actifs et en matières premières durant la crise de la Covid-19. À la demande des dirigeants des entreprises du G5, nous avons constitué un groupe de travail avec notre directeur industriel, notre directeur achat monde et le cabinet PriceWaterhouseCoopers pour identifier nos points de fragilité sur l'approvisionnement en matières premières. L'étude portait sur une dizaine de segments sélectionnés par nos entreprises représentant la moitié de nos achats. Nous avons noté une certaine dépendance envers les pays asiatiques à bas coûts pour certains segments, ainsi qu'envers les États-Unis et le Japon pour les matières premières des produits en cancérologie. Nous avons proposé au Gouvernement de reconstituer une filière de chimie pharmaceutique en France et en Europe. Nous étions les premiers industriels français à réaliser cette étude pour sécuriser nos approvisionnements. Nous avons conclu qu'un investissement d'un milliard d'euros serait nécessaire pour reconstituer cette filière, qui permettrait de générer 240 millions d'euros de valeur ajoutée annuelle supplémentaire et de créer des emplois à terme. Les industriels sont prêts à assumer le coût de cette reconstitution, qui pourrait être compensé par la hausse moyenne de 7 % des coûts d'achat. Le prix est donc un juge important pour conforter notre indépendance sanitaire.

Cette étude a été mise à profit dans le cadre du comité stratégique de filière des industries et technologies de santé, dont un projet structurant porte sur la relocalisation des principes actifs. Notre cercle de réflexion souhaite que la France redevienne une grande nation européenne et souveraine. Outre la dimension de production, lors de notre point presse du 5 octobre 2021, nous avons formulé des propositions à propos de la production mais également sur les stades amonts tels que la R&D. Nous préconisons ainsi de doubler les crédits publics alloués aux sciences de la vie en France – notre niveau de dépenses est deux fois inférieur à celui de l'Allemagne – et d'améliorer la gouvernance de la recherche publique française.

Il est important que la fixation du prix du médicament prenne en compte les enjeux industriels liés à la sécurité des approvisionnements. Un nouvel accord-cadre a été signé entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et Les Entreprises du médicaments (LEEM) en mars dernier. Le G5 a beaucoup œuvré pour qu'il comporte un chapitre consacré au soutien des exportations et de l'investissement. Cet accord-cadre ne sera cependant pas suffisant et le code de la sécurité sociale doit être révisé car c'est la loi qui édicte les critères de fixation du prix. Le Gouvernement a reconnu l'importance de ce critère industriel qui sera intégré dans l'article 38 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 (PLFSS 2022). Nous demandons un moratoire sur les baisses de prix des médicaments à fort enjeu d'indépendance sanitaire. On l'a vue pendant la crise sanitaire provoquée par la covid-19 : on manquait de masques, de respirateurs, de doliprane. À force de baisser le prix des produits matures, la production de ces médicaments quitte la France et l'Europe pour des pays à bas coûts. Comme le Président de la République l'a souligné au cours du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) tenu le 29 juin 2021, la commande publique offre également un levier pour assurer notre indépendance sanitaire et réindustrialiser la France et l'Europe. Dans la pondération des décisions sur les appels d'offres hospitaliers, le critère du prix pèse pour 70 % à 80 %. Ces critères doivent être diversifiés et prendre en compte la sécurité d'approvisionnement. L'hôpital public doit acheter des produits français et européens et privilégier les appels d'offres hospitaliers multi-attributaires afin d'éviter des ruptures d'approvisionnement et disposer de plusieurs fournisseurs sur les appels d'offres. Un projet de circulaire en préparation au ministère des Solidarités et de la santé va dans ce sens. Enfin, la diversification des sources d'approvisionnement et la relocalisation nécessitent une simplification des procédures et des dossiers d'autorisation de mise sur le marché (AMM).

À l'échelle européenne, nous pensons qu'un projet important d'intérêt européen commun (PIEEC) serait un excellent outil aux mains des pouvoirs politiques afin d'améliorer la filière et renforcer notre indépendance sanitaire. Comme vous le savez, un PIEEC permet aux États membres d'accorder des aides d'État aux entreprises stratégiques pour relocaliser. La présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022 pourrait contribuer à la mise en place de ce très bon outil.

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Merci pour cette présentation introductive ! Je voudrais revenir à vos propos sur les délocalisations. Vous avez insisté sur le fait qu'une partie de votre production est localisée sur le sol français ou européen. Pouvez-vous indiquer la répartition entre la France et les autres pays européens ? Quels sont vos concurrents et partenaires en Europe ?

