La réunion

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Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT

Mercredi 3 novembre 2021

La séance est reprise à dix-sept heures trente.

(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président de la commission)

La commission d'enquête chargée procède à l' audition des représentants du Comité économique des produits de santé (CEPS).

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Nous achevons notre session d'auditions en entendant les dirigeants du Comité économique des produits de santé (CEPS). Je souhaite donc la bienvenue à :

– M. Philippe Bouyoux, président du CEPS,

– M. Jean-Patrick Sales, vice-président du CEPS en charge du médicament,

– et Mme Catherine Rumeau-Pichon, vice-présidente du CEPS en charge des dispositifs médicaux et prestations.

Organisme interministériel et interinstitutionnel, le CEPS est chargé par la loi de fixer les prix des médicaments, ainsi que les tarifs des dispositifs médicaux et des prestations pris en charge par l'assurance maladie obligatoire.

En l'occurrence, nous nous proposons de vérifier si le modèle de régulation des dépenses de santé et du prix du médicament est en cause dans le déclin de la production pharmaceutique française.

Nous remercions nos invités d'avoir pris le temps de répondre à nos questions, et leur proposons de commencer par une intervention liminaire, en déclarant tout intérêt public ou privé de nature à influencer leurs déclarations à venir.

Je rappelle par ailleurs que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

M. Philippe Bouyoux, M. Jean-Patrick Sales et Mme Catherine Rumeau-Pichon prêtent serment à tour de rôle.

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

Nous avons préparé une fiche de synthèse sur le rôle du CEPS, que je me propose de compléter par mon intervention. Notre champ d'action recouvre les produits de santé, c'est-à-dire une partie seulement du périmètre de votre enquête. Notre rôle, quant à lui, consiste à négocier et à fixer le prix des médicaments et des dispositifs médicaux. Il s'agit d'une fixation de prix en primo-inscription, mais aussi de l'évolution des prix dans le cadre de l'exercice de régulation.

Le prix des produits de santé, qui est notre levier principal, ne constitue pas à lui seul ni une politique de santé, ni une politique industrielle. Il peut s'agir d'un élément de cette politique, mais alors, ce levier doit s'inscrire en cohérence avec les objectifs plus généraux des politiques de santé publique et industrielles.

Le prix d'un produit de santé est un élément d'attractivité pour la commercialisation en France, mais aussi pour une implantation industrielle. Cependant, lorsqu'une entreprise s'implante en France, c'est rarement pour servir le seul marché français. Le prix du produit en France ne sera donc pas le seul motif de choix des entreprises.

Des questions de taille du marché français ou européen, d'appréciation de l'écosystème de recherche et de développement, de l'écosystème d'essais cliniques, de la qualité des chercheurs, praticiens, établissements de santé et organismes/instituts de recherche sont posées par ailleurs.

Les acteurs prennent également en compte une appréciation sur notre politique publique en matière de recherche et de développement (crédit impôt recherche, programmes d'investissement d'avenir, plan d'investissement, France 2030). La politique économique, dans sa dimension plus générale, est aussi considérée, y compris les éléments fiscaux et autres déterminants des coûts de production.

Le CEPS, dans ce contexte, peut s'attacher à contribuer en agissant sur le levier de la fixation du prix. En effet, le secteur de la santé est soumis à un régime de prix administrés, ce qui constitue une spécificité de cette industrie.

Le Comité regroupe des membres représentant une diversité de positions, de priorités gouvernementales et de tropismes d'origine. Le CEPS comporte six membres à voix délibérative. Parmi ces membres, certains proviennent d'organismes financiers ou payeurs tels que la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) – l'assurance maladie obligatoire –, les assurances maladie complémentaires et la direction de la sécurité sociale. La direction générale de la santé est, par construction, davantage focalisée sur l'accès aux soins. La direction générale des entreprises (DGE) porte un regard particulier sur la dimension industrielle de nos sujets. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), quant à elle, intervient plutôt sur la nécessaire équité de traitement. Un président et un vice-président, ou une présidente et une vice-présidente, portent une vision transversale sur les différentes priorités.

Il existe un comité en format médicament, et un autre spécialisé dans les dispositifs médicaux. Chaque membre détient une voix et en cas d'égalité, les voix du président et du vice-président sont prépondérantes. Les organismes payeurs détiennent cinq voix sur dix. Une structure permanente, de 25 personnes, assure le secrétariat général du Comité. Le CEPS est placé sous la tutelle du ministère des Solidarités et de la santé, du ministère en charge de l'Industrie et du ministère des Comptes publics, ce qui reflète les différents enjeux des politiques publiques.

Cette gouvernance montre les différents objectifs du Gouvernement dans la détermination des prix. Nous devons trouver un équilibre entre ces objectifs dans chaque dossier. Le Comité est parfois défini comme un lieu d'injonction contradictoire, car il doit tenir compte des enjeux de maîtrise de la dépense, de meilleur accès aux soins, et de prise en compte de la dimension industrielle. Ainsi, certains industriels considèrent que l'objectif premier du Comité a été de maîtriser les dépenses, au détriment du développement de l'industrie. Il s'agit d'un sujet de débat pouvant nécessiter des clarifications.

De ce point de vue, je souhaite préciser que la situation n'est pas figée, en particulier en matière de clarification des objectifs. En effet, au cours des derniers mois, le Gouvernement a précisé les objectifs du CEPS en différentes occasions. Des orientations ministérielles ont ainsi été édictées. Le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) s'est ensuite tenu. Un débat est en cours par ailleurs dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022.

