Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT
Jeudi 4 novembre 2021
La séance est reprise à douze heures quinze.
(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président de la commission)
La commission d'enquête procède à l' audition des représentants de l'association Générique même médicament (Gemme).
Nous poursuivons nos auditions en recevant les représentants de l'association Générique même médicament (Gemme), qui regroupe les industriels français du médicament générique et du médicament biosimilaire. Je souhaite donc la bienvenue à :
– M. Jérôme Wirotius, directeur général de Biogaran, vice-président chargé des affaires économiques du Gemme,
– M. Léopold Berthier, président de Substipharm, représentant des membres fabricants au sein du bureau du Gemme,
– M. Laurent-Borel Giraud, directeur des opérations pharmaceutiques et commerciales de Teva Santé, représentant des biosimilaires,
– Mme Catherine Bourrienne-Bautista, déléguée générale du Gemme,
– et M. Michael Bismuth, délégué général adjoint du Gemme.
Madame, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et je vous saurais gré de nous tenir informés d'éventuels intérêts publics ou privés qui pourraient être de nature à influencer vos déclarations.
Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
M. Jérôme Wirotius, M. Laurent Borel Giraud, Mme Catherine Bourrienne-Bautista et M. Michaël Bismuth prêtent serment.
L'association Gemme a été créée en 2005. Elle est composée d'exploitants du médicament générique auxquels se sont joints plus récemment des exploitants de médicaments biosimilaires. Le Gemme représente environ 90 % des acteurs du générique et 50 % des acteurs du biosimilaire, ainsi que des développeurs, des fabricants et des façonniers. L'ensemble de ces industriels représente 40 % des médicaments remboursables qui sont utilisés en France. Sur le circuit ville, près d'un milliard de traitements génériques et biosimilaires sont délivrés chaque année. Ces traitements sont intégrés dans une liste de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) et constituent donc des produits considérés comme extrêmement sensibles et absolument indispensables pour assurer la santé des Français. Les quelques 900 médicaments différents que nous délivrons en ville couvrent l'ensemble des maladies, des pathologies, des sphères thérapeutiques, chroniques ou aigües. Ce sont les médicaments du quotidien des Français, que ce soit en ville ou à l'hôpital.
L'utilisation des médicaments génériques est intrinsèquement construite de sorte à générer des économies afin de financer notre système de santé. Ces économies se situent entre deux milliards et demi et trois milliards d'euros selon les années. Le projet de loi de finances prévoit une incitation à utiliser davantage les biosimilaires en ville, car ils représentent une importante source d'économies. En effet, leur pénétration en ville s'élève à 23 %, alors que la stratégie de santé prévoyait un niveau de 80 % en 2022. L'atteinte de ces 80 % sur huit traitements pourrait générer six cent quatre-vingts millions d'euros d'économies dès la première année ; chiffre validé par la Cour des comptes en 2017 et confirmé par une étude du centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc), mandatée par le Gemme.
Sur le plan économique, les standards montent en puissance, s'améliorent et deviennent de plus en plus exigeants sur les plans environnemental, qualité, réglementaire et industriel. Ils nécessitent donc des investissements importants. Pour autant, le prix moyen actuel d'un médicament générique s'élève à onze centimes d'euros par comprimé. C'est un prix extrêmement bas, compte tenu de tout ce qu'il y a derrière.
70 % des médicaments génériques sont fabriqués en Europe parmi lesquels 35 % sont fabriqués en France. Ce pourcentage varie selon les profils des laboratoires entre 30 % et 50 %, si l'on prend l'exemple de Biogaran. L'industrie du générique n'a pas attendu l'émergence de la notion de souveraineté économique et sanitaire pour utiliser les compétences et les savoir-faire français, tant en matière de recherche que sur le plan industriel ou économique. Notre proximité des marchés et des patients a constitué, pendant la pandémie, un élément clé de la disponibilité des produits du quotidien pour les Français, tant à l'hôpital qu'en ville. Au demeurant, la plupart des traitements utilisés contre la Covid-19 étaient génériques ou génériqués.
