La réunion

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Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT

Jeudi 25 novembre 2021

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président)

La commission d'enquête auditionne les représentants du Mouvement des entreprises de France (MEDEF).

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Nous reprenons ce matin les auditions de notre commission d'enquête. Dans ce cadre, nous avions souhaité recevoir les trois organisations patronales représentatives lors d'une table ronde. Cependant, en raison d'une réunion ministérielle organisée en dernière minute sur la crise sanitaire, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l'Union des entreprises de proximité (U2P) n'ont malheureusement pas été en mesure d'être représentées ce matin et seront consultées par écrit.

Je remercie de leur présence les trois représentants du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) :

– M. Christophe Beaux, directeur général,

– M. Guillaume Leblanc, directeur du pôle influence et affaires publiques,

– et de Mme Gwenaëlle Poilon, directrice économie.

Je vous remercie de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Madame, Messieurs, à lever chacun la main droite et à dire « je le jure ».

MM. Beaux et Leblanc et Mme Poilon prêtent serment.

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Christophe Beaux, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

Je suis surpris que ce sujet soit étudié au sein d'une commission d'enquête parlementaire. Il s'agit d'un sujet d'intérêt général ayant trait à notre économie et à notre industrie. Nous sommes habitués aux commissions d'enquête sur des sujets individuels ou dans certaines affaires. Je ne suis pas spécialiste en matière de commission parlementaire, mais j'exprime néanmoins mon étonnement en tant que citoyen.

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Les commissions d'enquête sont un droit de l'opposition qui peut, dans le cadre de son droit de tirage, demander une enquête sur le sujet qu'elle souhaite. Sauf en cas d'enquête judiciaire en cours, il n'y a pas lieu de refuser ce type de demande. En l'occurrence, le groupes Socialistes et apparentés a souhaité utiliser son droit de tirage pour que soit mise en place cette commission d'enquête dont il a choisi le thème et le libellé. La prestation de serment fait partie de la procédure commune à toutes les commissions d'enquête parlementaires.

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Christophe Beaux, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

Vous avez d'ores et déjà auditionné plusieurs représentants du monde professionnel, notamment France industrie et la Fédération française des industries de santé (FEFIS). Votre tropisme porte notamment sur l'industrie du médicament. Il me semble plus utile non pas de paraphraser mes collègues, mais de prendre de la hauteur sur le sujet, en vous soumettant ce que nous observons comme une arborescence des causes de la désindustrialisation de notre pays.

Nous nous accordons sur le diagnostic : la part de l'industrie a profondément chuté. Il est intéressant d'en analyser les causes visibles, immédiates, microéconomiques et d'en étudier autour de l'arborescence les causes plus profondes. Certaines concernent la stratégie économique de l'Union européenne.

L'élément le plus connu est la perte de compétitivité de notre pays, qu'elle soit en prix ou hors prix. La compétitivité prix concerne les salaires, les cotisations sociales, les impôts sur les entreprises. S'agissant des salaires, nous ne sommes pas en mauvaise posture comparativement à l'Allemagne par exemple. Toutefois, les salaires français demeurent plus élevés que dans les pays à bas coût, où les industries se sont délocalisées pour produire moins cher. Les cotisations sociales aboutissent à un surenchérissement de notre coût du travail par rapport à celui de nos compétiteurs européens et non européens. Cela tient au financement de notre structure sociale : la santé, les retraites et la sécurité sociale.

S'agissant des impôts, nous avons assisté à une réduction de certains d'entre eux au cours des dernières années. Ainsi, le taux de l'impôt sur les sociétés (IS) sera ramené à 25 % dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2022, c'est-à-dire à sa moyenne européenne. Je pense également à la réduction des impôts de production qui a été amorcée en 2021, elle contribue à diminuer le fardeau fiscal des entreprises. Néanmoins, malgré ces efforts, le taux d'imposition globale sur les entreprises en général et sur l'industrie en particulier demeure plus élevé dans notre pays que chez ses principaux compétiteurs. Au global, l'imposition sur les entreprises représente 12,5 % du produit intérieur brut (PIB) ou 22 % de la valeur ajoutée. Ces taux sont de 10 % en Italie, 9 % en Espagne et 8 % en Allemagne. Globalement, on constate donc un écart de quelques points au détriment de nos entreprises.

Plus spécifiquement, cette différence de taxation en notre défaveur existe également pour les impôts de production, dont vous connaissez le principal défaut puisqu'ils s'appliquent en amont, avant toute considération de résultats ou de rentabilité des entreprises. Ainsi, dès lors qu'on engage un acte de travail et de production, nous sommes redevables de ces impôts. Ils représentent 2,8 % du PIB, soit près du double de la moyenne pratiquée dans l'Union européenne qui se situe à 1,6 % et environ sept fois plus que le taux de l'Allemagne à 0,4 % du PIB. Je salue une fois de plus la réduction d'impôts de 10 milliards d'euros. Toutefois, si nous souhaitions ramener le niveau de nos impôts de production à celui de la moyenne européenne, il faudrait consentir à un effort de 30 milliards d'euros. Si nous voulions les ramener au niveau de ceux de l'Allemagne, il s'agirait de les diminuer de 60 milliards d'euros. Je n'évoquerai pas les conséquences sur le financement des collectivités locales. La compétitivité prix est donc largement affectée par ces éléments et nous le constatons dans ces chiffres que je viens d'évoquer.

