Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicamenT
Jeudi 25 novembre 2021
La séance est reprise à onze heures.
(Présidence de M. Guillaume Kasbarian, président)
La commission d'enquête procède à l'audition de M. Arnaud Montebourg, entrepreneur, ancien député, ancien ministre de l'Économie, du redressement productif et du numérique.
Nous poursuivons nos auditions en recevant M. Arnaud Montebourg.
Il n'est nul besoin de vous présenter dans ces murs, mais je rappellerai, pour ceux qui suivent nos auditions, que vous avez notamment été avocat, député de la Saône-et-Loire de juin 1997 à mai 2012, président du conseil général de Saône-et-Loire de mars 2008 à juin 2012, puis ministre de l'Économie, du redressement productif et du numérique de mai 2012 à août 2014.
Depuis lors, vous êtes entrepreneur dans l'agroalimentaire ; plus récemment, vous avez annoncé votre candidature à la prochaine élection présidentielle.
Vous connaissez bien le fonctionnement d'une commission d'enquête, pour en avoir été rapporteur.
Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Monsieur le ministre, à lever la main droite et à dire « je le jure ».
M. Arnaud Montebourg prête serment.
Je suis surpris de votre demande et souhaiterais savoir sur quel sujet vous voulez m'interroger. Je serai ravi de répondre à vos questions, mais je n'ai pas de déclaration liminaire à faire à une commission d'enquête dont je ne connais pas les centres d'intérêt, dans ce vaste sujet qui nous intéresse tous.
Les commissions d'enquête constituent un droit de l'opposition qui peut, dans le cadre de son droit de tirage, demander une enquête sur le sujet qu'elle souhaite. Sauf en cas d'enquête judiciaire en cours, il n'y a pas lieu de refuser ce type de demande. En l'occurrence, le groupe Socialistes et apparentés a souhaité utiliser son droit de tirage pour que soit mise en place cette commission d'enquête dont il a choisi le thème et le libellé. Notre commission s'intéresse aux causes de la désindustrialisation de la France, de la chute de la part de l'industrie dans le produit intérieur brut (PIB) français, à l'analyse de ces causes et aux moyens qui permettraient de relocaliser la production industrielle dans notre pays, notamment celle du médicament, mais également celle d'autres secteurs. En effet, l'intitulé choisi ouvre le champ à des investigations sur d'autres types d'industrie.
Vous m'avez demandé de déclarer les éventuels intérêts de nature à influencer mes déclarations. Je ne connais pas ce dispositif. Je travaille pour moi-même et ne suis lié par aucun contrat à aucune autre entreprise que la mienne.
Les causes de la désindustrialisation ont été amplement examinées. Des analyses ont été formulées par de nombreux observateurs de l'économie, des industriels, des cercles de réflexions. Le ministère de l'économie a produit une doctrine rétrospective sur le sujet. La question de la compétitivité est centrale pour analyser le déclin de notre industrie. Il s'agit d'une analyse macro-économique classique. Nous retrouvons ces éléments lorsque nous étudions le déséquilibre de la balance commerciale. Un problème de compétitivité perdure. Ce sujet guide toutes les politiques publiques, de droite comme de gauche.
Les premières mesures ont été engagées il y a trente ans. J'ai souvenir d'un « plan Borotra » mis en place en 1995 pour supprimer les cotisations sociales sur la filière textile. La Commission européenne a alors procédé à des redressements de ces dispositions, ce qui a provoqué des faillites en série. Avec l'arrivée de la Chine dans l'Organisation du commerce en 2001 et l'abaissement des droits de douane, les entreprises textiles ont disparu du territoire national. Désormais, nous importons 95 % des textiles que nous utilisons. Aucune adaptation de l'appareil industriel n'est intervenue, de même qu'aucun investissement dans les secteurs difficiles. A cet égard, le secteur financier est suiviste et non « risqueur ». De plus, nombre d'interlocuteurs dans le secteur financier (banques et fonds d'investissement) ne considèrent pas l'industrie textile comme un domaine intéressant. Les pouvoirs publics suivent et n'y portent pas davantage intérêt.
Aujourd'hui, nous présentons la balance commerciale la plus déficitaire de la zone euro, à hauteur de 85 milliards d'euros. La Roumanie, qui se trouve dans une situation similaire de ce point de vue, a réussi à stabiliser son déficit. L'Espagne et la Grèce ont réduit le leur, tandis que les autres membres de l'Union européenne ont augmenté leur excédent. Nous sommes quatre pays déficitaires en Europe.
Nous connaissons un problème particulier. Il est souvent question de la dette, mais le véritable sujet est celui de la balance commerciale. La balance agricole, qui a toujours été excédentaire sans les vins et spiritueux, est désormais annoncée comme déficitaire.
