Intervention de Nadia Salhi

Réunion du jeudi 25 novembre 2021 à 17h30
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Nadia Salhi, membre de la direction confédérale de la CGT :

. La CGT mène une campagne depuis plusieurs années sur la reconquête industrielle. La plupart des politiques reconnaissent le problème et ont entrepris des mesures que je commenterai dans un second temps. Nous n'aurons pas d'économie forte et stable sans industrie dans le pays.

En 50 ans, la France s'est beaucoup désindustrialisée. La part de l'industrie dans le PIB a été divisée par 2 et atteint aujourd'hui 12 %, contre 25 % en Allemagne, 20 % en Espagne et en Italie, et 22 % en moyenne en Europe. 1,5 million d'emplois industriels ont été perdus. Cette situation conduit à un déficit structurel de la balance commerciale. La France importe plus qu'elle n'exporte. Son empreinte carbone est 1,7 fois plus élevée que nos émissions de gaz à effet de serre, ce qui n'est pas négligeable dans le contexte de transition écologique. Notre pays devient de plus en plus dépendant et vulnérable. Il est incapable de répondre aux besoins des citoyens, comme l'a montré la crise sanitaire.

Les causes de la désindustrialisation résident dans la financiarisation de l'économie et la course à la rentabilité afin de satisfaire les marchés financiers, de dégager toujours davantage de profits, et d'enrichir les actionnaires et les dirigeants des grandes entreprises. En moyenne, environ 50 milliards d'euros de dividendes sont versés chaque année. Malgré une diminution en 2020, la somme des dividendes atteignait 35 milliards d'euros. En 17 ans, ce sont 740 milliards d'euros qui ont été versés aux actionnaires, soit une moyenne de 43 milliards d'euros par an. Cette somme est supérieure au paiement par l'État français des intérêts sur la dette publique. Les grandes entreprises distribuent des dividendes et rachètent des actions, or les collectivités publiques donnent de l'argent à ces entreprises. Nous regrettons l'absence de chiffrage officiel de ces aides, qui relève selon nous d'un problème de démocratie. Nous nous demandons pourquoi le dernier rapport de la Cour des comptes sur les aides aux entreprises date de 2010. D'après ce rapport et de nouvelles estimations, nous évaluons à 150 milliards d'euros par an le montant de ces aides publiques, dont profitent essentiellement les grandes entreprises. On peut donc en déduire qu'un tiers des aides est donc directement versé aux actionnaires.

Malgré ces aides, la désindustrialisation se poursuit. L'industrie parvient de moins en moins à répondre aux besoins essentiels des Français et la production souffre d'un manque de qualité de la production. Les entreprises sont de plus en plus décomplexées : elles demandent toujours plus d'aides publiques, de mesures de défiscalisation et d'exonérations de cotisations. En parallèle, elles investissent peu pour moderniser l'appareil productif le plus vieillissant d'Europe, et bénéficient d'un pouvoir de vie ou de mort sur les entreprises sous-traitantes. Elles ferment des sites, délocalisent la production et la recherche et réduisent les droits sociaux des employés en faisant du chantage à l'emploi. Elles suppriment des postes clés et les savoir-faire qui y sont liés. Elles licencient, privant des salariés de travail et des territoires d'activités économiques avec un risque de désertion.

Concernant l'industrie du médicament, Sanofi reçoit des aides publiques et verse régulièrement des dividendes à ses actionnaires. En 2020, 4,8 milliards d'euros ont été versés en pleine crise sanitaire, alors que l'entreprise s'est montrée incapable de proposer un vaccin ou traitement contre la Covid-19. Depuis des années, Sanofi ne paie plus d'impôts sur les sociétés en France grâce à un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche (CIR) de 110 à 130 millions d'euros chaque année. L'entreprise a pourtant supprimé 3 000 emplois en R&D et fermé 8 de ses 11 centres de recherche. 6 000 contrats de travail à durée indéterminée (CDI) ont été supprimés au total, sans compter les emplois indirects. La France connaît en outre une situation de dépendance thérapeutique. Le paracétamol est en voie d'être relocalisé, mais 80 % des principes actifs restent fabriqués en Chine ou en Inde.

Dans le secteur de la sidérurgie, ArcelorMittal a versé 5 milliards d'euros à ses actionnaires. Or les sites souffrent de sous-investissements alarmants sur les lignes de production, ce qui génère un impact sur les capacités de production et sur la fiabilité même des outils de production. ArcelorMittal refuse aujourd'hui des commandes pour ces deux raisons. Le groupe aurait pour projet de délocaliser le site de Reims en Europe de l'Est. Depuis l'offre publique d'achat de 2006, nous sommes passés de 28 000 salariés en France à 15 000 aujourd'hui. Concernant l'aciérie Ascoval, il n'est pas compréhensible que l'entreprise soit en recherche permanente de repreneurs, alors qu'elle est l'aciérie électrique la plus moderne d'Europe. Elle applique avec succès le concept d'économie circulaire en n'utilisant que de l'acier recyclé. Depuis quatre mois, l'entreprise a été reprise par entreprise allemande Saarstahl. Nous avons appris avec étonnement la semaine dernière que l'entreprise souhaitait délocaliser les hauts fourneaux en Allemagne, soit 40 % de la production du site, en raison de l'augmentation du coût de l'énergie en France. L'entreprise est revenue sur sa décision, mais on peut se demander pour combien de temps.