La compétitivité hors prix nous amène à réfléchir au positionnement de l'industrie française. Vous connaissez les principaux défauts de l'industrie française, ils sont d'ordre structurel : un manque de spécialisation ; une concentration sur des domaines tels que l'aéronautique qui ont été affectés par la crise sanitaire ; un positionnement de gamme souvent moyen, voire médiocre. Ces facteurs de compétitivité hors prix sont défavorables. En termes qualitatifs, notre industrie est moins spécialisée et propose des gammes de moindres niveaux qu'en Allemagne. Pourtant, elle est plus chère que celle de nos compétiteurs européens à bas coût ou non européens, à l'instar de la Chine. Pour résumer, notre production n'est ni bon marché, ni suffisamment qualitative.

Notre compétitivité hors prix peu favorable tient au manque d'innovation. L'effort de recherche et développement (R&D) global reste inférieur à celui des Allemands. Il représente 2,2 % du PIB en France quand il atteint près de 3 % en Allemagne. Il existe des outils publics puissants, reconnus pour leur efficacité afin d'améliorer cette R&D. Il s'agit notamment du crédit d'impôt recherche (CIR) que beaucoup de pays ont copié. Certes, l'effort public existe, néanmoins il subsiste un déficit d'innovation qui génère une moindre attractivité de nos produits. Nous faisons également face à une baisse de leadership de chacun de nos grands groupes, comme cela a pu être mesuré au cours des dernières années. Enfin, il existe un cercle vicieux entre la compétitivité prix et la compétitivité hors prix par le biais des marges. Dès lors que nos prix ne sont pas satisfaisants, les marges sont restreintes. Or ceci constitue un frein évident à l'investissement. Ainsi entre 2003 et 2015, les investissements en machines-outils en France ont baissé de 21 % quand ils ont augmenté de près de 20 % en Allemagne. L'écart se creuse entre les appareils productifs de ces deux pays.

Certains facteurs de l'organisation et de la gouvernance de l'industrie française expliquent la délocalisation industrielle de ces dernières décennies. En premier lieu, nous manquons d'un véritable Mittelstand français. Nous disposons en France de 6 000 entreprises de taille intermédiaire (ETI), alors qu'il en existe 13 000 en Allemagne et 10 000 en Italie et au Royaume-Uni. La démographie allemande explique ce nombre d'entreprises de taille intermédiaire (ETI). Toutefois, cette hypothèse ne se vérifie pas ni pour le Royaume-Uni ni en Italie dont la démographie avoisine celle de la France. Le Mittelstand permet un ancrage local des entreprises et une transmission familiale ou une organisation de la transmission du capital qui font défaut dans l'organisation française.

En second lieu se pose le problème de la localisation des sièges et des sites de production. Nous disposons effectivement de champions nationaux puissants et proportionnellement plus importants pour notre pays par rapport à la place qu'occupe la France dans l'économie mondiale. Le classement des 500 plus grandes fortunes comprend 31 grands groupes sur le territoire français. Cependant, ces grands groupes ne réalisent qu'une faible proportion de leur chiffre d'affaires en France (environ 15 à 20 %). Leur tropisme en termes d'investissement ou d'effort managérial est tourné vers la chaîne de valeur où qu'elle se trouve, y compris en dehors du territoire français. Leur stratégie est mondiale. La place de la France a tendance à être minoritaire dans leur activité. Par ailleurs, leurs sièges étant majoritairement situés à Paris, ils sont éloignés des centres de production. En Allemagne, le siège de Mercedes et celui de Volkswagen sont à côté de leurs sites de production : respectivement à Munich et à Wolfsburg. Cette implantation contribue à une meilleure osmose entre la production, le corps social et le siège social qui se préoccupent de l'investissement et de l'économie dans sa dimension réelle.

En troisième lieu, on trouve la question relative à la composition des conseils d'administration. Les salariés y occupent une place beaucoup plus importante dans les entreprises allemandes. Ainsi, pour une entreprise de plus de 2 000 salariés, la moitié des conseils d'administration est composée de salariés. Dans les entreprises françaises de plus de 2 000 salariés, en dépit de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public, qui s'appliquait qu'au secteur public mais avec des effets plutôt positifs sur les entreprises privatisées, les salariés ne représentent en moyenne que 15 % des administrateurs au sein des conseils d'administration. Je ne plaide pas pour une arrivée massive des salariés dans les conseils d'administration. Toutefois, leur présence accrue peut être utile dans la compréhension des stratégies de localisation des activités et de choix d'investissement.

Enfin, la faiblesse de la formation en France et la mauvaise image de l'industrie auprès des jeunes rendent l'industrie moins attractive en termes de carrière et de recrutement. Notre pays est pourtant celui de Lavoisier et de Citroën, mais l'industrie a perdu son attrait auprès des jeunes et des personnes fortement diplômées.

