Intervention de Édouard Martin

Réunion du jeudi 28 octobre 2021 à 17h00
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Édouard Martin, ancien délégué syndical CFDT d'ArcelorMittal Florange, ancien député européen (Alliance progressiste des socialistes et démocrates), président de l'association Bâtir le renouveau industriel sur la démocratie et le génie écologique :

Comme vous l'avez évoqué, nous avons pris la tête de la contestation de la fermeture des hauts-fourneaux de Florange en 2011. Force est de constater que sept ans après, les faits nous donnent raison.

Il est vrai qu'en 2011, à la suite de la crise de 2008, la demande européenne d'acier avait baissé. L'Europe doit néanmoins cesser d'être « l'idiot du village monde ».

À l'heure où je vous parle, l'Europe a définitivement réduit sa production de 40 millions de tonnes. Dans le même temps, l'Europe importe 27 millions de tonnes d'acier chaque année, produites dans des conditions déplorables et déloyales. Tout le monde sait en effet que les entreprises chinoises sont très largement subventionnées, y compris la Commission européenne.

À la différence de l'Europe, la Chine a une stratégie industrielle. Elle veut accroître au maximum sa part de marché mondial et elle s'en donne les moyens. Aujourd'hui, les matières premières et les produits transformés nous arrivent à des prix défiant toute concurrence.

Par ailleurs, ces produits ne sont pas soumis aux mêmes contraintes environnementales que les entreprises industrielles européennes. Même si les grands émetteurs européens de gaz à effet de serre reçoivent des droits à polluer gratuits pour maintenir leur compétitivité face à la concurrence déloyale de la Chine, ces quotas s'éteindront à horizon 2030.

La question est donc de savoir comment maintenir une industrie en France si nos concurrents ne respectent pas les mêmes critères que nous.

Alors que le prix de la tonne de dioxyde de carbone (CO2) a bondi et devrait progresser encore, comment inciter les entreprises les plus énergivores et celles qui émettent le plus de gaz à effet de serre à investir massivement pour parvenir à une industrie décarbonée à horizon 2050 ?

Par ailleurs, le prix du CO2 est aussi un enjeu majeur de maintien de la compétitivité mondiale. Si nous ne parvenons pas à imposer les mêmes règles à nos concurrents, dans moins de dix ans nous n'aurons plus d'industrie.

Avant de réindustrialiser la France, il faut commencer par arrêter la désindustrialisation. Malheureusement, les événements récents ne nous rassurent pas. Notre industrie est toujours en danger, notamment dans l'aluminium.

Outre le prix du CO2, l'industrie est également sensible aux prix de l'énergie. Tous les pays européens qui ont une forte tradition industrielle en sont conscients. Or au moment où je vous parle, ces prix s'envolent et provoquent des arrêts d'usines dans des aciéries (en Espagne et au Luxembourg notamment).

J'attire également votre attention sur le discours que nous tenions en 2011, lorsque nous essayions de maintenir l'activité des hauts-fourneaux de Florange.

En France, nous avons de lois qui protègent notre patrimoine culturel et notre patrimoine historique. Je pars du principe qu'une partie de l'industrie devrait relever du même principe. Il faudrait une loi de sauvegarde du patrimoine industriel.

Beaucoup ont ri de cette idée. Mais qui aurait cru qu'un jour nous manquerions de masques ? Personne.

Je pars du principe qu'il faut imaginer l'inimaginable. Je propose de réaliser un état des lieux de tous les secteurs économiques et industriels qui nous sont indispensables et de décider que quoi qu'il arrive ils font partie de notre patrimoine industriel. L'acier, le cuivre, l'aluminium, en font partie.

Je préconise aussi une autre voie pour l'Europe et pour la France. Il s'agit de faire de nos déchets les matières premières et les richesses de demain. C'est ce que j'avais déjà proposé dans un rapport élaboré lorsque j'étais député européen.

Il faut savoir qu'en France, les déchets du titane sont collectés et envoyés aux États-Unis. Ils y sont fondus pour fabriquer des pièces à forte valeur ajoutée vendues entre autres sur le marché européen. Pourquoi ne pas réutiliser ces déchets en France et en Europe ?

Il faut renforcer et muscler les filières de collecte de nos déchets, notamment les déchets industriels, pour qu'ils soient nos matières premières de demain. Ce serait d'autant plus intéressant que certains matériaux sont recyclables quasiment à l'infini.

Enfin, je donnerai l'exemple des ferrailles. C'est un marché mondial dont les principaux acheteurs sont les Chinois. Or, les Italiens sont les principaux collecteurs de ferraille et l'envoient en Chine.

Il faut sortir d'un cercle vicieux et entrer dans un cercle vertueux. Il ne s'agit pas de dire à nos partenaires économiques que nous refusons leurs produits, mais nous devons leur demander de respecter nos règles économiques, sociales et environnementales.

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