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Didier Véron, directeur des affaires corporate du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), président du G5 Santé

. Notre chiffre d'affaires en France diminue d'année en année et représente 8 % de notre chiffre d'affaires total, alors qu'il pesait pour 15 % à 20 % dans notre chiffre d'affaires il y a quinze ans. Malgré cette diminution importante, nous conservons nos centres de production en France ou en Europe. Avant de relocaliser, il faut en premier lieu soutenir ce tissu existant. On l'a abîmé depuis dix ans. Il est cependant vrai que certaines de nos entreprises ont des sites à relocaliser. Mais la relocalisation ne constitue pas pour nous le sujet numéro un : c'est le maintien de l'outil de production existant. Je répète que les entreprises du G5 ont fait le choix de maintenir leurs sites en France.

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Michaël Danon, directeur général adjoint du Groupe Pierre Fabre, président du pôle de compétitivité Eurobiomed

Le fondateur du groupe Pierre Fabre avait fait le choix de la France et plus spécifiquement de la région sud-ouest. Les dirigeants actuels ont maintenu cette stratégie. 100 % de nos équipes de recherche sont situées en France et plus de 90 % de la production de médicaments et de dermatocosmétiques sont effectués en France. Ce choix ne va pas de soi, car il soulève la question de la comparaison entre le coût de fabrication et le prix de commercialisation fixé par le CEPS. Le groupe Pierre Fabre commercialise par exemple des produits de sevrage tabagique. La ministre de la Santé a décidé il y a quelques années le remboursement de ces produits en 2018. Un système de prix administrés par le CEPS a remplacé le système de prix libre. Ainsi les prix des produits de sevrage tabagique ont subi une baisse importante – toutefois accompagnée d'une augmentation des volumes puisque l'objectif des pouvoirs publics était de rendre ces produits plus accessibles à une large partie de la population. Cependant, la question de la rentabilité de la production et du coût de production pour une fabrication en France se pose.

Nous avons la préoccupation de maîtriser l'ensemble de notre chaîne de production. En cancérologie, nous commercialisons des produits innovants dans la prise en charge du cancer colorectal et du mélanome. À l'horizon 2024, ces produits seront fabriqués en France pour l'ensemble des étapes de production. Comme vous le savez, la fabrication d'un médicament connaît beaucoup de stades qui peuvent être répartis en France et ailleurs. Nous avons souhaité faire en sorte de disposer de la maîtrise totale de la production.

Enfin, la question du prix compte en France mais aussi à l'international. Le prix fixé en France est utilisé comme référence dans beaucoup d'autres pays dans le monde. Ainsi, un prix imposé à un niveau insatisfaisant ou qui connaît une baisse entraîne des conséquences négatives sur le marché français, mais également sur les exportations.

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Muriel Carroll, directrice des affaires institutionnelles des laboratoires Théa, membre du comité technique du G5 Santé

Théa est une entreprise d'ophtalmologie localisée à Clermont-Ferrand. 70 % des unités commercialisées par Théa dans le monde sont produites en France et 100 % en Europe. La France a la chance de posséder d'une filière d'excellence en ophtalmologie. Nous travaillons avec les meilleurs façonniers français et c'est comme cela que nous développons l'emploi sur le territoire. L'étude du BIPE montre que nous représentons 1 100 emplois directs et indirects en France. 3 des 7 usines dans le monde capables de fabriquer des unidoses en milieu stérile, qui nécessitent un savoir-faire particulier beaucoup plus coûteux que la chimie classique, sont françaises. Aujourd'hui, les collyres sont vendus à faible prix. Le prix moyen des médicaments et dispositifs médicaux remboursés en ophtalmologie est passé de 5 euros en 2010 à 4,5 euros en 2020. Nous arrivons à un point de rupture et l'enjeu est de conserver nos sites français.

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Monsieur Danon, vous avez évoqué le taux de 100 % de votre R&D localisée en France. Ce taux est-il identique à l'ensemble des membres du G5 ? Voyez-vous une possibilité que la France ou l'Europe devienne championne en matière de R&D ?

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Muriel Carroll, directrice des affaires institutionnelles des laboratoires Théa, membre du comité technique du G5 Santé

100 % de notre recherche est située à Clermont-Ferrand et nous venons de doubler notre laboratoire de recherche.