Dès lors, la question de la compétitivité se pose. Pourtant des mesures ont été prises telles que la réduction des cotisations sur les bas salaires. Cette dernière n'a pourtant profité ni aux salariés, qui n'ont pas obtenu de hausse de salaire, ni aux entreprises, qui ne peuvent bénéficier de cette réduction de cotisations que sur les rémunérations inférieures à 1, 6 fois le salaire minimal interprofessionnel de croissance (SMIC). Or les salaires de ces emplois industriels sont fréquemment supérieurs à cette rémunération. Le rapport Pacte pour la compétitivité de l'industrie française rendu par M. Louis Gallois en 2012 a parfaitement explicité cette question : il indiquait qu'il fallait soutenir les emplois jusqu'à 3 fois le SMIC, car il s'agit d'emplois qualifiés de techniciens rémunérés entre 2 000 et 3 000 euros. Les arbitrages de l'époque n'ont pas donné lieu à une décision de cette nature. Cette politique a perduré sans produire aucun résultat.
Aujourd'hui, les marges faibles que nous déplorions en 2012 se sont consolidées. Certaines entreprises gagnent de l'argent plus facilement que dans la décennie précédente. Nous avons traité les questions de compétitivité, mais notre offre industrielle fait toujours apparaître d'énormes lacunes. Les mesures macroéconomiques ont, certes, été utilisées. Elles ne pourront cependant plus être de la moindre efficacité. Il est donc nécessaire de se tourner vers une politique microéconomique. La politique économique de la France est macroéconomique et conjoncturiste. Elle est dirigée par des énarques qui travaillent sur des agrégats et non par des entrepreneurs. Nos gouvernants n'adoptent pas une approche microéconomique secteur par secteur, produit par produit, filière par filière. Par conséquent, nous déplorons soit une incompétence, soit une absence de politique sur ce sujet.
J'avais essayé de proposer des analyses par produit et métier. Nous avions appelé cette procédure les « 34 plans industriels ». Ainsi dans l'automobile, la conduite autonome constituait un service. Malheureusement, dans les faits, le stop and go de la politique industrielle génère une absence de politique industrielle. Toute politique industrielle digne de ce nom doit pourtant être transpartisane. C'est la raison pour laquelle j'avais repris les propositions de mon prédécesseur et j'aurais apprécié que mon successeur poursuive ma tâche. Dans mon « testament », lors du passage de pouvoir au ministère, je lui avais indiqué que ce point devrait être poursuivi. Il était notamment question d'un plan batteries. Nous l'avions étudié avec le commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), en identifiant les cinq à six éléments manquants pour assembler une batterie en France. Mme Florence Lambert du Laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (Liten) du CEA en était chargée, car il s'agissait de constituer un approvisionnement ou sourcing et un modèle économique, sous-brique par sous-brique. Or ce projet a été abandonné. Après mon départ du gouvernement, j'ai régulièrement appelé les personnes qui avaient été désignées (chefs d'entreprise, chercheurs). Nous nous heurtions à des problèmes d'arbitrage et de choix technologiques. Nous étions prudents. Ce travail a été abandonné, nous construisons désormais des méga-usines ou gigafactories sous contrôle chinois ou coréen en Europe. Ils détiennent la technologie, la matière première et les filières intégrées.
Nos dirigeants actuels définissent une politique macro-industrielle. La France attire des centres de décisions qui choisissent opportunément notre pays pour s'y implanter. Toutefois, nous n'avons aucun contrôle sur l'avenir, aucune maîtrise de nos dépendances ou de nos indépendances. Or une politique industrielle est une politique de souveraineté.
Cette politique de souveraineté ne pourra être mise en œuvre avec la « start-up nation ». Nous sommes contents de compter sur ces entreprises : elles inventent, elles innovent et il en sortira peut-être quelques innovations sur la nouvelle frontière technologique dans un certain nombre de secteurs. Cependant, il serait pertinent que notre industrie soit adaptée à ce que nous consommons : circuit court, indépendance et souveraineté. L'exemple des masques est emblématique notre échec. L'an passé, nous avons importé des masques sanitaires de la Chine pour une valeur de 6 milliards d'euros. Les petites entreprises qui ont remis des lignes de production en fonctionnement dans ce secteur font aujourd'hui faillite. Les directeurs des achats n'ont pas souhaité payer le prix de la souveraineté. Il s'agissait d'un choix politique que nous devions assumer. Qui plus est, si nous passons une commande de 6 milliards d'euros, nous pouvons bénéficier de prix compétitifs. Il est nécessaire d'utiliser la commande publique groupée à des fins de protection de nos intérêts.
S'agissant de filières dont nous sommes dépendants qui comprennent les produits alimentaires frais et répondent à des questions de santé publique, nous importons 65 % de notre consommation de fruits et légumes. J'ai interrogé un responsable de ce secteur sur la possibilité d'inverser cette tendance. Il m'a répondu qu'il disposait d'un plan d'investissement, mais que ce plan n'intéressait pas les banques. Nous pourrions trouver 100 maraîchers qui augmentent leur capacité de production. Nous savons produire à des prix compétitifs pour reprendre des parts de marché. Il s'agit là d'une question d'investissement.
Dans la plupart des secteurs, nous disposons de la main-d'œuvre et du savoir-faire. Nous savons fabriquer des médicaments alcaloïdes. Pourtant, nous en importons pour une valeur de 10 milliards par an. À ce prix, nous pourrions disposer de cinq usines à même de produire l'équivalent de 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires. De même, il existe beaucoup d'emplois indirects autour de la robotique. Nous sommes capables de produire au prix mondial des produits de masse tels que les principes actifs ou des molécules. Pour cela, il est nécessaire d'accepter d'investir dans des secteurs que nous pensons ne plus être d'actualité.