Nous comptons une soixantaine de sites et plus de quinze mille collaborateurs en France. Nous générons également de nombreux emplois indirects sur l'ensemble du territoire national. Le développement du générique en France est historique (plus de vingt ans). La première préoccupation, dans le cadre des démarches de réindustrialisation et de relocalisation, consistera à préserver et à pérenniser les emplois et les investissements existants. Nous représentons donc à la fois des volumes de médicament importants, plus d'un milliard de traitements qui sont délivrés en ville chaque année, des biosimilaires qui vont être amenés à accélérer leur développement pour le bien du financement de notre système de santé et un maillage industriel de proximité avec des partenaires de toutes tailles.
La crise sanitaire a mis en lumière la nécessité de multiplier les sources d'approvisionnement. Nous faisons face à deux défis immenses. Le premier réside dans le mur démographique puisqu'une augmentation probable de treize millions du nombre de personnes âgées de plus de soixante-cinq ans au cours des vingt prochaines années se cumulera au nombre actuel. Ce public étant très consommateur de traitements, le besoin en médicaments augmentera mécaniquement.
Le second défi réside dans l'initiative extraordinairement positive du gouvernement de relancer l'innovation en France. Nous la soutenons totalement et pleinement, sans limites, tant pour ce qui concerne la relocalisation de la recherche et du développement de la fabrication que sur le positionnement sur l'innovation pour que la France devienne attractive dans ce domaine. Nous soutenons également tout ce qui va dans le sens d'une accélération des délais d'autorisation de mise sur le marché (AMM).
Dès lors, il convient d'anticiper parce l'impact concomitant du mur démographique et du coût de l'innovation sera extrêmement important sur le système de santé. Toutefois l'intérêt centré sur l'innovation et la relocalisation a conduit à n'ouvrir aucune perspective aux médicaments matures. Nous avons tenté en vain de nous intégrer dans des plans tels que France Relance, ou participer aux travaux du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS). Or les biosimilaires peinent à pénétrer le marché (ils sont à 23% aujourd'hui alors qu'ils devraient être à 80%) et les médicaments matures, confrontés au mur démographique, devront être accompagnés et sécurisés sur le plan économique. Il s'avère donc extrêmement important de raisonner en termes de gestion de cycle de vie des produits et de déployer la même énergie que celle que nous consacrons à développer l'innovation et la relocalisation à faire en sorte, dès que des brevets arrivent à échéance, d'accélérer la mise sur le marché des produits génériques ou biosimilaires, ce qui permettra non seulement de financer l'innovation, mais également d'accompagner le mur démographique qui se profile. Ce cycle vertueux est indispensable.
Par ailleurs, l'environnement économique et fiscal n'est actuellement pas favorable. Intrinsèquement, par différents mécanismes de décrochage de prix qui ouvrent sa sphère thérapeutique, le médicament générique est 60 % moins cher que le princeps, 30 % pour le biosimilaire. Les économies réalisées sont substantielles.
En raison de l'inflation de thérapies innovantes et onéreuses, les diminutions annuelles de prix effectuées par le Comité économique des produits de santé (CEPS) ont été particulièrement agressives (3,5 % en moyenne, par an). Pour vous donner un ordre d'idées, sur les cinq produits qui coûtent le plus cher à l'Assurance maladie, trois sont des biomédicaments. À partir de 2019, alors qu'ils sont structurellement à des prix bas, les génériques ont été intégrés dans la clause de sauvegarde, qui s'enclenche dès que les directives de croissance des dépenses de santé ont été dépassées, ce qui génère de l'imprévisibilité. Or les médicaments matures se situent en dessous des croissances demandées alors que les médicaments innovants ont connu des développements plus importants que prévu et contribuent largement au dépassement des dépenses de santé. Cela signifie que l'industrie du générique se trouve dans un schéma extrêmement alarmiste qui pourrait remettre en cause les investissements futurs sur le territoire français, la pérennisation de l'industrialisation et du maillage industriel et donc des emplois en France.
Pour être totalement adaptée, la clause de sauvegarde devrait être scindée entre d'une part, les médicaments matures et d'autre part, les thérapies innovantes, chaque partie respectant ses engagements de sorte à se maintenir dans la dynamique que l'État finance. Dans l'état actuel de la situation, l'impact sur notre industrie peut représenter 80 à 100 milliards d'euros, c'est-à-dire plus d'un tiers de notre profit puisque nos marges sont extrêmement serrées. Notre modèle est donc confronté à une remise en question drastique.