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Michaël Danon, directeur général adjoint du Groupe Pierre Fabre, président du pôle de compétitivité Eurobiomed

100 % de la recherche est en France. Quant au développement clinique, il s'agit d'études internationales menées dans des centres du monde entier. C'est le cas dans l'ensemble de l'industrie pharmaceutique. Nous voulons accompagner les startups et les biotechnologies dans leur développement, afin qu'elles trouvent leurs financements en France et ne soient pas contraintes de partir à l'étranger. Un grand nombre de mesures doivent être prises pour atteindre cet objectif. Nous disposons de centres d'excellence à la fois dans le monde hospitalo-universitaire et dans les grands organismes de recherche publique. Certains chercheurs français sont au premier plan international dans de nombreux domaines thérapeutiques, mais les jeunes pousses (startups) françaises peinent à devenir des « licornes » dans le domaine de la santé. Il y a beaucoup de choses à faire ! Les annonces du Président de la République dans le cadre du CSIS de juin dernier vont dans le sens et témoignent d'une prise de conscience de cette situation et de l'importance stratégique pour le pays de retrouver un rang plus favorable sur le plan mondial. Cela nécessite sans doute un effort très important. M. Véron rappelait que le G5 a porté la proposition d'un investissement beaucoup plus important pour le financement de la recherche publique mais nous devons également réfléchir à sa gouvernance et à son organisation.

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Monsieur Véron, vous avez évoqué la nécessité de renforcer la recherche publique notamment en doublant les fonds. Avez-vous également des objectifs de renforcement de votre R&D privée ?

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Didier Véron, directeur des affaires corporate du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), président du G5 Santé

Comme vous l'a indiqué Muriel Caroll, l'entreprise Théa a doublé son centre de R&D à Clermont-Ferrand. C'est un exemple.

La recherche est globale. Nous travaillons avec des centres d'envergure mondiale. Les entreprises françaises ont beaucoup tendance à travailler avec la recherche publique. Le G5 Santé est le premier partenaire de la recherche publique en santé en France. Nous nous efforçons de travailler avec les différents interlocuteurs de la recherche publique française et nous souhaiterions améliorer la fluidité entre la recherche publique et privée. Au sein du G5 santé, 16 % du chiffre d'affaires total de nos entreprises sont investi en R&D. La moitié de cet investissement est réalisée en France, soit 3,5 milliards d'euros par an sur 7 milliards d'euros d'investissement total en R&D. Parmi les 46 000 collaborateurs du G5 en France, 10 000 font partie de nos 32 centres de R&D.

La France reste un pays innovant. Elle se situe au 7e rang mondial en termes de brevets pharmaceutiques et biotechnologiques. Mais il existe une forte concurrence internationale. L'Allemagne a continué à accroître ses crédits en R&D à hauteur de 11 % entre 2011 et 2018. Dans la même période, la France a diminué ses crédits alloués pour les sciences de la vie de 28 % alors qu'ils étaient déjà deux fois inférieurs à ceux de l'Allemagne. Des moyens importants sont nécessaires pour redresser la situation. Il faut investir des moyens plus importants dans les sciences de la vie.

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Muriel Carroll, directrice des affaires institutionnelles des laboratoires Théa, membre du comité technique du G5 Santé

La R&D repose aussi sur des partenariats. Théa a créé Théa Open Innovation pour développer ses partenariats avec les startups et la recherche académique. Elle ambitionne de passer de 50 millions à 100 millions d'euros de budget R&D d'ici cinq ans.

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Quelles sont vos attentes envers la future agence d'innovation en santé ?

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Didier Véron, directeur des affaires corporate du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), président du G5 Santé

Nous nous sommes tout d'abord montrés sceptiques car nous craignions qu'il ne s'agisse d'une agence supplémentaire. Nous avons compris, sur la base des explications fournies par les décideurs politiques, qu'il s'agissait de faire ce qui était mal fait et de ne pas créer une couche supplémentaire. S'il s'agit d'accompagner les entreprises en France, notamment dans l'accès au marché, ce pourrait être une bonne idée. Nous avons réfléchi aux périmètres qu'elle pourrait couvrir. La difficulté en R&D consiste à travailler avec les différents organismes de recherche publique sans disposer d'un guichet unique. Cette agence pourrait constituer un guichet facilitateur pour les industriels de santé avec les différentes autorités de santé de ce pays, mais aussi avec des organismes de recherche publique, ce à quoi n'est pas parvenue l'Alliance pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan).