Un autre exemple concerne les dérailleurs de vélo. Ce produit enregistre aujourd'hui une croissance à deux chiffres en Europe. Le Portugal a créé 50 000 emplois au sein de l'industrie du vélo. Le nœud critique du sous-ensemble du vélo est le dérailleur. Il n'existe qu'un seul fabricant, il se trouve à Taïwan. Pourquoi ne pas reprendre ce type d'industrie ? Nous allons désormais utiliser largement le vélo. Il s'agit de petite mécanique. Nous avons besoin d'une approche produit par produit. Une telle politique industrielle correspond à ce que fait le patronat en Allemagne. Le nôtre s'intéresse à l'impôt sur la fortune (ISF).
Vous indiquez qu'il n'existe plus de politique industrielle et que cette dernière est macroéconomique. Or je n'ai pas le sentiment qu'il s'agit du mouvement dans lequel s'inscrit la politique actuelle. Avec le programme Territoires d'industrie, l'industrie est le fer de lance de la politique territoriale tandis qu'elle reçoit les moyens locaux pour investir. Avec le plan France relance, nous avons mis en place un plan de 100 milliards d'euros, dont 30 milliards d'euros sont consacrés à l'industrie en territoire. Il s'agit d'un investissement inédit qui irrigue les territoires. Dans nos circonscriptions, des petites et moyennes entreprises (PME), des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des filières ont pu bénéficier de l'investissement de l'État pour renouveler et moderniser des lignes de production, se lancer dans des filières de recyclage et innover pour être à la pointe de la compétitivité. Le plan France 2030 a également annoncé des investissements industriels pour préparer l'avenir. Vous avez évoqué les gigafactories. Celles-ci constituent une préoccupation du gouvernement. Elles sont au centre de notre politique. Par ailleurs, celle-ci apporte des résultats. Nous avons recréé de l'emploi industriel en 2017, 2018 et 2019. La croissance économique est supérieure à 6 % tandis que le chômage a diminué et se situe à 7,6 %. Des entreprises nous indiquent qu'elles ont du mal à recruter. Je comprends donc difficilement votre diagnostic.
Je comprends votre plaidoyer pro domo et je vous reconnais un talent de présentateur. Le plan de relance dans son volet industriel, en dehors d'un certain nombre de choix effectués, ne fonctionne pas comme il se doit. Il prend la forme d'appels d'offres multicritères et multidécisionnaires. Pour réindustrialiser, il est nécessaire de savoir ce que nous devons et souhaitons produire en France. Or le plan de relance, que j'ai examiné avec des amis entrepreneurs, ne propose pas d'analyse sectorielle et ne témoigne d'aucune volonté engagée et planifiée de reconquérir les parts de marché perdues aux prix mondiaux. Cet élément est laissé au libre jeu du hasard de la rencontre entre des appels d'offres ouverts et sectoriels. Cette mécanique de rencontre entre initiatives privées et propositions publiques ressemble au « jeu de l'amour et du hasard ». J'avais connaissance du cas d'une entreprise qui souhaitait relocaliser. Or nous n'arrivions pas à obtenir un bon niveau de subvention à cause de l'Union européenne. Il s'agissait d'un secteur sans appel d'offres public qui concernait le champ de la sécurité sociale. Nous aurions pu imaginer la mise en place des embryons d'une industrie future, créatrice d'emploi sur les territoires. La bureaucratisation du plan de relance, y compris dans ses aspects positifs, a toutefois affaibli cette entreprise. Votre réponse sur le plan microéconomique est insuffisante. Sur le plan macroéconomique, notre croissance atteint heureusement les 6 % après les pertes essuyées l'an dernier, mais il s'agit d'un rattrapage. La quasi-totalité des pays européens se situe au plein-emploi et compte ainsi entre 3 et 5 % de chômeurs. De notre côté, nous recensons encore 5,5 millions de chômeurs en catégories A, B et C. Quant aux chômeurs de longue durée, ils sont plus nombreux qu'avant la crise.
La tension dans l'industrie existe depuis longtemps. Les dirigeants d'entreprise industrielle indiquent proposer de bonnes rémunérations sans attirer de candidats. Dans l'agriculture, le problème se pose également. Il n'existe pas de politique d'immigration économique assumée, alors que de nombreux secteurs tels que celui de l'agriculture requièrent un système clair à ce sujet. Il existe 57 métiers en tension avec des emplois non pourvus. Nous sommes moins doués que nos amis et partenaires européens. La directive européenne (UE) 2018/957 du 28 juin 2018 sur les travailleurs détachés, qui s'apparente à mon sens à du dumping social à domicile, représente 500 000 emplois dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics (BTP) et des transports. Elle montre que nous n'avons pas su gérer l'évolution des compétences. À ce sujet, le plan de relance comporte un volet utile : les compétences. La réforme de la formation professionnelle de 2018 est consumériste et ne règle pas le sujet. Nous allons faire face à de tensions fortes sur tous ces sujets.
