Je vous remercie de prendre le temps de nous écouter sur un sujet qui passionne les industriels.
France Industrie rassemble environ 99 % de l'industrie française, une trentaine de fédérations et une cinquantaine de grandes entreprises industrielles, ce qui nous permet de détenir une très bonne connaissance de l'ensemble des enjeux, des difficultés, des opportunités rencontrées par l'industrie. Je suis également vice-président du Conseil national de l'industrie (CNI) qui anime dix-neuf filières et qui s'efforce également, par un travail collectif, de comprendre les enjeux et de collaborer avec les organisations syndicales et le gouvernement sur les meilleurs outils et les meilleures opportunités de développement de ces filières.
L'activité de l'industrie française a globalement retrouvé un niveau très proche de ce qu'il était avant la crise, mais nous observons des situations diversifiées. L'aéronautique a été très frappée par la diminution des déplacements et la fragilisation des compagnies aériennes. Les perspectives s'améliorent et certains indicateurs conduisent à un optimisme raisonnable. L'industrie automobile fait face à des pénuries de composants et à la transition écologique. Malgré cela, la situation de l'industrie s'avère relativement satisfaisante, sans pour autant masquer les fragilités et les tensions constatées sur les matières premières, sur les recrutements ou sur les pénuries de composants. Ces phases de forte reprise et les chocs que nous avons connus ces dernières années démontrent la fragilité de l'industrie. Le soutien et l'accompagnement d'une véritable réindustrialisation, la définition des secteurs clés des chaînes d'approche stratégique, s'avèrent essentiels pour réduire la dépendance.
Les principaux facteurs de la désindustrialisation remontent la fin du siècle dernier, au tournant des années 2000, quand certains évènements ont modifié le cadre dans lequel fonctionnait l'industrie française, avec ses forces et ses faiblesses. La Chine est entrée dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC) quasiment concomitamment à la mise en place de l'euro et à l'élargissement de l'Union européenne aux pays de l'Est. Le monde industriel était jusqu'alors composé de moins d'une dizaine de grands pays qui présentaient des niveaux de vie assez proches et qui régulaient leur compétitivité relative par des variations de change. On a régulièrement évoqué une dévaluation de la lire ou du franc qui permettait, à travers un indicateur de commerce extérieur, de stabiliser les situations des pays, chacun ayant ses domaines de force. Au cours de cette période, le commerce extérieur de la France était raisonnablement équilibré.
Dans les années 2000, nous sommes entrés dans un monde qui a gelé l'outil de change en Europe et élargi considérablement le champ de la concurrence avec des pays qui n'avaient absolument pas le même environnement, le même niveau de vie, les mêmes coûts salariaux et dont certains, la Chine notamment, affichaient une véritable volonté de reprendre leur place dans le concert des nations, en s'appuyant sur le soutien de l'État et sur les outils dont un grand pays comme la Chine peut disposer pour retrouver une place dominante. Le monde a donc évolué et des outils qui permettaient à l'industrie de rétablir régulièrement sa compétitivité par le change ont été gelés sans être remplacés, notamment en France. Nous avons poursuivi des politiques dans lesquelles la compétitivité ne constituait pas une préoccupation et dans lesquelles le niveau de taxation du travail ou des entreprises posait peu de difficultés instantanées. L'industrie évolue sur le temps long et les conséquences des décisions négatives ont conduit à un très lent et très régulier déclin industriel. La part de l'industrie dans l'économie française a finalement été réduite de moitié en deux ou trois décennies.
Après analyse, nous constatons que si le reste du monde a exercé une pression identique sur la France, l'Allemagne, les États-Unis et l'Italie, il s'avère que la situation de la France est finalement plus dégradée que celle de ses grands voisins européens. Le lien avec le gel des parités monétaires semble incontestable. Il a fallu attendre le rapport Pacte pour la compétitivité de l'industrie française remis par Louis Gallois le 5 novembre 2012, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et l'ensemble des mesures prises depuis, y compris par les gouvernements successifs d'Emmanuel Macron, pour voir apparaître des mesures remettant le sujet de la compétitivité au cœur des préoccupations du gouvernement et redonnant progressivement des marges de manœuvre et des outils nécessaires à la réindustrialisation de la France.