Dans la métallurgie et plus précisément dans le secteur automobile, la fonderie MBF Aluminium dans le Jura a fermé au début de l'année 2021. Les fonderies d'Alvance Wheels dans l'Indre et d'Ingrandes dans la Vienne sont menacées. Renault a annoncé cette semaine qu'elle abandonnait la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM) dans l'Aveyron, menaçant 300 emplois. Sur ce même territoire, Bosch est dans une situation similaire, avec 500 emplois menacés. Sous couvert du virage électrique, Renault annonce la prochaine suppression de 2 000 emplois au sein des activités d'ingénierie de support, qui s'ajoutent aux 4 600 suppressions de postes déjà annoncées en 2020. Pourtant, Renault est la seule entreprise l'indice CAC 40 à avoir bénéficié d'un prêt garanti par l'État (PGE) de 5 milliards d'euros. Si Renault n'a pas distribué de dividendes en 2020, elle a discrètement racheté pour 41 millions d'euros d'actions. Les exemples démontrant que les grandes entreprises favorisent une stratégie visant à dégager de la liquidité plutôt que le développement industriel ne manquent pas. Les fermetures de sites industriels et les licenciements se poursuivent sans que rien ne change. Une note de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) évalue pour 2021 à plus de 1 000 le nombre de plans de sauvegarde de l'emploi (PSE), et la part de l'industrie n'y est pas mineure.

Les dirigeants sont responsables au premier chef de la désindustrialisation. L'Europe et les gouvernements successifs portent aussi une responsabilité. L'Europe, accrochée à son dogme de la concurrence libre et non faussée a tout faux. Ce n'est pas de concurrence, mais de coopération dont nous avons besoin pour répondre aux enjeux sociaux et environnementaux. La France doit quant à elle cesser de mener des politiques qui se soldent par de véritables échecs, comme la distribution d'aides publiques aux entreprises sans que ces aides soient répertoriées, traçables, contrôlées et conditionnées par des critères sociaux et environnementaux. Il est surprenant que des entreprises aient pu bénéficier du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et en même temps supprimer des emplois. En matière de politique industrielle, les appels à projets ne permettent pas le développement d'une filière industrielle. Enfin, accompagner les grandes entreprises dans la dégradation de notre industrie et parfois organiser soi-même cette dégradation comme dans le cas d'Alstom est un véritable scandale d'État.

La CGT porte des propositions pour développer l'industrie. Nous prônons tout d'abord un droit de veto sur les licenciements. Ce droit existe aux Pays-Bas. Il faudrait également un droit d'intervention des salariés sur les stratégies des entreprises, une transparence et une conditionnalité des aides publiques. Nous proposons aussi d'établir une responsabilité des donneurs d'ordre vis-à-vis des sous-traitants. Les salariés de GM&S à la Souterraine portent une proposition de loi que je vous transmettrai. Cette dernière propose de porter la R&D à 3 %, d'anticiper et de planifier les transitions numérique et écologique. La puissance publique n'est pas en mesure de proposer une solution aux 5 000 salariés des centrales à charbon, alors que le virage électrique dans l'automobile menacera demain des dizaines de milliers d'emplois. Enfin, considérons la question du statut social des salariés. Pour développer l'industrie, il faut développer son attractivité. Aujourd'hui, en matière de salaire, de temps de travail, de conventions collectives comme celle de la métallurgie avec des droits revus à la baisse, les métiers de l'industrie ne sont pas suffisamment attractifs.

Concernant la gouvernance et le développement de politiques de filières avec le conseil national de l'industrie (CNI), nous considérons que cette institution reproduit l'organisation industrielle actuelle en laissant le pouvoir aux grandes entreprises. Les petites et moyennes entreprises (PME) n'ont pas leur mot à dire du fait de leur dépendance économique. Les comités stratégiques fonctionnent malheureusement en silo, sans réfléchir à la cohérence de nos systèmes productifs. L'exemple de la pénurie des composants est frappant. Les CSF automobile et électronique pourraient travailler ensemble pour répondre aux problématiques. Cependant, chacun travaille pour son propre intérêt. Quant à la place laissée à la représentation des salariés, elle est variable selon les comités. Plusieurs mandatés de la CGT n'ont jamais été invités aux réunions malgré plusieurs relances de notre organisation au ministre de l'Economie, des finances et de la relance. Les représentants des salariés manquent de moyens pour assister aux réunions du CNI lorsqu'ils en ont l'occasion. La convocation à une réunion de l'institution devrait permettre de s'absenter de son poste de travail, et les frais de déplacement pour assister à la réunion pourraient être pris en charge. Ces points peuvent sembler prosaïques, mais ils sont importants. Le CNI pourrait être un bon outil pour une politique industrielle efficace, mais il ne l'est pas aujourd'hui.

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