Je suis issu du monde de l'entreprise, je raisonne au niveau microéconomique. J'ai effectué le tour de ma circonscription, dans l'Eure-et-Loir, en vélo, pour rencontrer les industriels qui ont bénéficié du plan France relance. Il s'agit de centaines de milliers d'euros qui ont irrigué le territoire, dans l'aéronautique, l'électronique… Sans France relance, certaines entreprises de l'aéronautique ou de l'automobile n'auraient pas pu survivre. La procédure et les appels d'offres sont accessibles. Nous ne raisonnons pas uniquement au niveau macroéconomique. Vous avez été député, vous savez que nous allons dans notre circonscription et que nous étudions les effets de la politique sur le terrain. Je constate que des entreprises du territoire ont bénéficié de France relance rapidement, ce qui a permis d'augmenter leur compétitivité.
Mon discours n'est pas un plaidoyer d'autosatisfaction. Je me base sur les résultats afin d'évaluer. Depuis 2017, nous avons recréé de l'emploi industriel. À l'inverse, lors du quinquennat 2012-2017, le taux de baisse de l'emploi industriel est demeuré constant. Aucune création d'emplois industriels n'a eu lieu pendant ces cinq années. Notre politique industrielle crée des emplois industriels.
Je suis d'accord avec vous s'agissant des résultats du plan de relance. Mon propos concerne la relocalisation de produits critiques et semi-critiques pour lesquels une nation a besoin de retrouver son indépendance. Il en existe 60. Je ne pense pas que le plan de relance soit orienté de cette manière. Il a effectivement aidé des entreprises. Cependant, il ne fonctionne pas sur la relocalisation. Nous savons ce que nous devons au prêt garanti par l'État (PGE). Lors de la crise de 2008-2009, j'ai créé une banque sur signature du Premier ministre. En 2012 et 2013, nous avons connu un retour de crise. Nous avons perdu de l'emploi industriel en raison de la rechute de crise. Sur le plan macroéconomique, la période était très difficile. À l'époque, l'État a pris la place des banques. Il s'agissait d'une mesure proche de celle du PGE. Je distinguerai donc les sujets que nous abordons.
Mon critère concerne la balance commerciale. S'améliorera-t-elle dans les années à venir ? Je ne pense pas que le plan de relance y contribuera.
Un point me semble important : la place de la représentation des salariés dans les organes de gestion des entreprises privées. Cet élément figurait dans le rapport Gallois. Avez-vous le sentiment d'une amélioration depuis la publication de ce rapport ? Serait-ce un facteur de meilleure performance et de compétitivité de nos entreprises ?
Je le crois volontiers. Il s'agirait d'une amélioration significative. Des salariés qui participent à la gestion de l'entreprise, qui connaissent le terrain, voient les difficultés et ont une approche humaine et concrète ne peuvent que représenter une contribution bénéfique pour une entreprise. Dans certaines sociétés comme Orange, les salariés actionnaires détiennent une part élevée du capital. Les salariés y jouent un rôle très actif comme actionnaires dans les organes de gestion de l'entreprise. Il ne s'agit pas d'une cogestion, mais d'une contribution particulièrement active avec des salariés formés aux perspectives de l'entreprise. Ces derniers décryptent et travaillent sur toutes les filiales. J'ai assisté à plusieurs assemblées générales des actionnaires salariés d'Orange pour échanger avec eux. Il existe un syndicat majoritaire qui joue un rôle important. Indépendamment de la syndicalisation, ce sont d'abord des salariés qui participent de la pérennité, de l'outil de travail et des perspectives. Le conseil d'administration ne peut pas agir comme il le souhaite. Les décisions de fusions et d'acquisitions sont dès lors prises différemment. Les choix d'investissement ne sont pas non plus les mêmes. Les choix de rémunération du capital font l'objet de négociations, d'un arbitrage entre salaires et dividendes. Toutefois, l'intérêt social de l'entreprise est préservé et renforcé.
Une loi permet d'intégrer, dans les entreprises de plus de 5 000 salariés, un certain pourcentage d'entre eux au conseil d'administration. Néanmoins, nous comptons peu d'entreprises de plus de 5 000 salariés sur le sol français. Un accord est nécessaire sur le partage de la rétribution du capital, la présence dans les conseils d'administration et une meilleure rémunération par l'intéressement, au fonctionnement de l'entreprise. L'Allemagne et les pays du nord de l'Europe ont conservé une industrie parce que l'alliance entre le capital et le travail fonctionne au quotidien. Le territoire et l'outil de travail subsistent.
