Intervention de Nicolas de Warren

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 14h00
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d'Arkema, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN) :

Je vous remercie de nous recevoir aujourd'hui. L'UNIDEN est une association créée en 1979 à la suite du second choc pétrolier afin de regrouper les industries énergo-intensives en France. Ces grands consommateurs d'énergie, de gaz, ou d'électricité souhaitaient porter leurs problématiques communes auprès des pouvoirs publics. L'UNIDEN compte 55 adhérents et 300 sites en France et représente plus de 70 % de l'énergie consommée par l'industrie en France, soit environ 70 térawattheures (TWh) d'électricité et 75 TWh de gaz. Mon propos introductif cherchera à étudier dans quelle mesure les politiques énergétiques et les évolutions énergétiques que la France a connues ont eu un impact positif ou négatif sur la désindustrialisation. Je souhaiterais tout d'abord interroger la corrélation entre les politiques climatiques, industrielles et énergétiques. Dans un second temps, j'envisagerai les perspectives et les défis auxquels l'industrie énergo-intensive en France sera confrontée d'ici à 2050, horizon assigné qui correspond assez bien à notre industrie du temps long.

Nos secteurs couvrent toute la chaîne métal au sens large, composée d'entreprises qui ont incontestablement connu la désindustrialisation : l'aluminium, le silicium, l'acier, la chimie, le raffinage, le ciment, le verre, le papier-carton, l'industrie agroalimentaire, le transport et l'automobile. D'amont en aval, ces secteurs ont pour caractéristique d'être énergo-intensifs. Les électro-intensifs ont un poids de l'électricité dans leurs coûts de production ou leur valeur ajoutée élevé. Ces entreprises hyper électro-intensives, dites « HEI », pèsent une quinzaine de térawattheures en France sur 25 sites, comme Aluminium Dunkerque, Ferropem, certains sites d'Arkema, de Kem One, ou encore la filière chlore de Fos-Lavéra qui a fait l'objet d'une belle reprise depuis maintenant une dizaine d'années grâce à des investissements soutenus par les pouvoirs publics de conversion de leurs électrolyses.

La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a introduit une définition dans le code de l'énergie des sites hyper électro-intensifs. Il s'agit d'une définition générique ad usum visant notamment à appliquer à ces sites des réductions du tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE). Vous avez également défini dans la loi les entreprises électro-intensives, c'est-à-dire celles dont l'intensité énergétique rapportée à leur valeur ajoutée est moindre, mais qui doivent néanmoins faire objet de toutes les attentions.

Le Haut conseil pour le climat (HCC) s'est vu confier par la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat une mission d'étude de l'empreinte carbone de la France. Nous avions constaté à l'époque que la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) proposait une approche macroéconomique montrant que la désindustrialisation était allée de pair avec une dégradation de l'empreinte carbone. Cette approche n'apportait cependant pas d'éclairage opérationnel sur la réalité de cette corrélation.

Nous avons donc lancé une étude sectorielle. Nous avons examiné sur une ligne de produits à l'intérieur de ce secteur – aluminium primaire, acier plat, verre plat, papier d'impression, polychlorure de vinyle (PVC) et sucre – comment la désindustrialisation s'était traduite, entre 1995 et 2015, par une dégradation corrélative de l'empreinte carbone de la France. Cette étude statistique approfondie confiée au cabinet Deloitte documente de façon précise la manière dont la désindustrialisation subie par ces secteurs s'était traduite par une dégradation de la balance commerciale, devenue déficitaire au fil des années, suivie par la dégradation de leur empreinte carbone. La substitution de la production nationale par des flux commerciaux d'importation majoritairement intra-européens, mais pas uniquement, a conduit à une dégradation de l'empreinte carbone. Cette vérification microéconomique conforte l'approche macroéconomique avec précision. Nous sommes donc parvenus au constat contre-intuitif que pour ces secteurs, y compris ceux qui sont émissifs, la perspective d'une réindustrialisation ambitieuse mais réaliste contribuerait à une réduction de l'empreinte de carbone.

Nos travaux ont certainement éclairé le gouvernement et l'ont peut-être aidé à affirmer de façon plus explicite l'objectif de réindustrialisation sans crainte de se voir opposer le reproche de la dégradation de l'empreinte carbone.

La France vit une crise énergétique majeure. Nous sommes mobilisés sur ce sujet depuis plusieurs mois. Nous avons participé hier avec les deux ministres à une table ronde, qui a été à certains égards positive. La neutralité carbone en 2050 est le véritable enjeu stratégique pour notre industrie. L'entreprise Réseau de transport d'électricité (RTE) a été mandatée par le gouvernement pour remettre le 25 octobre 2021 la conclusion d'un travail mené par une dizaine de groupes durant deux ans sur les « futurs énergétiques 2050 ». Cet exercice de prospective approfondi et de modélisation très ambitieuse propose six scénarios électriques pour 2050. Dans ce cadre, l'UNIDEN a été sollicitée directement par RTE pour étayer une variante de réindustrialisation précise. Depuis le début du travail de ce groupe réunissant environ 80 experts de tous horizons, l'exigence de réindustrialisation s'est peu à peu imposée et il nous a été demandé de la documenter de façon microéconomique et statistique.

Nos travaux concluent que la consommation électrique de l'industrie en France devrait passer de 115 TWh en 2019 à un point médian de 385 TWh à horizon 2050. Le facteur de disponibilité des besoins d'électricité pour la seule industrie dans son ensemble s'élève donc à 3,3. L'articulation entre une politique énergétique volontariste, en particulier sur l'électricité, associée au gaz « bas carbone » avec l'utilisation de la biomasse, sera une des conditions essentielles de la réussite de la future politique industrielle. Cela apporte la démonstration que la politique industrielle des trente prochaines années ne pourra pas faire l'économie d'une intégration profonde de la politique énergétique. Cette idée avait été perdue de vue par la France et l'Europe, les objectifs de neutralité carbone ayant fait le pas un peu rapidement sur la question de l'approvisionnement, qui est une composante structurante de la politique énergétique. L'actualité rappelle cruellement l'importance de la sécurité de l'approvisionnement et de la stabilité des cours.

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