La stratégie économique d'ensemble, définie depuis une trentaine d'années avec l'Union européenne, a d'abord mis l'accent sur le consommateur et sur la concurrence comme outil principal pour satisfaire le consommateur par des prix bas. Cette stratégie repose sur le concept de mondialisation et la recherche de lieux de production peu chers pour permettre un abaissement significatif des prix. Cette tactique permet de lutter contre l'inflation et favorise un meilleur accès à la consommation. Cependant, cette politique principalement axée sur la concurrence présente plusieurs défauts. Elle conduit à des aberrations dans les marchés publics où l'objectif absolu du moins-disant provoque des actes d'achat contraires aux intérêts nationaux. Nous achetons des produits ou des prestations là où ils sont moins chers. Cette politique de concurrence met l'accent sur la nécessité pour l'Union européenne de lutter contre les aides d'État. Notre pays a été concerné lorsqu'il s'est agi de soutenir nos champions nationaux ou des entreprises de toutes tailles qui avaient besoin de soutiens. En prenant de la hauteur, nous constatons que la stratégie de Lisbonne, définie en mars 2000, qui avait pour objectif d'organiser une répartition de l'activité, a mal fonctionné. Les activités à faible valeur ajoutée devaient s'installer dans des pays à bas coût de production qui devenaient les fournisseurs et sous-traitants de l'industrie française et européenne. Parallèlement, l'industrie française et européenne devait se réserver les productions à forte valeur ajoutée. Or la Chine ne fabrique plus uniquement des t-shirts, elle produit également des avions et des satellites. Parallèlement, les employés du secteur de la chaussure ne sont pas pour autant devenus des ingénieurs électronucléaires. Un découplage s'est effectué entre une stratégie qui se voulait haut de gamme et applicable à l'ensemble des forces de travail européennes, mais la différenciation ne s'est pas déroulée comme prévu.

S'y ajoute la question de la stratégie de l'union monétaire qui a été réalisée dans une zone monétaire non optimale. Les facteurs de production n'avaient pas la même mobilité. Alors que l'investissement capitalistique est très mobile, le travail l'est beaucoup moins. Si nous comparons notre union monétaire à un marché unique comme celui du dollar aux États-Unis, les Américains déménagent d'un état à l'autre en fonction de la conjoncture et de l'emploi. C'est moins le cas pour les salariés européens et singulièrement pour les salariés français dont le taux de mobilité est plus faible que la moyenne européenne. Cette mobilité inégale des facteurs de production est un handicap qui accroît le phénomène de délocalisation.

Je dresse ici un tableau pessimiste. Il doit être nuancé au regard des derniers chiffres de l'investissement étranger en France qui eux sont positifs. Notre pays est redevenu attractif. Des politiques publiques sont organisées, telles que le plan France 2030 qui succédera au programme d'investissements d'avenir (PIA) ou à d'autres initiatives pour vivifier le secteur français. Le Conseil national de l'industrie (CNI) fonctionne bien. Nous soutenons les contrats de filières qui s'avèrent très utiles. Des outils sont en place, il existe une volonté politique que nous ressentons dans le cadre d'une stratégie globale qui malheureusement pour l'heure n'a pas favorisé les localisations industrielles en France.

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Concernant la fiscalité, vous avez salué les efforts en matière de diminution des impôts. Effectivement, pendant ce quinquennat, est intervenue une baisse de 50 milliards des impôts, pour moitié pour les particuliers et pour moitié pour les entreprises. Les impôts de production, qui représentaient un sujet de longue date, ont diminué de 10 milliards cette année et ce sera également le cas en 2022. Vous avez évoqué la nécessité d'œuvrer davantage en ce sens pour être en phase avec nos voisins quant à la compétitivité prix. Quelles seraient les priorités en termes de baisse d'impôt ? S'agirait-il d'une diminution des impôts de production ? Si oui, de quel type d'impôt de production s'agirait-il ?

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Christophe Beaux, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

Concernant le bas de bilan, nous atteignons désormais la moyenne des pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), complétée avec l'initiative du second pilier de l'OCDE pour une taxation minimale. Ces éléments sont positifs. Dans le haut du compte de résultat, des efforts demeurent : par exemple, donner la priorité à la baisse des impôts de production. Nous sommes conscients que les collectivités territoriales ont besoin de ressources. Nous sommes également conscients que les services sociaux qu'elles octroient permettent au tissu économique de fonctionner. Il ne s'agit donc pas de priver les collectivités territoriales de moyens dont elles ont besoin. En revanche, il est nécessaire de trouver d'autres recettes ou d'entreprendre des efforts de productivité dans le secteur public notamment, pour les collectivités locales qui bénéficient de ces impôts de production. Ainsi, il serait possible d'obtenir autant de services, voire davantage, mais à un meilleur coût et avec une pression fiscale moindre pour les contribuables.

Un ensemble de trois ou quatre taxes représente les impôts de production. Or toute modification génère des effets différents sur les services d'activité en fonction de la taxe concernée. La contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) n'est pas le meilleur impôt à baisser, car il s'adresse à des sociétés dont les services ne sont pas délocalisables. Pour autant, rien ne justifie de pénaliser davantage le secteur tertiaire en général et la banque en particulier par rapport à d'autres secteurs. Il s'agirait de diminuer les compartiments ayant des assiettes foncières. Nous plaidons pour une baisse globale de ces impôts de production. La question de l'impôt choisi est secondaire au regard des effets de bords analysables en faveur de tel ou tel secteur. Il nous semble important de disposer d'une trajectoire qui soit ferme, visible et prédictible. Nous pouvons nous féliciter que l'État ait annoncé une baisse de 10 milliards sur deux ans dans le plan de relance. Nous souhaiterions disposer d'une visibilité sur la durée d'une mandature, avec une trajectoire dessinée et respectée, année après année, sans altérer ni le principe d'annualité budgétaire ni la souveraineté de Parlement. Cette visibilité permettrait aux entreprises de calculer le taux de rentabilité interne (TRI) d'un investissement à moyen et à long terme, sans attendre que chaque projet de loi de finances confirme les engagements de la veille.

