La réunion

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Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT

Mercredi 20 octobre 2021

La séance est ouverte à 14 h 00.

(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président de la commission)

La commission d'enquête procède à l'audition M. Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d'Arkema, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN), accompagné de M. Fabrice Alexandre, président de Communication & Institutions.

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Mes chers collègues, nous auditionnons à présent M. Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d'Arkema, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN), accompagné de M. Fabrice Alexandre, président de Communication & Institutions. L'UNIDEN regroupe 55 entreprises de dix secteurs industriels particulièrement consommateurs d'énergie.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation.

Je vais vous passer la parole pour une intervention d'environ dix minutes, qui précédera notre échange sous forme de questions et de réponses, à commencer par celles du rapporteur. Ensuite, nous donnerons quelques minutes à chaque député pour vous questionner.

Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

MM. de Warren et Alexandre prêtent serment.

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Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d'Arkema, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN)

Je vous remercie de nous recevoir aujourd'hui. L'UNIDEN est une association créée en 1979 à la suite du second choc pétrolier afin de regrouper les industries énergo-intensives en France. Ces grands consommateurs d'énergie, de gaz, ou d'électricité souhaitaient porter leurs problématiques communes auprès des pouvoirs publics. L'UNIDEN compte 55 adhérents et 300 sites en France et représente plus de 70 % de l'énergie consommée par l'industrie en France, soit environ 70 térawattheures (TWh) d'électricité et 75 TWh de gaz. Mon propos introductif cherchera à étudier dans quelle mesure les politiques énergétiques et les évolutions énergétiques que la France a connues ont eu un impact positif ou négatif sur la désindustrialisation. Je souhaiterais tout d'abord interroger la corrélation entre les politiques climatiques, industrielles et énergétiques. Dans un second temps, j'envisagerai les perspectives et les défis auxquels l'industrie énergo-intensive en France sera confrontée d'ici à 2050, horizon assigné qui correspond assez bien à notre industrie du temps long.

Nos secteurs couvrent toute la chaîne métal au sens large, composée d'entreprises qui ont incontestablement connu la désindustrialisation : l'aluminium, le silicium, l'acier, la chimie, le raffinage, le ciment, le verre, le papier-carton, l'industrie agroalimentaire, le transport et l'automobile. D'amont en aval, ces secteurs ont pour caractéristique d'être énergo-intensifs. Les électro-intensifs ont un poids de l'électricité dans leurs coûts de production ou leur valeur ajoutée élevé. Ces entreprises hyper électro-intensives, dites « HEI », pèsent une quinzaine de térawattheures en France sur 25 sites, comme Aluminium Dunkerque, Ferropem, certains sites d'Arkema, de Kem One, ou encore la filière chlore de Fos-Lavéra qui a fait l'objet d'une belle reprise depuis maintenant une dizaine d'années grâce à des investissements soutenus par les pouvoirs publics de conversion de leurs électrolyses.

La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a introduit une définition dans le code de l'énergie des sites hyper électro-intensifs. Il s'agit d'une définition générique ad usum visant notamment à appliquer à ces sites des réductions du tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE). Vous avez également défini dans la loi les entreprises électro-intensives, c'est-à-dire celles dont l'intensité énergétique rapportée à leur valeur ajoutée est moindre, mais qui doivent néanmoins faire objet de toutes les attentions.

Le Haut conseil pour le climat (HCC) s'est vu confier par la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat une mission d'étude de l'empreinte carbone de la France. Nous avions constaté à l'époque que la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) proposait une approche macroéconomique montrant que la désindustrialisation était allée de pair avec une dégradation de l'empreinte carbone. Cette approche n'apportait cependant pas d'éclairage opérationnel sur la réalité de cette corrélation.

Nous avons donc lancé une étude sectorielle. Nous avons examiné sur une ligne de produits à l'intérieur de ce secteur – aluminium primaire, acier plat, verre plat, papier d'impression, polychlorure de vinyle (PVC) et sucre – comment la désindustrialisation s'était traduite, entre 1995 et 2015, par une dégradation corrélative de l'empreinte carbone de la France. Cette étude statistique approfondie confiée au cabinet Deloitte documente de façon précise la manière dont la désindustrialisation subie par ces secteurs s'était traduite par une dégradation de la balance commerciale, devenue déficitaire au fil des années, suivie par la dégradation de leur empreinte carbone. La substitution de la production nationale par des flux commerciaux d'importation majoritairement intra-européens, mais pas uniquement, a conduit à une dégradation de l'empreinte carbone. Cette vérification microéconomique conforte l'approche macroéconomique avec précision. Nous sommes donc parvenus au constat contre-intuitif que pour ces secteurs, y compris ceux qui sont émissifs, la perspective d'une réindustrialisation ambitieuse mais réaliste contribuerait à une réduction de l'empreinte de carbone.

