Intervention de Christophe Beaux

Réunion du jeudi 25 novembre 2021 à 9h30
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Christophe Beaux, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) :

Vous avez d'ores et déjà auditionné plusieurs représentants du monde professionnel, notamment France industrie et la Fédération française des industries de santé (FEFIS). Votre tropisme porte notamment sur l'industrie du médicament. Il me semble plus utile non pas de paraphraser mes collègues, mais de prendre de la hauteur sur le sujet, en vous soumettant ce que nous observons comme une arborescence des causes de la désindustrialisation de notre pays.

Nous nous accordons sur le diagnostic : la part de l'industrie a profondément chuté. Il est intéressant d'en analyser les causes visibles, immédiates, microéconomiques et d'en étudier autour de l'arborescence les causes plus profondes. Certaines concernent la stratégie économique de l'Union européenne.

L'élément le plus connu est la perte de compétitivité de notre pays, qu'elle soit en prix ou hors prix. La compétitivité prix concerne les salaires, les cotisations sociales, les impôts sur les entreprises. S'agissant des salaires, nous ne sommes pas en mauvaise posture comparativement à l'Allemagne par exemple. Toutefois, les salaires français demeurent plus élevés que dans les pays à bas coût, où les industries se sont délocalisées pour produire moins cher. Les cotisations sociales aboutissent à un surenchérissement de notre coût du travail par rapport à celui de nos compétiteurs européens et non européens. Cela tient au financement de notre structure sociale : la santé, les retraites et la sécurité sociale.

S'agissant des impôts, nous avons assisté à une réduction de certains d'entre eux au cours des dernières années. Ainsi, le taux de l'impôt sur les sociétés (IS) sera ramené à 25 % dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2022, c'est-à-dire à sa moyenne européenne. Je pense également à la réduction des impôts de production qui a été amorcée en 2021, elle contribue à diminuer le fardeau fiscal des entreprises. Néanmoins, malgré ces efforts, le taux d'imposition globale sur les entreprises en général et sur l'industrie en particulier demeure plus élevé dans notre pays que chez ses principaux compétiteurs. Au global, l'imposition sur les entreprises représente 12,5 % du produit intérieur brut (PIB) ou 22 % de la valeur ajoutée. Ces taux sont de 10 % en Italie, 9 % en Espagne et 8 % en Allemagne. Globalement, on constate donc un écart de quelques points au détriment de nos entreprises.

Plus spécifiquement, cette différence de taxation en notre défaveur existe également pour les impôts de production, dont vous connaissez le principal défaut puisqu'ils s'appliquent en amont, avant toute considération de résultats ou de rentabilité des entreprises. Ainsi, dès lors qu'on engage un acte de travail et de production, nous sommes redevables de ces impôts. Ils représentent 2,8 % du PIB, soit près du double de la moyenne pratiquée dans l'Union européenne qui se situe à 1,6 % et environ sept fois plus que le taux de l'Allemagne à 0,4 % du PIB. Je salue une fois de plus la réduction d'impôts de 10 milliards d'euros. Toutefois, si nous souhaitions ramener le niveau de nos impôts de production à celui de la moyenne européenne, il faudrait consentir à un effort de 30 milliards d'euros. Si nous voulions les ramener au niveau de ceux de l'Allemagne, il s'agirait de les diminuer de 60 milliards d'euros. Je n'évoquerai pas les conséquences sur le financement des collectivités locales. La compétitivité prix est donc largement affectée par ces éléments et nous le constatons dans ces chiffres que je viens d'évoquer.

La compétitivité hors prix nous amène à réfléchir au positionnement de l'industrie française. Vous connaissez les principaux défauts de l'industrie française, ils sont d'ordre structurel : un manque de spécialisation ; une concentration sur des domaines tels que l'aéronautique qui ont été affectés par la crise sanitaire ; un positionnement de gamme souvent moyen, voire médiocre. Ces facteurs de compétitivité hors prix sont défavorables. En termes qualitatifs, notre industrie est moins spécialisée et propose des gammes de moindres niveaux qu'en Allemagne. Pourtant, elle est plus chère que celle de nos compétiteurs européens à bas coût ou non européens, à l'instar de la Chine. Pour résumer, notre production n'est ni bon marché, ni suffisamment qualitative.

Notre compétitivité hors prix peu favorable tient au manque d'innovation. L'effort de recherche et développement (R&D) global reste inférieur à celui des Allemands. Il représente 2,2 % du PIB en France quand il atteint près de 3 % en Allemagne. Il existe des outils publics puissants, reconnus pour leur efficacité afin d'améliorer cette R&D. Il s'agit notamment du crédit d'impôt recherche (CIR) que beaucoup de pays ont copié. Certes, l'effort public existe, néanmoins il subsiste un déficit d'innovation qui génère une moindre attractivité de nos produits. Nous faisons également face à une baisse de leadership de chacun de nos grands groupes, comme cela a pu être mesuré au cours des dernières années. Enfin, il existe un cercle vicieux entre la compétitivité prix et la compétitivité hors prix par le biais des marges. Dès lors que nos prix ne sont pas satisfaisants, les marges sont restreintes. Or ceci constitue un frein évident à l'investissement. Ainsi entre 2003 et 2015, les investissements en machines-outils en France ont baissé de 21 % quand ils ont augmenté de près de 20 % en Allemagne. L'écart se creuse entre les appareils productifs de ces deux pays.