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Relocaliser ou localiser la production en France permet de bénéficier d'une énergie fortement décarbonée puisque le pays dispose de l'énergie nucléaire. Or la décennie qui s'ouvre est celle d'une décarbonation de l'industrie qui permettra de lutter contre le changement climatique. Votre président, M. Geoffroy Roux de Bézieux, a rédigé une tribune dans le Journal du dimanche du 6 novembre dernier. Pourriez-vous nous présenter vos propositions concernant la décarbonation et la lutte contre le réchauffement climatique ?

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Christophe Beaux, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

Au travers de cette stratégie de décarbonation que nous soutenons, il est nécessaire de ne pas renoncer à nos atouts compétitifs. L'énergie d'origine nucléaire est un avantage majeur pour le pays. Nous soutenons la reprise d'un programme ambitieux de construction de centrales nucléaires et les efforts du gouvernement pour tenter de corriger les défauts du marché de l'électricité. Ce dernier a été régulé à partir de 1997, dans le sens des intérêts du réseau continental sans favoriser les intérêts de notre production à bas coût. L'électricité nucléaire à venir sera sûrement plus coûteuse. Néanmoins, le marché de l'électricité actuel s'aligne sur l'unité de production la plus coûteuse : le gaz. Cette dernière est extrêmement volatile avec des coûts qui peuvent atteindre 300 euros le mégawattheure. Cela engendre des inconvénients pour notre industrie, notamment celle qui est électro-intensive. Nous pourrions subir des pertes en ligne dans la production de l'aluminium ou d'autres produits très consommateurs en électricité. Nous soutenons donc une politique de production de l'électricité massive, ambitieuse et décarbonée au travers du nucléaire.

Nous devons également nous protéger des productions fortement carbonées et à bas coût qui inondent la chaîne de valeur de nos industries. Nous soutenons un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Ce dernier est simple dans son contexte : il s'agit de la mise en place d'une taxe carbone sur les produits étrangers. Cette taxe serait aisément calculable pour des produits simples comme le ciment, mais son calcul serait plus ardu pour des produits complexes semi-finis, car il faudra alors identifier la quantité de carbone pour chaque composant. Cela pourrait induire des comportements d'optimisation de la part des producteurs étrangers. Ainsi, si cette taxe est mal conçue, les Chinois pourraient affecter leur parc nucléaire à la production de produits à destination de l'Europe, tandis qu'ils conserveraient pour eux les produits réalisés avec de l'énergie fossile. Ce mécanisme, que nous soutenons dans son principe sera difficile à mettre en place et qui plus est, les Allemands n'y sont pas favorables, car ils craignent des rétorsions commerciales. Leur balance commerciale n'est pas de même nature que la nôtre, ils auraient alors davantage à perdre.

Par conséquent, il demeure nécessaire d'être ambitieux quant à la décarbonation qui s'avère un outil de relocalisation. Toutefois, les processus afférents restent complexes dans leur application.

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Le groupe Socialistes et apparentés a décidé, dans le cadre de ses prérogatives, de demander une commission d'enquête sur ce sujet, d'une grande importance pour notre économie, notre cohésion sociale, et l'emploi. Par ailleurs, il s'agit de lui conférer une certaine solennité.

Vous avez répondu à une grande partie de nos interrogations en abordant de nombreux sujets. Vous reprenez les causes visibles et profondes de cette désindustrialisation, sans vous limiter aux premiers aspects que nous entendons régulièrement, mais qui demeurent insuffisants pour analyser la situation actuelle. Les impôts de production ou le coût de travail ne permettent pas d'étudier en profondeur le problème de désindustrialisation que nous connaissons. Je vous remercie donc d'avoir évoqué, entre autres, la compétitivité hors prix et la gouvernance des entreprises. Sur certains points, vous apparaissez moins libéral que le président de notre commission d'enquête.

Concernant la gouvernance, vous avez mentionné des sujets importants et notamment la différence de taille des ETI. De nombreux observateurs notent la grande proportion de petites entreprises et d'entreprises internationales françaises. Vous évoquez également la faible représentation des sièges d'entreprise dans les territoires du fait d'une forte concentration dans la capitale.

Comment expliquez-vous que ce tissu économique d'entreprises soit très différent des modèles européens ?

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Christophe Beaux, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

Historiquement, notre pays a toujours été très centralisé. Il est logique que les ETI soient plus nombreuses dans un pays fédéral tel que l'Allemagne, ou de nature plus polycentrique comme l'Italie. Cette forte dichotomie entre des petites entreprises sous-traitantes de grands groupes s'explique aisément dans notre pays jacobin. Cette mise en réseau d'ETI plus familiales, de taille moyenne et plus stables dans le long terme se retrouve plus aisément dans des pays polycentriques comme l'Allemagne et l'Italie. Il s'agit également d'un aspect culturel : ainsi, nos jeunes diplômés ont une faible appétence pour l'industrie. Les étudiants rêvent davantage des tours de la Défense que des usines à Valenciennes. Ainsi, plusieurs facteurs historiques, culturels et économiques permettent d'appréhender cette différence dans les modèles économiques européens.