La loi d'orientation ministérielle, adressée au Comité en février 2021 et publique, donc connue de nos interlocuteurs industriels, précise que la mission du CEPS s'inscrit dans une politique générale dont l'objectif principal est l'accès des patients aux soins dans les meilleures conditions. Cela suppose que l'on veille à apporter une juste rémunération aux innovations. Il convient par ailleurs d'assurer la pérennité de la disponibilité des traitements plus anciens, dont l'efficacité est avérée. Donc en l'occurrence, pour la première fois à ma connaissance dans une lettre d'orientation ministérielle, le Gouvernement a mis en avant la nécessité « d'assurer la sécurité des approvisionnements en produits de santé. » Cette préoccupation doit être présente dans l'appréciation des dossiers, y compris les relocalisations de productions industrielles. Nous avions déjà reçu quelques indications sur ces orientations avant l'annonce de février 2021.

Nous devons également tenir compte dans nos travaux de la loi de financement de la sécurité sociale, et des paramètres financiers qui sous-tendent la construction de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM).

Les actions du CEPS sont menées en cohérence avec ces orientations politiques, mais aussi en cohérence avec le cadre législatif et conventionnel. Le cadre législatif en question définit les critères de fixation des prix en primo-inscription. Il s'agit de l'article L.162-16-4 du code de la sécurité sociale, qui est en cours de modification par l'article 38 du PLFSS pour 2022. De cette manière, aux critères déjà établis serait ajouté un critère industriel de localisation, destiné à sécuriser les approvisionnements.

Notre cadre conventionnel, quant à lui, englobe les accords-cadres que nous signons avec les représentants des industriels. Nous avons par exemple signé en mars 2021, avec Les Entreprises du médicament (LEEM), un accord-cadre relatif aux médicaments. Cet accord décrit les règles des négociations menées sur les différents produits par les industriels et les membres du CEPS. Pour les dispositifs médicaux, le dernier accord-cadre a expiré il y a déjà plusieurs années, mais les négociations sont toujours en cours en vue de son renouvellement.

Dans le passé, le Comité fonctionnait sans support législatif permettant de prendre en compte la dimension industrielle. L'article 18 de l'accord-cadre relatif au médicament demandait une prise en compte de l'empreinte industrielle au moyen notamment d'une stabilité des prix. Par ailleurs, des avoirs sur remises étaient attribués aux entreprises investissant en France. L'outil en question était octroyé à une entreprise, en dehors des négociations relatives à tel ou tel produit.

Récemment, le nouvel accord-cadre sur le médicament a regroupé dans un chapitre industriel un ensemble de clauses visant spécifiquement la prise en compte de la dimension industrielle. Nous tenons compte en cela de la spécificité du dispositif médical.

Notre souci est d'obtenir une reconnaissance de l'investissement sous la forme d'une garantie de stabilité des prix. En effet, une entreprise qui investit s'engage dans la durée et aménage une visibilité sur son activité. En retour, celle-ci peut attendre une visibilité sur ce qu'il en sera des prix dans la durée. Pour ce faire, nous avons complété l'accord-cadre précédent, et nous l'avons étendu à l'investissement en France dans une logique d'exportation. Ainsi, des entreprises pourront implanter en France des unités qui pourront faire office de bases d'exportation.

En outre, pour la première fois, nous avons instauré dans l'accord-cadre des avantages sur les prix en primo-inscription. Ainsi, les produits les plus innovants selon la haute autorité de santé, si les principales étapes de leur fabrication ont lieu en France, bénéficieront d'un avantage explicite sur le niveau de leur prix facial. Le plus haut niveau de prix à l'échelle européenne sera appliqué, et à défaut, l'industriel bénéficiera d'une liberté de fixation du prix facial.

Il est en outre prévu que nous puissions procéder à des hausses de prix, dans des conditions précisées dans l'accord-cadre. Des hausses de coût des matières premières, ou encore une hausse de coût liée à une relocalisation, bien que cela ne soit pas écrit au sein de l'accord-cadre, sont des facteurs pouvant être pris en compte en vue d'un relèvement des prix.

À la suite au CSIS et dans le cadre du PLFSS, deux autres nouveautés ont été introduites. L'article 38 du PLFSS pour 2022 introduit un critère de localisation parmi les critères législatifs de fixation du prix. Par ailleurs, les crédits de remise décidés par le CSIS sont portés à 150 millions d'euros au lieu des 50 millions d'euros qui prévalaient. À terme, du moins d'ici 3 ans, il me semble, un montant de 300 millions d'euros est envisagé.

Le CEPS, pour sa part, s'attache à réformer les crédits du CSIS qui sont appelés à devenir plus importants du fait de l'augmentation de leur montant. Dans ce cadre, les crédits sont modifiés, et nous nous attachons à faire bénéficier de cet avantage des entreprises pour des investissements déjà réalisés, mais aussi des entreprises porteuses de projets d'investissements. Pour notre part, nous nous organisons pour que les crédits du CSIS soient un outil opérationnel, car agile et rapidement mobilisable. Ainsi, sous un délai de deux semaines à deux mois, une décision pourra être prise, avec une vision prospective. C'est un changement majeur.

Le prix est donc un facteur d'attractivité parmi d'autres. Sa fixation doit s'inscrire dans une cohérence avec le reste de la politique publique. Du point de vue du CEPS, la prise en compte d'une lettre d'orientation ministérielle, d'un accord-cadre, d'un CSIS et d'un PLFSS illustre la recherche d'une cohérence dans l'utilisation du levier des prix.

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Vous confirmez que le prix du médicament est un des facteurs d'attractivité industrielle. Cette vision est-elle partagée par l'ensemble des directions du ministère de la santé ?