La France est-elle capable d'imiter ce processus ? Il me semble que oui. Il existe un désir de participation accrue. Je suis partisan d'une parité. Dans une entreprise comme Renault où l'État est actionnaire, mais absent, il existe deux administrateurs indépendants au sein du conseil, tandis que les autres membres de cette instance sont des amis du président qui ont été cooptés. M. Carlos Ghosn a réussi à propulser l'alliance Renault-Nissan en tant que numéro un mondial en termes de volumes de véhicules produits. Si des salariés avaient siégé à parité au sein du conseil d'administration, la stratégie aurait davantage été modérée sur le plan mondial, mais les usines seraient moins dégarnies. J'ai souvenir d'une négociation qui aurait dû avoir lieu dans le cadre du conseil d'administration. Les organisations syndicales, M. Carlos Ghosn et son directeur des ressources humaines bataillaient pour savoir si l'accord de compétitivité qui allait être signé et permettait de rapatrier la fabrication de 300 000 véhicules Renault dans les usines françaises pouvait faire l'objet d'une mesure « au trébuchet » sur la répartition de la nouvelle Clio 4 entre l'usine de Bursa en Turquie et celle de Flins. L'accord a abouti, le groupe a embauché 5 000 personnes. Ce type de négociation, que j'ai imposé lorsque j'étais au gouvernement, correspond au travail du dialogue social dans l'entreprise. Je suis favorable à un système permettant aux salariés d'avoir du poids dans les décisions de l'entreprise. Les syndicats Force ouvrière (FO), la Confédération générale des cadres (CGC) et la Confédération française démocratique du travail (CFDT) avaient signé l'accord. Seule la Confédération générale du travail (CGT) s'était abstenue sans se déclarer opposée. Cela représentait 65 à 70 % des salariés. Il s'agissait d'un accord économique, social et industriel.
Faut-il abaisser le seuil que vous évoquez et rendre cette présence obligatoire la présence des représentants des salariés dans les conseils ? Quel seuil pourrions-nous fixer ?
Je ne le considère pas comme une mesure technique, mais comme un compromis politique et social alors que le pays va très mal. Pour moi, Mme Marine Le Pen est aux portes du pouvoir. On peut cependant penser comme M. le président que le pays va très bien. De son côté, le ministre de l'Économie a indiqué qu'à chaque usine qui ferme, c'est une permanence du Rassemblement national (RN) qui ouvre. J'ai fermé de nombreuses usines et j'ai pu constater la montée en puissance du Front national. Ce fut le cas pour l'usine ArcelorMittal de Florange. Je parle d'un compromis politique.
Je vous ai rappelé les chiffres précis de création d'emplois industriels. Le sujet ne concerne pas Mme Marine Le Pen. Vous avez une liberté de ton. Vous m'interpellez, je réponds à cela.
Nous sommes dans une période très difficile, nous devons construire un compromis social et économique visant à la réconciliation des forces qui se combattent alors même qu'elles ont intérêt à s'unir autour de la reconstruction de l'économie. Je ne pense pas que des mesures législatives soient nécessaires. Il me semble qu'une grande construction politique est essentielle au regard du débat politique qui commence. Nous avons conscience des périls qui nous attendent. Un choix politique doit être opéré par le pays afin d'unir les forces autour de l'outil économique et de consentir des concessions réciproques. Je défends cette idée comme un moyen de reconstruction nationale.
Un des facteurs de désorganisation du tissu industriel français fut la mise en place des 35 heures. Quel est aujourd'hui votre regard sur cette loi et le partage du temps de travail ?
J'étais parlementaire lorsque les deux lois instituant les 35 heures ont été votées. La première loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail sur les grandes entreprises a été assimilée. La seconde loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail concernant de plus petites entreprises a été plus difficile à intégrer, car elle nécessitait de trouver des quarts de temps sur des effectifs réduits.
Cette loi a eu trois conséquences : la flexibilisation, l'annualisation et la modération salariale. Dans les usines à cadence, les gains de productivité ont été importants. En conséquence, les conditions de travail se sont dégradées. Dans mon ancienne circonscription, les usines agroalimentaires qui comptaient beaucoup d'emplois ont connu une multiplication par trois de la productivité. Toutefois, les salaires n'ont pas augmenté et les salariés considéraient que le tort en revenait à la loi sur les 35 heures. Une partie de la classe ouvrière a fait savoir qu'elle avait besoin de ces augmentations de salaire. Pourtant, la modération salariale est la variable qui a permis de rendre possible cette évolution qui, en soi, constitue un progrès même si elle a profité davantage aux cadres.
La question des 32 heures arrive aujourd'hui en débat en Espagne où les bas salaires ont bénéficié d'une augmentation de 27 % en cinq ans. La question d'une contrepartie se pose et selon moi, il s'agit de la modération salariale. Dans la grave crise de pouvoir d'achat que traverse le pays, ce sujet heurte la grande masse de la population qui n'arrive plus à vivre de son travail. Parmi les causes d'une telle situation, nous pouvons évoquer l'augmentation des prix de l'énergie, de l'alimentaire et la stagnation des salaires (le point d'indice des fonctionnaires est gelé depuis onze ans).
Nous avons fermé des usines. J'avais été reçu avec des organisations syndicales par votre ministère. L'humilité est nécessaire par rapport à l'industrie et à la création de l'emploi. Vous évoquez de nouveaux projets. Le pays se désindustrialise depuis trente ans. Nous sortons d'une crise terrible pour l'économie. La crise des années 2012 et 2013 est une réplique de celle de 2008. Pourquoi n'avons-nous pas alors mobilisé un plan de relance comme celui que nous utilisons aujourd'hui ? Vous indiquez également qu'il serait essentiel de fabriquer des masques en France. Or en 2008, le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale évoque un risque nouveau : la pandémie. Pourquoi n'avons-nous pas créé d'entreprises à cette époque ? M. le président l'a précisé : on constate des créations d'emplois industriels. Pourquoi n'avons-nous pas anticipé un grand plan de relance de l'industrie dès 2012 ?