Nous avons aussi un problème de transmission de l'entreprise. Des dispositifs publics ont été mis en place au fur et à mesure, mais ils demeurent insuffisants. Le patron d'une PME familiale éprouve des difficultés à transmettre son entreprise en dehors de sa lignée familiale. Lorsque des fonds proposent une ouverture du capital ou un adossement de nature capitalistique différent, ils rencontrent de fortes résistances psychologiques. Les fonds de gestion sont très importants en France, ils ont connu un développement rapide ces dernières années. Toutefois, ils restent moins éminents qu'au Royaume-Uni par exemple où la structure capitalistique est davantage diversifiée et moins familiale qu'en France.

L'échec des prêts participatifs en France en est un exemple récent. Ils ont été mis en place par le gouvernement pour sortir de la crise. Cependant, si les prêts garantis par l'État (PGE) ont parfaitement fonctionné, le prêt participatif est un échec. En effet, cette mesure ne correspond pas culturellement à l'attente des chefs d'entreprise. Ces derniers ne souhaitent pas avoir un élément de bilan convertible ou qui constitue, à terme, une entrée non consentie dans leur capital. Ces phénomènes entravent la croissance des entreprises françaises. Les PME peinent à devenir des ETI qui par la suite rencontrent elles-mêmes des difficultés pour croître. Elles demeurent dans un état de développement intermédiaire qui nuit à une orientation vers l'export ou à une maîtrise accrue de leur chaîne de valeur. Ce phénomène les cantonne dans un rôle de sous-traitant ou d'exécutant. Il me semble que ces aspects socioculturels profonds, historiques et techniques doivent être pris en compte dans l'analyse du développement des entreprises.

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Pour lier la question de la gouvernance et celle du financement, notre tissu d'entrepreneurs n'éprouve-t-il pas des difficultés à dialoguer avec ses partenaires financiers et la représentation salariale ?

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Christophe Beaux, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

Dans la relation entre l'entreprise et les financeurs, il demeure la difficulté mentionnée plus avant concernant le haut de bilan. À l'inverse, le secteur bancaire est solide (davantage qu'en Allemagne ou en Italie). Nous n'observons aucune difficulté de financement, ni dans les crédits d'investissement ni dans les crédits de trésorerie. Qu'il s'agisse de maturités courtes ou longues, l'irrigation des entreprises françaises est positive. Indépendamment du PGE et de la distorsion à court terme liée à la crise, l'accès à la ressource financière demeure correct. La véritable tension dans les entreprises concerne les délais de paiement interentreprises et les phénomènes de rapport de force entre donneur d'ordre et sous-traitant. La relation du financement de bas de bilan avec les financeurs demeure fluide. On peut regretter qu'elle ne soit que bancaire. Contrairement à d'autres économies, ce financement demeure intermédié par le secteur bancaire et est moins tourné vers des financements directs tels que la bourse ou des investisseurs de fonds.

S'agissant de la relation avec le patronat et le syndicat au niveau interprofessionnel, national, de l'entreprise ou de la branche, je ne partage pas entièrement votre point de vue. Le taux de syndicalisation est faible en France, ce qui signifie que les syndicats de salariés ne sont pas suffisamment représentatifs. Par conséquent, ils ne constituent pas des interlocuteurs aussi pertinents qu'il le faudrait vis-à-vis des chefs d'entreprises. D'un point de vue microéconomique, tout dépend de la manière dont le chef d'entreprise envisage ce dialogue. On peut regretter que, dans certains cas, les salariés ne soient pas assez associés dans la définition de la stratégie. Cependant, je constate qu'au fil des ans, le législateur a mis en place des outils tels que le comité social et économique (CSE). Ce dernier permet un dialogue dans l'entreprise sur les sujets de stratégie ou de décarbonation, comme le prévoit la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi climat et résilience ». Ces outils existent, chaque chef d'entreprise les utilise à sa convenance. De notre point de vue, nous estimons que le dialogue est correct. Encore faut-il que l'État et le Gouvernement ne s'immiscent pas dans ce dialogue en gardant parfois une attitude distanciée par rapport au paritarisme. Dans cette mandature, le paritarisme n'a pas toujours été mis à l'honneur, ce que nous regrettons. Nous préférons quand le Gouvernement soutient le paritarisme et affiche l'intérêt qu'il porte au dialogue avec les syndicats dans l'entreprise ou à la gestion paritaire des organismes d'intérêt commun.

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Je partage votre analyse quant au paritarisme et sa gestion par le gouvernement actuel. Ma question portait davantage sur l'investisseur. Nous observons une relative difficulté à ouvrir la porte aux investisseurs et par conséquent à disposer d'un dialogue avec ces derniers.

Vous évoquiez un taux de syndicalisation faible. Nous auditionnons les syndicats cet après-midi. Un grand patron adhérent du MEDEF, M. Claude Bébéar, avait proposé la création d'un chèque syndical. Qu'en pensez-vous ? Est-ce une réflexion en cours au sein du MEDEF ?

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Christophe Beaux, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

Cette discussion n'est pas en cours au sein du MEDEF. N'étant pas mandaté par mes instances sur ce sujet, je ne peux pas vous donner d'opinion.

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Je vous remercie pour cette franchise. Néanmoins, on peut avoir un avis personnel sur le sujet et notamment un retour historique sur ce chèque mis en place dans le groupe de M. Claude Bébéar. Cette procédure avait porté ses fruits dans la construction du dialogue social interne. Je me permettrai de poser la question aux organisations syndicales salariées.

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Vous nous avez fait part de l'image de l'industrie dans ce pays. Ce constat est partagé. Les créateurs de richesse sont relégués au dernier plan. Il est désormais indispensable de changer cette image et de redorer le blason industriel, c'est vital pour notre qualité de vie. La relation public/privé, la collaboration et les échanges sont difficiles.

