Intervention de Philippe Portier

Réunion du jeudi 25 novembre 2021 à 17h30
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Philippe Portier, secrétaire national de la CFDT :

Il existe plusieurs moyens de mesurer la désindustrialisation. De nombreux analystes s'intéressent au recul de la part de l'industrie dans le produit intérieur brut (PIB). Le prisme syndical a davantage tendance à observer l'évolution des emplois. La désindustrialisation s'est développée depuis trois ou quatre décennies et correspond à la période de financiarisation de l'économie. Les stratégies d'entreprises sont fondées sur la diminution des coûts et se situent sur le court terme. Conjointement, un net phénomène de délocalisation s'observe. Nous le mentionnions depuis longtemps sans parvenir à faire entendre notre voix. Chacun s'accorde désormais sur cette situation, qui se poursuit malgré les annonces. Les délocalisations sont responsables d'au moins un tiers de la baisse des emplois dans l'industrie. L'autre tiers peut être attribué à l'externalisation d'un grand nombre des activités des entreprises vers des sociétés de services, engendrant une baisse de statut des salariés concernés. Enfin, le dernier tiers s'explique par le gain de productivité, c'est-à-dire que moins de salariés sont nécessaires pour produire la même valeur.

Dans les années 1980 et 1990, l'idée d'une société post-industrielle partageant le travail au niveau international s'est répandue. L'atelier du monde aurait été la Chine ou l'Inde, tandis que l'activité d'innovation et de recherche et développement (R&D) serait restée en France tout en développant l'économie de service. La situation est plus complexe. La baisse de l'industrie est aussi liée à des enjeux de compétitivité. La compétitivité n'est abordée, notamment par les dirigeants et organisations patronales, que par la dimension des coûts avec les demandes de baisse d'impôts et de cotisations, qui ont d'ailleurs été nombreuses ces dernières années. Ces baisses d'impôts et de charges n'ont pourtant pas enrayé le phénomène de baisse de l'industrie dans notre pays. La compétitivité peut pourtant être vue sous un angle différent, qui s'attarde sur les éléments hors coût. Il s'agit par exemple du lien entre la R&D et la production. La R&D se porte assez bien en France, mais un maillon manque entre la R&D, l'innovation et la mise en production. La compétitivité repose aussi sur les compétences des salariés. Dans une situation de délocalisation et de baisse des emplois dans l'industrie, les compétences tendent à disparaître. Je note également un déficit de politique industrielle. Une prise de conscience a débuté à partir de 2005, avec la mise en place des pôles de compétitivité. Le manque de politique industrielle reste prégnant.

Concernant les solutions possibles, il faut d'abord retenir qu'il est très difficile de faire revenir sur le territoire français des activités qui ont été délocalisées. Notre époque voit cependant de nouvelles obligations, comme la lutte et l'adaptation au réchauffement climatique. Il s'agit pour moi de réelles opportunités de localiser des activités industrielles différentes sur le territoire français ou en Europe. Une politique industrielle volontariste est nécessaire. La création du Haut-commissariat au plan est une bonne idée, mais nous n'en avons pas vu les effets. Dans le contexte d'une neutralité carbone pour 2050, il conviendrait de faire une projection pour chaque filière afin d'en évaluer les implications. Si les comités stratégiques de filière (CSF) étaient dotés de moyens supérieurs et d'une gouvernance différente, ils pourraient devenir des appuis essentiels à cet égard. Il est par ailleurs indispensable de croiser l'aspect filière et territoire, pour maintenir l'emploi et développer les activités industrielles. La mise en place d'activités d'économie circulaire a aussi la vertu de fixer les entreprises sur un territoire et de faire coopérer les acteurs ensemble. C'est l'un des axes importants de la transition écologique. La gouvernance dans les entreprises doit aussi être rééquilibrée entre les salariés et les actionnaires. Les actionnaires apportent des capitaux, mais les salariés fournissent leurs compétences et leur force de travail. L'industrie allemande, qui bénéficie d'un système de codétermination, se porte bien mieux que la nôtre. La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi PACTE », devrait être renforcée. Il faut aussi évoquer les normes nécessaires pour produire des biens éco-conçus, réparables et recyclables, pour contribuer à ce que les activités restent sur le territoire français et européen. Enfin, la lutte contre l'évasion et l'optimisation fiscales permettrait d'éviter que les bénéfices réalisés par les entreprises échappent aux salariés et entravent le partage de la vraie valeur dans l'entreprise.

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