Intervention de Jérôme Wirotius

Réunion du jeudi 4 novembre 2021 à 12h00
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Jérôme Wirotius, directeur général de Biogaran, vice-président chargé des affaires économiques de l'association Générique même médicament (Gemme) :

L'association Gemme a été créée en 2005. Elle est composée d'exploitants du médicament générique auxquels se sont joints plus récemment des exploitants de médicaments biosimilaires. Le Gemme représente environ 90 % des acteurs du générique et 50 % des acteurs du biosimilaire, ainsi que des développeurs, des fabricants et des façonniers. L'ensemble de ces industriels représente 40 % des médicaments remboursables qui sont utilisés en France. Sur le circuit ville, près d'un milliard de traitements génériques et biosimilaires sont délivrés chaque année. Ces traitements sont intégrés dans une liste de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) et constituent donc des produits considérés comme extrêmement sensibles et absolument indispensables pour assurer la santé des Français. Les quelques 900 médicaments différents que nous délivrons en ville couvrent l'ensemble des maladies, des pathologies, des sphères thérapeutiques, chroniques ou aigües. Ce sont les médicaments du quotidien des Français, que ce soit en ville ou à l'hôpital.

L'utilisation des médicaments génériques est intrinsèquement construite de sorte à générer des économies afin de financer notre système de santé. Ces économies se situent entre deux milliards et demi et trois milliards d'euros selon les années. Le projet de loi de finances prévoit une incitation à utiliser davantage les biosimilaires en ville, car ils représentent une importante source d'économies. En effet, leur pénétration en ville s'élève à 23 %, alors que la stratégie de santé prévoyait un niveau de 80 % en 2022. L'atteinte de ces 80 % sur huit traitements pourrait générer six cent quatre-vingts millions d'euros d'économies dès la première année ; chiffre validé par la Cour des comptes en 2017 et confirmé par une étude du centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc), mandatée par le Gemme.

Sur le plan économique, les standards montent en puissance, s'améliorent et deviennent de plus en plus exigeants sur les plans environnemental, qualité, réglementaire et industriel. Ils nécessitent donc des investissements importants. Pour autant, le prix moyen actuel d'un médicament générique s'élève à onze centimes d'euros par comprimé. C'est un prix extrêmement bas, compte tenu de tout ce qu'il y a derrière.

70 % des médicaments génériques sont fabriqués en Europe parmi lesquels 35 % sont fabriqués en France. Ce pourcentage varie selon les profils des laboratoires entre 30 % et 50 %, si l'on prend l'exemple de Biogaran. L'industrie du générique n'a pas attendu l'émergence de la notion de souveraineté économique et sanitaire pour utiliser les compétences et les savoir-faire français, tant en matière de recherche que sur le plan industriel ou économique. Notre proximité des marchés et des patients a constitué, pendant la pandémie, un élément clé de la disponibilité des produits du quotidien pour les Français, tant à l'hôpital qu'en ville. Au demeurant, la plupart des traitements utilisés contre la Covid-19 étaient génériques ou génériqués.

Nous comptons une soixantaine de sites et plus de quinze mille collaborateurs en France. Nous générons également de nombreux emplois indirects sur l'ensemble du territoire national. Le développement du générique en France est historique (plus de vingt ans). La première préoccupation, dans le cadre des démarches de réindustrialisation et de relocalisation, consistera à préserver et à pérenniser les emplois et les investissements existants. Nous représentons donc à la fois des volumes de médicament importants, plus d'un milliard de traitements qui sont délivrés en ville chaque année, des biosimilaires qui vont être amenés à accélérer leur développement pour le bien du financement de notre système de santé et un maillage industriel de proximité avec des partenaires de toutes tailles.

La crise sanitaire a mis en lumière la nécessité de multiplier les sources d'approvisionnement. Nous faisons face à deux défis immenses. Le premier réside dans le mur démographique puisqu'une augmentation probable de treize millions du nombre de personnes âgées de plus de soixante-cinq ans au cours des vingt prochaines années se cumulera au nombre actuel. Ce public étant très consommateur de traitements, le besoin en médicaments augmentera mécaniquement.

Le second défi réside dans l'initiative extraordinairement positive du gouvernement de relancer l'innovation en France. Nous la soutenons totalement et pleinement, sans limites, tant pour ce qui concerne la relocalisation de la recherche et du développement de la fabrication que sur le positionnement sur l'innovation pour que la France devienne attractive dans ce domaine. Nous soutenons également tout ce qui va dans le sens d'une accélération des délais d'autorisation de mise sur le marché (AMM).