Je suis perplexe quant à l'évolution du financement de la recherche. Nous sommes loin d'approcher les 3 % du PIB comme promis au début des années 2000. La faute en incombe davantage à la composante industrielle qu'aux décisions publiques. Ne faudrait-il pas repenser ce processus ? Le mode d'attribution du financement aux grands groupes que vous représentez ne devrait-il pas concerner davantage les PME que nous souhaiterions voir évoluer vers un statut d'ETI ?

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Christophe Beaux, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

90 % des bénéficiaires du crédit d'impôt recherche (CIR) sont des PME. Ce dispositif couvre 30 % de leurs dépenses alors qu'en moyenne, le CIR couvre 15 % des dépenses de R&D en France. Proportionnellement, les PME bénéficient donc davantage de l'apport du CIR dans la couverture de ces dépenses. À l'inverse, pour les grandes entreprises, le CIR ne couvre que 14 % de leurs dépenses de R&D, alors que ces grandes structures représentent 60 % de l'effort effectué dans ce domaine en France. En volume, ce sont ainsi les grandes entreprises qui représentent la part la plus importante de cet effort. En proportion, les PME bénéficient davantage du soutien du CIR.

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Avec l'innovation verte, la recherche s'effectue de moins en moins dans les grandes entreprises. Elle est davantage l'apanage des petites entreprises. En ce sens, je préconise une évolution de l'attribution du CIR.

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Christophe Beaux, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

Nous ne sommes pas hostiles à des évolutions correspondant à la réalité du terrain. Concernant l'innovation verte, certaines entreprises et jeunes pousses ou start-ups de petite taille sont innovantes et disruptives. Toutefois, en matière de fiscalité, il existe une prime à la stabilité. Ainsi, plus le dispositif change, moins il est lisible et plus il donne lieu à des contrôles. Il y a quelques années, certaines entreprises éprouvaient une réticence à s'engager vers le CIR, car elles savaient qu'elles subiraient un contrôle fiscal. Nous sommes ouverts à des évolutions, si elles sont positives et permettent de soutenir davantage de projets de R&D utiles pour le pays.

Il me semble que trois directions pourraient être empruntées pour améliorer l'attractivité de l'industrie auprès des jeunes diplômés. L'apprentissage en France n'est pas suffisamment développé. Il a connu une croissance récente grâce à la prime à l'embauche des apprentis. Cette croissance doit être maintenue et prolongée et en ce sens, nous apprécions que cette prime soit prorogée jusqu'à l'année prochaine. Néanmoins, la question reste posée pour la mandature suivante. Le système de l'apprentissage permet de donner une meilleure image des métiers de l'industrie et il offre aux jeunes la possibilité d'y effectuer leur première expérience professionnelle.

Les industries doivent accentuer leurs efforts en termes de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). La jeune génération est soucieuse du sens, de la qualité sociétale et du contenu de travail proposé. Nombre de ces jeunes se détermineront en fonction de ce que l'entreprise leur apporte, de la conformité de ses actions à leurs convictions et à leurs engagements personnels. Des efforts accrus sont nécessaires pour attirer la jeune génération dont les attentes sont différentes de celles des générations précédentes.

Par ailleurs, l'industrie doit réenchanter ses apports dans la vie sociale et modifier l'approche que nous en avons. Les jeunes générations doivent pouvoir rêver des bienfaits que peuvent apporter le progrès et l'industrie. Nous avons mené une enquête sur ce sujet et les Français y apparaissent comme ayant une faible appétence pour le progrès scientifique tandis que cette caractéristique est plus marquée que chez nos voisins européens. La controverse actuelle au sujet du vaccin en est la représentation. Toute distanciation ou résistance au concept de progrès génère des effets de ralentissement, voire de recul du progrès dans l'industrie. Lorsqu'un élu important affirme que les enfants ne doivent plus rêver de voler, car ce n'est plus d'actualité, cela ne va pas dans le bon sens puisque l'industrie produit des avions. De notre point de vue, nous devons continuer à promouvoir une opinion positive de ce que l'industrie peut apporter même s'il est nécessaire qu'elle se transforme pour avoir une faible empreinte carbone.

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Que font les entreprises pour rendre les professions industrielles attractives ? Existe-t-il, comme en Allemagne, des parcours d'excellence pour les techniciens qui accèdent progressivement à des postes de direction ? N'assistons-nous pas à une captation des postes de management par des personnes non nécessairement issues de formations techniques ? Quelles perspectives les entreprises peuvent-elles offrir aux jeunes ?

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Christophe Beaux, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

Il existe des initiatives patronales telles que Worldskills qui honorent les métiers manuels et les compétences concrètes. Elle met en valeur ces filières. Les fondations d'initiatives privées, comme celle du prix Liliane Bettencourt pour l'intelligence de la main, valorisent ces métiers et leurs attraits.

La reproduction des élites dépasse la seule industrie. Il s'agit d'un tropisme français bien connu. Le président du Bundesverband der deutschen Industrie (BDI), la Fédération des industries allemandes, est diplômé de mécatronique. Ceci est improbable en France. L'industrie n'est pas la seule responsable, il s'agit de notre sociologie. Le Président de la République n'est pas issu des métiers manuels.