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

Je doute de détenir la légitimité nécessaire pour m'exprimer au nom des autres membres du Comité. Au demeurant, au sein du Comité, nous sommes d'accord avec les règles communes décrites dans les orientations ministérielles et dans l'accord-cadre. Le CEPS est par ailleurs porteur de la préoccupation industrielle, mais dans une finalité de sécurité des approvisionnements. Notre point d'entrée n'est donc pas le nombre d'emplois à créer, mais la contribution de la localisation d'un site industriel en matière de sécurité des approvisionnements.

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Comment parviendrez-vous à appliquer l'article 38 du PLFSS pour 2022 ? Quels sont les critères que vous considérerez, et envisagez-vous des difficultés opérationnelles dans la mise en œuvre de l'ambition de localisation et de sécurité des approvisionnements ?

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

L'article 38 du PLFSS a plusieurs vertus. Il émet un message clair sur la volonté de reconnaissance de la dimension industrielle. Il s'agit par ailleurs d'un texte particulièrement simple. Cependant, son champ d'application est très ouvert.

Sur la forme, il faudra définir si l'on souhaite préciser les modalités d'application de l'article ou si l'orientation générale suffit. Il convient également de décider du vecteur qui permettra éventuellement de compléter ce texte (loi, texte réglementaire, avenant à l'accord-cadre, ou construction d'une doctrine du CEPS déclinée dans le rapport annuel du Comité).

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Je ne suis pas partisan de tout écrire dans la loi. La lecture de l'article 38 du PLFSS me semble aisée, et son orientation positive. Il me paraît toutefois utile de préciser comment cette orientation sera prise en compte concrètement dans le processus de fixation du prix du médicament.

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

Sur le fond, j'ai commencé à indiquer que l'accord-cadre comporte un volet industriel décrivant un certain nombre d'outils. Cependant, lorsque nous appliquons les orientations qui nous sont données sans une loi, nous manquons parfois d'un ancrage juridique.

Par ailleurs, l'article 38 du PLFSS met l'accent sur la localisation de la production, avec une finalité de sécurité d'approvisionnement, alors que les outils conçus jusqu'à présent étaient centrés sur la notion d'investissement. Il s'agit d'un apport concret du nouvel article.

Nous n'avons pas encore de réponse précise quant aux modalités d'application de cet article, car la loi de finances de la sécurité sociale n'est pas finalisée. Par ailleurs, ces modalités devront être discutées, par exemple avec le LEEM s'il faut modifier l'accord-cadre. Or le sujet concerné comporte une part de complexité. En effet, les prix fixés le sont généralement au fil d'une négociation. Or, en l'occurrence, l'article 38 introduit un avantage dans le résultat d'une négociation. Pour préciser ses modalités concrètes d'application, il faudrait connaître ce que serait le résultat de la négociation sans la prise en compte industrielle.

Ce sujet doit donc être débattu sur le fond et dans ses aspects techniques, en tenant compte du fait que les entreprises sont porteuses d'intérêts différents en fonction de leur stratégie vis-à-vis de la production en France.

Il faudra donc décider si l'avantage doit être objectivé, et si tel est le cas, comment l'avantage pourra être objectivé. Or, l'étude des négociations montre que les formulations les plus explicites participent d'une identification plus aisée de leurs apports. Par exemple, il a d'ores et déjà été décidé dans l'accord-cadre d'introduire un avantage pour les produits les plus innovants fabriqués en France. Habituellement, nous sélectionnons des prix de référence en Europe, et visons en général le plus bas, mais si le médicament est produit en France, nous pouvons proposer à la négociation le prix le plus élevé. Cet avantage est explicite, mais sa formulation n'est pas forcément explicite dans chacune des négociations. Il faudra donc discuter des modalités de la matérialisation de l'avantage, ce qui sera favorable à l'équité de traitement et à la transparence.

Nous n'avons pas encore de réponse quant aux modalités concrètes de cette évolution. Nous devrons en débattre avec les équipes techniques.

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Existe-t-il un processus automatisé, sécurisé, permettant d'alerter le CEPS des éventuelles questions industrielles qui se posent ? Par exemple, si un industriel décide d'investir plusieurs centaines de milliers, voire plusieurs millions d'euros dans une unité de production en France, à Chartres par exemple, comment le Comité peut-il avoir connaissance de cette volonté industrielle d'investissement en vue d'un ajustement de ses processus ?

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

En règle générale, les laboratoires ne sont pas créés pour une occasion particulière. Il y a donc de grandes chances que le CEPS interagisse déjà avec un investisseur, d'autant que des membres du Comité participent par ailleurs à Choose France. En outre, le CEPS rassemble des représentants du ministère en charge de l'Industrie, dont le métier consiste à entretenir des contacts avec les industriels.

L'accord-cadre en vigueur, pour sa part, prévoit une possibilité de bénéficier de crédits du CSIS, c'est-à-dire d'un avantage. Du fait de cette procédure spécifique et formalisée, en octobre de chaque année, les entreprises sous convention avec le CEPS indiquent leurs investissements à la DGE. À l'avenir, nous procéderons à un examen de ces projets au fil de l'eau, y compris sur des projets d'investissement ; dans ce cadre, les industriels obtiendront une réaction beaucoup plus rapide, et nous espérons que cette réaction jouera le rôle de levier déclencheur des projets d'investissement, notamment lorsqu'un industriel doit sélectionner un site parmi trois en Europe.

Le préambule du chapitre industriel de l'accord-cadre, quant à lui, précise que les entrepreneurs peuvent s'adresser au président du CEPS en vue d'échanger avec lui sur les différents outils de l'accord-cadre pouvant être mobilisés à la faveur d'un investissement.

