Intervention de Philippe Bouyoux

Réunion du mercredi 3 novembre 2021 à 17h30
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé :

Nous avons préparé une fiche de synthèse sur le rôle du CEPS, que je me propose de compléter par mon intervention. Notre champ d'action recouvre les produits de santé, c'est-à-dire une partie seulement du périmètre de votre enquête. Notre rôle, quant à lui, consiste à négocier et à fixer le prix des médicaments et des dispositifs médicaux. Il s'agit d'une fixation de prix en primo-inscription, mais aussi de l'évolution des prix dans le cadre de l'exercice de régulation.

Le prix des produits de santé, qui est notre levier principal, ne constitue pas à lui seul ni une politique de santé, ni une politique industrielle. Il peut s'agir d'un élément de cette politique, mais alors, ce levier doit s'inscrire en cohérence avec les objectifs plus généraux des politiques de santé publique et industrielles.

Le prix d'un produit de santé est un élément d'attractivité pour la commercialisation en France, mais aussi pour une implantation industrielle. Cependant, lorsqu'une entreprise s'implante en France, c'est rarement pour servir le seul marché français. Le prix du produit en France ne sera donc pas le seul motif de choix des entreprises.

Des questions de taille du marché français ou européen, d'appréciation de l'écosystème de recherche et de développement, de l'écosystème d'essais cliniques, de la qualité des chercheurs, praticiens, établissements de santé et organismes/instituts de recherche sont posées par ailleurs.

Les acteurs prennent également en compte une appréciation sur notre politique publique en matière de recherche et de développement (crédit impôt recherche, programmes d'investissement d'avenir, plan d'investissement, France 2030). La politique économique, dans sa dimension plus générale, est aussi considérée, y compris les éléments fiscaux et autres déterminants des coûts de production.

Le CEPS, dans ce contexte, peut s'attacher à contribuer en agissant sur le levier de la fixation du prix. En effet, le secteur de la santé est soumis à un régime de prix administrés, ce qui constitue une spécificité de cette industrie.

Le Comité regroupe des membres représentant une diversité de positions, de priorités gouvernementales et de tropismes d'origine. Le CEPS comporte six membres à voix délibérative. Parmi ces membres, certains proviennent d'organismes financiers ou payeurs tels que la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) – l'assurance maladie obligatoire –, les assurances maladie complémentaires et la direction de la sécurité sociale. La direction générale de la santé est, par construction, davantage focalisée sur l'accès aux soins. La direction générale des entreprises (DGE) porte un regard particulier sur la dimension industrielle de nos sujets. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), quant à elle, intervient plutôt sur la nécessaire équité de traitement. Un président et un vice-président, ou une présidente et une vice-présidente, portent une vision transversale sur les différentes priorités.

Il existe un comité en format médicament, et un autre spécialisé dans les dispositifs médicaux. Chaque membre détient une voix et en cas d'égalité, les voix du président et du vice-président sont prépondérantes. Les organismes payeurs détiennent cinq voix sur dix. Une structure permanente, de 25 personnes, assure le secrétariat général du Comité. Le CEPS est placé sous la tutelle du ministère des Solidarités et de la santé, du ministère en charge de l'Industrie et du ministère des Comptes publics, ce qui reflète les différents enjeux des politiques publiques.

Cette gouvernance montre les différents objectifs du Gouvernement dans la détermination des prix. Nous devons trouver un équilibre entre ces objectifs dans chaque dossier. Le Comité est parfois défini comme un lieu d'injonction contradictoire, car il doit tenir compte des enjeux de maîtrise de la dépense, de meilleur accès aux soins, et de prise en compte de la dimension industrielle. Ainsi, certains industriels considèrent que l'objectif premier du Comité a été de maîtriser les dépenses, au détriment du développement de l'industrie. Il s'agit d'un sujet de débat pouvant nécessiter des clarifications.

De ce point de vue, je souhaite préciser que la situation n'est pas figée, en particulier en matière de clarification des objectifs. En effet, au cours des derniers mois, le Gouvernement a précisé les objectifs du CEPS en différentes occasions. Des orientations ministérielles ont ainsi été édictées. Le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) s'est ensuite tenu. Un débat est en cours par ailleurs dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022.

La loi d'orientation ministérielle, adressée au Comité en février 2021 et publique, donc connue de nos interlocuteurs industriels, précise que la mission du CEPS s'inscrit dans une politique générale dont l'objectif principal est l'accès des patients aux soins dans les meilleures conditions. Cela suppose que l'on veille à apporter une juste rémunération aux innovations. Il convient par ailleurs d'assurer la pérennité de la disponibilité des traitements plus anciens, dont l'efficacité est avérée. Donc en l'occurrence, pour la première fois à ma connaissance dans une lettre d'orientation ministérielle, le Gouvernement a mis en avant la nécessité « d'assurer la sécurité des approvisionnements en produits de santé. » Cette préoccupation doit être présente dans l'appréciation des dossiers, y compris les relocalisations de productions industrielles. Nous avions déjà reçu quelques indications sur ces orientations avant l'annonce de février 2021.

