Intervention de Arnaud Montebourg

Réunion du jeudi 25 novembre 2021 à 11h00
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Arnaud Montebourg, entrepreneur, ancien député, ancien ministre de l'Économie, du redressement productif et du numérique :

Vous m'avez demandé de déclarer les éventuels intérêts de nature à influencer mes déclarations. Je ne connais pas ce dispositif. Je travaille pour moi-même et ne suis lié par aucun contrat à aucune autre entreprise que la mienne.

Les causes de la désindustrialisation ont été amplement examinées. Des analyses ont été formulées par de nombreux observateurs de l'économie, des industriels, des cercles de réflexions. Le ministère de l'économie a produit une doctrine rétrospective sur le sujet. La question de la compétitivité est centrale pour analyser le déclin de notre industrie. Il s'agit d'une analyse macro-économique classique. Nous retrouvons ces éléments lorsque nous étudions le déséquilibre de la balance commerciale. Un problème de compétitivité perdure. Ce sujet guide toutes les politiques publiques, de droite comme de gauche.

Les premières mesures ont été engagées il y a trente ans. J'ai souvenir d'un « plan Borotra » mis en place en 1995 pour supprimer les cotisations sociales sur la filière textile. La Commission européenne a alors procédé à des redressements de ces dispositions, ce qui a provoqué des faillites en série. Avec l'arrivée de la Chine dans l'Organisation du commerce en 2001 et l'abaissement des droits de douane, les entreprises textiles ont disparu du territoire national. Désormais, nous importons 95 % des textiles que nous utilisons. Aucune adaptation de l'appareil industriel n'est intervenue, de même qu'aucun investissement dans les secteurs difficiles. A cet égard, le secteur financier est suiviste et non « risqueur ». De plus, nombre d'interlocuteurs dans le secteur financier (banques et fonds d'investissement) ne considèrent pas l'industrie textile comme un domaine intéressant. Les pouvoirs publics suivent et n'y portent pas davantage intérêt.

Aujourd'hui, nous présentons la balance commerciale la plus déficitaire de la zone euro, à hauteur de 85 milliards d'euros. La Roumanie, qui se trouve dans une situation similaire de ce point de vue, a réussi à stabiliser son déficit. L'Espagne et la Grèce ont réduit le leur, tandis que les autres membres de l'Union européenne ont augmenté leur excédent. Nous sommes quatre pays déficitaires en Europe.

Nous connaissons un problème particulier. Il est souvent question de la dette, mais le véritable sujet est celui de la balance commerciale. La balance agricole, qui a toujours été excédentaire sans les vins et spiritueux, est désormais annoncée comme déficitaire.

Dès lors, la question de la compétitivité se pose. Pourtant des mesures ont été prises telles que la réduction des cotisations sur les bas salaires. Cette dernière n'a pourtant profité ni aux salariés, qui n'ont pas obtenu de hausse de salaire, ni aux entreprises, qui ne peuvent bénéficier de cette réduction de cotisations que sur les rémunérations inférieures à 1, 6 fois le salaire minimal interprofessionnel de croissance (SMIC). Or les salaires de ces emplois industriels sont fréquemment supérieurs à cette rémunération. Le rapport Pacte pour la compétitivité de l'industrie française rendu par M. Louis Gallois en 2012 a parfaitement explicité cette question : il indiquait qu'il fallait soutenir les emplois jusqu'à 3 fois le SMIC, car il s'agit d'emplois qualifiés de techniciens rémunérés entre 2 000 et 3 000 euros. Les arbitrages de l'époque n'ont pas donné lieu à une décision de cette nature. Cette politique a perduré sans produire aucun résultat.

Aujourd'hui, les marges faibles que nous déplorions en 2012 se sont consolidées. Certaines entreprises gagnent de l'argent plus facilement que dans la décennie précédente. Nous avons traité les questions de compétitivité, mais notre offre industrielle fait toujours apparaître d'énormes lacunes. Les mesures macroéconomiques ont, certes, été utilisées. Elles ne pourront cependant plus être de la moindre efficacité. Il est donc nécessaire de se tourner vers une politique microéconomique. La politique économique de la France est macroéconomique et conjoncturiste. Elle est dirigée par des énarques qui travaillent sur des agrégats et non par des entrepreneurs. Nos gouvernants n'adoptent pas une approche microéconomique secteur par secteur, produit par produit, filière par filière. Par conséquent, nous déplorons soit une incompétence, soit une absence de politique sur ce sujet.