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Nous avons compris que le dispositif évolue, notamment au travers des accords-cadres. Il nous reste à déterminer si le prix du médicament est trop bas en France. Quelle est votre réponse à la demande d'un moratoire sur les prix du médicament, portée par les industriels, notamment pour les médicaments à fort enjeu sanitaire ?

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

Votre question recouvre la dimension des niveaux de prix trop bas, qui renvoie à la manière de fixer les prix en primo-inscription, mais aussi la perspective d'une baisse des prix, qui est esquissée dans le cadre de la régulation des prix.

Du point de vue d'un industriel, les prix seront probablement toujours considérés comme trop bas. Au-delà, il est difficile de quantifier une réponse à cette question, mais sur le plan qualitatif, il faut noter que la France est un des pays dans lesquels le système de prix est administré. Or, dans les pays comportant un tel système, le niveau de prix est globalement plus bas que dans les autres pays.

Le prix d'un médicament, quant à lui, est difficile à déterminer, car il existe en plusieurs lieux un système de régulation introduisant des dynamiques de baisses des prix à divers moments de la vie du médicament. En outre, les prix considérés sont les prix connus, faciaux ou publiés. Cependant, en France comme dans d'autres pays, des remises sont appliquées. Or, le montant de ces remises étant confidentiel, le prix net des produits n'est pas connu. La comparaison est donc d'autant plus difficile.

Nos pays de référence, dont le système de santé est relativement similaire au système français, sont l'Allemagne, le Royaume-Uni (malgré sa sortie de l'Union européenne), l'Italie et l'Espagne, mais n'incluent pas les États-Unis. Nous comparons nos pratiques à celles qui prévalent dans ces pays. Lorsqu'un prix facial est pris en référence aux pratiques de ces pays, nous précisons que nous tirerons des conséquences d'une éventuelle variation des prix dans ces pays, ce qui nous permet de baisser les prix lorsque ceux-ci ont été réduits dans les pays de référence.

En résumé, le niveau de prix en France est fonction des médicaments, et plus ou moins élevé que dans d'autres pays selon les cas, mais globalement bas, comme dans les autres pays comportant un système de prix administré.

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Avez-vous le sentiment que le système de prix administré, donc modéré, a pu contribuer à la délocalisation d'une partie de l'industrie pharmaceutique ?

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

Je souhaite dans un premier temps revenir sur la question d'un moratoire sur les prix. Je n'ai pas entendu une telle revendication. Chaque année, dans le cadre de notre exercice de régulation, nous appliquons des baisses des prix qui sont totalement justifiées. En effet, dans un système de prix libre, les effets de concurrence entraînent une baisse des prix dans le temps. Il est donc normal que nous entérinions des baisses des prix, sachant que nous appliquons des critères transparents, connus des industriels, en annonçant les classes thérapeutiques des produits concernés par une baisse des prix le plus tôt possible.

Ces annonces sont transmises au LEEM dès le mois de juillet en vue de l'année suivante. À cette occasion, nous ne transmettons pas une décision finale, nous indiquons les aires thérapeutiques qui seront visées. Nous précisons ensuite les montants d'économies que nous ambitionnons, en conformité avec les objectifs d'économie indiqués par le PLFSS. Les négociations sont alors menées avec chaque entreprise, ce qui évite des baisses de prix imposées. Les entrepreneurs peuvent nous présenter leurs enjeux de calendrier, ou souligner l'importance spécifique de tel ou tel médicament, à tel horizon. Les entreprises peuvent procéder à des contre-propositions sur le calendrier de la baisse des prix, ou sur les produits du portefeuille dont les prix devront diminuer.

Nos décisions se veulent donc les plus intelligentes possible, dans le cadre d'une dynamique de baisse des prix logique et demandée par le Parlement. Ce n'est que lorsqu'une entreprise refuse de discuter que nous pourrions prendre des décisions unilatérales. Il me paraît donc délicat d'envisager un moratoire sur les baisses des prix. Nous avons toutefois déjà appliqué de tels moratoires, par exemple en 2020 dans le cadre de la crise de la Covid-19. Nous avons alors suspendu les baisses de prix demandées sur le dispositif médical, qui était particulièrement affecté par la crise. Nous nous trouvons en phase de reprise d'un fonctionnement normal, ce qui est toujours compliqué après de telles mesures exceptionnelles.

S'agissant du rapport entre les prix et la délocalisation des entreprises, je n'ai pas de réponse ou d'exemple à apporter à cette question. En effet, les décisions d'implantation sont prises sur la base de plusieurs facteurs. Je présume que les projets de délocalisation sont, de la même manière, multifactoriels. Les industriels prennent probablement en compte l'ensemble des avantages et inconvénients de l'implantation en France.

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Avez-vous eu attache avec des entrepreneurs qui vous auraient annoncé des délocalisations ou des désinvestissements en France à cause du prix du médicament ?

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

Les entreprises pour qui la commercialisation d'un produit en France a été viable, mais ne l'est plus du fait d'un changement des conditions, peuvent demander au CEPS une hausse des prix. L'accord-cadre prévoit une possibilité de se manifester auprès du Comité à l'appui d'une demande documentée.

La pratique a évolué, en la matière, car nous demandons désormais à analyser des facteurs de coût spécifiques, dont notamment le coût des matières premières. Dans le passé, nous nous penchions plutôt sur le coût de revient industriel, mais il s'avère préférable d'étudier l'ensemble des postes de coût d'une entreprise, afin d'éviter la problématique des asymétries d'information. Cela étant, le Comité ne souhaite pas non plus se positionner sur un taux de marge considéré comme suffisant.