Je vous renvoie aux 34 plans industriels qui étaient un programme microéconomique. Il s'agissait de filières pilotées par les entreprises avec un financement public et privé. Ce plan avait mobilisé en son temps le programme d'investissements d'avenir (PIA) et les financements privés. Ces 34 plans sont publiés sur Internet. Ils concernent tous les secteurs et notamment des éléments qui font défaut aujourd'hui. Ces choix politiques ont été opérés, mon successeur y a mis fin. Il m'a été reproché le nombre de ces plans. Or, désormais, il existe 60 produits à reconstituer.
Je suis surpris de l'accélération de la destruction des grands groupes. Pendant les mandats présidentiels de Jacques Chirac, Arcelor et Péchiney ont périclité. Sous la présidence de François Hollande, Alstom, Technip, Lafarge et Alcatel ont rencontré des problèmes. Pendant le mandat d'Emmanuel Macron, l'entreprise Suez s'est retrouvée en difficulté. Je ne comprends pas pourquoi lorsque deux entreprises détiennent 5 % du marché mondial, l'une absorbe l'autre. Les organisations syndicales qui ont déposé des plaintes contre l'actuel secrétaire général de l'Élysée ont pointé du doigt un certain nombre de problèmes.
Pourquoi avons-nous vendu à la découpe ? Nous disposons des outils juridiques pour bloquer ce type de vente. À l'issue de la commission d'enquête parlementaire sur les décisions de l'État en matière de politique industrielle notamment dans le cas d'Alstom, le député M. Olivier Marleix, qui présidait cette commission dont M. Guillaume Kasbarian était rapporteur, a effectué un signalement au procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Il dénonçait, dans l'affaire Alstom, les profits réalisés à travers des honoraires de banques d'affaires et de frais d'avocat qui ont ensuite financé la campagne du Président de la République. Le pôle financier dispose d'une équipe qui traite ce genre de signalements.
Ce signalement dans le cadre de l'article 40 du code de procédure pénale n'a débouché sur rien. Vous connaissez suffisamment bien les rouages parlementaires pour savoir qu'il peut s'agir d'une attaque politique.
Lorsque j'ai mis en œuvre ce type de signalements, ils ont toujours abouti.
J'entends et je suis d'accord avec la volonté de conserver la production d'éléments d'usage fréquent. Je suis issu du secteur de la santé. Ces trois dernières années, deux innovations, l'édition des génomes et plus récemment la thérapie par acide ribonucléique (ARN), constituent des innovations de rupture qui vont changer la donne. En amont d'une innovation intervient la recherche. Or, entre 2011 et 2018, le budget de la recherche a baissé de 30 %. Nous en subissons les conséquences. Je suis un acteur de la recherche, ballotté entre le ministère de l'éducation et celui de l'innovation et de la recherche. Que feriez-vous de la recherche ? Quel moyen lui donnons-nous ?
La recherche publique est descendue très bas. Un pays sans crédit pour la recherche ni investissement public n'obtient pas de résultats. La mécanique d'austérité budgétaire, qui a touché la recherche et l'enseignement supérieur, a montré ses limites et son caractère contre-productif. Il est nécessaire de retrouver des niveaux d'investissement en recherche publique et impératif de cesser de transformer les chercheurs en prospecteurs de budget. Une modification des montants et de la méthode est primordiale. Il s'agirait de donner un budget à chaque secteur.
Concernant la recherche privée, un débat existe depuis longtemps au Parlement. Je suis favorable au crédit d'impôt recherche (CIR). Pour déconnecter la recherche et son financement, je recentrerais le CIR sur la recherche appliquée à des sites de production industrielle. Nous savons aujourd'hui que la recherche et les laboratoires de R&D n'ont que peu de chances de déboucher sur un résultat, s'il n'existe pas parallèlement des lignes de production pour mettre en application leurs découvertes. Une interaction permanente est nécessaire. De nombreux CIR financent des lieux de production basés à l'étranger. Nous devrions mettre des conditions de réunification entre la production et la recherche. En revanche, certains secteurs n'ont pas besoin de CIR : c'est le cas du secteur financier par exemple qui dégage beaucoup de profits.
Vos propos comportent beaucoup de contre-vérités. Je vous invite à examiner ce qui a été effectué depuis 2017. Nous avons agi dans le cadre de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite loi « PACTE » envers la présence de représentants des salariés dans les conseils d'administration. Les procédures ont évolué en accord avec les partenaires sociaux et le patronat. Nous pouvons agir d'un point de vue législatif. Concernant la recherche, la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance, dite « loi ESSOC » et la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique, dite « loi ASAP », ont donné aux administrations la possibilité d'œuvrer plus simplement, en prenant davantage de responsabilités. J'y ajouterai les différents projets de loi de finances (PLF) ou la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur , avec lesquelles nous avons relancé le secteur de la recherche.
S'agissant du CIR, nous disposons d'un excellent rapport d'information de la commission des Finances du 21 juillet 2021 sur l'application des mesures fiscales rédigé par notre collègue, M. Francis Chouat. Vous avez ainsi matière à vous informer sur les actions effectuées depuis cinq ans. Nous avons redonné des moyens à la recherche et à l'industrie. Vous avez évoqué vos 34 plans de filière. Nous avons recomposé les filières avec le Conseil national de l'industrie et les comités stratégiques de filières. Elles sont au nombre de 19. Elles sont copilotées par des industriels et le gouvernement.