J'avais essayé de proposer des analyses par produit et métier. Nous avions appelé cette procédure les « 34 plans industriels ». Ainsi dans l'automobile, la conduite autonome constituait un service. Malheureusement, dans les faits, le stop and go de la politique industrielle génère une absence de politique industrielle. Toute politique industrielle digne de ce nom doit pourtant être transpartisane. C'est la raison pour laquelle j'avais repris les propositions de mon prédécesseur et j'aurais apprécié que mon successeur poursuive ma tâche. Dans mon « testament », lors du passage de pouvoir au ministère, je lui avais indiqué que ce point devrait être poursuivi. Il était notamment question d'un plan batteries. Nous l'avions étudié avec le commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), en identifiant les cinq à six éléments manquants pour assembler une batterie en France. Mme Florence Lambert du Laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (Liten) du CEA en était chargée, car il s'agissait de constituer un approvisionnement ou sourcing et un modèle économique, sous-brique par sous-brique. Or ce projet a été abandonné. Après mon départ du gouvernement, j'ai régulièrement appelé les personnes qui avaient été désignées (chefs d'entreprise, chercheurs). Nous nous heurtions à des problèmes d'arbitrage et de choix technologiques. Nous étions prudents. Ce travail a été abandonné, nous construisons désormais des méga-usines ou gigafactories sous contrôle chinois ou coréen en Europe. Ils détiennent la technologie, la matière première et les filières intégrées.

Nos dirigeants actuels définissent une politique macro-industrielle. La France attire des centres de décisions qui choisissent opportunément notre pays pour s'y implanter. Toutefois, nous n'avons aucun contrôle sur l'avenir, aucune maîtrise de nos dépendances ou de nos indépendances. Or une politique industrielle est une politique de souveraineté.

Cette politique de souveraineté ne pourra être mise en œuvre avec la « start-up nation ». Nous sommes contents de compter sur ces entreprises : elles inventent, elles innovent et il en sortira peut-être quelques innovations sur la nouvelle frontière technologique dans un certain nombre de secteurs. Cependant, il serait pertinent que notre industrie soit adaptée à ce que nous consommons : circuit court, indépendance et souveraineté. L'exemple des masques est emblématique notre échec. L'an passé, nous avons importé des masques sanitaires de la Chine pour une valeur de 6 milliards d'euros. Les petites entreprises qui ont remis des lignes de production en fonctionnement dans ce secteur font aujourd'hui faillite. Les directeurs des achats n'ont pas souhaité payer le prix de la souveraineté. Il s'agissait d'un choix politique que nous devions assumer. Qui plus est, si nous passons une commande de 6 milliards d'euros, nous pouvons bénéficier de prix compétitifs. Il est nécessaire d'utiliser la commande publique groupée à des fins de protection de nos intérêts.

S'agissant de filières dont nous sommes dépendants qui comprennent les produits alimentaires frais et répondent à des questions de santé publique, nous importons 65 % de notre consommation de fruits et légumes. J'ai interrogé un responsable de ce secteur sur la possibilité d'inverser cette tendance. Il m'a répondu qu'il disposait d'un plan d'investissement, mais que ce plan n'intéressait pas les banques. Nous pourrions trouver 100 maraîchers qui augmentent leur capacité de production. Nous savons produire à des prix compétitifs pour reprendre des parts de marché. Il s'agit là d'une question d'investissement.

Dans la plupart des secteurs, nous disposons de la main-d'œuvre et du savoir-faire. Nous savons fabriquer des médicaments alcaloïdes. Pourtant, nous en importons pour une valeur de 10 milliards par an. À ce prix, nous pourrions disposer de cinq usines à même de produire l'équivalent de 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires. De même, il existe beaucoup d'emplois indirects autour de la robotique. Nous sommes capables de produire au prix mondial des produits de masse tels que les principes actifs ou des molécules. Pour cela, il est nécessaire d'accepter d'investir dans des secteurs que nous pensons ne plus être d'actualité.

Un autre exemple concerne les dérailleurs de vélo. Ce produit enregistre aujourd'hui une croissance à deux chiffres en Europe. Le Portugal a créé 50 000 emplois au sein de l'industrie du vélo. Le nœud critique du sous-ensemble du vélo est le dérailleur. Il n'existe qu'un seul fabricant, il se trouve à Taïwan. Pourquoi ne pas reprendre ce type d'industrie ? Nous allons désormais utiliser largement le vélo. Il s'agit de petite mécanique. Nous avons besoin d'une approche produit par produit. Une telle politique industrielle correspond à ce que fait le patronat en Allemagne. Le nôtre s'intéresse à l'impôt sur la fortune (ISF).

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