Cette agence doit être dotée d'un vrai budget afin de définir des priorités nationales. Les ministères de l'industrie, de la santé et de la recherche sont concernés par cette agence. Cette dimension interministérielle devrait l'amener à être rattachée au Premier ministre. Sa composition devrait inclure des membres du milieu industriel et de l'administration publique afin de rapprocher ces deux mondes. Pour mieux se comprendre, il faut travailler ensemble.

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Monsieur Véron, vous êtes un acteur majeur des bioproductions. Comment pourriez-vous devenir un acteur mondial leader dans ce domaine à l'avenir ? Un statut public avec un actionnaire étatique est-il la meilleure configuration pour accéder à ce leadership à l'international ?

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Didier Véron, directeur des affaires corporate du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), président du G5 Santé

L'équipe de direction du LFB, présidée par Denis Delval depuis quatre ans, a défini une nouvelle stratégie centrée sur notre corps de métier et sur le renforcement nos activités industrielles. Nous avons réinvesti dans nos sites de bioproduction à Lille et aux Ulis pour produire des médicaments dérivés du plasma. Dans le cadre du plan de relance de l'État, nous agrandissons notre usine à Alès en partenariat avec l'entreprise de biotechnologie française Xenothera. En tant qu'actionnaire, l'État contribue à notre développement. La construction d'une nouvelle usine à Arras a été décidée pour tripler nos capacités de production dans les médicaments dérivés de plasma. C'est notre plus grand projet de construction d'usine actuellement.

Les sites de bioproduction ont un coût très élevé. L'État a compris l'importance d'une filière plasmatique française en mesure de répondre à la demande. L'Établissement français du sang (EFS) collecte le plasma et nous en achetons pour le fractionner, en produire des protéines et répondre aux besoins des patients. Les augmentations de capital réalisées par l'État contribuent au développement de cette filière en nous permettant d'investir à Arras dans cette nouvelle usine qui répondra aux besoins en France et à l'international.

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Pouvez-vous nous en dire davantage sur les critères à prendre en compte pour fixer le prix des médicaments ? J'ai été sensible à vos propos sur la territorialisation des industries pharmaceutiques et leurs engagements sur le territoire. Vous avez mentionné les PIEEC. Au-delà des industries pharmaceutiques, ces critères dans les marchés publics peuvent intéresser d'autres entreprises françaises. On parle souvent de relocalisation mais il faut également considérer la question de la localisation, c'est-dire des entreprises pharmaceutiques françaises écartées de certains bassins industriels et qui souhaiteraient se regrouper.

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Didier Véron, directeur des affaires corporate du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), président du G5 Santé

. Nous militons pour ce critère industriel depuis des années. La valeur thérapeutique reste majeure dans la fixation des prix. Cependant, il est important de tenir compte de l'implantation industrielle pour la production de ces produits de santé. L'Italie en tient compte pour proposer de meilleurs prix et mettre en œuvre des procédures accélérées (fast track) en cent jours afin de commercialiser rapidement le produit de santé. La France pourrait y parvenir.

Le CEPS nous a indiqué que sans directive du Gouvernement, il ne peut seul appliquer le critère de territorialité des sites puisque sa mission consiste à fixer des prix dans les meilleures conditions, notamment pour l'Assurance maladie et qu'une réglementation précise était nécessaire. Nous avons plaidé pour que la lettre ministérielle adressée au comité lui donne pour instruction de tenir compte de l'empreinte industrielle. Nous avons essayé d'œuvrer pour que le nouvel accord-cadre de mars 2021 intègre un chapitre consacré à ce sujet. La mesure que nous avions défendue y figure : lorsqu'un produit fabriqué en France est largement exporté, en cas de baisse de prix du CEPS, le prix facial est conservé pour éviter une baisse de prix en cascade dans les autres États où il est commercialisé. Des remises pourraient être versées à l'Assurance maladie pour faire des économies. La stabilité des prix à l'export pour les produits fabriqués en France figure dans l'accord-cadre depuis mars 2021 et doit désormais être appliquée. On a déjà vu des stipulations d'accord-cadre qui restaient lettres mortes.

Ce critère, que nous souhaitons voir inscrit dans la loi, figure dans l'article 38 du PLFSS 2022. Nous espérons qu'il sera retenu dans la loi votée, car il est très important pour la sécurisation de l'approvisionnement nécessaire à la santé de nos patients et au bon fonctionnement des hôpitaux. Il faudra ensuite que l'administration l'applique et le mette en œuvre. Nous serons très vigilants sur la manière dont le CEPS le mettra en œuvre. L'Italie l'a fait. Pourquoi n'arriverions-nous pas à le faire en France ?