Nos travaux ont certainement éclairé le gouvernement et l'ont peut-être aidé à affirmer de façon plus explicite l'objectif de réindustrialisation sans crainte de se voir opposer le reproche de la dégradation de l'empreinte carbone.

La France vit une crise énergétique majeure. Nous sommes mobilisés sur ce sujet depuis plusieurs mois. Nous avons participé hier avec les deux ministres à une table ronde, qui a été à certains égards positive. La neutralité carbone en 2050 est le véritable enjeu stratégique pour notre industrie. L'entreprise Réseau de transport d'électricité (RTE) a été mandatée par le gouvernement pour remettre le 25 octobre 2021 la conclusion d'un travail mené par une dizaine de groupes durant deux ans sur les « futurs énergétiques 2050 ». Cet exercice de prospective approfondi et de modélisation très ambitieuse propose six scénarios électriques pour 2050. Dans ce cadre, l'UNIDEN a été sollicitée directement par RTE pour étayer une variante de réindustrialisation précise. Depuis le début du travail de ce groupe réunissant environ 80 experts de tous horizons, l'exigence de réindustrialisation s'est peu à peu imposée et il nous a été demandé de la documenter de façon microéconomique et statistique.

Nos travaux concluent que la consommation électrique de l'industrie en France devrait passer de 115 TWh en 2019 à un point médian de 385 TWh à horizon 2050. Le facteur de disponibilité des besoins d'électricité pour la seule industrie dans son ensemble s'élève donc à 3,3. L'articulation entre une politique énergétique volontariste, en particulier sur l'électricité, associée au gaz « bas carbone » avec l'utilisation de la biomasse, sera une des conditions essentielles de la réussite de la future politique industrielle. Cela apporte la démonstration que la politique industrielle des trente prochaines années ne pourra pas faire l'économie d'une intégration profonde de la politique énergétique. Cette idée avait été perdue de vue par la France et l'Europe, les objectifs de neutralité carbone ayant fait le pas un peu rapidement sur la question de l'approvisionnement, qui est une composante structurante de la politique énergétique. L'actualité rappelle cruellement l'importance de la sécurité de l'approvisionnement et de la stabilité des cours.

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Merci d'avoir répondu à notre invitation. Vous avez exposé la corrélation entre l'empreinte carbone et la diminution d'une certaine industrie en Europe et en France, et l'avez qualifiée de coïncidence. S'agit-il d'une coïncidence ou d'une causalité ?

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Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d'Arkema, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN)

Nous pouvons parler de concomitance plutôt que de coïncidence. L'étude Deloitte que je mentionnais a établi une corrélation statistique sur la période de 1995 à 2015 sur des produits de référence. Cette corrélation a un caractère linéaire, l'accumulation de signaux faibles aboutissant à une crise qui se traduit par la fermeture d'une usine ou un arrêt d'activité. Elle suit donc une pente raide avec des marches d'escalier. L'évolution de la dégradation de l'empreinte carbone est quant à elle plus linéaire. Je confirme donc le terme de corrélation.