Concrètement, lorsque cette question se pose, le CEPS commence par étudier la situation du marché, ainsi que le niveau de risque de l'approvisionnement du médicament visé. S'il s'agit d'un médicament dont la classe comporte quinze concurrents, le Comité aura tendance à ne pas intervenir. En revanche, si le marché considéré comporte un petit nombre d'acteurs, nous sommes en droit de manifester une inquiétude quant à un éventuel retrait du médicament hors du marché. Dans ce cas, nous demandons aux laboratoires de documenter précisément la difficulté rencontrée, afin de vérifier si la hausse des coûts peut justifier un relèvement du prix du médicament considéré.

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Cette demande d'examen de facteurs spécifiques tels que le prix des matières premières est-elle récente, est-elle fréquente ?

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

La possibilité de demander une hausse des prix a été inscrite dans l'accord-cadre signé en mars 2021, et ne s'applique pas uniquement à des produits qui sont fabriqués en France. S'agissant de la fréquence, nous sommes en ce moment davantage sollicités, en raison de la hausse du coût des matières premières. Nous étions arrivés à un consensus avec le LEEM à ce sujet quelques mois auparavant, ce qui nous a permis d'appliquer la mesure par anticipation dès fin 2020 dans la classe des immunoglobulines. En effet, nous considérons qu'une hausse du prix des matières premières est susceptible de concerner l'ensemble d'une classe thérapeutique, ce qui provoque un risque d'approvisionnement dans l'ensemble de la classe visée.

La possibilité d'une hausse des prix s'applique à des produits fabriqués en France ou ailleurs, quelle que soit leur localisation. En l'occurrence, nous recevons un certain nombre de sollicitations sur le prix du médicament, suite à la forte hausse du coût des matières premières. Nous étudions chaque demande au cas par cas.

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La décision d'implantation d'une entreprise est présentée comme pouvant être influencée par le prix de commercialisation du médicament en France. Il me paraît toutefois important de souligner le caractère stratégique d'une production de médicaments sur le territoire national. Or, je n'ai pas encore entendu parler d'une stratégie de production des médicaments et des molécules en France. Quelle est cette stratégie ?

Il existe probablement une réflexion européenne sur la production de médicaments et de molécules. Quelle est-elle ? Nous avons eu vent de difficultés dans la production de médicaments, en lien avec l'approvisionnement en molécules depuis la Chine ou l'Inde, comme dans le dossier du Levothyrox. Qu'en est-il ? Certains patients ont besoin de prendre des médicaments chaque jour, mais nous avons été les témoins des tensions géopolitiques qui peuvent peser sur l'approvisionnement international en certains médicaments. Ces flux d'approvisionnement sont-ils sécurisés, quel que soit le pays d'implantation du producteur ?

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

La production de médicaments en France est en effet un enjeu stratégique. Il faudra donc actionner plusieurs leviers, au-delà du seul prix, pour y parvenir. Il est par ailleurs nécessaire de favoriser la création de clusters, de créer un écosystème performant, de lancer des appels à projet et autres grandes actions nationales, tel que les plans d'investissement d'avenir (PIA) ou France 2030. L'ensemble de ces mesures construira une stratégie pertinente et attractive pour les entreprises.

Le CEPS, pour sa part, peut contribuer à cette stratégie en élaborant des signaux de prix cohérents avec la politique industrielle. Telle est notre façon d'exercer notre rôle.

J'ignore si les autres pays européens ont développé des stratégies à l'image de la française. Nos réflexions en matière de sécurité d'approvisionnement reposent sur une étude des chaînes de production, des sites possibles pour cette production, à l'échelle européenne, comme indiqué dans plusieurs articles de l'accord-cadre. La production en France apporte une garantie supplémentaire mais nous envisageons l'ensemble des investissements envisagés sur le territoire européen.

Le médicament est une production finale, réalisée à la fin de la chaîne de production. Donc, pour sécuriser l'approvisionnement en médicaments, il faut étudier les différentes étapes de la chaîne de production. Une production en France n'est pas sûre si le processus dépend d'un principe actif fabriqué en Inde. Lorsque le Comité doit exprimer une appréciation sur la sécurité d'approvisionnement de tel ou tel médicament, nous nous attachons à obtenir des informations sur la provenance de l'ensemble des matières premières.

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Jean-Patrick Sales, vice-président du CEPS en charge du médicament

Il existe en effet un risque dans l'approvisionnement en matières premières depuis l'étranger. Nous nous sommes attachés à tenir compte de ces phénomènes dans le dernier accord-cadre, en traitant de la production de principes actifs, de produits finis, ou des activités de packaging et conditionnement. Les industriels doivent nous apporter des éléments dans ces trois domaines lorsqu'ils revendiquent une implantation en France.

Dans le cadre de l'accord-cadre, nous pouvons délivrer des avantages en matière de stabilité des prix, ou des crédits CSIS, sur la base de la sécurité d'approvisionnement offerte par l'implantation en France de tout ou partie de la chaîne de valeur. Cette structuration me paraît facile à transposer dans l'application de l'article 38 du PLFSS. L'enjeu n'en est pas moins majeur car la plupart des entreprises travaillent avec des façonniers et peuvent en changer pour recourir à des sous-traitants plus éloignés ou plus proches géographiquement.

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Il faut deux parties pour mener à bien une négociation. Or, les procédures du CEPS nous sont parfois davantage présentées comme des procédures d'obtempération. Il est reproché au Comité des baisses de prix d'autorité, parfois signifiées par message électronique. En outre, les baisses des prix sont plus nombreuses que les augmentations. Dans ce domaine, les industriels, notamment les petits laboratoires ne siégeant pas au LEEM, se plaignent du manque de négociation.

