Intervention de Thomas Courbe

Réunion du jeudi 25 novembre 2021 à 14h30
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Thomas Courbe, directeur général des entreprises (DGE) :

Je vous remercie pour votre invitation tant le sujet qui nous occupe aujourd'hui est important et tant l'ambition de retrouver une industrie forte, créatrice d'emploi et de qualité dans tous les territoires fait partie des priorités de notre action économique. Les principales actions de politique publique menées pour répondre à l'enjeu de la désindustrialisation et à l'objectif de réindustrialisation concernent d'une part les conditions-cadres essentielles pour le développement de l'industrie et d'autre part les objectifs de souveraineté économique, de transition écologique et de transformation numérique de nos entreprises. L'Union européenne (UE) dans son ensemble, à la fois la Commission européenne et les États membres, a évolué sur ce sujet et montre des orientations très proches de nos vœux. La stratégie de politique industrielle de l'UE publiée le 5 mai 2021 témoigne d'un très fort alignement conceptuel avec nos orientations de politique économique.

Les conditions-cadres doivent être propices au développement de l'activité économique en général et en particulier de l'industrie. Au niveau européen, nous agissons en faveur de règles de concurrence équitables, claires et visant une équité de traitement en particulier avec les entreprises des pays tiers. Le futur règlement sur les subventions étrangères illustre cet enjeu. Il doit permettre de corriger au niveau européen les situations de concurrence inéquitables avec des entreprises de pays tiers qui bénéficient de subventions. Un autre exemple concerne la production de batteries, qui a connu des résultats assez spectaculaires ces dernières années en Europe. Nous sommes favorables à l'adoption à l'échelle européenne d'un projet de règlement permettant de contrôler le contenu carbone des batteries, puis de pénaliser les batteries importées dont le contenu carbone excéderait certaines limites. Les batteries produites en Europe sont particulièrement performantes en termes de contenu carbone. Les futures discussions sur les marchés publics au niveau européen représentent un dernier exemple de levier permettant le développement de l'industrie.

L'enjeu des conditions-cadres du développement de l'industrie apparaît également au niveau national. Ces dernières années, un certain nombre de réformes favorables au développement de l'industrie ont été entreprises en matière fiscale, sur le plan du marché du travail et de la formation professionnelle. L'impôt sur les sociétés et la baisse des impôts de production ont un impact important sur la compétitivité de l'activité industrielle en France. Il existe d'autres leviers dans ces conditions-cadres, tels que la valorisation du « fabriqué en France » ou encore la mobilisation de l'achat privé. Nous menons également des actions avec le conseil national des achats en faveur de la valorisation du fabriqué en France et de la mobilisation de l'achat privé.

Le sujet des compétences est particulièrement d'actualité. Avant la crise, il représentait le premier frein au développement de l'activité des entreprises industrielles. Des tensions importantes sur les compétences apparaissent à nouveau. Nous menons des actions sur la dimension macroéconomique avec le plan d'investissement dans les compétences ou la loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel. Des actions spécifiques à l'industrie sont également entreprises. Nous sommes en pleine semaine de l'industrie. Une action de communication spécialement dédiée aux jeunes à travers une campagne sur un réseau social doit contribuer à combattre les clichés sur le travail dans l'industrie partagés par un certain nombre de jeunes et leurs familles et à redonner de l'attractivité à ce secteur.

Le second volet de nos actions concerne trois grands enjeux de la politique industrielle.

Le premier consiste à mettre en place une politique pour assurer notre indépendance stratégique. La crise de la Covid-19 a mis en exergue les enjeux d'approvisionnement et d'indépendance. Le concept révolutionnaire d'autonomie stratégique est aujourd'hui accepté, y compris au niveau européen. L'industrie européenne et française doit garantir l'approvisionnement de l'économie et plus globalement du pays dans les biens les plus critiques essentiels à son bon fonctionnement. Il s'agit d'un enjeu de résilience, mais également de positionnement de l'industrie dans les secteurs d'avenir. Ces derniers sont de deux natures. Les premiers sont des secteurs qui jouent déjà un rôle important dans l'économie du pays, mais qui subissent des transitions importantes. Il s'agit notamment des secteurs de l'automobile et de l'aéronautique, bouleversés par la transition écologique, ou de l'industrie spatiale impactée par l'arrivée de nouveaux acteurs sur le marché. Les seconds secteurs sont des marchés presque entièrement nouveaux, mais qui seront très structurants à la fois pour la souveraineté, comme le marché de l'hydrogène ou des batteries qui n'existait pas encore en Europe. Il est essentiel de positionner notre industrie de manière à assurer notre indépendance stratégique et à garantir la capacité de l'Europe à fournir ses besoins principaux. Dans le domaine de la santé, la crise a montré la nécessité de répondre aux besoins des citoyens et de pouvoir assurer le bon fonctionnement de la société.

Cette politique industrielle a pour nouveauté d'être dotée d'une déclinaison européenne. Dans certains secteurs, une véritable politique industrielle européenne a été établie pour la première fois. Les États membres s'organisent pour créer des chaînes de valeurs nouvelles en Europe de manière cohérente et en mobilisant, dans le cadre de dérogations au régime habituel des aides d'États, des financements publics. Le secteur des batteries a produit de belles réussites depuis le premier projet franco-allemand et une véritable chaîne de valeur de la batterie se développe en Europe.