Il s'avère donc essentiel pour nos industries d'élaborer des mécanismes permettant de maintenir l'outil industriel existant, les emplois et les bassins d'emploi sur le territoire français, tout en préservant notre niveau d'excellence et d'expertise, sans avoir à opposer l'innovation et les médicaments matures. Il convient d'attirer des nouvelles productions qui concernent non seulement les médicaments innovants, mais également les médicaments matures, en créant justement des mécanismes rassurants et pérennes de sorte que nous puissions investir dans la durée.
Nous souhaitons donc :
– qu'un environnement économique et fiscal lisible, prévisible, cohérent et pérenne soit mis en place de sorte à nous donner la confiance nécessaire à toute décision d'investissement ;
– que les règles soient stables et coconstruites de sorte à considérer les spécificités de chaque secteur ;
– que la relocalisation des industries soit évoquée au travers d'incitations spécifiques puisque nous produisons déjà 30 à 50 % de nos produits en France et nous souhaitons bénéficier de mesures incitatives et de boni qui nous permettent de pérenniser et de développer ce maillage ;
– que les annonces du CSIS soient rapidement concrétisées, notamment dans le domaine hospitalier, de sorte à garantir nos marchés, en prenant en compte la spécificité de la localisation de la production et en établissant une répartition entre les différents acteurs, au-delà des deux centrales d'achats qui représentent actuellement entre 50 et 70 % des volumes en France.
Vous nous indiquez que les génériques sont fabriqués pour 70 % en Europe, dont 35 % en France. Quels étaient ces taux il y a dix ans ? La production européenne et française affiche-t-elle une tendance croissante ?
35 % des volumes de génériques remboursés destinés au marché français sont produits en France. 70 % des produits commercialisés en France sont produits en Europe. Les médicaments génériques représentent actuellement soixante sites de production, quinze mille collaborateurs, 20 % d'emplois indirects en France. Dans le périmètre européen, ils représentent quatre cents sites essentiellement de sous-traitance, mais également des usines de nos groupes qui assurent cette industrie basée en Europe.
En 2014, une étude de Roland Berger pour Les Entreprises du médicament (LEEM) indiquait que les génériques étaient les médicaments remboursés les plus produits en France, soit 30 % déjà à cette époque et 19 % des équivalents remboursés non génériques. Notre taux d'activité a donc été relativement stable sur cette dizaine d'années. Selon les statistiques, les médicaments génériques restent très largement produits en France et en Europe. Il apparaît important de rétablir cette vérité. Cette production de médicaments génériques a permis de préserver les acteurs industriels nationaux qui avaient progressivement perdu leur activité de production de médicaments princeps et elle a en quelque sorte constitué un relai d'activité qui a permis de maintenir de nombreux sites, de conserver et de développer leur savoir-faire et leurs équipements.
L'industrie générique est profondément enracinée en Europe et en France, contrairement à ce que certaines informations laissent penser, prétendant que l'intégralité de la production aurait été délocalisée hors d'Europe. Plusieurs laboratoires membres du Gemme impliquent jusqu'à 50 % de leurs activités en France et jusqu'à 90 % en Europe. Il nous paraît important de rappeler cette empreinte puisque l'implication régionale ou locale fait partie de nos missions afin de participer au système des économies de santé.
Cependant, si notre empreinte en Europe est forte, il est vrai que la production de principes actifs et de certains produits migre graduellement en dehors de l'Europe. La raison primordiale applicable réside dans la pression économique continue à laquelle nous sommes confrontés, cumulée, depuis 2019, à l'impact pour les produits matures de la clause de sauvegarde et combinée à une évolution des exigences réglementaires et de qualité, que nous soutenons, mais qui produisent un effet immédiat sur les coûts de production.
La stabilité de votre part relative de marché reste très éloignée non seulement des taux allemands, mais également des objectifs fixés à 80 % de génériques fabriqués en France. Comment l'expliquez-vous ?
La France accuse en effet du retard par rapport à l'Allemagne et au Royaume-Uni, notamment, qui produisent 80 % de leurs génériques sur leur territoire. La moyenne européenne se situe à environ 60 % et notre taux est également inférieur à cette moyenne. Notre marché s'est développé depuis une vingtaine d'années, donc récemment, essentiellement sur la substitution au sein du répertoire des médicaments génériques. Les pharmaciens ont été les principaux acteurs de ce développement, pour atteindre actuellement environ 80 % de substitutions. Les patients se sont mobilisés plus tardivement, à partir de 2006, à travers l'institution du tiers-payant qui les a incités à accepter le médicament générique. L'implication des médecins a été plus plus limitée et les incitations dont ils ont bénéficié via la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) étaient faibles.