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Je partage votre analyse et vos regrets. Ces éléments participent d'une faible attractivité, d'une relative désindustrialisation et d'un désintérêt pour l'industrie. Vous avez entamé les explications. À mon sens, il est nécessaire d'aller plus loin dans ces explications.

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J'ai un baccalauréat de mécanique. Je suis un produit de l'industrie. Effectivement, le Mittelstand à la française se perçoit dans les petites et moyennes entreprises où les enfants suivent la voie de leurs parents et entrent plus facilement dans ces industries. Ce processus est plus compliqué dans les grands groupes.

J'étais avec Mme Élisabeth Borne, ministre du Travail, chez Stellantis Peugeot à Sochaux. D'ordinaire, on constate la difficulté à assurer une montée en gamme dans l'industrie automobile et à permettre au personnel de se former et de changer de métier. Une entreprise comme Stellantis réussit pourtant à le faire. N'attendons-nous pas trop de la loi ? Il n'est pas interdit à l'entreprise d'entreprendre et d'être novatrice pour attirer des jeunes en direction de l'industrie. Les salaires dans l'industrie ne constituent-ils pas un sujet ? Dans mon secteur frontalier de la Suisse, les salaires posent un réel problème. Comment ouvre-t-on l'école en direction des entreprises ? Nous avons traversé une crise terrible, nous sommes le pays le moins industrialisé d'Europe. Comment ramener les enfants dans l'entreprise ? Des partenariats avec les écoles et les universités pourraient être mis en place.

Concernant ces petites entreprises que nous souhaitons voir se développer, il me semble que les grandes régions ont éloigné la gouvernance du terrain. La formation est-elle suffisante, satisfaisante et performante pour vous accompagner dans vos développements ?

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Christophe Beaux, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

Nous n'attendons pas tout de la loi. Parfois, la loi nous corsète davantage que nous le souhaiterions. Effectivement, les entreprises peuvent prendre des initiatives pour améliorer leur image.

Sur la question des salaires, mes élus indiquent qu'il revient aux branches et aux entreprises de moduler les salaires en fonction de situations variables. Il existe une telle disparité d'une région à une autre, en fonction notamment de l'impact de la crise sanitaire et de leur situation à la sortie de la crise. Nous pensons que le dialogue doit avoir lieu à l'échelle la plus pertinente qui est celle de l'entreprise. Nous voyons des branches ou des entreprises engager des négociations annuelles obligatoires ou des négociations de branches dans le sens d'une revalorisation des salaires. C'est notamment le cas de la restauration et de l'hôtellerie. Nous pouvons nous attendre à des hausses de salaire davantage significatives en 2022. Nous pouvons nous en réjouir, à condition que cela n'empiète pas sur la marge des entreprises et leur capacité d'investissement ou que l'inflation n'augmente pas. Actuellement, cette dernière a légèrement augmenté, elle est de 2,6 % sur douze mois glissants. Nous demeurons loin de l'Allemagne où l'inflation est de 4 % et des États-Unis où cette dernière atteint 6 %.

Quand les entreprises organisent, financent et dirigent des établissements de formation professionnelle, ces formations sont reconnues et débouchent sur des embauches rapides, car elles sont intégrées dans une filière. Au contraire, lorsqu'il s'agit de rapprocher l'école du monde de l'entreprise, on constate des difficultés d'ordre culturel. L'enseignement des sciences économiques et sociales au lycée concerne peu l'industrie et l'entreprise. Lorsque des cadres ou des chefs d'entreprise proposent de présenter l'activité économique de leur entreprise, ils sont confrontés à des réticences du corps professoral qui ne souhaite pas être assujetti à une pensée d'entreprise. Si ce phénomène s'explique sociologiquement, il n'engage pas à une meilleure compréhension des deux univers. En France, il engendre un taux élevé de formations ne débouchant pas sur une employabilité réelle. Dans les classements issus du Programme international pour le suivi des acquis des élèves – Programme for International Student Assessment (PISA), il est frappant de constater le nombre d'étudiants français qui sortent du système, sans adhésion à un projet professionnel concret et identifié. Il existe beaucoup d'emplois non pourvus et de nombreuses formations qui débouchent sur peu d'offres d'emploi.

Nous ne sommes pas satisfaits de la réforme issue de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. La fusion des opérateurs de compétences (OPCO) a abouti à de plus gros ensembles. Toutefois, ces derniers sont constitués de bric et de broc. L'explosion non maîtrisée de l'utilisation du compte professionnel de formation (CPF) provoque un déficit chez France compétences (10 milliards d'euros en cumulé). Nous ne contestons pas la liberté pour le salarié d'user de son droit à la formation tout au long de la vie, mais encore faut-il qu'il en fasse un usage éclairé. Il est nécessaire de se demander si la formation choisie améliore l'employabilité. C'est en ce sens que nous avons récemment signé avec les partenaires sociaux un accord national interprofessionnel qui vise à corriger certains défauts de la réforme de 2018. Il organise un dialogue entre l'employé et l'employeur lorsque le salarié utilise les droits de son CPF. L'employé conserve la liberté finale de son choix, mais le dialogue permet de s'interroger sur l'amélioration de l'employabilité ou l'évolution de l'intéressé dans l'entreprise. Il est nécessaire de redonner du pragmatisme à ces formations utiles aux transitions professionnelles. Les bons outils de passage d'un métier à l'autre sont essentiels.

Dans ce domaine, nous bénéficions d'un dialogue construit avec les présidents et présidentes de région qui sont investis dans les questions économiques.