Nous avions d'ailleurs observé avant la crise sanitaire, pour la première fois depuis de nombreuses années, les premiers signes positifs : solde net d'implantations industrielles, évolution légèrement positive de l'emploi industriel dans cette période, etc. Ces premières manifestations, bien entendu tout à fait insuffisantes à l'aune d'un grand chantier de réindustrialisation, montrent que lorsque les stimuli sont positifs, la réponse l'est également. Il convient d'inscrire dans le temps ces actions de soutien, de compétitivité, d'accompagnement et de mettre en place des indicateurs de suivi de sorte à suspendre les aides dès lors que nous aurons retrouvé la parité avec nos voisins européens. Nous avons pris du retard et il nous appartient de nous donner les moyens de le rattraper et pour ce faire, il importe que nous soyons meilleurs que les autres.
L'énergie représente un sujet majeur de la compétitivité et je déplore notre incapacité à préserver un atout. En effet, je pense que notre capacité à défendre une énergie bon marché, à nous appuyer sur nos forces, constitue un des leviers qui nous permettraient à l'avenir de participer à la réindustrialisation parmi d'autres domaines de force tels que le TGV. Le nucléaire et le TGV constituent deux formidables atouts dans une économie décarbonée. La France est le pays industriel d'Europe, voire du monde, le plus décarboné.
Des actions positives ont été lancées : la priorité industrielle du plan France Relance, le plan d'investissements France 2030, la diminution des impôts de production, etc. En outre, elles interviennent alors que de nombreux enjeux liés aux différentes transitions apparaissent (écologie, numérique, 4.0, etc.) et constituent de formidables occasions de rebattre les cartes. La qualité de nos ingénieurs et le savoir-faire français dans ces domaines représentent des atouts. Reste à savoir comment, au-delà des échéances électorales et des alternances politiques, s'inscriront dans le temps le soutien à l'industrie et le projet de réindustrialisation.
La définition d'indicateurs pertinents et l'inscription d'une action dans le temps constituent des éléments clés autour de trois enjeux majeurs.
Premier enjeu : le sujet de notre compétitivité n'est pas encore épuisé.
Le second enjeu réside dans les compétences dont la France a besoin pour construire son avenir dans l'innovation et dans la montée en gamme. Il conviendra d'accompagner nos collaborateurs non seulement dans leur formation initiale, mais également par le biais de la formation continue. Il est donc impératif d'initier une réflexion autour du compte personnel de formation (CPF) et de son utilisation de sorte que l'effort collectif attribué à un droit individuel – qu'il n'est pas question de remettre en cause - soit bien aligné avec les réels besoins du monde économique, en particulier celui qui est exposé à la concurrence internationale.
Nous sommes engagés dans une compétition très forte non seulement avec nos voisins européens, mais également avec l'Amérique du Nord et la Chine. Dès lors, la bonne intelligence de travail avec l'État, le bon niveau de soutien et son ciblage vers des objectifs clairs constituent des éléments clés de succès, indispensables notamment pour accompagner la transition écologique. Les décisions prises dans le plan de relance et dans le plan d'investissements France 2030 s'inscrivent dans la durée.
Troisième enjeu : nous savons décarboner l'industrie française. La plupart des technologies sont connues, mais elles sont beaucoup plus onéreuses que les technologies carbonées. Si nous souhaitons pérenniser notre présence sur un marché, il importe soit de renchérir le coût du carboné dans une zone du monde ou dans le monde entier, via des dispositifs tels que la taxe carbone ou le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), soit de soutenir les industriels qui fabriquent des produits décarbonés de sorte à diminuer le coût du décarboné jusqu'à ce que les volumes et les technologies permettent à l'ensemble de converger.
Ces dernières années, en France, nous avons réduit les émissions de carbone, mais augmenté notre empreinte carbone. En effet, fabriquer des produits qui consomment beaucoup d'électricité en Chine, en Inde ou en Pologne, pays dont les électricités sont très carbonées, n'est pas bénéfique à la planète. Si nous fabriquons les mêmes produits en France avec de l'électricité nucléaire décarbonée, les effets environnementaux sont plus positifs.
Il nous appartient donc de définir l'échéance à laquelle un soutien à l'industrie sera nécessaire et possible de sorte que les technologies et le marché nous permettent de répondre aux besoins. Il est indispensable que les impulsions positives données depuis 2015 s'inscrivent dans la durée afin de nous permettre, à l'horizon d'une quinzaine d'années, de retrouver une industrie française proche de la moyenne européenne (environ 17 % du PIB).