Je souhaite revenir sur le lien historique entre nos industries et le parc électronucléaire. Nos industries se sont construites sur l'hydroélectricité et se sont développées ensuite en s'appuyant sur l'émergence du parc électronucléaire, avec les cinquante ans écoulés de politique de volontarisme en matière de construction de ce parc sans lequel la plupart des sites auraient disparu. Tous ces sites évoluent dans un contexte de compétition mondiale. L'aluminium fait ainsi l'objet d'une cotation mondiale sur le London Metal Exchange (LME). Les cours sont déterminés par l'unité la plus compétitive, soit l'unité québécoise, norvégienne, islandaise, tasmanienne, où le prix d'accès à l'électricité est de l'ordre de 5 à 7 euros par mégawattheures (MWh) et extrêmement stable puisque d'origine hydro-électrique. La plus grande unité d'aluminium d'Europe, Aluminium Dunkerque, a été construite sur une articulation profonde avec le parc électronucléaire associé, grâce à un contrat spécifique signé avec Électricité de France (EDF). Un montage similaire a été opéré récemment pour l'ancienne usine Pechiney de Saint-Jean-de-Maurienne, rachetée par le groupe autrichien Trimet, grâce à l'engagement personnel très fort du ministre de l'Économie, du redressement productif et du numérique de l'époque, M. Arnaud Montebourg, qui a amené EDF à prendre une participation directe dans Trimet. Cette articulation capitalistique n'est pas le modèle uniforme à appliquer, mais ces industries se sont développées sur des contrats de long terme qui se sont traduits par des contreparties financières pour EDF.

La table ronde d'hier succédait à la table ronde de 2005 à laquelle avaient participé le ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie M. Hervé Gaymard et le ministre délégué à l'Industrie M. Patrick Devedjian. Elle avait conduit dans les trois années suivantes à la constitution du consortium Exeltium qui réunit 27 des plus grands groupes industriels. Ces entreprises ont accordé une avance en tête de 1,7 milliard d'euros à EDF en 2010 pour Flamanville 3. En contrepartie, EDF donne accès à 6 TWh d'électricité sur des rubans de 27 ans. Ce type d'articulation entre une énergie compétitive, découplée de la volatilité du marché européen de l'électricité, et un projet industriel, est nécessaire aujourd'hui. Lors de la table ronde d'hier, les ministres ont acté que nous allions constituer immédiatement un groupe de travail qui proposera dans les six mois un retour d'expérience sur ces contrats historiques. L'objectif est de construire le cadre contractuel pour de futures relations avec le parc nucléaire historique, compétitif puisque largement amorti, en vue de la sortie de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) le 31 décembre 2025. Ce groupe de travail piloté par les pouvoirs publics donnera l'impulsion nécessaire pour faire converger les rapports entre fournisseurs et consommateurs. Ce sont des contrats de long terme, qui pourront par exemple être établis pour une durée de cinq à quinze ans selon les négociations de chacun.

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Vous avez indiqué que cette table ronde a présenté des points positifs à certains égards. Quels sont les points déceptifs ?

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Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d'Arkema, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN)

Il n'y a pas eu de points négatifs. Nous avions peu d'attentes sur les sujets de court terme. Un point très positif est que les ministres ont souhaité d'emblée aborder les propositions et les orientations. Dans la crise paroxystique que nous connaissons actuellement, le prix du gaz a été multiplié par cinq ou six, le prix de l'électricité par trois, ce qui revient à une évolution des prix moyens d'approvisionnement de l'ordre de 50 %. Quatre ou cinq usines ont aujourd'hui arrêté de fonctionner en France, comme l'usine de zinc d'Auby, même si certains industriels ne veulent pas communiquer sur ce point en raison des relations avec leurs clients. 40 % de la capacité européenne d'ammoniac est à l'arrêt, car toute production entraîne une perte directe. 80% de l'ammoniac est dirigé vers l'agroalimentaire avec la production d'engrais azotés : des répercussions surviendront en termes de prix et de disponibilité sur la campagne agricole à venir. Le reste de l'ammoniac est utilisé dans des procédés industriels notamment en chimie, dans la chaîne du froid, et dans la production de l'additif AdBlue utilisé pour respecter les normes d'émission d'oxyde d'azote par les camions diesel.

La plupart des solutions de court terme n'étaient pas applicables. Nous avons demandé un écrasement temporaire des niveaux de taxes dans le cadre de la situation de crise, comme la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) – le gouvernement a déjà pris une initiative sur la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE). En matière de fiscalité, nos industries bénéficient déjà de taux très bas, en conformité avec la directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité, et il reste donc peu de marge de réduction de ce point de vue. Une autre piste était de maximiser certains dispositifs comme la rémunération des effacements, de revoir le mécanisme de capacité, ou d'écraser encore les tarifs de transport du TURPE mais nous bénéficions déjà de tarifs réduits en contrepartie des services que nous apportons au réseau. Sur tous ces aspects, les améliorations possibles n'auraient pas été en tout état de cause à la dimension du problème.