Nous avons donc encore la possibilité de gagner des parts de marché sur le générique et d'augmenter les économies de deux milliards et demi à trois milliards d'euros par an et si nous atteignions la moyenne européenne, nous génèrerions un milliard d'euros supplémentaires d'économies, ce qui serait bénéfique à la réduction des déficits et au financement de l'innovation.
Pour ce faire, il importe avant tout d'étendre le champ de la substitution parce que notre répertoire est encore très limité et qu'un certain nombre de spécialités n'y sont pas inscrites. Notre second axe de développement résiderait dans la prescription en dénomination commune internationale (DCI) qui facilite la compréhension du patient et l'acceptation de son traitement générique. Cette mesure est obligatoire depuis 2015, mais elle n'est pas appliquée de manière homogène par l'ensemble des prescripteurs.
S'agissant des biosimilaires, nous sommes encore très éloignés de l'objectif de 80%. Des mesures ont récemment été mises en place. Elles portent sur la prescription hospitalière exécutée en ville, sur l'incitation des médecins à travers la signature de la convention médicale entre les médecins et la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) applicable à partir de 2022 et sur la réintroduction de la substitution. Il importe d'activer l'ensemble de ces leviers simultanément afin de ne pas opposer les professionnels de santé sur le biosimilaire et d'atteindre la cible de 80 %.
Que pensez-vous de la relocalisation du paracétamol ? Serait-il nécessaire d'amplifier ces relocalisations de principes actifs et, selon vous, à quel niveau ?
Le Gemme, avec le Syndicat de l'industrie chimique organique de synthèse et de la biochimie (SICOS) et le LEEM, a participé à l'étude de PricewaterhouseCoopers relative à la relocalisation des principes actifs. Nous nous mobiliserons sur l'accompagnement des mesures proposées, tant au niveau national qu'européen. Le paracétamol représente un cas particulier puisqu'il n'est pas inscrit au répertoire et n'est donc pas substituable. Dès lors, les paracétamols « génériques » sont peu développés (20 %). Ils sont essentiellement façonnés en France, mais le principe actif provient des États-Unis et d'Asie. Les laboratoires de médicaments génériques sont très favorables à cette nouvelle source alternative de principes actifs, mais son utilisation optimale imposerait de modifier l'environnement concurrentiel et d'ouvrir des débouchés aux médicaments génériques sur cette spécialité.
Comme l'ensemble des députés, je vote le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). J'ignorais que la fabrication française de médicaments génériques ne dépassait pas 35 %. L'industrie automobile et les constructeurs automobiles français produisent 80 % des véhicules dans le pays où ils sont vendus. Ce système est vertueux.
Je souhaiterais connaître l'évolution chiffrée de la production des génériques en France et en Europe. Il me semble que la relocalisation des médicaments génériques relève davantage de la responsabilité des laboratoires qui les ont délocalisés que de celle de l'État.
Quel serait le rythme de la relocalisation en France des génériques dans les prochaines années ?
L'évolution dépendra des perspectives économiques qui nous seront proposées quant à la sécurisation et la prévisibilité de la fiscalité. Bien que cela ne vous semble pas suffisant, il n'en demeure pas moins très important de disposer de laboratoires dont 30 et 50 % de la production est localisée en France en regard de la faiblesse des prix appliqués. Ces laboratoires gèrent entre cinq cents et mille spécialités différentes en s'appuyant sur des experts industriels français. Il sera complexe de pérenniser la situation en maintenant des dispositifs tels que la clause de sauvegarde susceptibles d'obérer un tiers de profits déjà extrêmement faibles.
Nous souhaitons continuer à nous appuyer sur un maillage français et à le développer. À titre d'exemple, Biogaran a envisagé de relocaliser le paracétamol en France et a mené une étude en ce sens. Le prix du paracétamol et son absence du répertoire, ce qui limite les parts de marché potentielles, ne nous permettaient pas d'espérer un retour sur investissement, à prix constant, avant vingt-sept ans et rien ne garantissait que le prix ne pas baisserait pas à très court terme. C'est pourquoi il convient de donner de la visibilité et de la prévisibilité sur le système fiscal aux industriels du générique qui souhaitent pérenniser et développer leur activité actuelle en France. Il leur est également nécessaire de pouvoir s'appuyer sur des partenaires d'excellence, proches des marchés, capables de fournir la meilleure qualité, dans le respect des standards réglementaires de qualité et environnementaux qui ne cessent et ne cesseront de se renforcer.