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Je partage votre analyse sur les fusions d'opérateurs de compétences que je n'ai pas comprises. Néanmoins, rien n'empêche une entreprise d'embaucher des docteurs en anthropologie. Au Royaume-Uni, certaines banques emploient des docteurs en sciences humaines. L'enseignement supérieur permet de devenir expert sur un sujet et de démontrer des compétences à la réflexion et à l'écriture. L'enseignement supérieur ne peut former que des techniciens ou des cadres. Que font les entreprises pour rendre plus attractifs les emplois dans l'industrie ? Existe-t-il une volonté réelle de réconcilier l'entreprise avec les Français ? Des actions volontaristes sont-elles menées dans ce sens par votre organisation patronale ? Les entreprises font de l'introspection pour communiquer sur la RSE. Or cette dernière découle de la loi et donc de la contrainte. Concernant la transparence, les efforts répondent également à la contrainte. Que peuvent faire les entreprises de manière non contrainte ? Quel est votre avis sur la faiblesse des dépenses des secteurs privés dans l'innovation et la recherche ? Une loi est-elle nécessaire pour accroître le financement ?

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Christophe Beaux, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

J'ai travaillé à Londres et j'ai constaté la grande plasticité des formations britanniques et des métiers auxquels se destinaient ensuite ces étudiants. Il s'agit d'un univers de catégories socio-professionnelles (CSP) élevées. Je ne suis pas certain que les études de sociologie mènent directement à l'industrie. Nous constatons un défaut d'adéquation entre les formations universitaires et le monde de l'entreprise. La mécanique de choix des filières et la pondération des matières ne correspondent pas aux besoins du tissu économique. L'université vit en vase clos et se fait plaisir, sans chercher à former des personnes à un emploi.

Concernant le peu d'appétence de nos citoyens pour l'entreprise, je ne suis pas tout à fait d'accord. Vous avez glissé sémantiquement de l'industrie à l'entreprise en général. Or la relation avec nos concitoyens est très bonne. Nous la mesurons par des sondages régulièrement. En sortie de crise, 80 % des Français ont une bonne opinion de leur entreprise. 60 % des Français associent le mot confiance à l'entreprise et une grande majorité estime que l'entreprise les a bien protégés pendant la crise (gestes barrières, chômage partiel). Je ne pense donc pas qu'il existe une désaffection des Français à l'égard de l'entreprise. Si nous comparons ces taux de confiance avec ceux que les Français ont envers d'autres institutions de la vie quotidienne et en particulier avec l'État, les chiffres sont en défaveur de la sphère publique. Seuls les maires conservent la confiance de leurs concitoyens. Néanmoins, une difficulté spécifique existe pour l'industrie qui doit consentir les efforts nécessaires pour valoriser ses filières de métier. Cependant, concernant l'entreprise en général, les opinions demeurent très positives.

Les stimuli auxquels les entreprises répondent ne sont pas uniquement gouvernementaux ou législatifs. Le fonctionnement du marché, à savoir ce que les investisseurs réclament en termes de proxy ou les consommateurs en matière de transparence sur les produits, représente un élément incitatif puissant au même titre que la loi et le règlement. Le premier interlocuteur de choix des entreprises reste leurs clients. Les attentes des clients orientent les évolutions des entreprises en termes de production carbone par exemple. La puissance publique peut y contribuer, orienter ou inciter. Toutefois, le principal élément moteur est constitué par les avis de la clientèle.

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Vous avez évoqué le secteur de la restauration. La crise et la tension poussent un secteur à discuter. Mais avant d'en arriver à une situation de crise, il pourrait être utile d'engager un dialogue qui permettrait d'aller plus loin et de favoriser la confiance des étudiants dans les filières de formation. Nous sommes d'accord sur ce point.

Pour revenir sur ce qui pourrait soulager les entreprises et renforcer leur compétitivité, comment votre organisation réfléchit-elle sur le sujet du carbone ?

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Christophe Beaux, directeur général du Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

Nous y réfléchissons avec des partenaires tels que Rexecode, afin d'identifier les mécanismes à mettre en œuvre. Nous essayons de bâtir une coalition avec nos partenaires européens. Le sommet annuel de Business Europe commence aujourd'hui à Paris. Dans ce cadre, nous accueillons nos 34 homologues dans d'autres pays. Ce sommet a été précédé d'une trilatérale, qui s'apparente à une « troïka » entre les Allemands, les Italiens et nous-mêmes pour bâtir des discussions communes.

Au début de la crise sanitaire, nos trois présidents ont rédigé une tribune pour inciter les entreprises à poursuivre leur activité tout en protégeant les salariés. Cette troïka fonctionne et souhaite peser sur les décisions européennes comme celle de la présidence française du conseil de l'Union européenne. Nous discutons d'une voix cohérente avec les autres acteurs européens. Une des difficultés de la mise en place de la taxe carbone aux frontières est également politique puisque nos confrères allemands sont moins enclins à ce type de mécanisme.

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Je vous remercie. Je vous propose de compléter nos échanges en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez utiles à la commission d'enquête et répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé il y a quelques jours pour préparer cette audition.

L'audition s'achève à onze heures.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Réunion du jeudi 25 novembre 2021 à 9 heures 30

Présents. – M. Frédéric Barbier, M. Philippe Berta, M. Bertrand Bouyx, M. Guillaume Kasbarian, M. Gérard Leseul, Mme Cendra Motin

Excusée. – Mme Véronique Louwagie