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

Nous négocions systématiquement les prix fixés en primo-inscription ainsi que les baisses des prix. Nous informons les laboratoires au travers du LEEM dès le mois de juillet précédent. J'ai toutefois été surpris d'apprendre dans une dépêche d'agence de presse qu'un industriel n'aurait pas pu discuter avec le Comité, qui aurait imposé une baisse des prix par message électronique. Selon cette dépêche, le CEPS manquerait de vision industrielle.

Il se trouve que nous avions rendez-vous avec l'industriel en question, avec lequel nous discutons en général, d'autant qu'il représente une association de petites et moyennes entreprises françaises. Nous avions notamment échangé sur les termes de l'accord-cadre, et avions informé l'industriel de nos intentions. Une incompréhension a probablement vu le jour, car cet industriel a cru que ce que nous lui avions signifié une décision par message électronique. Or, ce n'était pas le cas : le message électronique comportait une proposition qui a ensuite été discutée.

Le Comité a en l'occurrence demandé une baisse de prix sur une classe thérapeutique. Cependant, à l'appui des explications apportées par l'industriel, nous avons fait évoluer notre position.

Il arrive que le CEPS prenne des décisions d'autorité, mais ce n'est pas ce que nous souhaitons faire, et ce n'était pas le cas dans la situation relatée.

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La difficulté résidait donc dans une incompréhension.

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

Il me semble que c'est le cas.

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La maîtrise des dépenses de santé doit être conciliée avec le nécessaire soutien à l'innovation thérapeutique ainsi que le besoin d'une localisation industrielle sur le territoire. Quelle est votre opinion sur les réalisations d'autres pays, en la matière ? L'Italie ou la Belgique sont parfois cités en exemple, et les volumes de production affichés en Italie laissent croire que l'écosystème y est plus favorable qu'en France.

Qu'en est-il par ailleurs de l'expression « d'injonction contradictoire » utilisée en début d'audition ?

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

Nous ne détenons pas d'élément statistique permettant de considérer que la situation globale serait plus favorable en Italie ou ailleurs. En effet, chaque pays poursuit différents objectifs. Souvent, l'Allemagne est présentée comme un pays de référence, dont l'environnement serait comparable à celui de la France. Cependant, certains produits commercialisés en France ne le sont pas en Allemagne ou en Italie, et inversement. Il est donc délicat de comparer ces différents pays, d'autant que les systèmes y sont divers. La régulation est parfois assurée par les prix, ou par la base de remboursement comme en Allemagne. Je suis donc embarrassé pour apporter une réponse simple à la question posée.

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Jean-Patrick Sales, vice-président du CEPS en charge du médicament

Lorsque les industriels présentent leur structuration d'implantation en Europe, ils ont souvent opté pour l'Irlande, l'Italie du Nord et parfois l'Allemagne. Cependant, l'Irlande et l'Italie du Nord sont des petits marchés, comparativement à la France ou l'Allemagne. La France présente pour attrait de solvabiliser la totalité des patients, sans régulation par le remboursement, ce qui n'est pas forcément le cas dans les autres pays. Il est donc difficile de comparer les places européennes, mais nous pouvons considérer que la France est un marché intéressant pour la vente de médicaments, peut-être moins favorable pour leur fabrication.

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La problématique existe-t-elle par ailleurs pour les dispositifs médicaux, ou les deux types de produits sont-ils adressés à des marchés et des environnements différents ?

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

La situation est probablement encore plus compliquée pour ce qui concerne le dispositif médical. Le secteur est en effet plus hétérogène que celui du médicament. Quelques grandes entreprises mondiales y coexistent avec une multitude de petites entreprises. Il est donc difficile de porter une vision globale sur le marché. Par ailleurs, les dispositifs médicaux sont des assemblages hétéroclites de composants en relativement grand nombre, qui proviennent parfois de filières très diverses (mousses, aciers, semi-conducteurs, etc.).

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Catherine Rumeau-Pichon, vice-présidente du CEPS en charge des dispositifs médicaux et prestations

Le marché des dispositifs médicaux est en effet très éclaté, et réparti sur plusieurs entreprises, dont beaucoup sont nationales. Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) sont rares sur le secteur. Les très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME) y sont plus nombreuses, et certaines entreprises sont des entreprises mono-produits.

L'impact des modulations tarifaires sur le marché des dispositifs médicaux est par ailleurs différent de celui du médicament car les marchés en question sont plus resserrés, d'une manière générale. La capacité à lisser les baisses de prix sur des gros volumes est donc relativement limitée.

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

De ce fait, les outils dont nous disposons sont plus difficiles à manier que dans le domaine du médicament. Les crédits du CSIS, par exemple, n'existaient pas jusqu'à présent dans les dispositifs médicaux. Il est prévu d'en créer, à l'occasion du PLFSS, avec des montants relativement faibles car le secteur est moins lourd que celui du médicament. En outre, une spécificité du dispositif médical est l'absence de remises. Or, les crédits du CSIS sont des avoirs sur remises. Donc, l'outil ne bénéficiera pas à tous les acteurs du secteur, ce qui peut devenir une difficulté.

Nous risquons par ailleurs de rencontrer des difficultés dans notre capacité à différencier les prix au titre d'un critère industriel. En effet, les dispositifs médicaux inscrits sur une ligne générique partagent des spécificités techniques minimales, pour lesquels le prix est le même. Les produits en nom de marque, quant à eux, sont davantage différenciés. Pour sa part, le CEPS ne peut pas ajuster les prix appliqués aux dispositifs inscrits sur une ligne générique au motif de la localisation de leur production. En effet, ces dispositifs partageant des spécificités techniques, la lisibilité de la ligne générique repose sur l'application d'un prix donné. Nous devrons donc rechercher des outils optimaux pour exercer une forme de politique industrielle au titre de la sécurité de l'approvisionnement.