La capacité à optimiser les cycles de vie des produits et à élargir le répertoire générera des économies importantes et la prévisibilité sur la fiscalité nous permettra de sécuriser nos investissements sur l'avenir. Quoi qu'il en soit, les membres de notre association sont motivés pour produire en priorité en France, puis en Europe.
Un laboratoire a décidé de relocaliser sa fabrication de paracétamol en France. Au regard de l'étude que vous avez menée pour Biogaran, quelles sont, selon vous, les conditions de sa réussite ?
Sanofi a obtenu que son paracétamol ne soit pas génériqué. Il a donc préservé une part de marché hégémonique sur le paracétamol puisque le pharmacien n'est pas habilité à substituer le Doliprane par un autre paracétamol. La masse critique du fait de cette part de marché lui permet de relocaliser. En outre, on peut imaginer que Sanofi s'inscrit dans un accord plus global basé sur une aide à l'innovation, contrepartie de son geste fort sur le paracétamol.
Quels seraient selon vous les trois pays d'implantation les plus attractifs ? Quelles sont les conditions de l'attractivité de ces trois pays ? Quel est l'écosystème le plus favorable ?
Les sites situés sur le territoire français disposent d'un savoir-faire, de compétences, de ressources et d'un maillage territorial qui les rendent attractifs et qui les différencient d'autres territoires européens qui ne présentent pas de tels atouts. En Europe, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, le Portugal et certains pays de l'Est, tels que la République tchèque et la Pologne, abritent également une industrie pharmaceutique et sont également attractifs. La fabrication d'un produit soumis à un brevet est mécaniquement située hors d'Europe puisqu'aucune loi ne permet de fabriquer un produit préalablement à l'expiration du brevet. En revanche, il est possible de fabriquer en Europe des produits qui ne plus soumis à brevet. Dès lors, le choix du sous-traitant sera basé sur la spécificité du produit, le savoir-faire requis et le prix. Plus le prix est élevé, plus le savoir-faire, la compétence, la sécurité, la capacité du sous-traitant à fournir dans les temps nécessaires à la sécurité de l'approvisionnement du produit seront prégnants. Si le prix du médicament est très bas, il deviendra le critère principal et sa fabrication partira dans des pays à bas coûts.
En réponse à votre question, les pays de l'Est sont extrêmement bien positionnés en Europe (Bulgarie, République tchèque, Hongrie). En Europe occidentale, l'Espagne est très compétitive devant la France et le Portugal. L'Allemagne est moins compétitive. Les fabricants allemands fabriquent beaucoup pour l'Allemagne et les prix sont plus élevés qu'en France. En Allemagne, les taux de fabrication de génériques pour l'Allemagne sont beaucoup plus élevés qu'en France parce que les prix allemands sont tellement hauts qu'ils peuvent se permettre de maintenir l'approvisionnement en local.
L'Allemagne peut se le permettre sous réserve de clauses préférentielles de production nationale puisque, de fait, le produit portugais sera moins cher que le produit allemand.
Plus le prix est élevé, plus son importance diminue dans le choix du sous-traitant. Le pays se centre alors sur la sécurité d'approvisionnement et la compétence des sous-traitants.