Certains facteurs de l'organisation et de la gouvernance de l'industrie française expliquent la délocalisation industrielle de ces dernières décennies. En premier lieu, nous manquons d'un véritable Mittelstand français. Nous disposons en France de 6 000 entreprises de taille intermédiaire (ETI), alors qu'il en existe 13 000 en Allemagne et 10 000 en Italie et au Royaume-Uni. La démographie allemande explique ce nombre d'entreprises de taille intermédiaire (ETI). Toutefois, cette hypothèse ne se vérifie pas ni pour le Royaume-Uni ni en Italie dont la démographie avoisine celle de la France. Le Mittelstand permet un ancrage local des entreprises et une transmission familiale ou une organisation de la transmission du capital qui font défaut dans l'organisation française.

En second lieu se pose le problème de la localisation des sièges et des sites de production. Nous disposons effectivement de champions nationaux puissants et proportionnellement plus importants pour notre pays par rapport à la place qu'occupe la France dans l'économie mondiale. Le classement des 500 plus grandes fortunes comprend 31 grands groupes sur le territoire français. Cependant, ces grands groupes ne réalisent qu'une faible proportion de leur chiffre d'affaires en France (environ 15 à 20 %). Leur tropisme en termes d'investissement ou d'effort managérial est tourné vers la chaîne de valeur où qu'elle se trouve, y compris en dehors du territoire français. Leur stratégie est mondiale. La place de la France a tendance à être minoritaire dans leur activité. Par ailleurs, leurs sièges étant majoritairement situés à Paris, ils sont éloignés des centres de production. En Allemagne, le siège de Mercedes et celui de Volkswagen sont à côté de leurs sites de production : respectivement à Munich et à Wolfsburg. Cette implantation contribue à une meilleure osmose entre la production, le corps social et le siège social qui se préoccupent de l'investissement et de l'économie dans sa dimension réelle.

En troisième lieu, on trouve la question relative à la composition des conseils d'administration. Les salariés y occupent une place beaucoup plus importante dans les entreprises allemandes. Ainsi, pour une entreprise de plus de 2 000 salariés, la moitié des conseils d'administration est composée de salariés. Dans les entreprises françaises de plus de 2 000 salariés, en dépit de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public, qui s'appliquait qu'au secteur public mais avec des effets plutôt positifs sur les entreprises privatisées, les salariés ne représentent en moyenne que 15 % des administrateurs au sein des conseils d'administration. Je ne plaide pas pour une arrivée massive des salariés dans les conseils d'administration. Toutefois, leur présence accrue peut être utile dans la compréhension des stratégies de localisation des activités et de choix d'investissement.

Enfin, la faiblesse de la formation en France et la mauvaise image de l'industrie auprès des jeunes rendent l'industrie moins attractive en termes de carrière et de recrutement. Notre pays est pourtant celui de Lavoisier et de Citroën, mais l'industrie a perdu son attrait auprès des jeunes et des personnes fortement diplômées.

La stratégie économique d'ensemble, définie depuis une trentaine d'années avec l'Union européenne, a d'abord mis l'accent sur le consommateur et sur la concurrence comme outil principal pour satisfaire le consommateur par des prix bas. Cette stratégie repose sur le concept de mondialisation et la recherche de lieux de production peu chers pour permettre un abaissement significatif des prix. Cette tactique permet de lutter contre l'inflation et favorise un meilleur accès à la consommation. Cependant, cette politique principalement axée sur la concurrence présente plusieurs défauts. Elle conduit à des aberrations dans les marchés publics où l'objectif absolu du moins-disant provoque des actes d'achat contraires aux intérêts nationaux. Nous achetons des produits ou des prestations là où ils sont moins chers. Cette politique de concurrence met l'accent sur la nécessité pour l'Union européenne de lutter contre les aides d'État. Notre pays a été concerné lorsqu'il s'est agi de soutenir nos champions nationaux ou des entreprises de toutes tailles qui avaient besoin de soutiens. En prenant de la hauteur, nous constatons que la stratégie de Lisbonne, définie en mars 2000, qui avait pour objectif d'organiser une répartition de l'activité, a mal fonctionné. Les activités à faible valeur ajoutée devaient s'installer dans des pays à bas coût de production qui devenaient les fournisseurs et sous-traitants de l'industrie française et européenne. Parallèlement, l'industrie française et européenne devait se réserver les productions à forte valeur ajoutée. Or la Chine ne fabrique plus uniquement des t-shirts, elle produit également des avions et des satellites. Parallèlement, les employés du secteur de la chaussure ne sont pas pour autant devenus des ingénieurs électronucléaires. Un découplage s'est effectué entre une stratégie qui se voulait haut de gamme et applicable à l'ensemble des forces de travail européennes, mais la différenciation ne s'est pas déroulée comme prévu.

S'y ajoute la question de la stratégie de l'union monétaire qui a été réalisée dans une zone monétaire non optimale. Les facteurs de production n'avaient pas la même mobilité. Alors que l'investissement capitalistique est très mobile, le travail l'est beaucoup moins. Si nous comparons notre union monétaire à un marché unique comme celui du dollar aux États-Unis, les Américains déménagent d'un état à l'autre en fonction de la conjoncture et de l'emploi. C'est moins le cas pour les salariés européens et singulièrement pour les salariés français dont le taux de mobilité est plus faible que la moyenne européenne. Cette mobilité inégale des facteurs de production est un handicap qui accroît le phénomène de délocalisation.

Je dresse ici un tableau pessimiste. Il doit être nuancé au regard des derniers chiffres de l'investissement étranger en France qui eux sont positifs. Notre pays est redevenu attractif. Des politiques publiques sont organisées, telles que le plan France 2030 qui succédera au programme d'investissements d'avenir (PIA) ou à d'autres initiatives pour vivifier le secteur français. Le Conseil national de l'industrie (CNI) fonctionne bien. Nous soutenons les contrats de filières qui s'avèrent très utiles. Des outils sont en place, il existe une volonté politique que nous ressentons dans le cadre d'une stratégie globale qui malheureusement pour l'heure n'a pas favorisé les localisations industrielles en France.

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