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Qu'en est-il des industries souhaitant changer d'implantation sur le territoire national ? Certains industriels aspirent à un regroupement et/ou à la création de pôles dans la région lyonnaise ou parisienne par exemple. Est-il tenu compte du coût de ces démarches dans les prix appliqués ?

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

À ce stade, il n'en est pas tenu compte. Il serait très difficile de prendre en compte de telles démarches. En effet, un des critères de fixation du prix est la valorisation de l'apport thérapeutique d'un médicament. Une relocalisation en France depuis l'étranger apporte une sécurisation de l'approvisionnement qui mérite d'être valorisée. Un déplacement de site en France ne peut pas provoquer une telle valorisation. J'ignore à quel titre le CEPS pourrait modifier le prix d'un médicament en conséquence.

Une politique industrielle ou d'aménagement du territoire, ou de financements publics, peut par ailleurs être construite en vue du développement de tel ou tel cluster, mais je doute que l'instrument du prix puisse aider au déplacement de sites industriels sur le territoire français.

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Il s'agit d'une limite du dispositif. En effet, la politique de développement des industries peut reposer sur l'intégration au sein d'un cluster qui génère forcément des charges et entraîne un impact sur l'outil industriel. Cette situation montre que les critères des organismes de régulation peuvent parfois se révéler dogmatiques.

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

Il nous paraît nécessaire de déployer des outils adaptés à de telles logiques, c'est-à-dire des outils de politique industrielle. En effet, il est impossible de prétendre que la valeur du médicament va changer selon qu'il est produit dans l'une ou l'autre des régions de France. Dans le cas d'un déplacement de site en France, il faut soutenir la création d'un cluster, ou la politique industrielle de l'entreprise, plutôt que de soutenir le prix du médicament. Les crédits CSIS, par exemple, sont délivrés à une entreprise en vue de ses investissements, tandis que la fixation d'un prix s'applique à un produit donné.

Ce prix peut tenir compte des investissements consentis dans la chaîne de production d'un produit spécifique, mais il s'agit d'une démarche différente de l'appui au développement des entreprises de type développement de clusters industriels.

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Nous vous remercions pour cette distinction entre le produit et l'entreprise. Cependant, le processus de négociation et ses enjeux sont peu lisibles pour une personne extérieure. Ne pensez-vous pas qu'il serait nécessaire de faire un peu de pédagogie à cet égard, ou bien d'envisager certaines simplifications, afin de fluidifier les négociations ? En outre, les prix sont fixés, puis révisés. Les clauses de rendez-vous sont-elles systématiques, et si ce n'est pas le cas, pensez-vous que cela devrait l'être comme c'est le cas en Allemagne ?

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

Le sujet des négociations sur le prix est extrêmement technique. Le texte de l'accord-cadre est d'ailleurs ardu, alors même que nous avons souhaité faire preuve de pédagogie dans la rédaction de ce texte. Les manières de communiquer doivent être différentes selon les publics. L'accord-cadre n'est certainement pas un outil adapté pour une communication vers le grand public sur nos actions. Nous pourrions probablement mener une politique de communication différente, ou améliorer la nôtre.

Quoi qu'il en soit, les personnes participant aux négociations sont des responsables de filiales ou de responsables de l'accès aux marchés, qui connaissent le contenu de l'accord-cadre. Pour notre part, nous avons souhaité apporter plusieurs précisions dans l'accord-cadre. En effet, le prix d'un produit peut être basé sur des évaluations scientifiques de son efficacité. Nous tenons également compte de l'apport spécifique éventuel de tel ou tel produit, qu'il soit petit ou grand. La valorisation du produit est fonction de ces éléments.

Un produit dont l'apport serait limité se verrait appliquer une logique d'économie, donc de décote. Une stabilité des prix peut être décidée si le produit se révèle équivalent aux précédents. Si le produit présente un apport spécifique, cela peut justifier une valorisation de 10 à 20 %. Mais en réalité, nous tenons compte de facteurs très complexes. Ainsi, la première discussion avec les entreprises porte sur les comparants du médicament, ce qui est en soi un exercice compliqué. En effet, les produits du marché ne présentent pas tous les mêmes indications, le même mode d'action ou les effets. Les analyses de la haute autorité de santé, quant à elles, reposent sur une comparaison entre plusieurs médicaments, ou encore sur l'étude d'une stratégie thérapeutique.

Lors de l'élaboration de l'accord-cadre, nous consacrons donc un article au fonctionnement de la négociation, de façon à simplifier le déroulement des échanges. Nous précisons, dans un langage très technique, le mode de fonctionnement sur lequel les industriels du LEEM et le CEPS sont tombés d'accord. Il ne s'agit pas d'une mesure de pédagogie grand public, mais cela nous permet d'aménager un cadre favorable à la négociation, dans l'intérêt des négociateurs.

Lorsque les négociations portent sur des produits relativement simples, avec un choix de comparateurs évidents, un positionnement clair du produit, nous prévoyons la possibilité d'un processus accéléré. Cependant, ce processus est peu sollicité, à ce stade. Nous avons également prévu une procédure arbitrale pour les cas où la négociation deviendrait trop complexe, au risque de s'enliser. Le président du CEPS peut alors prendre la responsabilité de formuler une proposition qui sera acceptée ou rejetée par le laboratoire.

Nous avons donc tenté de simplifier le processus, mais celui-ci porte sur une matière très technique, et la négociation est elle-même compliquée car elle porte sur de multiples leviers. Nous devons par ailleurs respecter la confidentialité et le secret des affaires, comme dans toute négociation industrielle, créant ainsi ce qui peut être considéré comme un manque de clarté, d'autant qu'au prix officiel s'ajoute un prix net après application de remises.