Le modèle économique du marché allemand est différent du marché français pour ce qui concerne nos produits. Les Allemands ont davantage recours à des mécaniques d'appels d'offres. Cette mécanique est utilisée en France, que ce soit pour les marchés publics ou privés, très régulièrement, pour les marchés hospitaliers, mais pas pour la fixation des prix à la ville qui sont réglementés par le prix fabricant hors taxes défini par le Comité économique des produits de santé (CEPS). L'hôpital met les acteurs en concurrence pour des molécules équivalentes et cette compétition permet aux groupements d'achats hospitaliers publics ou privés d'obtenir des prix plus bas. C'est peut-être ce qui permet au décideur, en Allemagne, face à un prix plus bas, d'avoir une préférence pour une production locale, régionale ou nationale. Si l'on transpose ce priuncipe en France, ce que nous n'appelons pas de nos vœux, car il peut être très destructurant sur la valeur des produits et la chaîne d'approvisionnement. Nous avons fait part au CSIS qu'il serait nécessaire d'aménager et d'améliorer certaines règles qui représentent une cause très spécifique de la perte d'industries des génériques hospitaliers en France et en Europe. Ces appels d'offres génèrent des baisses de prix pouvant atteindre 90 % du prix initial et donc des économies extraordinaires sur les dépenses publiques. Cependant, cette méthodologie des appels d'offres est extrêmement brutale. D'abord, le délai entre la réponse à l'appel d'offres et la livraison des produits est d'environ deux ou trois mois. Sachant qu'un délai de production est compris entre trois et six mois, les laboratoires doivent prendre le risque de produire simultanément au dépôt de leur dossier, dans la totale incertitude de gagner le marché. Ce risque pousse les laboratoires à se focaliser sur la partie économique des appels d'offres de sorte à minimiser les risques de pertes. Cette tendance fragilise beaucoup les industries françaises.
Par ailleurs, les groupements d'achats dans les appels d'offres représentent entre 50 et 80 % du marché national et ils sont en général mono-attributaires. Les appels d'offres sont lancés le plus souvent pour une durée de trois ans. Lorsqu'une entreprise perd un appel d'offres, elle désindustrialise totalement son modèle pendant ces trois ans pour l'ensemble de son activité et elle rencontrera des difficultés à revenir sur le marché trois ans plus tard. Dès lors, les fabrications hors Europe sont plus compétitives puisqu'elles adressent, avec des modèles à prix extrêmement tirés, l'ensemble des marchés européens.
Enfin, s'agissant de cet aspect hospitalier, nous recommandons :
– qu'une réponse à l'appel d'offres soit apportée préalablement à la mise en production de sorte à éviter le risque économique ;
– que les marchés les plus importants, notamment sur les molécules d'intérêt thérapeutique majeur, deviennent multi-attributaires parce que la multiplicité des sources actives d'approvisionnement est essentielle afin de se préserver du risque de rupture et de maintenir une part d'activité pour des acteurs, peut-être en donnant une préférence au service et au respect de critères environnementaux nationaux qui ne sont pas intégrés aux critères de choix dans les méthodologies d'appels d'offres ;
– que les critères différents du prix pèsent davantage dans le choix de ces appels d'offres, qu'ils soient publics ou privés.
Cette mécanique d'appels est plus difficile à comoprendre pour les génériques de ville, puisque c'est un mouvement plus lent et qui a été très rythmé par les exigences brevetaires, pusiqu'au cours des vingt dernières années, il était impossible de développé un produit en France, mais l'était encore hors Europe. Telles sont les raisons pour lesquelles les produits les plus récemment lancés sont majoritairement développés et produits hors d'Europe.
Selon vous, pour quelles raisons les marchés hospitaliers imposent-ils des délais si courts ? Avez-vous le sentiment que vos recommandations relatives aux marchés multi-attributaires sont entendues ?
Dans le cadre du CSIS, nous avions porté une mesure dans ce sens qui a été retenue par les rapporteurs que vous avez auditionnés récemment. Cependant, nous en attendons encore la concrétisation.
La brièveté du délai me semble incompréhensible. Je suppose qu'il est lié à une mauvaise connaissance des principes ou bien au fait que l'on considère que le fournisseur n'a pas à intervenir dans le débat autour des conditions d'appels d'offres. Une réglementation stricte interdit en effet les échanges pendant une longue période. Cette discussion n'a donc pas lieu.
Les appels d'offres sur le médicament répondent aux mêmes critères que les appels d'offres sur l'ensemble des produits hospitaliers alors que les contraintes ne sont pas identiques pour l'ensemble des produits. Les spécificités ne sont pas incluses dans la réglementation générale. Le dispositif actuel n'est pas adapté au médicament.
J'ai bon espoir que cette discussion aboutisse. Les interlocuteurs de ces structures sont à même de comprendre, mais ce sujet n'est pas audible dans l'immédiat. D'autres pays européens proposent des modalités de fonctionnement parfaitement saines. J'ai un comparateur de produits que nous lançons dans différents pays. Pour une échéance en mars prochain, des pays comme les Pays-Bas, ou le Danemark ont déjà reçu une réponse aujourd'hui et sachent quelles seront les conséquences pour mars prochain. Pour nos activités en France, nous estimons que l'appel d'offre et les discussions débuterons en janvier.