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Michaël Danon, directeur général adjoint du Groupe Pierre Fabre, président du pôle de compétitivité Eurobiomed

Le mécanisme évoqué par M. Véron dans l'accord-cadre exclut certains médicaments de ce dispositif. Nous le regrettons car une baisse de prix en France entraîne des conséquences immédiates sur le niveau des prix dans le monde entier. Nous avons proposé que ce mécanisme tout à fait satisfaisant et qui protège les intérêts de l'Assurance maladie – puisque nous payons une remise pour compenser l'absence de baisse de prix facial – soit étendu à l'ensemble des médicaments.

Concernant les achats hospitaliers, nous constatons que le critère du prix reste prédominant dans les décisions prises dans quasiment 100 % des cas. Nous entendons que le budget des hôpitaux est contraint, mais d'autres critères comme la localisation de la production et la sécurisation des approvisionnements devraient être davantage pris en compte dans la pondération des critères qui conditionnent le résultat des appels d'offres.

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Outre le prix, le lieu de réalisation de la R&D est aussi un facteur important du lieu d'industrialisation du médicament. Vous avez évoqué la nécessité d'une meilleure coordination entre la recherche publique et privée. Quel mécanisme vous semblerait efficace ?

Des auditions précédentes ont soulevé la question des essais cliniques, qui sont plus faciles à mener en Belgique par exemple. Les délais d'attribution des autorisations d'essais cliniques sont-ils suffisamment rapides en France ?

Concernant les biotechnologies, vous avez mentionné les dérivés du plasma mais d'autres techniques de biotechnologie existent. La coordination publique privée vous semble-t-elle en bonne voie grâce aux milliards d'euros annoncés dans le domaine ? Les liens entre les startups et les grandes entreprises me paraissent très importants pour la gouvernance que nous devons mettre en place dans ce domaine, pas nécessairement en vue d'un rachat systématique mais pour leur développement.

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Didier Véron, directeur des affaires corporate du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), président du G5 Santé

. Nous avons émis des propositions afin de fluidifier les relations entre la recherche publique et privée. Les partenariats menés par les chercheurs avec le privé et le secteur industriel ne sont pas valorisés dans leurs carrières à l'heure actuelle car l'essentiel est ce qu'ils produisent en termes de publications. Nous pensons que cette approche pourrait être revue. Nous devons réfléchir aux moyens de développer du capital humain, de mieux conserver nos talents, et de former davantage aux métiers de la recherche et de l'ingénieur. Le CSIS prévoit un budget alloué afin de faire revenir des talents qui ont quitté le territoire.

Tout ce qui peut valoriser les passerelles entre le public et le privé doit être encouragé. Il faut accompagner les agents publics qui montent leur startup. C'est un peu la « politique du grand frère ». Nous travaillons aussi avec France Biotech. De nombreux exemples existent de coopération public-privé, entre la pharmacie et la biotech. Le LFB a ainsi ouvert une usine à Alès dans le Gard pour fabriquer en dix jours de potentiels traitements contre la Covid-19 avec l'entreprise française Xénothéra. Beaucoup d'acteurs se sont mobilisés dans le cadre de cette collaboration.

Concernant les essais cliniques, l'ANSM a fourni un très grand travail dans le cadre de la Covid-19. Des autorisations d'essais cliniques ont été délivrées en quinze jours, ce qui n'est pas un délai habituel en France – mais est usuel en Belgique. Peut-être que l'ANSM accordait la priorité aux essais cliniques en rapport avec la Covid-19. Mais elle a montré qu'elle pouvait faire preuve de souplesse – il faut le souligner et s'en féliciter. La France doit retrouver sa place en matière de recherche clinique.

La bioproduction fait partie des projets structurants du contrat de filière du CSF des industries et technologies de santé. Une Alliance France Bioproduction va être créée et nous en ferons partie. Sanofi soutient activement cette démarche avec Servier et d'autres entreprises du G5. Cette alliance existe aux États-Unis et rassemble l'ensemble des acteurs de l'écosystème de la bioproduction. Le Campus Biotech Digital a été créé à Vitry-sur-Seine afin de développer les bonnes formations aux métiers de demain. De belles initiatives existent et avancent. On ne peut que s'en féliciter !