Votre vision de la souveraineté et de la relocalisation correspond à une forme d'autarcie. C'est ce que prône Mme Marine Le Pen qui vous imagine ministre de l'économie de son gouvernement.
La souveraineté consiste à savoir de quoi nous avons besoin et comment nous le procurer en assurant des réseaux au niveau européen. Sur la relocalisation, vous indiquez qu'il est nécessaire de regagner des parts de marché perdues. Quel est l'enjeu lorsque ces produits sont moins chers ailleurs ? N'est-il pas préférable de localiser des industries d'avenir ou de relocaliser certains processus quand nous en avons la possibilité ? C'est notamment le cas pour Seqens qui produira du paracétamol en Isère, à coût constant ou inférieur. En effet, il existe un nouveau procédé issu de la recherche et du CIR. Ne pensez-vous pas qu'il serait nécessaire de s'intéresser à la localisation des projets d'avenir plutôt que de reprendre des productions pour lesquelles nous serons moins compétitifs ?
Mon sujet n'est pas l'autarcie, mais notre déficit commercial de 85 milliards d'euros. Nous devons remonter l'industrie de 5 points de PIB dans la richesse nationale pour repasser devant le Royaume-Uni et l'Espagne. Cela représente 75 milliards de chiffre d'affaires à relocaliser. Ceci correspond à peu près au déséquilibre de notre balance commerciale et aux 60 produits critiques. Il s'agit d'entreprises que nous aurions pu conserver. Depuis la crise, nous n'avons jamais défendu nos outils industriels. Il ne s'agit pas de reprendre des parts de marché sans être compétitif, mais d'atteindre le prix mondial. Aujourd'hui, le processus productif pose la question du coût de la main-d'œuvre puisque la robotique occupe une plus grande place. Le prix de l'énergie sera également central. Nous devons conserver le nucléaire. Ces trois éléments de compétitivité nous permettront de reprendre des positions et la production de certains produits au prix mondial.
Il n'existe pas de secteurs d'avenir et de secteurs du passé. Je n'aborderai pas la question autrement qu'au travers de celle de la micro-économie du produit. J'ai évoqué l'exemple du dérailleur, car il s'agit d'une commodité à laquelle personne ne s'intéresse. Pourtant, cette production nécessite du contenu technique, de la recherche et du développement. Si nous pouvons le fabriquer en France au prix mondial pourquoi ne pas le faire ? Ma proposition est pratique. Selon moi le plan de relance n'est pas orienté de cette manière. Il est construit en fonction des demandes des entreprises existantes. Certaines ont de bonnes idées, d'autres avaient besoin d'être soutenues. Toutefois, il n'existe pas de vision stratégique dans les entreprises existantes. L'État et les industriels doivent concevoir des entreprises. Nous devons utiliser la commande publique. Il s'agit pour moi d'un travail lourd.
Lorsque vous positionnez le débat en parlant de produits du passé, vous vous trompez. Il ne s'agit pas de tout produire puisque nous exportons. L'enjeu est de rééquilibrer les termes de notre échange avec le reste du monde.
Les études réalisées par Accenture fournissent des indices de potentialité de relocalisation.
Vous me demandez mon avis ; je vous le donne.
Vous avez évoqué la souveraineté. Je souhaite vous interroger sur Manoir Industries, groupe créateur de pièces métalliques de haute performance. Il s'agit d'une entreprise stratégique. En octobre 2012, un accord a été signé avec le chinois Yantai Taihai pour lui vendre cinq usines qui employaient 2 500 personnes. À l'époque, le ministre chargé des Transports s'y était opposé. En décembre 2012, vous avez autorisé cette vente. Rétrospectivement, regrettez-vous ce marché ?
Je ne me souviens plus des détails. Il me semble que nous ne disposions pas des outils financiers que j'ai fait constituer ensuite. À cette époque, je passais mon temps à fermer des papeteries et des usines. Nous faisions face à une réelle hémorragie. J'en parle dans mon livre. Je me souviens des débats internes relatifs à Manoir Industries. Il me semble que nous n'avions pas d'autres solutions.
Je ne peux pas vous répondre. Faut-il donner des outils industriels aux Chinois ? Ma réponse est : le moins possible. Le sujet s'est posé pour tous les outils industriels. À cette époque, nous n'avions pas de décret de blocage et nous ne pouvions donc pas bloquer les investisseurs étrangers. La Garde des Sceaux de l'époque Mme Christiane Taubira et le Gouvernement avaient décidé de nous interdire d'aller dans les tribunaux de commerce. Il m'a fallu batailler en indiquant que nous demandions au procureur de défendre une position au nom du gouvernement dans le cadre d'une faillite. J'ai obtenu que le commissaire ou le ministre du Redressement productif puissent envoyer une lettre lue au sein du tribunal de commerce. Nous avons construit tous les outils de souveraineté.