Pensez-vous que le CSIS représente un lieu d'échange adapté pour faire entendre votre voix ?
Nous avons été auditionnés dans le cadre du CSIS. Nous portions quatre mesures. Cependant, ce CSIS était davantage orienté sur les innovations que vers des mesures destinées aux médicaments matures, génériques ou non, ou vers les mesures relatives à la fiscalité (abolition de la clause de sauvegarde, crédits d'impôt pour valoriser la production de médicaments matures en Europe) que nous proposions.
Avez-vous le sentiment d'être associés à l'ensemble des dispositifs comme le plan de relance, le plan France 2030, les contrats stratégiques de filières ?
Nous ne sommes pas associés au plan France 2030 ni au plan de relance. Les laboratoires, individuellement, ont essayé de se positionner, mais les critères n'ont pas permis aux laboratoires de médicaments génériques, qui passent essentiellement par de la sous-traitance, de répondre aux appels à manifestation d'intérêt (AMI).
En revanche, nous nous sommes inscrits dans le travail global du contrat de filière chimie et santé à travers l'étude de PricewaterhouseCoopers.
La réflexion actuelle est essentiellement centrée sur l'innovation et, par définition, les génériques et les biosimilaires ne sont pas des produits innovants. Nous ne nous sommes donc pas sentis exclus. En revanche, nous avons constaté que nos interlocuteurs avaient pris conscience de l'exclusion des 40 % de l'espace santé que représentent les médicaments génériques et biosimilaires. Nous avons perçu leurs regrets, mais la machine était lancée, que ce soit à propos de la clause de sauvegarde, de France Relance, du CSIS ou de France 2030. Il était donc un peu tard.
Nous travaillons avec la direction générale des entreprises (DGE) qui réfléchit aux incitations qui pourraient être proposées aux entreprises qui fabriquent en France et qui relocalisent. Ils réfléchissent à un tel mécanisme pour les dispositifs médicaux, et ceci pourrait être dupliqué aux médicaments. Mais cela n'est qu'à l'état de projet.
En outre, il convient de ne pas occulter la puissance de représentation des intérêts des laboratoires innovants, beaucoup plus présents en amont que nous ne pouvons l'être. Dès lors, ils intègrent les dispositifs plus facilement que nous.
Comment peut-on concilier l'innovation, démarche naturelle de cette filière, et le développement des génériques ? Comment concilier des intérêts qui paraissent parfois divergents dans ce grand écosystème ?
Une première étape consisterait à identifier les processus de gestion des cycles de vie des produits sans les opposer afin que la France reconquière son rang mondial. Les dispositifs mis en œuvre au profit de la relocalisation et de la pérennisation de l'innovation en France sont pertinents et créent une dynamique extrêmement positive, tel que le plan France 2030. Il convient désormais d'utiliser les leviers qui permettraient d'augmenter très fortement la pénétration des biologiques et des génériques et de favoriser leur fabrication en France. Il serait nécessaire de rapprocher le plus rapidement possible la taille du répertoire de génériques de la moyenne européenne, car de très nombreux produits pourraient être ouverts au générique. Notre taux de génériques est inférieur d'un tiers à la moyenne européenne. Les mécanismes de pénétration sur le répertoire existant fonctionnent plutôt bien sur le générique, bien que cela soit encore difficile pour certaines sphères thérapeutiques. La pénétration est d'environ 80% lorsque le répertoire est ouvert. Ceci est donc un premier levier.
Le taux de pénétration des biosimilaires est lui faible (23 %). Il convient d'harmoniser les listes et les mécanismes dont disposent les médecins, les pharmaciens et l'hôpital de sorte que les prescriptions ne soient plus à géométrie variable.
Enfin, la prévisibilité, notamment des prix, est très importante.
Je vous remercie. Je vous propose donc de compléter nos échanges par la transmission des documents annoncés à notre secrétariat.
La séance s'achève à treize heures vingt.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament
Réunion du jeudi 4 novembre 2021 à 9 h 30
Présents. – M. Frédéric Barbier, M. Guillaume Kasbarian, M. Gérard Leseul
Excusés. – M. Bertrand Bouyx, M. Éric Girardin, Mme Carole Bureau-Bonnard, Mme Véronique Louwagie