Nous sommes donc revenus sur la question sensible de l'augmentation des volumes d'électricité pouvant être attribués dans le cadre de l'ARENH. En 2019, la rehausse possible du plafond de l'ARENH a été votée. EDF doit céder aux fournisseurs alternatifs depuis 2012 100 TWh, c'est-à-dire 25 % de la production de son parc nucléaire historique. Ce prix a été figé par le gouvernement de l'époque à 42 euros par MWh. Depuis 2019, ce plafond peut être rehaussé en volume à 150 TWh. Cette possibilité s'exerce par arrêté ministériel. Elle pose cependant des problèmes du point de vue du gouvernement : d'une part, ce rehaussement du plafond ne peut aller que de pair avec une augmentation du prix. Or, il est aujourd'hui complexe d'afficher une hausse de l'ARENH, même si nous sommes obligés de reconnaître que le prix de 42 euros par MWh ne correspond plus à la réalité du coût du parc nucléaire historique pour EDF. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a établi un rapport à la demande du gouvernement sur le coût complet du nucléaire historique hors Flamanville 3. Ce rapport, qui n'a pas été rendu public, évoque un prix de 48,20 euros. La contrepartie est donc de rehausser les prix en fonction du volume. Nous signerions dès demain pour une telle aubaine dans les circonstances actuelles. Toutefois, la Commission a toujours été contre l'ARENH, et d'importantes négociations seraient nécessaires pour proposer un aménagement aujourd'hui. L'autre problème serait l'impact direct sur les tarifs réglementés de vente de l'électricité (TRVE), qui sont calculés à partir de l'ARENH par empilement des coûts. Un nouveau choc sur le niveau des tarifs serait donc problématique. Enfin, EDF indique avoir déjà couvert l'ensemble de sa production. EDF devrait afficher les prix qui étaient en vigueur l'année passée, soit 40 à 45 euros, et racheter sur le marché ces 50 TWh additionnels entre 150 à 200 euros le MWh. Cet achat représenterait une perte de l'ordre de 2 à 4 milliards d'euros directs pour EDF. Le gouvernement a par conséquent d'emblée écarté cette piste.

Il faudra reformuler cette question par le biais de l'écrêtement. Le guichet de l'ARENH est ouvert en novembre. Tous les fournisseurs présentent à la CRE leurs demandes selon un dispositif législatif, en fonction de leur perspective de portefeuille commercial pour l'année à venir. Ils n'ont pas le droit d'exagérer leur amplitude commerciale sous peine de pénalité. La CRE procède alors à un écrêtement, car, dans les périodes de forte hausse, le prix de l'ARENH est très attractif. La demande sera probablement de l'ordre de 150 à 160 TWh, alors que la CRE ne peut attribuer que 100 TWh. Un écrêtement uniforme est donc appliqué à tous les fournisseurs, que le client final soit un particulier, un résidentiel, une entreprise ou un industriel. Cet écrêtement va peser lourd car les industriels ne seront pas servis à la hauteur de leur demande et cet impact se chiffre rapidement à presque 10 euros par MWh. Il serait anticonstitutionnel de demander à la CRE de différencier cet écrêtement en fonction du consommateur final. Par conséquent, une modification législative sera nécessaire pour intégrer au texte afférant à l'ARENH cette faculté de différencier le taux d'écrêtement par destinataire en fonction des circonstances. Ce point reste ouvert car c'est un outil qui serait praticable d'ici la fin de l'ARENH même s'il n'est l'est pas dans le contexte actuel.

Il n'existe pas de solution immédiate et facile au niveau français concernant le gaz. Les niveaux de stockage sont heureusement assez élevés en France et moyens en Europe. Les solutions européennes sont également compliquées. La Commission européenne évoque la création de capacités de stockage. Or les stockages sont coûteux et posent des difficultés de répartition. L'autre voie est le consortium d'achat, entre autres pistes sur lesquelles travaille la Commission européenne. Le problème est que le prix du gaz entraîne celui de l'électricité sur le marché de gros. Ce sujet nous concerne donc pour la partie des approvisionnements qui n'est pas couverte par l'ARENH.

