Intervention de Pierre Méhaignerie

Réunion du jeudi 18 novembre 2021 à 17h00
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Pierre Méhaignerie, ancien ministre, ancien député d'Ille-et-Vilaine, ancien président de Vitré Communauté et ancien maire de Vitré :

Je vous remercie d'avoir accepté de m'auditionner. Je tenais à témoigner auprès de votre commission afin de porter un message d'optimisme lucide sur la réindustrialisation.

La France est le pays qui concentre le plus d'atouts en Europe, mais elle n'a pas su réduire ses faiblesses dans un monde ouvert, ce qui explique notre dette, nos déficits et notre taux de chômage élevé. Ce que l'État ne peut plus faire, compte tenu du poids des corporatismes, de la centralisation et de la bureaucratie, le local peut le réaliser. Nous portons en nous-mêmes les clés de l'avenir. N'attendons plus de l'État ce qu'il ne peut pas nous donner. Mon propos se fonde sur une expérience que j'ai vécue sur un territoire de 83 000 habitants, qui se trouvait dans les années 80 dans une situation très difficile qui incitait de ce fait au pessimisme. Par exemple, lors d'un congrès de la Confédération française démocratique du travail (CFDT),( à Vitré, le journal Ouest-France avait titré une double page : « le pays de Vitré est appelé à disparaître : chômage élevé, bas salaires, vide culturel ».

Après huit années de vie professionnelle, j'ai entamé ma carrière politique. Aujourd'hui, de nombreuses délégations nous demandent par quels moyens nous sommes parvenus à de tels résultats, en partant d'une situation difficile.

Le premier de ces résultats est la réindustrialisation. Le territoire de Vitré compte 14 entreprises de plus de 500 salariés. Le taux de chômage y est le plus faible de France, avec le bassin d'emploi des Herbiers en Vendée. L'étude comparative de l'Assemblée des communautés de France (AdCF) de septembre 2011 Les agglomérations et leur territoire : dix ans de dynamiques socio-économiques montrait que notre base productive était la plus élevée des 220 communautés d'agglomération, et notre indice de Gini mesurant l'inégalité de revenu le deuxième plus faible. Le taux d'actifs est 10 % supérieur à la moyenne. Le taux de bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) s'élève à 0,8 % contre une moyenne de 3 % en France. Nous avons réduit la dépense publique. Concernant le niveau du pouvoir d'achat, le salaire moyen est aujourd'hui le deuxième plus élevé des 18 zones d'emploi en Bretagne, bien qu'il s'agisse d'un bassin industriel.

Ces résultats surprennent et contribuent à assurer une meilleure ambiance locale, à faire diminuer la pauvreté et à offrir aux familles davantage de possibilités de disposer de deux emplois.

Cinq leviers essentiels ont été utilisés pour parvenir à ces résultats.

Le premier a consisté dans le développement d'un esprit d'entreprise. Comme le dit M. Louis Gallois, les territoires réindustrialisés sont ceux qui ont travaillé ensemble. Nous avons mis en place un comité de développement et une maison de l'emploi, de l'entreprise et de la formation. Présidée par une cheffe d'entreprise, cette maison regroupe sous un même toit les dix structures qui s'occupent de l'emploi, pour faciliter les procédures pour les entreprises et les demandeurs d'emploi. Vitré a offert un environnement favorable à l'esprit d'entreprise en mobilisant des forces locales.

Le deuxième levier que nous avons actionné est la diminution des impôts de production de 30 %, compte tenu de la concurrence mondiale.

Nous avons construit 32 bâtiments industriels et tertiaires pour les entreprises afin de leur permettre de se concentrer sur leur développement. Un jeune ingénieur de Rennes est un jour venu nous trouver. Il souhaitait monter son entreprise avec une dizaine d'ingénieurs et de techniciens, mais manquait d'argent. Le soir même, il disposait d'un bâtiment et des clés de ce dernier. Son entreprise compte aujourd'hui 600 salariés et a été rachetée par Thales. Quand M. Jean-Louis Borloo s'était rendu à Vitré dans le cadre de la construction de la maison de l'emploi, de l'entreprise et de la formation, trois femmes licenciées d'une entreprise lui ont demandé un rendez-vous. Elles lui ont expliqué qu'elles refusaient de se rendre à Pôle Emploi et de s'inscrire au chômage. Elles souhaitaient, en effet, créer leur propre entreprise. Le lendemain matin, elles disposaient d'un bâtiment dont elles ont bénéficié pendant dix-huit mois gratuitement. Sans cette mesure, leur entreprise, Maïlou Tradition, n'aurait pu voir le jour. Ces 32 bâtiments ont donc été un élément clé. Un autre élément concerne le manque d'emplois féminins. Nous recherchions un centre d'appel. Aucun promoteur ne voulait en construire si nous ne disposions pas d'un contrat signé. Nous avons donc pris le risque de le construire nous-mêmes. Un centre d'appel qui devait s'installer au Portugal a finalement choisi Vitré et compte aujourd'hui 600 salariés. Lorsqu'une entreprise rencontre des difficultés, si elle est solide, mais qu'elle traverse une phase difficile, nous rachetons ses locaux pour lui redonner de la trésorerie.

Le quatrième axe réside dans la simplification des procédures pour les entreprises face à la multitude de complexités qui font obstacle à leur fonctionnement. Ainsi, la maison de l'emploi, de l'entreprise et de la formation est présidée non par un élu, mais par une cheffe d'entreprise.

Enfin, nous avions à cœur de revaloriser l'image du travail manuel, et de la formation professionnelle. Nous avons mis en œuvre plusieurs expériences. 200 artisans et gens de métier âgés de 60 à 85 ans transmettent leur savoir-faire à des jeunes de 9 à 14 ans pour développer l'intelligence des mains. Ce point est très important pour la dynamique industrielle.

Certaines délégations soutiennent que nous avons bénéficié d'appuis naturels, et que le fait que j'ai été ministre a beaucoup compté. Je ne pense pas que cette raison soit essentielle. Vitré dispose de deux atouts naturels : l'éthique du travail du fait des traditions rurales et le sentiment de bienveillance vis-à-vis de l'autre.

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