À cette époque, il existait une solution alternative avec ArcelorMittal qui était disponible. Une discussion a ensuite eu lieu et le partenaire chinois a été choisi. Or, quelques années plus tard, Manoir Industries s'est retrouvé en grande difficulté à cause d'un imbroglio financier avec son partenaire chinois. Il a fallu que la délégation interministérielle aux restructurations d'entreprises intervienne pour sauver les salariés, car l'investisseur chinois était dans une situation catastrophique.
Je vais essayer de revenir huit ans en arrière pour vous répondre. En 2012, nous manquions d'investisseur. Les usines fermaient. Nous n'avions pas de capital disponible entre les mains de l'État. Les investisseurs privés en profitaient. Cette période était très difficile. Je vais essayer de savoir pourquoi ce choix a été opéré.
Je ne connais pas la raison de cette décision. Il ne s'agit pas d'une question rhétorique.
Vous êtes favorable à des conditionnalités pour les aides accordées par l'État. Vous avez évoqué les filières. Comment recréer ce consensus national autour d'un objectif de politique industrielle que vous appelez de vos vœux ?
Je suis entré dans cette campagne présidentielle pour cette raison. Je souhaite organiser le débat autour d'orientations innovantes. Il existe un désaccord culturel dans ce pays. Les libéraux, malgré le « quoi qu'il en coûte », la suspension des règles européennes relatives aux aides d'État et la dureté des temps économiques post-Covid-19, restent réticents à l'intervention de l'État dans les affaires économiques. Certains considèrent la question de la reconstruction de l'appareil productif comme un sujet d'intervention politique. Or il s'agit également de compétence, de délicatesse, d'humilité. Il est essentiel d'assumer les réussites et les échecs. Un financement public à ce niveau d'intervention peut entraîner des crashs pour lesquels vous serez critiqué. Le déséquilibre du débat ne permet pas de trouver un compromis politique majeur. L'enjeu est de réunifier la nation autour de son appareil productif, industriel, agricole, serviciel, numérique. Ce processus requiert un diagnostic partagé. Je ne pense pas que le travail ait été réalisé ainsi que le pense M. le président.
Mme Cendra Motin a indiqué que j'étais protectionniste et autarciste. Mme Marine Le Pen n'est pas la seule à m'avoir proposé d'être dans son gouvernement.
Essayons de supprimer la couche politique malsaine de ce débat et de revenir aux fondamentaux. Sur le plan industriel, nous sommes dépendants. Il faut trouver les termes d'un rapprochement des positions politiques y compris avec ceux qui sont hors du champ de la politique gouvernementale. Il est nécessaire de partager le diagnostic, de ne pas se contenter des recettes éculées et d'intégrer des personnes issues de l'entreprise qui ont une approche entrepreneuriale. Je plaide pour une rencontre politique avec des forces qui se combattent. Ensuite, il sera nécessaire de cumuler la reconstruction nationale et le progrès social. Se posera alors la question de la démocratie dans l'entreprise et celui du partage. Si l'effort est commun, le partage et les échecs nous concernent tous.
Pour moi, il s'agit d'un accord de forces politiques droite-gauche ; d'un échange de concessions réciproques. Le compromis peut être une réalité.
Cela signifie que vous envisagez une grande loi d'orientation industrielle en début de mandat ?
Je ne sais pas qui sera le président ou la présidente de la République en avril 2022. Je pense qu'il est nécessaire de construire une politique nationale sur dix à quinze ans, c'est-à-dire un effort national impliquant toutes les forces du pays. Il s'agit d'un accord entre forces politiques. Nous devons lutter ensemble dans une part de compromis politique. C'est déjà arrivé dans notre histoire. Le débat actuel est significatif : vous êtes satisfaits de vos agrégats macroéconomiques. Je vous indique que nous sommes en situation difficile sur le plan microéconomique. Avec une balance commerciale de cette nature, comment un pays peut-il peser au sein de l'Union européenne ?
Pensez-vous qu'il soit nécessaire de reconstruire un grand ministère de l'industrie et de l'enseignement supérieur ? Nous n'avons pas abordé la question de la politique européenne.
Il est nécessaire de concentrer les pouvoirs. La question de l'industrie doit revenir au Premier ministre ou au vice-premier ministre. Il s'agit de débureaucratiser l'État. Ce pays est bloqué. Je ne lis pas assidûment Gaspard Koenig, mais je vous recommande son ouvrage Simplifions-nous la vie. J'ai participé à l'échec du choc de simplification du précédent président de la République, François Hollande. Je serai d'avis que soit nommé un vice-premier ministre qui s'occuperait de débureaucratisation, d'effectuer la jonction entre la formation professionnelle, la recherche, l'industrie et l'agriculture. La formation professionnelle et la recherche fonctionnent ensemble. L'enjeu est d'éviter les divisions ministérielles. Il s'agit de constituer un « Chevènement augmenté ».
Je vous propose de compléter nos échanges en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez utiles à la commission d'enquête et en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé, il y a quelques jours pour préparer cette audition.
L'audition s'achève à douze heures trente.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament
Réunion du jeudi 25 novembre 2021 à 9 heures 30
Présents. – M. Frédéric Barbier, M. Philippe Berta, M. Bertrand Bouyx, M. Guillaume Kasbarian, M. Gérard Leseul, Mme Cendra Motin
Excusée. – Mme Véronique Louwagie