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Michaël Danon, directeur général adjoint du Groupe Pierre Fabre, président du pôle de compétitivité Eurobiomed

La crise sanitaire a montré la capacité des organismes publics à s'adapter et à réagir rapidement. Nul n'aurait parié que des vaccins seraient disponibles quasiment un an après l'apparition de la pathologie. Cependant, la collaboration public-privé rencontre pas mal de difficultés. Des procédures complexes et des délais longs sont nécessaires pour nouer des collaborations entre les grands organismes de recherche publics comme l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ou le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et les laboratoires pharmaceutiques privés. C'est quand même beaucoup de bureaucratie et des délais qui sont – je le pense – beaucoup plus longs que par exemple aux États-Unis. Je crois que sur ce point, nous pouvons collectivement progresser.

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Didier Véron, directeur des affaires corporate du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), président du G5 Santé

La future agence d'innovation en santé pourra contribuer à rapprocher le secteur public et le secteur privé, compte tenu de sa composition. Nous avons également cette réflexion en ce qui concerne le fonctionnement de l'État. Dans certains pays comme le Japon, industrie et recherche ne sont pas séparées mais un grand ministère les rassemble. Dans une future gouvernance ministérielle, ces ministères pourraient être rassemblés alors qu'ils se trouvent souvent isolés. C'est une idée qui nous parait opportune pour batailler en faveur de l'industrie française, de nos patients et de nos chercheurs.

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Le plan France 2030 présenté récemment prévoit 3 milliards d'euros pour le secteur de la santé et pour produire 20 bio-médicaments. Pensez-vous que ce budget est suffisant ? Comment devrait-on définir ces 20 bio-médicaments à subventionner ? Quelles autres mesures seraient nécessaires ?

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Didier Véron, directeur des affaires corporate du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), président du G5 Santé

France 2030 est un plan ambitieux et nous nous félicitons que des moyens soient alloués au secteur de la santé. Ce plan s'appuie fortement sur les annonces du CSIS, qui alloue 7 milliards d'euros à la santé. Toutefois, les annonces sont très récentes et il est encore tôt pour identifier ces 20 bio-médicaments – entre la thérapie génique, la thérapie cellulaire. La France a accumulé du retard en matière de bioproduction, qui ne concerne que 20 % de la production de médicaments. Le comité stratégique de filière propose une alliance entre tous les acteurs pour travailler sur les métiers de l'avenir. Ce sujet nous intéresse au premier plan.

Nous ignorons encore quels sont les médicaments stratégiques essentiels en cas de pandémie. En 2020, dans le contexte de la pandémie, nous demandions une liste définie de principes actifs et de médicaments – plutôt à l'échelle européenne que française – notamment pour mieux nous préparer à de futures pandémies. Quels doivent être ces produits stratégiques ? Qui doit les fabriquer ? Nous sommes prêts à accompagner dans la réflexion. L'Autorité de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire – Health Emergency preparedness and Response Authority (HERA), qui sera opérationnelle en 2022, pourrait travailler à la définition de cette liste en collaboration avec l'agence d'innovation en santé – puisque dans le projet du Gouvernement français, cette agence a vocation à être le bras armé de l'autorité européenne. Il faut qu'elle le fasse avec nous, les industriels, qui sommes très engagés sur le sujet. Le budget de l'HERA n'est pas encore certain. On parle de 30 milliards d'euros sur cinq ans, entre 2022 et 2027. Je crois comprendre qu'il ne s'agira pas d'une agence mais d'un service de la Commission européenne, pour des raisons de gains de temps et d'efficacité. Cependant, pour être effective, elle doit être dotée d'un véritable budget qui nous a manqué pendant la crise de la Covid-19. Aux États-Unis, la Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA) a bénéficié de 10 milliards de dollars pour développer et fabriquer des médicaments avant même qu'ils soient approuvés par les autorités réglementaires.

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Madame, Messieurs, je vous remercie. Je vous propose de compléter nos échanges en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez utiles à la commission d'enquête.

La séance est levée à douze heures quarante.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 10 h 30

Présents. – M. Philippe Berta, M. Bertrand Bouyx, M. Guillaume Kasbarian, M. Daniel Labaronne, M. Luc Lamirault, M. Gérard Leseul, Mme Cendra Motin, Mme Bénédicte Taurine, M. Stéphane Viry, M. Jean-Marc Zulesi

Excusés. – Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Éric Girardin, Mme Véronique Louwagie, M. Jacques Marilossian