Quand Exeltium a été créé en 2010, un agrément fiscal avait été nécessaire pour restreindre l'accès à ce groupe aux actionnaires initiaux. C'était un montage financier avec effet de levier massif, puisque les 27 industries du groupement ont apporté 300 millions d'euros en argent comptant à EDF et les 1,4 milliard d'euros correspondant ont fait l'objet d'un emprunt bancaire qui a abouti en 2010. Cependant, le volume cible défini pour Exeltium était à l'époque de l'ordre de 16 TWh et nous n'avons contracté que pour 6 TWh. Les mêmes industriels ont donc la possibilité juridique de contracter pour 10 voire 15 TWh additionnels, car le dispositif a été agréé par la direction générale de la concurrence de la Commission européenne. Ce dispositif est susceptible d'être mis en œuvre rapidement et facilement. Le président d'Exeltium dialogue actuellement avec les ministres à ce sujet.

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Les questions d'empreinte environnementale et de disponibilité énergétique sont des conditions essentielles de la réindustrialisation. Est-ce une des raisons de la délocalisation vers les pays de l'Est ? Des mécanismes de compensation d'empreinte carbone ne devraient-ils pas être établis aux frontières ?

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Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d'Arkema, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN)

Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) est un sujet porté par la France depuis au moins 2007. La Commission européenne en a fait une proposition concrète dans le cadre du paquet « Paré pour 55 », ou « Fit for 55 », à la demande de la France et avec l'assentiment d'autres États membres. Nous accueillons avec intérêt ce mécanisme dont les aspects positifs sont incontestables. Ce n'est pas un dispositif protectionniste, mais d'égalisation des conditions de concurrence au niveau international pour que chacun intègre la contrainte carbone dans ses coûts et dans ses prix.

Nous identifions cependant dans ce mécanisme un très grand risque d'exécution. Certains États pourraient se satisfaire d'un succès diplomatique entérinant la création de ce dispositif tout en le contournant d'un point de vue juridique pour le rendre ineffectif. En effet, ce dispositif sera déféré à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) par des États tiers qui revendiqueront d'emblée une présomption d'effet équivalent entre leurs systèmes en place et le système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (SEQE-UE). Il y aura un renversement de la charge de la preuve puisque c'est l'Union européenne qui devra administrer devant l'OMC la preuve que le dispositif SEQE-UE est plus performant que le dispositif chinois ou indien. Cette preuve sera difficile à documenter. La Chine a pris en compte la perspective de cette compensation carbone en Europe : elle possède un marché carbone national en place depuis le 1er juillet 2021. Elle a immédiatement annoncé que ce marché constituera une opportunité contre la Russie et la Turquie vis-à-vis de l'Europe, et prétendra donc que son dispositif est au moins aussi efficace que SEQE-UE tandis qu'il sera à l'Europe d'apporter la preuve du contraire.

Dans les négociations politiques à venir, ces questions d'exécution apparaissent souvent secondaires. De notre point de vue, le contrôle (monitoring) doit être au cœur des négociations politiques. La France aura une partie difficile à jouer, car l'Allemagne par exemple se satisfera d'un succès d'estime et d'un dispositif aussi léger que possible.

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L'échange est passionnant, car il se fonde sur des chiffres qui doivent nous guider dans nos décisions. Néanmoins, le politique doit prendre des décisions avec l'accord de nos citoyens. Votre rapport montre que la relocalisation permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre à l'échelle mondiale. Un certain nombre de délocalisations ont été réalisées pour se soustraire aux contraintes écologiques portées par l'Union européenne. Néanmoins, je m'interroge sur l'acceptabilité auprès de nos citoyens si nous devions construire des usines et multiplier les centrales nucléaires et les éoliennes dans nos territoires.

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Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d'Arkema, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN)

Le groupe chimique Arkema possède 120 usines dans le monde. 27 sont situés en France, dont 15 sites « Seveso seuil haut ». La question de l'acceptabilité est vécue au quotidien en matière de maîtrise et de prévention des risques chimiques. Il est incontestable que le niveau d'acceptabilité des riverains a diminué. Dans le bassin de Lacq, nous n'extrayons plus de gaz commercial mais seulement du gaz pour des produits chimiques de spécialité et nous n'avons pas eu de déperdition d'emplois. Le site bénéficiait d'une forte acceptabilité malgré une très mauvaise empreinte carbone avec des émissions de dioxyde de souffre considérables. Ce lien s'est aujourd'hui distendu alors que les emplois se sont maintenus au même niveau. Ces constats nous conduisent à revoir les modalités de contact et d'échange avec les citoyens et à sortir d'un discours institutionnel figé.