Nous devons également tenir compte dans nos travaux de la loi de financement de la sécurité sociale, et des paramètres financiers qui sous-tendent la construction de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM).

Les actions du CEPS sont menées en cohérence avec ces orientations politiques, mais aussi en cohérence avec le cadre législatif et conventionnel. Le cadre législatif en question définit les critères de fixation des prix en primo-inscription. Il s'agit de l'article L.162-16-4 du code de la sécurité sociale, qui est en cours de modification par l'article 38 du PLFSS pour 2022. De cette manière, aux critères déjà établis serait ajouté un critère industriel de localisation, destiné à sécuriser les approvisionnements.

Notre cadre conventionnel, quant à lui, englobe les accords-cadres que nous signons avec les représentants des industriels. Nous avons par exemple signé en mars 2021, avec Les Entreprises du médicament (LEEM), un accord-cadre relatif aux médicaments. Cet accord décrit les règles des négociations menées sur les différents produits par les industriels et les membres du CEPS. Pour les dispositifs médicaux, le dernier accord-cadre a expiré il y a déjà plusieurs années, mais les négociations sont toujours en cours en vue de son renouvellement.

Dans le passé, le Comité fonctionnait sans support législatif permettant de prendre en compte la dimension industrielle. L'article 18 de l'accord-cadre relatif au médicament demandait une prise en compte de l'empreinte industrielle au moyen notamment d'une stabilité des prix. Par ailleurs, des avoirs sur remises étaient attribués aux entreprises investissant en France. L'outil en question était octroyé à une entreprise, en dehors des négociations relatives à tel ou tel produit.

Récemment, le nouvel accord-cadre sur le médicament a regroupé dans un chapitre industriel un ensemble de clauses visant spécifiquement la prise en compte de la dimension industrielle. Nous tenons compte en cela de la spécificité du dispositif médical.

Notre souci est d'obtenir une reconnaissance de l'investissement sous la forme d'une garantie de stabilité des prix. En effet, une entreprise qui investit s'engage dans la durée et aménage une visibilité sur son activité. En retour, celle-ci peut attendre une visibilité sur ce qu'il en sera des prix dans la durée. Pour ce faire, nous avons complété l'accord-cadre précédent, et nous l'avons étendu à l'investissement en France dans une logique d'exportation. Ainsi, des entreprises pourront implanter en France des unités qui pourront faire office de bases d'exportation.

En outre, pour la première fois, nous avons instauré dans l'accord-cadre des avantages sur les prix en primo-inscription. Ainsi, les produits les plus innovants selon la haute autorité de santé, si les principales étapes de leur fabrication ont lieu en France, bénéficieront d'un avantage explicite sur le niveau de leur prix facial. Le plus haut niveau de prix à l'échelle européenne sera appliqué, et à défaut, l'industriel bénéficiera d'une liberté de fixation du prix facial.

Il est en outre prévu que nous puissions procéder à des hausses de prix, dans des conditions précisées dans l'accord-cadre. Des hausses de coût des matières premières, ou encore une hausse de coût liée à une relocalisation, bien que cela ne soit pas écrit au sein de l'accord-cadre, sont des facteurs pouvant être pris en compte en vue d'un relèvement des prix.

À la suite au CSIS et dans le cadre du PLFSS, deux autres nouveautés ont été introduites. L'article 38 du PLFSS pour 2022 introduit un critère de localisation parmi les critères législatifs de fixation du prix. Par ailleurs, les crédits de remise décidés par le CSIS sont portés à 150 millions d'euros au lieu des 50 millions d'euros qui prévalaient. À terme, du moins d'ici 3 ans, il me semble, un montant de 300 millions d'euros est envisagé.

Le CEPS, pour sa part, s'attache à réformer les crédits du CSIS qui sont appelés à devenir plus importants du fait de l'augmentation de leur montant. Dans ce cadre, les crédits sont modifiés, et nous nous attachons à faire bénéficier de cet avantage des entreprises pour des investissements déjà réalisés, mais aussi des entreprises porteuses de projets d'investissements. Pour notre part, nous nous organisons pour que les crédits du CSIS soient un outil opérationnel, car agile et rapidement mobilisable. Ainsi, sous un délai de deux semaines à deux mois, une décision pourra être prise, avec une vision prospective. C'est un changement majeur.

Le prix est donc un facteur d'attractivité parmi d'autres. Sa fixation doit s'inscrire dans une cohérence avec le reste de la politique publique. Du point de vue du CEPS, la prise en compte d'une lettre d'orientation ministérielle, d'un accord-cadre, d'un CSIS et d'un PLFSS illustre la recherche d'une cohérence dans l'utilisation du levier des prix.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.