Intervention de Éric Besson

Réunion du jeudi 4 novembre 2021 à 14h30
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Éric Besson, ancien député, ancien ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, président de Sicpa Maroc :

Le déclin de notre industrie, ou son recul relatif, est un phénomène qui se mesure en pourcentage du PIB, d'emploi ou de secteurs dans lesquels la France fait partie des leaders mondiaux. Ce déclin est généralement daté du début des années 2000, ce qui me semble inexact. Le déclin de l'activité industrielle et des emplois a commencé dans les années 1970, plus précisément en 1975. Les causes en sont l'impact du premier choc pétrolier, l'accélération de la mondialisation, l'émergence de nouveaux acteurs de l'économie mondiale et de l'industrie (notamment en Asie), ainsi que la part croissante des services dans les pays développés. Il est toutefois vrai que la décennie de 2000 à 2010 fût particulièrement rude pour l'industrie.

Pour schématiser, ce déclin procède d'un choix, d'une crise et de raisons structurelles. Le choix de conduire une politique de la demande et de réduire le temps de travail au moment même où l'Allemagne faisait le choix inverse – celui d'une politique de l'offre – et adoptait une série de réformes visant à accroître la compétitivité de son outil productif, en accord avec les syndicats, a accentué ce déclin. La crise que je mentionne est celle de 2008, qui a abouti à la destruction d'emplois industriels. Ce n'est qu'en 2011 que l'emploi industriel se stabilise pour la première fois depuis dix ans. Enfin, je reprendrais brièvement les raisons structurelles de ce déclin, que la commission connaît. Qui en est responsable ? Pour partie personne. Pour partie tout le monde. Il résulte, d'une part, de l'accélération de la mondialisation et de l'émergence de nouveaux pays industriels sur la scène internationale – ainsi, la Chine produit désormais 60 % de l'acier mondial, au lieu de 10 % en 2000. D'autre part, ce déclin résulte tant des pouvoirs publics que des entreprises et du secteur bancaire, ainsi que des acteurs de la vie sociale. Nous sommes tous responsables, qu'il s'agisse des prélèvements obligatoires, des insuffisances de notre système de formation, des choix stratégiques des entreprises, du retard de notre adaptation à la révolution numérique, du manque de solidarité interentreprises (sachant que les logiques de « grappes » et de « chaîne de PME » étaient déjà évoquées dans les années 1970, respectivement en Italie et en Allemagne). Nous sommes également tous responsables de nos difficultés à orienter l'épargne et le financement vers l'industrie ou des carences de notre dialogue social.

Les gouvernements successifs se sont évidemment attachés à corriger et à atténuer ces lacunes et faiblesses et à renforcer notre outil industriel. Il y a, désormais, une continuité dans la politique industrielle suivie depuis dix ou douze ans, peut-être, même, une cohérence. Il y a une filiation dans l'action, des États généraux de l'Industrie et de la politique de filières de la présidence de Nicolas Sarkozy, en passant par le rapport de Louis Gallois sous la présidence de François Hollande, jusqu'au plan France 2030 de la présidence d'Emmanuel Macron (où l'on retrouve l'écho du programme des investissements d'avenir). Les États généraux de l'industrie – lancés par mon prédécesseur au ministère, M. Christian Estrosi – ont mobilisé 5 000 participants du monde industriel pendant six mois. Les vingt-trois mesures qui en ont résulté ont toutes été mises en œuvre. La Conférence nationale de l'industrie, mise en place ensuite avait pour but de faire vivre ce consensus.

La présidence de Nicolas Sarkozy et l'action des gouvernements auxquels j'ai participé se sont pour l'essentiel articulées autour de 4 piliers.

Premièrement, une politique de filière, organisée autour de comités stratégiques réunissant industriels, salariés et pouvoirs publics, et déclinée au niveau régional par cinquante comités régionaux de filière, a été adoptée. S'y sont ajoutés la création de dispositifs efficaces, tels que le médiateur du crédit et le médiateur de la sous-traitance.

Deuxièmement, l'innovation a été stimulée, grâce au triplement du crédit d'impôt recherche (CIR), à un renforcement des pôles de compétitivité et au programme d'investissements d'avenir (d'un montant de 17 milliards d'euros pour les technologies du futur), ou encore par la proposition française, en mars 2011, de création d'un brevet européen unique.

Troisièmement, le financement de l'industrie a été renforcé à partir d'outils existants, qui ont été rapprochés, tels que le Fonds stratégique d'investissement (FSI), Oséo et CDC Entreprises, aboutissant en 2012 à la création de la Banque publique d'investissement (BPI).

Quatrièmement, le développement de l'emploi dans les territoires par des mesures favorisant nos capacités productives, avec par exemple la suppression de la taxe professionnelle en 2010 – qui pesait essentiellement sur les investissements productifs –, la réduction des cotisations sociales patronales familiales, le dispositif des aides à la réindustrialisation (ARI), le renforcement des effectifs du comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) et la création de dix commissaires à la réindustrialisation, ont également fortement enrayé ce déclin.

Il faut une meilleure gouvernance entre l'industrie, l'énergie et la recherche. Nous devons admettre que l'État ne peut pas tout en matière industrielle. Il doit concentrer ses efforts sur l'innovation et les secteurs d'avenir. Ainsi, l'adaptation du secteur automobile est indispensable. Nous devons également accroître encore l'accès de nos industriels à des financements à l'échelle européenne et à l'échelle nationale pour mieux drainer l'épargne vers l'industrie. Par ailleurs, nous devons disposer de grands groupes, qui entraînent l'industrie, car il ne faut pas oublier que les entreprises multinationales ont une nationalité. Les géants du numérique tels que Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM) de la Silicon Valley, aux États-Unis, le démontrent. Ce modèle de concentration d'universités de premier plan dans une même zone géographique et d'accès au financement à toutes les étapes de développement de l'entreprise est difficile à reproduire. Seul le plateau de Saclay se rapproche, en France, d'une telle démarche. Hélas, de nombreux industriels leaders ont été perdus, tels qu'Alcatel, Lafarge, Technip, la branche énergie d'Alstom, Safran, les chantiers navals STX. Nous avons besoin d'une vision économique et industrielle moins naïve et plus conquérante, aussi bien à l'échelle européenne que dans nos relations avec l'Afrique – dont nous devrions nous préoccuper davantage. Nous devons également valoriser nos atouts – à cet égard, le sort de l'industrie nucléaire a été le plus grand gâchis de la décennie passée – et lutter contre notre bureaucratie et notre système d'autorisation ultrasophistiqué. Les créations d'usines et de bâtiments industriels sont devenues trop lentes et incertaines, ce qui décourage les investisseurs, français comme étrangers.

Il nous faut continuer de communiquer en faveur de l'industrie et de ses apports à la vie quotidienne pour la faire aimer. Il est crucial que la France soit et soit perçue comme une nation d'entrepreneurs et d'investisseurs. Former et attirer des chercheurs est primordial pour l'attractivité, l'attrait et l'image d'un pays. Or de ce point de vue, la France a encore beaucoup à accomplir.

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