Le terme de « redéploiement industriel » me semble préférable à celui de « relocalisation », car il inclut les nouvelles industries. Nous devons permettre au socle actuel de continuer à exister et à rester compétitif, et à de nouvelles industries de se déployer. Deux usines géantes de batterie ont été annoncées dans le Nord face à la montée en flèche du besoin de batteries et il y en a déjà 10 en Allemagne et 2 en Pologne. Les usines de Stellantis à Douvrin et de Renault et Envision à Douai seront électro-intensives et consommeront chacune 40 MWh. Elles devront disposer d'un approvisionnement fiable en électricité compétitive. Il faudra que leur empreinte environnementale soit optimale. La capitalisation sur les normes dans les investissements contribue à l'acceptabilité.

J'insiste sur l'aspect du dialogue citoyen. Il existe par exemple des commissions de suivi de sites et des commissions locales d'information. L'asymétrie du dialogue entre riverains, associations et exploitants est très visible et elle est vécue de façon douloureuse, avec d'un côté une partie disposant du savoir technique qui peut avoir tendance à être un peu condescendante. Revisiter les modes de dialogue de manière moins institutionnelle, avec des retours d'expérience, est une nécessité. Les conventions citoyennes bien menées localement peuvent constituer des expériences pertinentes. Nous avons mis en place 12 plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Alors que les exploitants craignaient que ces PPRT ne révèlent aux riverains la dangerosité de l'environnement dans lequel ils vivent, ils ont suscité une très forte adhésion. La population a compris que la connaissance de la nature même du risque et des dispositifs de prévention que nous envisagions dans le cadre prévu par la loi apportaient un degré de protection supplémentaire.

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Merci pour vos propos. Quelle est votre vision du plan « France 2030 » sur la problématique de l'énergie et de la politique énergétique de la France ? Quelle est selon vous la place des énergies renouvelables dans cette politique énergétique ? Que peut-on envisager après le nucléaire ? Quels espoirs pouvez-vous placer dans les technologies pour un nouveau nucléaire ? Enfin, pouvez-vous proposer une vision un peu plus claire des politiques énergétiques internationales ? On cite beaucoup la politique énergétique de l'Allemagne, de la Norvège qui jouit de l'avantage de l'hydroélectricité, tandis que l'Espagne connaît la même crise que la France avec des politiques différentes des nôtres.

Dans mon territoire, une centrale nucléaire est actuellement en déconstruction et une autre attend d'être sélectionnée pour bénéficier de deux des six nouveaux réacteurs pressurisés européens ou European pressurized reactors (EPR). L'acceptabilité est souvent liée à l'histoire du territoire. L'écosystème du Rhône est lié à l'histoire de l'industrie, par exemple avec la chimie, et l'acceptabilité se fait aussi en raison du lien du territoire à l'industrie.

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Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d'Arkema, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN)

Dans le cadre du plan « France 2030 », le gouvernement a identifié les grands axes majeurs de souveraineté industrielle pour rester à niveau dans la course technologique mondiale.

J'en identifie deux qui nous concernent directement. Le nouveau nucléaire est lié à la question des batteries. Arkema fait ainsi la course en tête sur certains composants de batteries. Concernant les comparaisons européennes, la politique industrielle de l'Allemagne a toujours été tirée par l'automobile. La politique de batteries allemande détermine désormais la politique industrielle allemande. Cette dimension doit être prise en compte dans les arbitrages franco-allemands qui adviendront, car l'Allemagne fera tout son possible pour réussir cette révolution industrielle automobile. L'Allemagne a une position dominante en technologies et en innovations et entend bien gagner ce changement de cap majeur que doit effectuer l'industrie automobile mondiale. Des moyens considérables ont été mis en œuvre sur toute la chaîne batterie et automobile allemande. Toute sa politique industrielle sera déterminée par cet objectif : elle s'opposera à tout ce qui pourra entraver la conversion de son industrie automobile et s'assurera qu'elle en sortira gagnante au niveau mondial. C'est à cet aune qu'elle lit le MACF : si elle y voit un problème pour son industrie automobile, elle le bloquera ou se satisfera d'un succès de façade.