S'agissant des clauses de rendez-vous, certains rendez-vous collectifs sont systématiques avec les représentants des industriels. Un comité de pilotage de la politique conventionnelle, par exemple, constitue une occasion de dresser des points d'étape successifs de nos démarches, puisqu'il est réuni plusieurs fois par an. La mise en place du nouvel accord-cadre est le principal sujet d'actualité de cette instance. Par ailleurs, en juillet de chaque année, à l'occasion d'un comité de pilotage de la politique conventionnelle, les perspectives du plan de baisse sont présentées. Les baisses sur les groupes de produits génériqués sont quant à elles annoncées à l'occasion d'un comité de suivi du générique. Ainsi, nous expliquons collectivement et à l'avance les domaines sur lesquels nous souhaitons faire porter l'effort, avant de lancer les négociations.

La présentation collective vient donc précéder les négociations individuelles produit par produit. Le calendrier des baisses est par ailleurs connu. Pour les produits princeps, les négociations se font davantage au cas par cas, car l'évolution des prix dépend des termes de la convention signée lors de la primo-inscription. Des clauses de revoyure ont parfois été prévues. En outre, si les conditions de base qui prévalent lors de la fixation du prix initial changent, nous pouvons réviser les prix de manière conventionnelle.

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Il n'existe donc pas de procédure systématique, même si des rencontres régulières sont organisées. Détenez-vous des éléments sur les volumes couverts par des clauses de revoyure, par rapport à l'ensemble des médicaments référencés ?

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Jean-Patrick Sales, vice-président du CEPS en charge du médicament

Les demandes de baisse doivent être motivées, par exemple par des événements extérieurs reconnus par la loi –l'article L.162-16-4 du code de la sécurité sociale – ou par l'accord-cadre. Seule la survenance d'un de ces événements (arrivée d'un concurrent aux produits moins chers, évaluation par la Haute autorité de santé, perte du brevet du produit) nous mobilise en vue de la baisse du prix d'un produit. Pour cette raison, un système de points de suivi périodiques ne correspondrait pas à notre pratique, et nous ne définissons pas d'échéancier précis.

Il arrive toutefois qu'une clause de revoyure soit définie lors de la primo-inscription, si un événement notable est susceptible de se produire à une échéance suffisamment rapprochée. Pour ce faire, il faut que cet événement puisse être anticipé dans une clause dédiée. C'est le cas par exemple si la primo-inscription d'un produit en France est en voie de finalisation alors que cette procédure ne prendra fin que plusieurs mois plus tard en Allemagne. La clause de revoyure, dans un tel cas, consistera à prendre en compte le prix nouvellement défini en Allemagne, par exemple.

Sur quatre à cinq mille spécialités commercialisées, environ 250 font l'objet d'un contrat avec clauses. Nous sommes toutefois dans l'impossibilité de préciser lesquelles de ces clauses sont des clauses de revoyure. Quoi qu'il en soit, de telles clauses ne sont pas fréquentes. En général, c'est plutôt un événement extérieur qui déclenche une procédure de baisse des prix pour un produit ou une classe de produits.

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Si certains points n'ont pas pu être abordés au cours du présent échange, et si les auditionnés souhaitent apporter des compléments d'information, nous serons heureux d'en prendre connaissance.

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Philippe Bouyoux, président du Comité économique des produits de santé

Dans les documents préalables à l'audition, plusieurs questions portaient sur les contrats de gestion de l'incertitude et autres contrats de performance. Nous vous proposons de ne pas traiter le sujet en détail en séance. Nous y sommes favorables, ainsi que les industriels, car ces contrats sont utiles dans des périodes d'incertitude. D'ailleurs, dans l'accord-cadre, ces dispositifs sont explicitement mentionnés, à l'article sur les thérapies et médicaments les plus innovants.

Cependant, même avec un accord de principe sur la mesure, celle-ci ne sera pas forcément facile à mettre en œuvre. En effet, il est difficile de mettre en œuvre, puis d'évaluer les politiques publiques. Or, les contrats de gestion de l'incertitude sont délicats à réaliser, en particulier pour les produits innovants, car ces produits sont en soi porteurs d'incertitudes, et nous manquons de recul pour apprécier ces incertitudes.

En outre, une difficulté majeure aura trait à la génération des données demandées. En effet, nous avons besoin de données pertinentes pour que les contrats puissent être appliqués en vie réelle, lorsque le médicament est présent sur le marché en droit commun.

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Jean-Patrick Sales, vice-président du CEPS en charge du médicament

Nous sommes en effet confrontés à une immaturité de nos données. Nos prédécesseurs ont d'ailleurs déjà conclu des contrats de performance et été confrontés à des données délicates à traiter. En effet, les médicaments présentent leur meilleur jour et obtiennent leurs meilleurs résultats au cours des essais cliniques, dans un environnement contrôlé, avec des patients choisis, une observance maximale et des complications guettées. Or, la commission de la transparence évalue l'essai clinique, et applique au médicament une notation servant de base au processus de tarification.

L'inquiétude sur les données de vie réelles du médicament consiste donc à vérifier si le produit sera aussi bon dans sa vie réelle qu'au cours des essais. Généralement, il n'y a pas lieu de se demander si la performance du médicament pourrait être meilleure dans la vie réelle plutôt qu'au cours des essais.

La réunion s'achève à dix-neuf heures quinze.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Réunion du mercredi 3 novembre 2021 à 16 h 30

Présents. - M. Frédéric Barbier, M. Bertrand Bouyx, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Guillaume Kasbarian, M. Gérard Leseul

Excusés. - M. Éric Girardin, Mme Véronique Louwagie, M. Jacques Marilossian