Dès lors, il convient d'anticiper parce l'impact concomitant du mur démographique et du coût de l'innovation sera extrêmement important sur le système de santé. Toutefois l'intérêt centré sur l'innovation et la relocalisation a conduit à n'ouvrir aucune perspective aux médicaments matures. Nous avons tenté en vain de nous intégrer dans des plans tels que France Relance, ou participer aux travaux du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS). Or les biosimilaires peinent à pénétrer le marché (ils sont à 23% aujourd'hui alors qu'ils devraient être à 80%) et les médicaments matures, confrontés au mur démographique, devront être accompagnés et sécurisés sur le plan économique. Il s'avère donc extrêmement important de raisonner en termes de gestion de cycle de vie des produits et de déployer la même énergie que celle que nous consacrons à développer l'innovation et la relocalisation à faire en sorte, dès que des brevets arrivent à échéance, d'accélérer la mise sur le marché des produits génériques ou biosimilaires, ce qui permettra non seulement de financer l'innovation, mais également d'accompagner le mur démographique qui se profile. Ce cycle vertueux est indispensable.

Par ailleurs, l'environnement économique et fiscal n'est actuellement pas favorable. Intrinsèquement, par différents mécanismes de décrochage de prix qui ouvrent sa sphère thérapeutique, le médicament générique est 60 % moins cher que le princeps, 30 % pour le biosimilaire. Les économies réalisées sont substantielles.

En raison de l'inflation de thérapies innovantes et onéreuses, les diminutions annuelles de prix effectuées par le Comité économique des produits de santé (CEPS) ont été particulièrement agressives (3,5 % en moyenne, par an). Pour vous donner un ordre d'idées, sur les cinq produits qui coûtent le plus cher à l'Assurance maladie, trois sont des biomédicaments. À partir de 2019, alors qu'ils sont structurellement à des prix bas, les génériques ont été intégrés dans la clause de sauvegarde, qui s'enclenche dès que les directives de croissance des dépenses de santé ont été dépassées, ce qui génère de l'imprévisibilité. Or les médicaments matures se situent en dessous des croissances demandées alors que les médicaments innovants ont connu des développements plus importants que prévu et contribuent largement au dépassement des dépenses de santé. Cela signifie que l'industrie du générique se trouve dans un schéma extrêmement alarmiste qui pourrait remettre en cause les investissements futurs sur le territoire français, la pérennisation de l'industrialisation et du maillage industriel et donc des emplois en France.

Pour être totalement adaptée, la clause de sauvegarde devrait être scindée entre d'une part, les médicaments matures et d'autre part, les thérapies innovantes, chaque partie respectant ses engagements de sorte à se maintenir dans la dynamique que l'État finance. Dans l'état actuel de la situation, l'impact sur notre industrie peut représenter 80 à 100 milliards d'euros, c'est-à-dire plus d'un tiers de notre profit puisque nos marges sont extrêmement serrées. Notre modèle est donc confronté à une remise en question drastique.

Il s'avère donc essentiel pour nos industries d'élaborer des mécanismes permettant de maintenir l'outil industriel existant, les emplois et les bassins d'emploi sur le territoire français, tout en préservant notre niveau d'excellence et d'expertise, sans avoir à opposer l'innovation et les médicaments matures. Il convient d'attirer des nouvelles productions qui concernent non seulement les médicaments innovants, mais également les médicaments matures, en créant justement des mécanismes rassurants et pérennes de sorte que nous puissions investir dans la durée.

Nous souhaitons donc :

– qu'un environnement économique et fiscal lisible, prévisible, cohérent et pérenne soit mis en place de sorte à nous donner la confiance nécessaire à toute décision d'investissement ;

– que les règles soient stables et coconstruites de sorte à considérer les spécificités de chaque secteur ;

– que la relocalisation des industries soit évoquée au travers d'incitations spécifiques puisque nous produisons déjà 30 à 50 % de nos produits en France et nous souhaitons bénéficier de mesures incitatives et de boni qui nous permettent de pérenniser et de développer ce maillage ;

– que les annonces du CSIS soient rapidement concrétisées, notamment dans le domaine hospitalier, de sorte à garantir nos marchés, en prenant en compte la spécificité de la localisation de la production et en établissant une répartition entre les différents acteurs, au-delà des deux centrales d'achats qui représentent actuellement entre 50 et 70 % des volumes en France.

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