Il y a des aspects très positifs dans le plan « France 2030 » : la massification est nécessaire sur les grands projets car il faut tenir compte des effets d'entraînement et des effets de diffusion. Un thème retenu important est celui de la « décarbonation », doté d'environ 7 milliards d'euros, par exemple avec la conversion des hauts fourneaux d'Arcelor-Mittal à Dunkerque et Fos-sur-Mer où le charbon à coke est remplacé par de l'hydrogène pour un investissement d'environ 800 millions d'euros. L'enjeu carbone y est énorme puisque l'on réduira en une fois toutes les émissions d'un haut fourneau. Le plan « France 2030 » est donc bienvenu. Toutefois, les négociations devront être fines puisque la direction générale de la concurrence de la Commission européenne n'apprécie pas beaucoup les soutiens à des projets industriels.

Concernant le post-nucléaire, je ne suis pas spécialiste des sujets nucléaires. L'objectif des petits réacteurs modulaires ou small modular reactors (SMR) manque de clarté. J'ai récemment relu les auditions du président d'EDF au Sénat. Il soulignait que les SMR n'avaient aucun sens dans le contexte français. Cela peut néanmoins avoir du sens si cette politique ne vise qu'à maintenir à niveau la capacité en recherche et développement sur le nucléaire sur le territoire. Je comprends que cet outil sera destiné à l'exportation, car la configuration du réseau en France et ses besoins ne justifient pas de multiplier le risque nucléaire sur le territoire.

Le gros sujet est celui des nouveaux EPR. Il faut capitaliser sur les retours d'expérience des nouveaux EPR. Les nouvelles technologies sur les réacteurs ne produiront sans doute pas d'effets concrets avant 2040 ou 2050.

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Vous évoquiez, dans une déclaration au journal Les Échos en mai 2021, que la décarbonation reposait sur l'innovation. Est-ce selon vous la seule réponse à la décarbonation ?

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Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d'Arkema, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN)

Ce n'est pas la seule réponse. Pour parvenir à l'objectif de neutralité carbone, l'industrie doit se décarboner et cela vaut pour tous les procédés industriels. Chaque filière industrielle doit avoir sa propre feuille de route de décarbonation. Il y a des ruptures technologiques à préparer et à mener. Il y a de la « décarbonation au fil de l'eau », diffuse, mais aussi de la « décarbonation profonde », comme pour les gros projets d'Arcelor-Mittal et la conversion avec de l'hydrogène « vert » ou « bas carbone » des unités de reformage du méthane à la vapeur ou « steam methane reforming » (SMR) qui servent à produire de l'hydrogène et sont très émissives en terme de dioxyde de carbone. Dans tous les domaines, des innovations de rupture doivent être portées et il faudra dans le même temps procéder à des « décarbonations du quotidien », à l'image de la filière verre où le calcin est fabriqué à partir de fours à gaz et où l'on réfléchit à utiliser du gaz avec de l'électricité. Dans ce contexte, l'enveloppe accordée à la décarbonation dans le plan de relance est essentielle.

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Depuis le début de l'année, le prix de la tonne de carbone a doublé en Europe. Certains pensent qu'il faut arriver au prix significatif de 100 euros la tonne. Qu'en pensez-vous ?

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Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d'Arkema, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN)

Nous avons, au milieu de l'année 2021, attiré l'attention de la CRE, de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et de la Commission européenne sur ce développement qui apparaissait comme une spéculation sur ce petit marché du carbone. Avant la crise que nous connaissons depuis un mois et demi, le prix de la tonne de carbone sur le marché du dioxyde de carbone avait augmenté de 23 euros par tonne en janvier 2021 à 65 euros par tonne. L'équilibre de l'offre et de la demande sur ce marché étroit n'explique pas l'ampleur de cette hausse. Il s'agit d'un marché orienté par l'objectif politique fixé par la Commission de 85 à 100 euros la tonne, qui a donné une incitation très claire à investir sur ce marché à nombre d'opérateurs financiers.