Quatre autres grands projets d'alliances industrielles européennes seront très prochainement lancés. Le premier concerne l'hydrogène, un secteur essentiel à la transition économique et à la mobilité propre. Le deuxième est l'électronique, jugé stratégique par les grandes puissances économiques. Les pénuries sur les semi-conducteurs en ont révélé l'intérêt pour notre autonomie stratégique. La santé est le troisième projet et soulève des enjeux d'innovation et de capacité de production en Europe. Le cloud représente enfin la quatrième grande politique industrielle européenne, qui vise à doter les acteurs européens des capacités autonomes et souveraines pour l'informatique en nuage ou cloud.

Le deuxième enjeu est la transition écologique de l'industrie. L'industrie est d'abord la solution pour la transition écologique de l'économie en général. En premier lieu, le mix électrique est extrêmement décarboné en France. La localisation de l'industrie en France permet d'obtenir dans quasiment tous les cas un meilleur bilan carbone. L'industrie représente par ailleurs la solution pour la transition écologique en permettant par exemple la décarbonation des mobilités dans le secteur automobile. Il existe en outre un enjeu de décarbonation de l'industrie, qui représente 18 % de la totalité des émissions. Nous avons établi avec les principales filières qui émettent 60 % des émissions totales de l'industrie des stratégies communes de décarbonation, reposant sur des engagements réciproques. Dans le cadre du plan France Relance, nous avons financé 141 projets concrets de co-investissement pour décarboner la production. Ces projets permettront d'éviter 2,8 millions de tonnes carbone équivalentes chaque année. Lors de la présidence française de l'Union européenne, l'enjeu résidera dans la négociation de tous les textes liés au paquet « Fit for 55 » – « Ajustement à l'objectif 55 » présenté en juillet 2021 par la Commission européenne. Il comprend 12 textes importants pour accélérer la transition écologique de l'Union européenne, et en particulier le mécanisme carbone aux frontières, un outil essentiel de la décarbonation européenne.

Le troisième enjeu concerne la transition numérique, en préparation de l'industrie du futur. Notre politique industrielle porte des objectifs de compétitivité pour lesquels les nouvelles solutions de l'industrie du futur jouent un rôle essentiel. Plusieurs actions ont été déployées sur ce sujet. À partir de 2018, un ensemble d'accompagnement de petites et moyennes entreprises (PME) a été lancé, dans le cadre d'un programme établi et cofinancé avec les régions apportant des diagnostics, des conseils et des plans de numérisation pour des PME industrielles françaises. 3 000 d'entre elles en ont déjà bénéficié. Dans le cadre de France Relance, une aide à l'investissement a permis d'accélérer la numérisation des PME industrielles françaises. 7 800 projets ont été financés dans ce cadre pour un total de 3 milliards d'euros d'investissement, portés à 70 % par des entreprises de moins de 50 salariés. Près d'une entreprise industrielle sur quatre aura engagé une étape de numérisation de son outil de production grâce à ce soutien, y compris les plus petites d'entre elles qui sont les moins bien armées pour engager ce types d'investissement et pour cette transformation. La ministre annoncera prochainement des plateformes d'accélération vers l'industrie du futur, qui matérialisent dans les régions et territoires des solutions concrètes pour les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Dans le cadre du plan France 2030, une étape d'approfondissement de la numérisation de l'industrie permettra d'avancer dans la numérisation profonde, dite 4.0, d'un certain nombre d'entreprises industrielles. Elles en tireront un bénéfice accru de compétitivité et d'efficacité. Nous souhaitons que ces grandes transitions soient accompagnées par l'adoption des entreprises qui se transforment de solutions et d'offres françaises. Un contrat de filière pour l'industrie du futur a été signé en septembre 2021 ; France 2030 permettra de financer le développement de cette offre d'innovation.

L'investissement, y compris financier, de soutien à l'industrie que nous avons réalisé dans le cadre du plan France Relance et que nous réaliserons dans le plan France 2030 doit s'accompagner d'une politique de sécurité économique renforcée. Une protection plus importante de ces actifs est nécessaire. Nous avons beaucoup renforcé ces dernières années le dispositif juridique, organisationnel et financier de sécurité économique qui doit protéger nos entreprises, notamment celles dont le contenu technologique ou l'importance est stratégique.

Les résultats de ces politiques et de ces actions sont déjà visibles. Le nombre de sites industriels est en augmentation. L'emploi salarié dans l'industrie a également augmenté de façon presque linéaire depuis le début du quinquennat pour un total de 30 800 postes supplémentaires. Le taux de marge de l'industrie s'est fortement redressé. Malgré un arrêt pendant le second semestre 2020, le taux de marge au deuxième trimestre 2021 a atteint 42,8 %, soit un niveau supérieur à la période ayant précédé la crise. Les créations d'entreprises dans l'industrie ont connu une croissance importante. 1 800 créations étaient comptées au milieu de l'année 2017, contre 3 200 au début de l'année 2020. La défaillance industrielle a baissé. Ernst & Young, qui classe chaque année les pays européens et entourant l'Europe en fonction de leur attractivité pour les investissements industriels, place pour la deuxième année consécutive la France au premier rang des pays européens sur l'investissement industriel avec 341 projets, soit plus que la somme des projets au Royaume-Uni, en Allemagne et en Espagne.

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