Le problème corrélatif est l'incontestable volatilité qui en a résulté. Ce marché très étroit est en contraction continue et le sera encore davantage car le nombre de quotas d'allocations gratuites diminue. Il ne répond pas aux critères habituels du marché avec une volumétrie qui assure une liquidité et qui lui permet de fonctionner de façon régulière. Nous pensons que ce marché est inachevé en termes d'organisation. Sans renier l'objectif politique, les industriels ont besoin de visibilité pour investir dans la décarbonation. Ce signal est aujourd'hui perturbé par la volatilité du marché. Nous ne souhaitons toutefois pas qu'une taxe soit mise en place, car ce marché a ses mérites. Cependant, il faut le faire évoluer vers un marché de liquidités.

Le point d'achèvement sera la création d'une banque européenne du carbone, qui ne consisterait pas en une autorité de régulation, mais qui assurerait l'équilibrage du marché et le lissage des cours au quotidien comme le fait une banque centrale sur le marché monétaire. Ce mécanisme de stabilité de réserve existe dans le système SEQE-UE. Des centaines de millions de quotas font augmenter mécaniquement le prix du quota, considéré comme non incitatif. C'est néanmoins une « tirelire froide », car les quotas rentrent, mais ne peuvent en sortir. La Pologne propose de sortir des quotas pour les donner à des industriels. Nous ne soutenons pas cette idée, qui offrirait des quotas pour des droits à polluer supplémentaires aux industriels sous prétexte que les prix de l'énergie sont trop élevés. Pour autant, l'évolution du dispositif actuel vers une banque européenne du carbone permettrait d'aboutir à un marché plus équilibré. Ce marché a une influence sur le prix de l'électricité, dont 20 % sont liés au prix du carbone. L'articulation structurelle entre les prix de l'électricité et du carbone impose d'évoluer vers un marché de commodités.

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Vous réclamiez depuis longtemps cette table ronde au gouvernement pour prendre des mesures sur le court, moyen et long terme. Répondait-elle à vos demandes ? Quelles seraient vos préconisations principales pour articuler réindustrialisation et la neutralité carbone ?

Permalien
Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d'Arkema, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergie (UNIDEN)

Cette table ronde a répondu à notre demande qui a été entendue par les ministres. Il faut maintenant progresser, notamment dans la constitution du groupe de travail avec les fournisseurs EDF et Engie dans les prochaines semaines.

Le volet énergétique contribue à l'articulation de la politique industrielle et de la neutralité carbone par des contrats de long terme, tout comme les dispositifs d'accompagnement mis en place ou encore le déploiement du volet décarbonation du plan « France 2030 ». Un retour d'expérience sera nécessaire sur les actions menées dans le cadre du plan de relance, qui offrait des enveloppes de décarbonation non négligeables qui ont eu un certain succès mais ne sont peut-être pas allées suffisamment loin.

Je m'interroge sur la bonne articulation des rôles entre l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et la direction générale des entreprises (DGE). Le gouvernement semble avoir appréhendé la confusion actuelle, car le Président de la République a indiqué que la question de leur gouvernance devrait être réglée d'ici la fin de l'année. La gouvernance de la politique industrielle nécessite un travail sérieux. Sur le volet recherche, 12 stratégies d'accélération ont été présentées en septembre 2020 sur les mêmes thèmes et disposent de leur propre gouvernance. Le plan de relance a également sa propre gouvernance, et nous ignorons encore quelle sera la gouvernance de France 2030. Une gouvernance harmonisée et cohérente sur ces trois composantes est essentielle. L'ADEME était un établissement public modeste doté d'un budget de 300 à 400 millions d'euros par an. Elle dispose aujourd'hui d'un budget de l'ordre de 1,5 milliard d'euros. Au regard de ce changement d'échelle dans les moyens publics engagés, nous devons réfléchir de façon structurante à cette gouvernance avec les parties prenantes.

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Messieurs, je vous remercie. Je vous propose de compléter nos échanges en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez utiles à la commission d'enquête.

L'audition s'achève à 15 heures 15.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 14 heures

Présents. - M. Frédéric Barbier, M. Philippe Berta, M. Bertrand Bouyx, M. Éric Girardin, M. Brahim Hammouche, M. Guillaume Kasbarian, M. Gérard Leseul, M. Denis Masséglia, Mme Cendra Motin, Mme Bénédicte Taurine

Excusés. - Mme Carole Bureau-Bonnard, Mme Véronique Louwagie, M. Jacques Marilossian

Assistait également à la réunion. - M. Michel Delpon